Mme Odette Terrade. Puisque nous parlons aujourd’hui d’égalité entre hommes et femmes et, notamment, d’égalité professionnelle, je pense nécessaire de redire que, dans une société encore largement dominée par les hommes, les droits des femmes ne sont jamais acquis. Dans toutes les sociétés, dès que les droits des citoyens sont remis en cause, les droits des femmes régressent en premier. L’égalité entre les femmes et les hommes est un objectif encore non atteint dans bien trop de domaines et l’égalité professionnelle n’en est qu’un des aspects !

Nous sommes d’accord avec Catherine Morin-Desailly quand elle constate que la réforme des retraites a mis en exergue la question structurelle des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, mais nous voudrions ajouter que cette réforme les a aussi concrètement aggravées. Il était nécessaire, me semble-t-il, de commencer par le rappeler.

Lors de la discussion de la loi du 23 mars 2006, nous avions dénoncé son caractère de pur affichage, car ce texte visait uniquement à encourager les entreprises à négocier sur les écarts de salaires. Les déclarations de la ministre de l’époque présentaient cette loi comme le « dernier avis de négociations avant sanction ». En réalité, il n’en est rien : comme souvent, tout est mis en œuvre pour que les entreprises n’aient rien à craindre.

En repoussant à 2012 leur application, initialement prévue en 2010, vous avez profité de l’occasion pour réduire le champ de ces sanctions ainsi que leur montant, puisqu’elles sont dérisoires : 1 % de la masse salariale tout au plus. De plus, les employeurs pourront s’en exonérer du seul fait qu’ils auraient mis en œuvre un plan d’action, même si ce dernier n’est ni financé ni efficace. Enfin, la sanction éventuelle ne pourra pas être prononcée ou augmentée par l’autorité administrative. Comme vous le voyez, c’est un euphémisme que de dire que nous avançons très doucement sur cette question !

La loi du 23 mars 2006 avait été celle des rendez-vous manqués. Sur ordre du MEDEF, des mesures en faveur des femmes initialement contenues dans ce texte avaient été écartées, comme l’allongement du congé maternité ou du congé pathologique et, surtout, la reconnaissance des écarts de salaire comme constitutifs d’une discrimination.

Aujourd’hui, au cours de ce débat sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes, nous souhaiterions retenir une définition plus large de cette question.

En effet, l’égalité professionnelle ne se limite pas à ce qui se passe dans l’entreprise. L’égalité professionnelle est un continuum : elle est déterminée aussi bien par les réalités lors de l’entrée dans l’entreprise, que pendant la durée du contrat de travail, avec le salaire, la progression de carrière, etc. L’égalité professionnelle doit aussi exister lors des suspensions du contrat de travail, par exemple, pendant les congés de maternité, ou au moment de la retraite ; comme cela a été dit, la retraite révèle souvent le cumul des inégalités de traitement vécues durant toute l’activité professionnelle.

Cependant, faire rimer égalité professionnelle avec réalité implique, en amont, que l’égalité soit assumée dès le plus jeune âge, dans les conditions même d’enseignement. Si la question du rôle de l’Éducation nationale dans la lutte en faveur de l’égalité est si importante, c’est que le parcours scolaire des femmes traduit, lui aussi, l’ampleur des discriminations dont elles sont victimes.

Certes, de nombreux progrès ont été accomplis, mais ce sont encore trop souvent les jeunes hommes qui, à capacités égales, se voient offrir les postes de responsabilité au sortir des grandes écoles, au détriment des jeunes filles alors que celles-ci représentent 58 % des étudiants à l’université.

De trop nombreuses entreprises continuent d’avoir une politique d’embauche discriminante. Comme le contrat de travail est un contrat conclu en considération de la personne, il sera toujours très difficile de traquer les discriminations à l’embauche. Les mentalités et les pratiques doivent changer et l’ensemble des règles posées par le code du travail et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, auront du mal, à elles seules, à modifier profondément la situation.

