M. Henri de Raincourt, ministre. Très neuf !

M. Michel Boutant. ... je vous demande de bien vouloir m’expliquer pourquoi un tel choix a été fait par le Gouvernement.

Vous en conviendrez, nous avons été jusqu’à présent relativement critiques sur certains points du projet de loi. Toutefois, nous l’avons été non pas parce que nous sommes dans l’opposition, mais parce que nous sommes des parlementaires et que, à ce titre, il nous semble être de notre devoir de pointer les défauts de la loi et de demander au Gouvernement de modifier si nécessaire sa conduite.

Croyez bien que mes collègues et moi-même sommes tout à fait conscients de l’urgence qu’il y avait à se doter d’un tel texte face à la recrudescence des actes de piraterie. Ce texte existera bientôt ; nous nous en réjouissons. Cependant, la perfection n’étant pas de ce monde, j’ai cru bon d’énumérer ici les légitimes inquiétudes qui sont les nôtres.

Bien sûr, tout comme vous, nous souhaitons que les agents de l’État bénéficient d’une sécurité juridique sans faille pour intervenir face aux pirates en mer. Nous voudrions les assurer qu’ils peuvent bien agir sereinement dans un cadre sûr ; c’est primordial pour nos forces. À défaut, on irait vers un développement accentué et difficilement maîtrisable du phénomène des sociétés militaires privées, qui escortent déjà bon nombre de navires affrétés par de grands groupes. Telle n’est pas là ma conception de la défense.

Au-delà de ces considérations nationales, je rappelle avant de conclure que la piraterie est, par définition, un sujet à dimension internationale. L’Organisation des Nations unies l’a bien compris et a émis en juillet dernier plusieurs recommandations pour traiter le problème. Je ne vais pas faire ici un examen exhaustif des propositions de son secrétaire général. Toujours est-il que le rapport met l’accent sur le rôle qu’ont à jouer les États des régions directement concernées par la piraterie.

Il est noté que, dans le cadre du programme fixé par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, l’UNODC, le Kenya a inauguré en juin de cette année une chambre de haute sécurité précisément destinée à la lutte contre la piraterie. C’est là, je le crois, une façon de responsabiliser les pays d’où sont bien souvent originaires les pirates interpellés.

Cela ne signifie pas que la France ou l’Europe doivent se détourner du problème. En effet, s’agissant d’un enjeu international, le problème ne peut être résolu qu’avec l’appui de tous les États concernés.

Il est également important que des pays comme la Somalie disposent d’installations pénitentiaires suffisantes et conformes au droit international pour la détention des pirates. À cet égard, la situation politique et sociale dans laquelle se débat la Somalie ne laisse augurer rien de bon pour le moment. Une aide devra nécessairement être fournie à Mogadiscio si l’on souhaite que soient mis en place des systèmes judiciaire et pénitentiaire appropriés. Mais que de travail à faire dans ce pays avant d’en arriver là !

Pour en terminer, et au risque de me répéter, je reprendrai les arguments tels qu’ils avaient été développés à cette même tribune lors de l’examen du projet de loi de finances.

Certes, ce texte a le mérite d’aider à lutter contre la piraterie, un crime grave qui doit être puni. Mais nous parlons ici des seules manifestations et conséquences. Or ce n’est pas en arrachant ses feuilles que l’on soigne un arbre malade ! Conjointement à l’ONU et à l’Union européenne, il nous faut lutter avec acharnement contre les causes de ce fléau.

Cela implique d’abord de venir en aide aux États en situation de faillite politique totale, comme la Somalie.

Cela implique ensuite de secourir les populations qui sont victimes de ce contexte et ainsi de les empêcher d’être tentées de survivre grâce au crime, voire au crime organisé.

Cela implique enfin d’empêcher d’agir des hommes tels que Garaad Mohamed, qui exploitent la misère et la faiblesse des plus pauvres de leurs compatriotes.

Alors oui, ce projet de loi est un premier pas dans la bonne direction. Il nous faut maintenant avancer sur ce chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant longtemps la mer fut un espace libre où régnait la loi du plus fort. Mais le quadrillage des mers par les marines d’État est venu à bout de la dernière grande vague de piraterie, celle qui sévissait dans les Antilles et dans l’océan Indien au XVIIIe siècle, cette piraterie dont la littérature et les fictions cinématographiques ont abondamment nourri notre imaginaire.

