M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi au préalable de faire remarquer à nos collègues de l’opposition qu’il n’est pas très correct de stigmatiser, en détournant le règlement, l’absence des élus UMP. Les conditions climatiques sont ce qu’elles sont. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Odette Terrade. Ce n’est pas la seule raison !

M. Philippe Dallier. Sur quelque travée qu’ils siègent, ne sont présents, pour l’essentiel, que ceux qui interviennent. Pour autant, cela n’enlève rien à la détermination de ceux qui, au sein de notre Haute Assemblée, sont préoccupés par le financement des départements. Il n’y a pas, d’un côté, les bons, vous, qui seraient les porte-parole des conseils généraux, et, de l’autre, les méchants, nous ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Ce rappel étant fait, j’en viens aux trois propositions de loi identiques présentées par nos collègues des groupes socialiste, CRC-SPG et RDSE, visant à apporter une solution à la situation financière difficile, voire très difficile, dans laquelle se trouvent un certain nombre de départements qui ne peuvent plus faire face à l’augmentation des dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité dont ils ont la charge.

Chacun le sait, et nul ne le conteste, l’augmentation des dépenses sociales, liée principalement au vieillissement de la population, qui d’ailleurs ne cessera de s’amplifier dans les années à venir, ainsi que l’augmentation, plus conjoncturelle espérons-le, des dépenses relatives au revenu de solidarité active, ont créé un effet de ciseaux insupportable, que nombre de budgets départementaux ne peuvent encaisser sans réduire à néant leur capacité d’investissement, et ce malgré des hausses déjà importantes de la fiscalité locale – si tant est que celles-ci aient pour objet de couvrir des dépenses de solidarité, ce qui n’est pas toujours le cas.

Vingt-huit départements seraient ainsi dans la quasi-impossibilité de boucler leur budget. Cette situation très préoccupante appelle bien évidemment une réponse globale et collective, traduction de la solidarité nationale, car nous ne saurions laisser chacune de ces collectivités face à ce problème qu’elles ne peuvent résoudre, en l’état actuel de la situation.

Je crois pouvoir m’autoriser à dire qu’il y a, sur ce point, un large consensus, voire l’unanimité.

M. Yves Krattinger. Très bien !

M. Philippe Dallier. Cependant, comme souvent, nous divergeons sur les solutions.

Nos collègues nous proposent que l’État compense intégralement, ou à hauteur de 90 %, avec ce ticket modérateur, les dépenses relatives au revenu de solidarité active, à l’allocation personnalisée d’autonomie ainsi qu’à la prestation de compensation du handicap.

Cette solution a le mérite de la simplicité, puisqu’elle reporte sur l’État, et sur lui seul, la charge de régler ce délicat problème. D’un côté, il y aurait donc ceux qui auraient la charge de la dépense et, de l’autre, l’État, chargé de trouver les financements correspondants.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Là, c’est l’inverse !

M. Philippe Dallier. Voilà effectivement une réponse simple que je me laisserai aller, un peu durement peut-être, à qualifier de simpliste.

M. Didier Guillaume. C’est le rôle de l’État !

M. Philippe Dallier. Ces politiques sont en effet décentralisées et partenariales, il faut donc que la réponse que nous allons apporter le soit également.

Je vous l’accorde, mes chers collègues, le partenariat est aujourd'hui déséquilibré puisque l’État fixe le montant de ces allocations et que les collectivités doivent en assumer les conséquences financières.

M. Philippe Dallier. Néanmoins, ce n’est pas parce que le système actuel n’est pas le meilleur qu’il faut en reproduire exactement les travers. Or c’est d’une certaine manière ce que vous nous proposez.

J’ai été conseiller général de Seine-Saint-Denis, département que vous avez évoqué à deux reprises. À cet égard, je voudrais tout de même vous rappeler un certain nombre de choses.

Tout d’abord, les 75 millions d’euros de déficit affichés au mois de mars ont disparu à l’été, comme par miracle ! Le problème a été réglé. Ce n’était que de l’affichage.

M. Didier Guillaume. Le président a bien géré !

M. Philippe Dallier. Savez-vous que, en Seine-Saint-Denis, l’APA s’appelle l’ADPA, ou « allocation départementale personnalisée d’autonomie » ? Le conseil général essaie à tout prix de faire croire que c’est lui, en tant que collectivité locale, qui la finance !