Pour faire tomber les stéréotypes, il faudrait changer les mentalités sexistes, puisque les femmes réalisent encore 70 % des tâches dites domestiques et 60 % des tâches parentales. C’est une question d’éducation, loin de tout déterminisme sexuel des tâches et des aspirations. Sans l’égalité domestique et parentale, l’égalité professionnelle n’existera jamais ! À titre d’exemple, savez-vous qu’au Danemark l’État et les pédagogues conseillent aux parents d’offrir des poupées et des dinettes aux petits garçons, de la même manière qu’aux petites filles, pour que ces hommes, une fois adultes, trouvent normal de tenir une poussette, de préparer un biberon ou de s’occuper des tâches ménagères quand leurs compagnes sont au travail. Si cet exemple peut prêter à sourire, il révèle aussi les choix d’une société où l’égalité est une priorité.

De plus, si l’égalité professionnelle dans l’entreprise implique le respect d’obligations par l’employeur, elle implique aussi l’égalité salariale.

Selon l’INSEE, tous temps de travail confondus, les salaires des femmes sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes. En 1950, les femmes employées à temps complet percevaient, en moyenne, les deux tiers des salaires masculins ; à partir de 1993, elles ont dépassé les 80 % ; depuis cette date, la progression a été interrompue et l’écart salarial moyen entre hommes et femmes stagne à ce niveau. Faudra-t-il encore attendre cinquante ans pour atteindre l’égalité effective ?

L’inégalité professionnelle est aussi illustrée par le temps partiel subi, véritable facteur de précarité perpétuelle pour les femmes.

L’accession des femmes aux emplois qualifiés, aux postes de direction, aux mandats sociaux comme aux fonctions électives est loin d’avoir atteint un niveau satisfaisant. Il suffit d’observer la composition de notre assemblée, où nous sommes, mes chères collègues, 79 sénatrices pour 342 sièges, c’est-à-dire à peine plus de 20 % de femmes !

Et je n’ose évoquer la réforme des collectivités, qui tire un trait sur la parité dix ans seulement après que celle-ci a été adoptée. Madame la ministre, vous qui, à l’époque, étiez au côté des associations féministes, comment avez-vous pu laisser s’opérer un tel recul ?

Quand comptez-vous mener une politique volontariste en matière de réduction des inégalités professionnelles entre femmes et hommes ?

Quelles mesures bien plus ambitieuses et radicales que celles qu’avait annoncées votre ex-collègue Eric Woerth lors du débat sur les retraites entendez-vous mettre en place ?

Quels moyens proposez-vous pour lutter efficacement contre les discriminations à l’embauche, fixer des critères et des obligations objectives et incontournables pour les entreprises?

M. Roland Courteau. Ce sont de bonnes questions !

Mme Odette Terrade. Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les remarques que notre groupe souhaitait formuler à l’occasion de ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier Catherine Morin-Desailly d’avoir déposé cette question, qui nous permet, au lendemain de la réforme des retraites, de faire un point sur la situation des femmes au travail.

La féminisation de la population active a beaucoup progressé en quelques décennies. Selon l’INSEE, les femmes représentent 47 % des actifs, contre 34 % en 1962. Mais leur statut s’est-il amélioré pour autant ? Ma longue expérience en entreprise tout comme de multiples études me montrent que non : l’égalité professionnelle et surtout l’égalité salariale ne sont pas encore acquises.

Certes, au cours des quarante dernières années, les progrès ont été nombreux grâce, en particulier, aux six lois votées depuis 1972 qui ont posé des règles destinées à garantir la place des femmes dans le monde du travail.

L’Union européenne a également permis d’avancer. Une dizaine de directives ont progressivement relevé le niveau d’exigence dans la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement pour l’accès à l’emploi, à la formation et aux carrières.

Il existe donc de nombreux textes, mais la richesse même de ce corpus fait mesurer l’écart existant entre ce qu’ils promeuvent et la réalité des situations.

Les femmes, bien plus que les hommes, occupent des emplois peu qualifiés ou au statut précaire, souvent faute de mieux. Plus de 82 % des actifs à temps partiel sont des femmes, souvent par choix, mais plus de 30 % des femmes travaillent à temps partiel parce qu’elles n’ont pas trouvé d’emploi à temps complet : c’est le temps partiel subi.