Qui n’a pas entendu parler, même avec un peu d’admiration, de ces pirates barbaresques qui faisaient les délices d’une certaine littérature dont s’abreuvaient beaucoup de gamins voilà à peu près trois quarts de siècle ?

M. André Trillard. Chut ! (Sourires.)

M. François Fortassin. Mais, bien sûr, si cette piraterie s’est éteinte, on constate aujourd’hui la recrudescence d’une nouvelle forme de piraterie beaucoup plus dangereuse et qui, en tout état de cause, n’a rien à voir avec les aventuriers des siècles passés. Celle-ci est davantage concentrée dans le golfe d’Aden, au large de la Somalie. En effet, près de la moitié des actes délictueux touchant bien des bateaux de plaisance, des navires de commerce ou encore des convois de l’aide humanitaire se situent dans cette zone.

Mes chers collègues, vous le savez, 90 % du transport marchand s’effectue par la mer. Les tentations sont grandes, en particulier pour des individus frappés par la pauvreté et la misère.

N’oublions pas que la plupart des nouveaux pirates des mers ne sont pas nés aventuriers. Ils en sont arrivés là du fait non seulement de la faiblesse des États dans ces zones, mais aussi de la misère de pays sous-développés où l’instabilité politique laisse peu de place à des lendemains radieux. On s’aperçoit par ailleurs que nombre de personnes qui se sont rendues coupables d’actes de piraterie en mer étaient d’anciens pêcheurs n’hésitant pas à user de lance-roquettes.

Mais il faut s’interroger sur les responsabilités. Par exemple, il est évident que la surpêche du thon pratiquée dans les années quatre-vingt-dix par des chalutiers étrangers, essentiellement européens, a amputé la région côtière de la Somalie d’importantes ressources halieutiques. Privés de cette activité de pêche, certains Somaliens n’ont pas hésité à se tourner vers le banditisme.

On peut aussi retrouver de telles actions criminelles dans le golfe de Guinée, où l’Africa Marine Commando, auteur d’un assaut meurtrier contre une plateforme pétrolière, a menacé les compagnies pétrolières étrangères de poursuivre ces opérations criminelles. Selon un enseignant spécialisé en géostratégie de l’Université de Yaoundé, ce phénomène pose le problème de la mauvaise redistribution des ressources issues des exploitations pétrolières.

Bien entendu, mon propos n’est pas d’excuser ces actes de piraterie. Il est de dire qu’il faut trouver des mesures coercitives vigoureuses et très rigoureuses, et parallèlement, entreprendre un certain nombre d’actions destinées à lutter contre le développement de tels actes, en permettant aux pêcheurs somaliens de vivre de leur activité. Il en existe encore, mais ils sont extrêmement misérables.

À nos yeux, cette lutte contre le sous-développement et la pauvreté est tout aussi importante que les mesures vigoureuses que l’on doit prendre contre des activités criminelles. Les deux choses doivent être menées simultanément, la mer étant, dans l’imaginaire collectif, un espace de liberté. Celui-ci doit être sécurisé, mais la sécurisation ne passe pas par des actions. Un certain nombre des orateurs qui m’ont précédé ont d’ailleurs montré qu’elles étaient parfois extrêmement difficiles à mettre en place.

Pour autant, compte tenu du fait que ce texte constitue un pas en avant, notre groupe ira de l’abstention positive à l’acceptation.

M. André Dulait, rapporteur. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre amendements ont été adoptés par les députés sur ce texte relatif à la lutte contre la piraterie maritime que nous avions examiné en première lecture.

Ces amendements précisent utilement les importantes modifications que nous avions apportées au texte du Gouvernement. Toutefois, sur le fond, ils ne modifient pas le texte que nous avions adopté ; par conséquent, mon appréciation de première lecture n’a pas vraiment de raison de varier.

Je pense toujours qu’il était nécessaire de combler certaines lacunes de notre législation et qu’il y avait urgence à l’adapter en raison de l’ampleur et de la recrudescence des actes de piraterie depuis quelques années.

On peut considérer que la situation s’aggrave, au regard tant du nombre d’actes commis que de l’importance du rôle joué par les protagonistes de la piraterie dans l’économie de certains pays.

Pour la seule Somalie, dont les côtes concentrent l’essentiel de l’attention et des forces de la communauté internationale, on comptait avant-hier encore près de 700 marins de nationalités diverses détenus par des pirates.