M. Philippe Dallier. Il faut avoir le courage de dire les choses ! On a choisi de décentraliser ces politiques, mais les présidents de conseil général savaient les risques auxquels ils s’exposaient. Ces risques se sont concrétisés, il faut maintenant apporter des réponses.

M. Jean-Marc Todeschini. On apporte des réponses !

M. Philippe Dallier. Cela dit, à l’époque où la question s’est posée, beaucoup de présidents de conseil général ont accepté en se disant que l’avenir des départements serait conforté par ce transfert de compétences. Ayons le courage de reconnaître que l’argument a pesé dans la balance !

Je dois dire que je m’interroge : fallait-il transférer des compétences qui relèvent de la solidarité nationale à des collectivités locales ? À titre personnel, je réponds plutôt par la négative.

M. Jean-Michel Baylet. Mais c’est fait !

M. Philippe Dallier. Certes, mais vous réclamez que l’État compense intégralement ces dépenses tout en voulant en conserver le bénéfice sur le terrain…

M. Yves Daudigny. Quel bénéfice ?

M. Philippe Dallier. … en disant : « Regardez comme nous sommes grands et généreux : c’est nous qui distribuons ces allocations ! » (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Michel Baylet. On ne fait pas de la politique comme vous !

M. Philippe Dallier. Plutôt que de se lancer dans de vaines polémiques, regardons concrètement ce que nous pouvons faire ensemble pour sortir de cette difficulté.

Surtout, notre rapporteur l’a souligné, dans le contexte actuel de nos finances publiques, l’État ne saurait supporter seul, par des compensations, les charges en question, qui représentent plus de 3,3 milliards d’euros.

J’en profite d’ailleurs pour rappeler à nos collègues de l’opposition que l’origine du problème de financement de l’APA, Yves Krattinger a eu l’honnêteté de le dire, remontre à 2002. Nous sommes donc dans une logique qui ne saurait être imputée aux seules majorités de droite.

L’allocation personnalisée d’autonomie, qui représente les trois quarts du coût total de financement de ces allocations, avait été créée par Lionel Jospin, sans qu’il se préoccupât de son financement pérenne.

MM. Jean-Michel Baylet et Didier Guillaume. Si, à 50 % par l’État !

M. Philippe Dallier. Je rappelle aussi que les difficultés actuelles de certains départements trouvent leur origine dans une chute conjoncturelle des droits de mutation, la crise financière et économique ayant entraîné une baisse des transactions immobilières.

Chacun sait que le montant des droits de mutation à titre onéreux a diminué d’un tiers entre 2007 et 2009, alors qu’ils représentent près de 20 % des recettes fiscales des départements, et parfois plus.

Or nous venons de voter, voilà trois jours, après un beau débat, au Sénat, en loi de finances, un nouveau système de péréquation efficace reposant sur trois critères très pertinents de répartition des ressources du fonds départemental de péréquation des droits d’enregistrement, qui va mutualiser, pour partie, les droits d’enregistrement.

Il s’agit là d’une avancée considérable pour nos départements les plus en difficulté.

Je vous rappelle également la mise en place d’un fonds exceptionnel de soutien en faveur des départements dans le prochain collectif budgétaire. Ce fonds est doté de 150 millions d’euros, ce qui est relativement peu compte tenu de l’ampleur du problème.

Le Gouvernement et le Parlement ne sont donc pas restés l’arme au pied…

M. Jean-Marc Todeschini. La larme à l’œil !

M. Philippe Dallier. … face à ce problème bien réel de nos départements.

Par ailleurs, si ces trois propositions de loi de nos collègues de gauche ont le mérite de nourrir le débat sur l’équilibre des finances de nos départements, leur adoption ne serait cependant pas opportune, alors que M. le Président de la République vient d’annoncer l’ouverture du chantier de la prise en charge de la dépendance, avec la création d’un cinquième risque, désormais érigé au rang de priorité de l’action gouvernementale.

M. Philippe Dallier. Les départements devraient donc être, à terme – et souhaitons qu’il soit rapproché –, dégagés de la responsabilité de cette prise en charge financière très lourde et largement responsable de leurs difficultés actuelles.

L’adoption des trois textes dont nous discutons aujourd'hui ne serait donc pas opportune, car elle préempterait en quelque sorte le débat national qui va s’ouvrir et qui devra associer, dans un large esprit de concertation, l’ensemble des acteurs du secteur, à commencer par l’Assemblée des départements de France, les associations de personnes handicapées, les organisations syndicales, et bien d’autres encore.