Bien plus que les hommes, les femmes occupent des emplois temporaires tels que contrats à durée déterminée, stages, emplois aidés, ou sont confrontées au chômage. Et même lorsqu’elles choisissent des formations professionnellement rentables, leur progression de carrière, dès le début de la vie active, paraît moins rapide que celle des hommes.

Je souhaite surtout dénoncer les inégalités salariales : il y a de quoi en être particulièrement indigné lorsqu’on sait qu’elles persistent alors que les filles ont rattrapé, puis dépassé le niveau d’éducation des garçons.

Dans les entreprises de plus de dix salariés, la rémunération des femmes est inférieure de 27 % à celle des hommes. En outre, l’écart salarial s’avère proportionnel aux diplômes : l’écart est encore plus important pour les plus diplômées puisqu’il peut atteindre 32 % chez les titulaires d’un diplôme de deuxième ou de troisième cycle.

Comment peut-on accepter à notre époque, au XXIe siècle, qu’à travail égal il n’y ait pas salaire égal ? Comment les entreprises peuvent-elles, sans état d’âme, rémunérer davantage un homme, comme si, parce qu’il est du sexe supposé fort, il travaillait forcément plus ou mieux ? Cela relève d’un très long passé de dominance masculine, mais celle-ci ne devrait plus avoir cours aujourd’hui.

En janvier 2005, alors que je venais de devenir parlementaire, le Président de la République fixait un objectif de suppression de l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes sur cinq ans ; il aurait donc dû être atteint en 2010. J’y ai cru !

Certes, un certain nombre d’accords sur l’égalité salariale ont été signés, et ils tendent d'ailleurs à se multiplier. Mais, en 2010, peut-on dire que la situation a vraiment évolué ?

Mme Catherine Procaccia. Je pense qu’il est temps maintenant de changer de méthode.

Un nouveau dispositif a été adopté pour lutter contre les inégalités salariales lors de l’examen du texte sur les retraites, ce qui est assez original, il faut le reconnaître. Il s’agit d’imposer des pénalités financières aux entreprises de plus de cinquante salariés qui n’affichent ni accord sur l’égalité professionnelle ni plan d’action contre les discriminations. Selon un mécanisme inspiré du dispositif applicable pour les seniors, les sanctions pourront atteindre 1 % de la masse salariale. Il est toutefois à craindre que le système proposé ne soit trop vague pour être dissuasif.

Pouvez-vous me préciser, madame la ministre, si l’État a les moyens de vérifier la situation et d’appliquer des sanctions dans chaque entreprise ? Pouvez-vous nous dire comment vous entendez mettre en place concrètement ce dispositif ? Les lois précédentes sur l’égalité nous ont enseigné que les principes restaient sans effet faute de décret d’application précis et faute de moyens réels pour les mettre en œuvre.

Mais je sais aussi que les stocks sont plus difficiles à gérer que les flux. C’est pourquoi je veux attirer votre attention sur les femmes qui ont déjà vingt ou trente ans d’ancienneté dans une ou plusieurs entreprises. Comment la question de leur inégalité salariale peut-elle être réglée ? Jamais les entreprises ne seront financièrement en mesure de régler ces trop longues injustices, sauf à priver tous leurs salariés – hommes ou femmes – récemment embauchés de progression salariale pendant plusieurs années, ce que je ne demande évidemment pas.

Avant de conclure, je voudrais évoquer l’adoption récente de la proposition de loi de Mme Zimmermann visant à instaurer des quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises.

Il apparaît en effet que les femmes sont sous-représentées dans les lieux de décision : les conseils d’administration des sociétés du CAC 40 ne comptent que 10 % de femmes.

La proposition de loi a prévu un objectif de 40 % de femmes dans les conseils d’administration d’ici à cinq ans, avec un palier de 20 % au minimum d’ici à trois ans. En outre, les conseils d’administration exclusivement masculins devront compter au moins une femme dans les six mois suivant la promulgation de la loi.