C’est donc avant tout par souci d’efficacité que ce projet de loi adapte notre droit à la convention de Montego Bay, en créant une incrimination de piraterie dans le code pénal et qu’il confère à nos tribunaux la faculté de juger très largement ces crimes.

Mais la disposition la plus importante de ce projet de loi – et peut-être la seule raison d’être de ce texte – est celle qui vise à fixer et à sécuriser juridiquement la procédure d’appréhension et de rétention des pirates jusqu’à leur remise à une autorité judiciaire française ou étrangère.

Le régime sui generis pour la rétention à bord des personnes appréhendées est la solution proposée dans ce texte pour répondre aux griefs que la Cour européenne des droits de l’homme avait formulés à cet égard. Celle-ci avait en effet estimé, dans son fameux arrêt Medvedyev, que la privation de liberté n’avait pas été décidée par une autorité judiciaire suffisamment indépendante.

En conséquence, ce texte fait intervenir dans les quarante-huit heures le juge des libertés et de la détention, qui autorisera ou non la consignation à bord et devra renouveler, le cas échéant, cette autorisation tous les cinq jours.

Toutefois, cette solution, qui paraissait équilibrée, a été de nouveau fragilisée par un récent arrêt de la Cour, qui a fait droit à la requête d’une avocate contestant la qualité d’autorité judiciaire du représentant du parquet.

On peut regretter que ces subtilités juridiques, certes importantes sur le plan des principes et qui entrent dans le débat plus général sur la garde à vue, menacent une nouvelle fois de rendre moins efficace le dispositif que notre pays veut mettre en place.

En première lecture, j’avais insisté sur le fait que ces dispositions législatives coercitives, si nécessaires soient-elles pour défendre des intérêts économiques et protéger des personnes, ne sauraient suffire à résoudre ce problème tant que la communauté internationale et nous-mêmes ne nous attaquerons pas aux causes et aux systèmes qui produisent de telles situations. Notre collègue François Fortassin vient de le rappeler.

Il est urgent que nous apportions une réponse globale à un phénomène qui ne cesse de croître.

Si l’opération maritime Atalanta de l’Union européenne a permis de le juguler, tout le monde est bien conscient que la solution est à terre.

La France a ici un rôle important à jouer à la fois pour aider ces pays, mais aussi dans les instances internationales, car il faut malheureusement constater que, faute de volonté politique de la communauté internationale de rendre prioritaire la lutte pour éradiquer la misère et la corruption qui gangrène certains pays, ceux qui profitent de telles situations ont de beaux jours devant eux.

Ainsi, un quotidien maritime londonien a récemment publié le classement des cent principaux acteurs du transport maritime mondial. On y trouve à la quatrième place un homme d’affaires somalien qui est, de notoriété publique, à la tête d’une organisation de piraterie maritime.

Le rédacteur en chef de ce quotidien explique que « ce classement consacre l’emprise des pirates sur le secteur ». Il poursuit : « Ils obtiennent d’autant plus facilement les rançons exigées que la lutte contre ce fléau à l’échelle internationale s’est révélée un échec. »

Cela illustre la difficulté qu’ont les Nations unies à trouver, sur le seul plan juridique, une réponse à ce phénomène d’augmentation significative du nombre de bateaux abordés, tout particulièrement les supertankers des compagnies pétrolières.

Au total, monsieur le ministre, cette discussion en deuxième lecture n’a d’autre intérêt que de permette l’adoption rapide de ce texte afin que nos actions de lutte contre la piraterie maritime soient efficaces et juridiquement sécurisées.

En première lecture, j’avais fait part des craintes de mon groupe sur la possible utilisation de cette législation à l’égard des immigrés clandestins, que je considère non pas comme des délinquants, mais comme des victimes.

Bien que nous conservions ces craintes, le groupe CRC-SPG votera ce texte au nom de l’efficacité dans la lutte contre la piraterie maritime. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Michel Boutant applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. André Trillard. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette fin d’après-midi, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie maritime et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer. C’est avec satisfaction que nous avons pu constater, en commission, que ce texte n’a été modifié qu’à la marge par nos collègues députés.

En effet, les amendements adoptés par l’Assemblée nationale sont d’ordre rédactionnel, preuve du remarquable travail préparatoire du rapporteur, notre collègue André Dulait, et de la qualité de celui que nous avons mené à la fois commission et, le 6 mai dernier, en séance publique, grâce à l’ensemble de nos collègues, sur quelque travée qu’ils siègent.