Dans ces conditions, et pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe UMP se rangera à l’avis du rapporteur de la commission des finances, notre excellent collègue Charles Guené, dont nous tenons à saluer la qualité du travail. En conséquence, nous rejetterons les articles des propositions de loi soumises aujourd’hui à notre examen. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gérard Miquel. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer la présence dans les tribunes de Claudy Lebreton, le président de l’Assemblée des départements de France, qui a considéré qu’il était important d’assister à nos débats.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Malgré le mauvais temps ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Gérard Miquel. Madame la secrétaire d’État, le financement des allocations individuelles de solidarité – RMI-RSA, APA et PCH – est une question majeure, qui a déjà fait l’objet de débats dans cette assemblée. Nous poursuivons aujourd’hui cette discussion sur la base de trois propositions de loi qui ont le mérite d’apporter une solution globale au travers d’une réforme structurelle et pérenne.

Tous, quelles que soient nos convictions, nous adhérons aux principes qui sont à l’origine de la création de ces allocations. Elles sont la traduction concrète de l’aide que notre société peut offrir à la personne âgée dépendante, à la personne handicapée, à celle qui a subi un accident de la vie, qui a connu des difficultés de couple ou perdu son emploi.

Face aux imprévus qui jettent des femmes et des hommes dans la détresse et la souffrance, elles ont permis de traiter plus dignement les processus d’exclusion. Elles ont aussi conforté le caractère républicain de notre pays, en affirmant que tout individu a le droit à un minimum de ressources, attribué par la collectivité, pour vivre et parfois même pour survivre.

Cette conception de la solidarité a pris tout son sens dans le cadre de la décentralisation. Chacun s’accorde d’ailleurs à reconnaître que la gestion par les départements du RMI, devenu RSA, de l’APA et de la PCH a facilité une prise en charge au plus près des bénéficiaires.

Cela a incontestablement été facteur de lisibilité et d’efficacité.

La mise en place de ces dispositifs de solidarité ne s’est pas faite au détriment du rôle de l’État ; au contraire, elle a renforcé sa légitimité, dans le respect de deux principes fondamentaux : l’égalité de traitement de tous, quelles que soient les inégalités de situation des territoires, et l’autonomie financière des collectivités.

Aujourd'hui, cependant, ces principes sont mis à mal.

En effet, le décalage entre les dépenses effectuées par les départements pour payer ces allocations et les recettes transférées par l’État pour les lui rembourser s’accentue chaque jour davantage. Vous connaissez, mes chers collègues, les chiffres de ce différentiel, que l’Assemblée des départements de France a rendus publics. Ils sont accablants.

Permettez-moi, pour illustrer mon propos, de vous donner simplement ceux du département que j’ai l’honneur de présider, le Lot.

Ainsi, sur la base d’un taux de couverture par l’État de 90 % pour l’APA, de 100 % pour la PCH depuis sa création en 2006 et pour le RMI-RSA depuis 2004, la dette totale de l’État à l’égard du conseil général dépassera 19,9 millions d’euros pour la seule année 2010.

En outre, dans le contexte de crise que nous traversons, une aggravation de ce déficit est à craindre, les dépenses sociales connaissant une progression globale forte et régulière.

Circonstance aggravante : l’impact sur les finances départementales est plus accentué dans les territoires les plus fragiles sur le plan social et dans ceux où le vieillissement de la population est le plus marqué.

Les départements ont assumé ces transferts de charges décidés par l’État, tout en dénonçant la méthode employée. Ils l’ont fait sans rechigner, car ils savent d’expérience que le citoyen a tout intérêt à une gestion de proximité des services publics. Ils ont assuré la mise en œuvre de l’accueil et l’accompagnement des personnes. Ils ont surtout intégré la montée en charge des dépenses sociales, en usant de la panoplie des mesures leur permettant de présenter, comme la loi l’exige, un budget en équilibre : réduction des dépenses, baisse de l’investissement, recours accru à l’emprunt, augmentation de la fiscalité.

Aujourd’hui, ils n’en peuvent plus. La hausse continue des dépenses d’allocations, couplée à la suppression de la taxe professionnelle et à la chute des droits de mutation, leur ôte désormais toute marge de manœuvre. L’effet de ciseaux – des dépenses plus importantes que les recettes –, dangereusement, se fait de plus en plus sentir.