Je tiens à souligner l’apport du Sénat et le travail du rapporteur, Mme Des Esgaulx : le champ d’application de la loi a été élargi aux entreprises non cotées qui, trois ans durant, remplissent deux critères, à savoir employer plus de 500 salariés et afficher un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros. Cette disposition portera de 700 à 2 000 le nombre des entreprises concernées. Notre assemblée a également introduit un mécanisme de sanction financière, prévoyant une suspension temporaire des jetons de présence.

Cependant, plus encore que l’absence de femmes dans les conseils d’administration, leur absence des comités de direction est choquante dans des entreprises qui comptent souvent au moins autant de femmes que d’hommes. Il suffit de voir les trombinoscopes publiés dans les magazines : quand il y a une femme, c’est parce que l’on a cité la direction des ressources humaines ou celle de la communication ! Il faut donc aller plus loin que les seuls conseils d’administration.

Les encouragements sont indissociables des sanctions, car, dans le pays qui a instauré la loi salique en système de gouvernement politique et économique, on ne peut compter sur la seule évolution naturelle pour voir s’installer une véritable mixité dans les lieux de décision français, non plus que pour obtenir l’égalité salariale. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui est la fois important et indispensable.

Il est important parce que les problématiques dont il est ici question sont toujours d’actualité et que, malgré les récentes évolutions sociales et législatives, l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde professionnel reste un objectif à atteindre.

Il est indispensable en ce que, parmi les nombreuses évolutions législatives et réglementaires que nous avons connues ces dernières années, il en est une – la loi du 23 mars 2006 – qui fixait une date butoir importante au 31 décembre prochain. C’est en effet à cette date que la loi relative à l’égalité salariale a fixé aux entreprises l’objectif de suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes…

Je tiens, moi aussi, à saluer l’initiative de ma collègue Catherine Morin-Desailly, qui nous permet de dresser aujourd’hui un bilan.

Notre débat dépasse naturellement le strict cadre de l’égalité salariale, même si cette question reste centrale tant elle est immédiatement révélatrice des inégalités entre les hommes et les femmes.

Outre l’égalité salariale, la loi du 23 mars 2006 fixe trois objectifs : réconcilier la maternité et l’emploi, promouvoir l’accès des femmes aux postes de décision et diversifier l’offre de formation professionnelle.

S’il est clair que nous avons progressé sur l’ensemble de ces sujets depuis 2006, un travail très important reste à accomplir. Pour nous, parlementaires, ce travail peut prendre deux formes.

Tout d’abord, il s’agit de permettre au débat public de se poursuivre sur ces questions à travers notre mission de contrôle, comme c’est le cas aujourd’hui.

Ensuite, notre rôle passe évidemment par l’initiative législative. En la matière, je me félicite de l’adoption récente par la Haute Assemblée d’une proposition de loi visant à favoriser la parité dans les conseils d’administration et de surveillance. L’intervention du Parlement était devenue indispensable.

Sur le fond, la question de la compétence ne se pose plus et la situation actuelle est préjudiciable aux entreprises françaises, car les femmes sont quasiment absentes des conseils. Ces instances se privent ainsi, tout le monde le reconnaît, d’un potentiel considérable.

Et s’il était nécessaire de légiférer, c’est bien que, hélas, rien n’a changé !

Ce constat, on peut le faire également concernant le chômage. Aujourd’hui, les femmes y sont toujours plus exposées que les hommes. Si elles représentent 47 % des actifs, leur taux de chômage atteint 8,3 % quand il est de 7,3 % chez les hommes. S’ajoute à cela une précarité plus importante : outre le fait qu’elles travaillent bien plus souvent à temps partiel, les deux tiers des salariés à bas salaire sont des femmes.

Un autre constat s’impose sur la mise en œuvre de la réforme de 2006 : les négociations collectives étaient un point central et devaient être le moteur de l’évolution des mentalités au niveau de chaque entreprise et au niveau des branches.

Les accords de branche sont bien trop rares aujourd’hui, et, quand ils existent, ce sont parfois des coquilles vides : 10 % seulement de ces accords abordent la thématique de l’égalité professionnelle.