De fait, nous ne referons pas le débat, de même que je ne reviendrai pas sur le fond du texte, mais vous me permettrez d’attirer votre attention sur quelques points qui me semblent importants.

Tout d’abord, ce projet de loi est aussi symbolique que pragmatique. Il apporte une réponse législative concrète à un phénomène en hausse : je vous renvoie aux publications chiffrées du Bureau maritime international sur la hausse des actes de piraterie, étant observé que plus de 90 % du transport mondial de marchandises s’effectue par voie maritime.

Et ce n’est pas seulement le sénateur de la commission des affaires étrangères qui s’en émeut, c’est aussi l’élu de Loire-Atlantique, car, en 2009, le trafic du port de Saint-Nazaire a avoisiné les 30 millions de tonnes.

Ce projet de loi, que nous examinons en deuxième lecture, permet la mise en place d’un cadre juridique relatif à la répression de la piraterie en s’appuyant, d’une part, sur la convention de Montego Bay et en reprenant, d’autre part, les dispositions de la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer.

Ce texte évitera à l’avenir à notre pays les condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme, comme ce fut le cas avec l’arrêt Medvedyev en 2008.

Désormais, la France disposera d’un cadre légal pour intervenir, appréhender et éventuellement détenir les auteurs d’actes de piraterie, et ce au moment où notre pays participe aux opérations navales européennes en la matière. Je pense notamment à l’opération Atalanta, qu’elle mène avec ses partenaires espagnol et anglais.

Face à l’euroscepticisme en matière de défense européenne, nous ne pouvons que nous en féliciter. Cela prouve que notre droit national peut tout à fait coexister avec le droit européen et que les États européens peuvent parler d’une seule voix tout en menant des actions concrètes et efficaces.

Je vous renvoie d’ailleurs aux déclarations de Mme Ashton, le 29 juillet dernier, qui se félicitait des opérations européennes contre la piraterie.

L’adoption de ce texte correspond à l’envoi d’un double message. Outre notre attachement au droit européen, c’est un message aux pirates eux-mêmes que nous adressons, et ce au moment où six Somaliens sont renvoyés devant la cour d’assises des mineurs de Paris pour la prise d’otages à bord du Carré d’As.

Les lacunes de notre droit auraient pu être interprétées par les pirates comme « un laisser-passer », mais ce texte est un avertissement sévère qui a d’ores et déjà des conséquences judiciaires pour les auteurs.

Si nous mettons en place des opérations telles qu’EuNav pour lutter contre la piraterie, nous savons que les solutions se trouvent également sur place.

Certes, ce fléau trouve ses origines dans la misère et la pauvreté, mais, malgré ses difficultés, le pouvoir central somalien devrait engager des actions à l’encontre de ses pirates.

À ce jour, au large des côtes somaliennes, la piraterie laisse planer une menace sur 25 000 navires qui y croisent chaque année. Pour 2010, ce ne sont pas moins de 206 actes de piraterie qui ont été recensés par le Bureau maritime international.

Ces actes de kidnapping sont d’autant plus odieux qu’aucune distinction n’est faite entre les bateaux de plaisance, les navires commerciaux ou les navires du programme alimentaire mondial à destination des populations démunies, pour qui ces cargos sont bien évidemment vitaux.

Les trois derniers mois de cette année resteront marqués par le nombre d’attaques, qui s’étendent désormais au large des côtes de l’Afrique orientale. À la fin du mois de septembre, à moins de 45 nautiques du port Dar Es Salam, en Tanzanie, trois navires ont été pris pour cible ; le 11 octobre, c’est un cargo japonais transportant de l’acier qui a été attaqué au large du Kenya ; enfin, le 9 novembre, un bateau de plaisance sud-africain a été attaqué.

À cette menace s’ajoutent l’angoisse d’une demande de rançon et l’incertitude sur l’avenir des cargaisons, dont la valeur marchande atteint souvent plusieurs millions d’euros, voire plus.

Les conséquences de ce pic de dangerosité se traduisent par une très forte augmentation des primes d’assurance pour les armateurs, qui n’ont toujours pas d’autre choix que de transiter par le golfe d’Aden ou l’océan Indien.

Souvenons-nous du Sirius Star : la cargaison était estimée à 100 millions de dollars et les demandes de rançon s’élevaient 25 millions ! Mais combien d’autres navires sont encore retenus parce que ni les armateurs ni les gouvernements n’ont les moyens d’intervenir ?