Dans ces conditions, que faire ? Réduire encore, voire supprimer l’aide aux communes, aux intercommunalités, au monde associatif ? Imposer davantage le contribuable local ? Baisser le montant des allocations ? Laisser la responsabilité aux départements d’en fixer le montant ?

Aucune de ces propositions n’est acceptable pour l’élu local, le citoyen impliqué dans la vie locale, le contribuable ou le bénéficiaire d’une aide sociale. Toutes portent atteinte au pacte républicain, lequel repose sur la responsabilité des acteurs sociaux, la solidarité collective et l’égalité des droits, quel que soit le lieu de résidence des allocataires.

Il ne reste que la solution du financement. Affirmons d’emblée qu’il n’est pas envisageable de laisser chaque département résoudre seul une équation impossible.

Le Gouvernement lui-même a enfin admis en juin dernier, lors d’une audience accordée par le Premier ministre au président de l’ADF, que la situation était intenable pour les finances départementales. Pourtant, force est de constater que les propositions faites depuis lors ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Tout d’abord, l’octroi d’avances remboursables se révèle largement insuffisant. Ces avances sont par ailleurs conditionnées à un engagement des départements de stabiliser certains postes budgétaires. Les termes de cet échange sont détestables, car ils donnent à penser que les départements en difficulté seraient de mauvais gestionnaires. Les conseils généraux ne se sont pas laissé tromper par ce marché de dupes qui à la fois les rend responsables du déficit causé par l’État et les met de facto sous tutelle.

Ensuite, après plusieurs reports, le Gouvernement renvoie habilement l’examen de la réforme de la dépendance promise par le Président de la République à l’année prochaine. À l’évidence, le règlement de la question de la dépendance ne permettra pas de résoudre, à lui seul, le problème global qui est posé. Aussi convient-il, sans attendre, d’aller au-delà et de s’atteler à cette réforme urgente.

Réunis à Avignon en octobre dernier à l’occasion de leur congrès annuel, les présidents de conseil général, toutes sensibilités politiques confondues, ont élaboré une proposition de loi visant à garantir une prise en charge par la solidarité nationale des trois allocations, dans la droite ligne des principes de solidarité hérités du Conseil national de la Résistance.

Les trois textes qui vous sont aujourd’hui soumis vont dans la même direction : il s’agit de revenir au bon sens républicain et de renouer avec l’esprit qui prévaut dans notre pays depuis la création de la sécurité sociale à la Libération. En 1945, il était évident que le financement de la solidarité collective trouvait sa source dans l’impôt national.

Le RSA, l’APA et la PCH visent également à sécuriser les parcours de ceux qui sont bousculés par les aléas de la vie. Leur financement doit donc désormais être assuré à l’échelon national, par des ressources reposant sur l’ensemble des revenus du pays, ceux du travail comme ceux du capital.

Madame la secrétaire d’État, la CNSA et le ministère des solidarités et de la cohésion sociale viennent d’annoncer la signature d’une convention avec ADHAP Services, société détenue majoritairement par le groupe AXA assurance. Sur un montant de 4,4 millions d’euros, la CNSA contribue à hauteur de 2,7 millions d’euros.

Cette décision traduit votre volonté, madame la secrétaire d’État, de privatiser les services à la personne et le manque de confiance du Gouvernement envers les conseils généraux, qui sont, eux, chargés de ce dossier et en capacité d’organiser sur leur territoire un service public d’aide à la personne aux mêmes conditions sur tout le territoire.

Vous nous faites une nouvelle fois la démonstration de votre volonté de privatiser les profits et de collectiviser les pertes. En effet, les pertes des zones à faible densité de population devront être assumées par les collectivités.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la décentralisation a constitué l’une des grandes avancées de notre démocratie au cours des trente dernières années. Elle a été à l’origine d’un formidable élan de libération des énergies locales. Elle a permis de donner un souffle nouveau à nos territoires, demeurés trop longtemps dans l’ombre de la capitale. Elle est désormais inscrite dans notre patrimoine commun. Nous avons le devoir de la préserver et de creuser ce sillon.