Les procédures de négociations sont trop lourdes, trop contraignantes. Ne serait-il pas possible de les alléger, de les simplifier, pour qu’elles soient plus nombreuses, notamment au sein des petites et moyennes entreprises ?

Une autre piste d’évolution concerne les sanctions qui pourraient être appliquées lorsque les dispositions prévues par la loi de 2006 ne sont pas respectées.

Comme l’a rappelé précédemment ma collègue Catherine Morin-Desailly, l’examen du projet de loi par le Sénat avait été l’occasion pour le groupe centriste de faire valoir la nécessité de telles sanctions. Malheureusement, à l’époque, nos amendements qui allaient dans ce sens n’avaient pas été adoptés. Quatre ans après le vote de ce texte, on put estimer que cette absence de sanction a sans doute été préjudiciable à la bonne mise en application de cette loi.

Il est donc probable qu’à l’avenir de nouvelles initiatives législatives interviennent pour introduire d’autres sanctions ou incitations, comme nous l’avons fait lors de la réforme des retraites.

Plus généralement, il est indispensable de lutter contre la précarité croissante du travail féminin. Le rapport présenté par Brigitte Grésy en juillet 2009 envisageait plusieurs pistes sur ce thème. Elle proposait notamment d’accroître la qualité des emplois à temps partiel en favorisant l’articulation entre la vie familiale et la vie professionnelle, en améliorant les conditions de rémunération ou encore en favorisant l’encadrement de l’amplitude de travail hebdomadaire des salariés à temps partiel.

Une autre proposition prévoyait d’aménager la pluriactivité et de favoriser le cumul d’emplois, de manière à permettre aux femmes employées à temps partiel d’augmenter la durée de leur travail et, par voie de conséquence, leur rémunération. À ce jour, il apparaît que 350 000 à 400 000 salariés à temps partiel travaillent simultanément pour plusieurs employeurs. C’est pourquoi il serait opportun de favoriser le cumul d’emplois à temps partiel au sein d’une même entreprise ou d’un même groupe.

La voie des « tiers employeurs » apparaît également opportune pour donner au salarié la possibilité de bénéficier d’un seul lien contractuel plutôt que d’une multiplicité de contrats.

Toutes ces pistes doivent continuer à être explorées afin que puisse être rapidement atteinte, comme je l’espère, une réelle égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Avant de conclure, je ne peux m’empêcher de vous livrer quelques chiffres concernant la Réunion pour vous montrer à quel point la situation est préoccupante dans nos régions ultra-marines : les Réunionnaises ont un salaire moyen équivalent à 87,6 % de celui des Réunionnais, et l’écart se creuse pour les cadres et les ouvriers qualifiés ; les femmes occupent seulement 38 % des postes d’encadrement et représentent 25,5 % des créateurs d’entreprise ; 70 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes ; le taux de chômage des femmes est de 30 %, contre 28 % pour les hommes.

Au-delà de ses différences entre les hommes et les femmes, le problème que nous devons régler de façon urgente est celui de l’absence quasi-totale des Réunionnais aux postes de responsabilité, à la tête des services de l’État, par exemple.

Cette situation avait déjà été dénoncée il y a quelques années par le président de la chambre régionale des comptes, un métropolitain pourtant, dans son discours solennel de rentrée.

Le Président de la République, lors du comité interministériel de l’outre-mer, a pris l’engagement de recruter de préférence des ultra-marins, à compétences égales, à ces postes.

Or, voilà quelques jours, malgré le soutien de Patrick Karam, délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, à la meilleure candidature réunionnaise, c’est un métropolitain qui a été désigné comme directeur du CROUS, alors que, face à lui, il y avait quatre candidatures de locaux, dont trois avec un grade supérieur au sien et une expérience professionnelle ; le quatrième, quant à lui, avait un grade équivalent. C’est un exemple parmi tant d’autres, madame la ministre. Quelle conclusion devons-nous en tirer ? L’élite réunionnaise mériterait bien plus de considération, et les incitations à la mobilité sont mal vécues devant toutes ces injustices. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP. – M. Ronan Kerdraon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.