Mes chers collègues, je souhaite ici attirer votre attention sur un point qui n’a pas été évoqué, ou très peu.

Le dernier rapport de l’association Ecoterra International, spécialisée sur les questions de piraterie, estime que, à ce jour, 669 marins – philippins, ukrainiens, yéménites, indiens, ghanéens, etc. – sont détenus par des pirates dans des conditions dramatiques.

Depuis leur fond de cale, ils croupissent en attendant une hypothétique libération ou un geste de leurs armateurs et gouvernements.

Alors à ceux qui s’inquiètent – légitimement – du respect des droits des prisonniers et des conditions d’arrestation des pirates par les autorités françaises, je souhaite rappeler que les kidnappés sont aussi concernés par les droits de l’homme !

Bien sûr, il est difficile de dresser un profil type des pirates et de leur appartenance à certains réseaux ou groupes mal identifiés, mais le trafic maritime représente pour ces individus une manne financière illimitée et sans cesse renouvelée.

C’est là ni plus ni moins un fonds d’investissement qui leur permet d’acquérir de véritables arsenaux militaires, lesquels font désormais partie intégrante de la parfaite panoplie du pirate du XXIe siècle.

D’ailleurs, lorsqu’on observe l’état de leurs embarcations – les « bateaux-mères » – s’élançant à l’assaut de supertankers, on ne peut que constater leur témérité, qui n’est pas si éloignée de celles des flibustiers ou des boucaniers des siècles passés !

À la lecture du quotidien britannique maritime Lloyd’s List, on découvre que M. Garaad Mohamed, pirate somalien de son état, se hisse au hit-parade des descendants de Barbe Noire et qu’il est l’un des hommes les plus influents de Somalie et de la navigation. D’ailleurs, il n’hésite pas à se targuer des bénéfices que lui rapporte son florissant commerce.

C’est pour cela que je vous remercie, mes chers collègues, d’avoir accepté ma proposition d’amendement tendant à permettre aux autorités de saisir et de détruire les embarcations.

Cependant, si l’on prend en compte le fait que les océans couvrent plus de 70 % de la surface de la planète et que 90 % des marchandises sont transportées par voie maritime, nous aurons un rapide aperçu du chemin qu’il reste à parcourir aux États pour assurer la sécurité totale de leurs navires.

À terme nous pouvons craindre la mise en place d’opérations de maintien de la sécurité maritime menées par les acteurs de la politique de sécurité et de défense commune et leurs alliés.

N’oublions pas non plus que ces détournements de navires et de leurs cargaisons peuvent avoir des conséquences catastrophiques en termes humanitaires et économiques, mais aussi écologiques.

Certes, les pirates n’ont aucun avantage à détériorer les cargaisons, bien au contraire, ils n’en ont d’ailleurs pas les moyens, mais les risques d’accident existent.

C’est en particulier le cas lors d’attaques de supertankers – le Sirius Star transportait 2 millions de barils de pétrole – ou de bateaux-citernes, qu’ils contiennent des produits chimiques ou du gaz.

De plus, ces détournements de supertankers, qui transportent des matières énergétiques en des temps où celles-ci tendent à se raréfier et où leurs prix s’envolent, nous poussent à nous interroger sur les transports de marchandises stratégiques.

Les conséquences sur les marchés de matières premières sont loin d’être négligeables.

Avant de conclure, monsieur le ministre, je souhaiterais vous faire part de ma préoccupation « technique » sur les actes de piraterie commis dans les eaux territoriales françaises.

Nous le savons, la France bénéficie de la deuxième surface maritime au monde grâce à ses départements et collectivités d’outre-mer et à quelques îles éparses.

La menace de piraterie existe dans les eaux françaises de certaines collectivités d’outre-mer, comme le prouvent des exemples récents à Mayotte, à Tromelin, etc.

Or il me semble que nous nous retrouvons dans une situation paradoxale. La loi donne compétence aux commandants de navire de guerre pour agir en haute mer, y compris dans les eaux territoriales étrangères lorsque le droit international les y autorise, alors que cette compétence leur est refusée contre les brigands opérant en eaux françaises.

Pourtant, conformément à la convention de Montego Bay, il est possible de prévoir en droit français de punir les personnes qui commettraient en eaux intérieures ou territoriales françaises des infractions analogues à l’infraction de piraterie.