La réussite de la nouvelle étape de la décentralisation, que nous appelons de nos vœux, suppose au préalable une confiance réciproque entre l’État et les collectivités territoriales. Or, face aux coups de boutoir du Gouvernement, cette confiance a été largement écornée. À croire que, à l’instar de MM. Balladur et Attali, le gouvernement auquel vous appartenez n’aime pas les départements !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! Pourtant ils aiment bien en être les élus !

M. Gérard Miquel. Pour retrouver les chemins d’une meilleure articulation entre le pouvoir national et l’autorité locale, il importe de renouveler les fondements du contrat social. Les propositions de loi que nous défendons en constituent la clé de voûte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, crise économique et sociale, déficits abyssaux de l’État, profondes inquiétudes quant à l’avenir : l’année 2010 s’achève durement pour nos concitoyens, en particulier pour les plus fragiles d’entre eux, à savoir les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes privées d’emploi.

Notre débat aujourd’hui les concerne au plus haut point. La proposition de loi qui nous est soumise aborde des questions cruciales : quelle démocratie territoriale voulons-nous ? pour quel service public ? avec quels financements ? pour rendre quels services à nos concitoyens ?

Nous sommes plongés au cœur d’un sujet essentiel pour l’organisation de notre démocratie : celui du financement des mesures de solidarité nationale. Les décisions de l’État pèsent chaque jour davantage sur les départements.

Alors que les départements sont adultes, ils ont souvent l’impression que l’État est loin de les considérer comme tels. Pourtant, je l’affirme haut et fort dans cet hémicycle : si leur situation financière est grave, ils n’en sont pas responsables. Leur gestion est saine. Leur efficacité dans la mise en œuvre des politiques publiques est certaine. Ils assument leurs responsabilités, toutes leurs responsabilités.

À mon tour, je tiens à rendre hommage au travail considérable accompli par l’Assemblée des départements de France et à saluer son président Claudy Lebreton, ainsi que ses vice-présidents Michel Dinet et Christian Favier, qui sont présents ici aujourd'hui et qui soutiennent cette proposition de loi.

Pour la première fois, à Avignon, grâce sûrement au charisme de notre ami et collègue Claude Haut, les 102 présidents de conseils généraux ont fait à l’unanimité le même constat : leur situation financière est grave. Le financement des allocations individuelles de solidarité qu’ils versent aux citoyens n’est pas compensé correctement par l’État comme il devrait l’être. Non, le compte n’y est pas !

Tous ensemble, quelle que soit leur couleur politique, les départements ont exprimé le souhait d’être entendus par le Gouvernement dès 2011.

En moins de cinq ans, l’État a accumulé à leur égard une dette de plus de 5,3 milliards d’euros au titre des allocations de solidarité, montant que personne ne conteste dans cet hémicycle.

Les départements, toutes tendances politiques confondues, tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme. La question est sérieuse : l’État saura-t-il ou non honorer les dettes qu’il contribue à creuser de manière quasi méticuleuse ?

La situation n’est plus tenable. Pour faire face à l’augmentation des dépenses sociales, les départements doivent chaque année gérer de façon toujours plus drastique certaines politiques de cohésion territoriale, voire tout simplement les abandonner.

Le dynamisme des droits de mutation a permis à certains départements de faire face jusqu’en 2008. Leur effondrement en 2009 a été catastrophique pour les départements. Leur remontée en 2010, qui n’est d’ailleurs pas avérée pour tous, ne masque en rien le problème de fond.

La suppression de la taxe professionnelle en 2010 fut une très mauvaise nouvelle pour les finances des départements. Ces derniers ont perdu au passage à la fois en dynamisme et en autonomie. La décision de geler les dotations de l’État fut un coup de grâce. Les recettes stagnent, les dépenses augmentent mécaniquement.

Dans tous les départements, l’autofinancement est en forte baisse. Le risque est grand que l’investissement public local diminue – c’est déjà le cas –, avec les conséquences qui s’ensuivent pour l’économie et l’emploi dans les territoires.

Nous ne faisons que dresser un constat. Nous ne sommes pas là pour nous plaindre, nous voulons agir. Il nous appartient de proposer ensemble des solutions. Tel est le sens de la proposition de loi que nous vous soumettons aujourd'hui.