M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie à mon tour Mme Morin-Desailly de nous donner l’occasion de débattre d’un sujet majeur pour notre société.

Le combat des femmes pour obtenir l’égalité entre les sexes est une cause juste, qui couvre tous les champs de la vie sociale puisqu’il s’agit pour elles de conquérir aussi bien l’égalité politique et l’égalité professionnelle que l’égalité domestique.

Le débat de ce jour sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est surtout un moyen de dénoncer les inégalités régnant, au détriment des femmes, sur le marché du travail.

L’égalité entre hommes et femmes dans le milieu du travail soulève des interrogations spécifiques.

Le principe d’égalité des rémunérations entre hommes et femmes pour un travail de valeur égale, il est bon de s’en souvenir, a été énoncé formellement pour la première fois en 1951, dans la convention n° 100 de l’Organisation internationale du travail, et inscrit en 1957 dans le Traité de Rome, à l’article 119.

Lorsqu’il se rapporte à un travail de valeur égale, l’ensemble des éléments et conditions de rémunération doit être exempt de toute discrimination fondée sur le sexe.

La politique européenne a enregistré de nouveaux progrès au cours des années 1990, et le traité d’Amsterdam a apporté, en son article 141, un fondement juridique à l’interdiction d’une discrimination salariale entre les femmes et les hommes pour un travail de même valeur.

Malheureusement, la France est un très mauvais élève au regard de l’égalité entre les hommes et les femmes. Pourtant, comme celles qui m’ont précédé à cette tribune l’ont rappelé, il existe un arsenal législatif important : pas moins de cinq lois sur l’égalité salariale ont été votées depuis la loi Roudy de 1983.

La législation française a évolué, passant d’un système paternaliste de protection des femmes, fondé sur des congés spécifiques ou l’interdiction du travail de nuit, à une législation privilégiant la lutte contre les discriminations directes ou indirectes faites aux femmes.

Pour autant, aujourd’hui, en dépit des avancées législatives, les femmes doivent encore se battre pour s’imposer dans la sphère professionnelle.

Les discriminations se retrouvent de bas en haut de l’échelle.

Les femmes sont victimes de ce qui est appelé le « plafond de verre » et qui, dans bien des cas, semble se transformer en plafond d’acier.

M. Roland Courteau. C’est bien vu !

M. Ronan Kerdraon. Il est consternant de noter que la loi du 23 mars 2006 sur les inégalités de rémunération entre hommes et femmes est restée lettre morte.

La conférence nationale sur l’égalité salariale, lancée en novembre 2007 par Xavier Bertrand, déjà ministre du travail à l’époque, a accouché d’une souris.

Alors que les femmes ont massivement investi le monde du travail – 83% des femmes de 25 à 49 ans travaillent –, elles gagnent 27 % de moins que leurs collègues masculins.

Dans un rapport publié en 2009, Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales, soulignait que « cet écart s’est réduit depuis les années 1960 mais il a cessé de diminuer depuis le milieu des années 1990 ». Or il n’y a jamais eu autant d’accords de branche ou d’entreprise.

En effet, alors que seulement 0,4 % des accords signés en 2002 abordaient la question de l’égalité professionnelle, ce taux atteignait 5,2 % en 2008.

Cependant, une analyse qualitative plus approfondie de ces accords montre qu’ils n’ont souvent qu’un faible contenu, parfois limité à de simples déclarations d’intention, faisant alors de ces accords, cela a été dit, des coquilles vides.

Il existe plusieurs freins à une avancée plus déterminée vers l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment le fait que l’essentiel du pouvoir est aux mains des hommes et que, inconsciemment ou non, ils ne jugent pas prioritaire de mettre en place l’environnement institutionnel qui permettrait progresser à cet égard.

Néanmoins, à l’origine de la persistance de ces inégalités, il y a bien évidemment un ensemble plus complexe de causes.

En premier lieu, il convient de remarquer la ségrégation dont sont victimes les femmes sur le marché du travail : elles sont majoritairement cantonnées dans les secteurs, les filières ou les métiers les moins bien reconnus, et donc les moins bien rémunérés.

En deuxième lieu, il faut souligner l’explosion du temps partiel, lequel a bénéficié d’un consensus implicite. Un travail qui libère du temps pour le travail domestique est communément considéré comme un « bon travail » pour une femme.

Par conséquent, les inégalités salariales sont étroitement liées au marché de l’emploi et à la sphère domestique.

À ces raisons s’ajoute la politique menée par les différents gouvernements que vous avez soutenus, mesdames, messieurs de la majorité.

L’augmentation du nombre d’annuités donnant droit à une retraite pleine – la loi Fillon de 2003 – ou encore le récent recul des bornes d’âge ont très fortement pénalisé les femmes. Un retraité touchera deux fois plus qu’une retraitée.

L’encouragement donné aux heures supplémentaires avec la loi TEPA de 2007 a également contribué à accroître les inégalités salariales, dans la mesure c’est prioritairement aux hommes que les employeurs demandent d’effectuer des heures supplémentaires.

M. Roland Courteau. Bonne remarque !

M. Ronan Kerdraon. La diminution du nombre de fonctionnaires pénalise aussi largement les femmes actives puisqu’une sur quatre est fonctionnaire.

C’est pourquoi la politique doit jouer son rôle en apportant des solutions artificielles justes afin de corriger des effets naturels injustes.

Il faut faire en sorte que les femmes, pendant leur grossesse, ne subissent aucune perte financière, que ce soit à court terme, au regard du salaire, ou à long terme, au regard de la pension de retraite.

Des mesures doivent être prises pour mieux articuler les temps de vie des femmes et favoriser la progression des carrières féminines, en encourageant les structures collectives de garde d’enfant.

Toutes les études vont dans le même sens : la probabilité, pour les femmes, d’accéder à un emploi à temps complet décroît avec l’entrée dans une vie de couple et, plus encore, avec la présence d’enfants, notamment en bas âge, les femmes continuant d’assurer 80 % des tâches domestiques et les deux tiers des tâches parentales. Cela a pour effet de limiter leur investissement temporel au travail et pose le problème du choix entre l’accès aux responsabilités professionnelles et la maternité.

De fait, les femmes connaissent une stagnation de leur évolution de carrière autour de l’âge de 40 ans, ce qui correspond à une conséquence de l’accomplissement des tâches liées à la maternité.

Des pistes de réflexion existent pourtant.

Une première piste pourrait porter sur le développement massif des services aux familles et sur un droit effectif à la garde des jeunes enfants.

La maternité, on l’a vu, a un impact négatif sur l’activité des femmes. À partir de 1994, moment où le congé parental a été étendu à partir du deuxième enfant, le taux d’activité des mères de deux enfants a chuté de 18 % en quatre ans. Plus de la moitié des enfants de moins de trois ans sont gardés par leur mère.

Parallèlement, se pose le problème de la charge des parents malades ou très âgés : dans ce domaine aussi, les besoins grandissent et les politiques publiques montrent leurs insuffisances.

Dans un cas comme dans l’autre, les solutions restent trop souvent individuelles et coûteuses, ce qui oblige les femmes à assumer ces tâches. Elles le paient très cher, à la fois en termes de salaires, de carrière et de retraite. Cela a aussi, bien sûr, des répercussions sur leur indépendance financière, notamment.

Je l’ai dit, l’un des points cruciaux concernant les inégalités professionnelles entre femmes et hommes est la pénurie chronique en matière de garde des jeunes enfants. Se donner les moyens de résoudre cette pénurie exige une volonté politique très forte, car cela demande un investissement important, tant de la part de l’État que de celle des collectivités territoriales.

Cet investissement serait évidemment rentable puisqu’il permettrait d’avoir plus de femmes actives et, par ailleurs, d’offrir à tous les jeunes enfants de moins de trois ans un mode de garde de qualité ou de permettre la scolarisation des enfants dès l’âge de deux ans.

M. Roland Courteau. Très bien !