Au commencement, il y eut trois belles lois de la République, fondées sur de grandes idées et sur les grands principes de solidarité nationale. La première fut la loi créant le RMI, institué en 1988 par Michel Rocard. La deuxième fut la loi du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, votée sur l’initiative du gouvernement de Lionel Jospin. Cessons d’ailleurs de dire que cette allocation n’était pas financée : l’APA était financée à 50 % par l’État, les 50 % restants étant à la charge des départements, contre plus de 70 % aujourd’hui. Enfin, la troisième loi fut celle du 11 février 2005, qui a créé la PCH. Il s’agit là, selon moi, de l’une des grandes lois en matière sociale. On la doit à Jacques Chirac.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale. C’est vrai !

M. Didier Guillaume. Ces belles lois, il faut aujourd’hui les défendre, car elles sont en danger, leur financement n’étant plus assuré.

Tel est le sens de la proposition de loi que nous vous soumettons aujourd'hui. Elle témoigne de l’état d’esprit constructif dans lequel se trouvent les départements, qui sont à la recherche de solutions pour continuer de mener à bien leurs missions. Elle témoigne également de leur capacité d’initiative et, enfin, de leur conviction que leur mission de cohésion sociale est pertinente.

Madame la secrétaire d’État, vous objectez qu’il faut réduire la dépense publique, que l’État n’a pas les moyens de financer les 3,4 milliards d’euros et que le futur débat sur la dépendance permettra de régler tous les problèmes. Permettez-moi de répondre à ces trois arguments.

Oui, il faut évidemment réduire la dépense publique, mais certaines dépenses sont particulièrement utiles. À cet égard, faut-il vous rappeler que les collectivités locales sont responsables de près de 75 % de l’investissement public ? Si nous avons mieux résisté à la crise, c’est aussi parce que les départements ont accompagné le plan de relance pour l’économie et qu’ils ont bien souvent investi plus que l’État ne le faisait.

Vous arguez également que l’État n’a pas les moyens de financer ces politiques de solidarité et vous nous demandez de faire des propositions. Or nous n’en avons entendu ni de votre part, madame la secrétaire d’État, ni de la part de la majorité. Nous n’allons pas reprendre aujourd'hui l’antienne du bouclier fiscal, de l’abrogation de l’ISF et de la baisse de la TVA sur la restauration. Je dirai simplement que les 3 milliards d’euros qui manquent, ce sont les 3 milliards d’euros de la baisse de la TVA sur la restauration ! Si vous voulez que nous fassions des suggestions pour réduire les dépenses publiques, nous sommes en mesure d’en faire, madame la secrétaire d’État…

Le débat sur la dépendance va certes avoir lieu, mais nous ne voulons pas de solutions pour le futur, nous en voulons pour le présent. S’en remettre à ce débat futur, c’est tout simplement ne pas reconnaître qu’il y a urgence à agir dès à présent.

Il est indispensable que l’État finance les allocations sociales. Si tel n’était pas le cas, la cohésion sociale serait mise à mal, la machine économique locale serait bridée.

Alors, je ne voudrais pas penser que certains – rassurez-vous, mes chers collègues, je ne vise personne ici – souhaiteraient pousser à bout les départements avec pour conséquence, comme l’a dit le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, la fin de ceux-ci et leur fusion avec les régions. Nous ne voulons pas de cette fusion, mais nous pensons qu’il faut y voir là, peut-être, un projet secret.

Vous avez devant vous, madame la secrétaire d’État, une proposition constructive. Vous nous dites être d’accord sur le constat, mais en désaccord sur les propositions. Alors, nous pourrions peut-être faire des propositions ensemble. Nous pensons que nos propositions sont bonnes, mais il peut y en avoir d’autres et nous serions d’accord pour en discuter.

Ce qui compte, c’est de répondre à l’urgence et au drame que vivent les départements, notamment la mise à mal de la cohésion sociale. Les départements sont lucides et savent bien qu’il n’est pas possible de « raser gratis ». Nous sommes guidés à la fois par la conviction, le réalisme et l'ambition. En réponse à l'unanimité des présidents de conseil général, la possibilité nous est donnée aujourd’hui de pouvoir, ensemble, construire une réponse juste. Ne laissons pas passer cette chance.

Face aux difficultés, soyez-en sûrs, l'ambition des départements est intacte. Collectivités de proximité, ils représentent plus que jamais un échelon de gouvernance et un niveau de responsabilité adapté pour mettre en œuvre la solidarité des hommes et des territoires.

La proximité est un atout des départements. Chaque jour, ils font la démonstration que des solutions existent pour consolider la République décentralisée et contribuer à la solidarité et la cohésion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)