Malheureusement, le projet de loi ne crée pas d’infraction de piraterie spécifique puisqu’il reprend des infractions prévues par le code pénal.

Malgré tout, les articles 25 et 27 de la convention de Montego Bay donnent pouvoir à l’État côtier de prendre, dans sa mer territoriale, les mesures nécessaires pour empêcher tout passage qui n’est pas inoffensif.

Ainsi, dans certaines de ces zones, comme dans les îles Éparses, seule la marine dispose des moyens permettant de rechercher, constater et réprimer des infractions, que ce soit depuis la haute mer ou bien lors de missions dédiées.

Or le code disciplinaire et pénal de la marine marchande habilite déjà les commandants de la marine nationale à constater des infractions en mer territoriale similaires à des actes de piraterie. Toutefois, ce code disciplinaire ne prévoit rien concernant les pouvoirs de constatation relatifs aux attaques intentionnelles, enlèvements et séquestrations en mer à des fins non politiques.

Cette absence d’élargissement des pouvoirs de nos commandants aux eaux territoriales fait que seuls des officiers de police judiciaire pourraient constater les actes de « banditisme maritime » ou de « vol à main armée ».

Ainsi, les tâches conduites par le bâtiment sous contrôle du procureur de la République seraient exclusives de toutes autres missions. C’est donc parce que les commandants ont aujourd’hui des pouvoirs de police judiciaire, et non des pouvoirs d’officier de police judiciaire que le procureur de la République ne peut pas distraire les bâtiments des autres missions.

Ma question est de savoir s’il est opportun de priver en eaux territoriales les bâtiments de guerre de l’autonomie juridique et opérationnelle dont ils disposent en haute mer pour appréhender des pirates. En métropole, peut-être, mais pas dans la région des îles Éparses très isolées et totalement dépourvues d’officier de police judiciaire.

Outre ce point de droit franco-français, important pour mes collègues ultramarins, nous pouvons nous féliciter des avancées contenues dans ce projet de loi. C’est pourquoi le groupe UMP le votera. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Henri de Raincourt, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord répondre à M. le rapporteur qui souhaitait savoir s’il serait opportun de mettre en place un tribunal régional, conformément à la proposition contenue dans le rapport du secrétaire général des Nations unies.

Le projet de loi tend à renforcer les capacités des juridictions françaises à juger les pirates. Mais, comme vous le savez très bien, monsieur le rapporteur, le problème de la piraterie dans le golfe d’Aden et dans l’océan Indien ne peut évidemment pas être résolu par la France seule.

Le rapport du secrétaire général des Nations unies du 26 juillet 2010 présente plusieurs options possibles pour parvenir à mieux poursuivre et incarcérer les personnes responsables d’actes de piraterie commis au large des côtes somaliennes. Sont notamment évoquées la création de chambres spéciales, éventuellement dotées de personnel international, dans les juridictions nationales, ou encore la création d’un tribunal régional, voire la création d’un tribunal international.

M. Jack Lang, votre collègue député et conseiller spécial du secrétaire général des Nations unies pour les questions juridiques liées à la piraterie, a été chargé de rédiger un rapport précisant les options à privilégier par la communauté internationale en matière de traitement judiciaire des pirates. Les conclusions de ce rapport sont attendues dans la première quinzaine du mois de janvier 2011.

Dans l’attente de ce rapport – attente qui ne sera pas longue –, la France considère que le problème de la piraterie au large de la Somalie ne peut être résolu efficacement que par l’implication forte des différentes autorités somaliennes. (M. le rapporteur opine.) Les problèmes de sécurité et de désorganisation des pouvoirs publics auxquels la Somalie fait face – ces points ont été évoqués – incitent néanmoins à privilégier le principe de la création d’une chambre somalienne délocalisée dans un État de la région.

Cette option permettrait de contribuer au renforcement de l’état de droit en Somalie, de préserver la légitimité de la juridiction de ce pays, ainsi que l’automaticité de sa compétence à juger ses propres ressortissants.

Si une telle option était retenue, elle ne pourrait sans doute pas voir le jour et être opérationnelle avant plusieurs années. Aussi, dans un premier temps, l’effort devra porter sur le développement des accords judiciaires et pénitentiaires avec les États régionaux (M. le rapporteur opine de nouveau.), tels que ceux qui ont été conclus entre l’Union européenne et certains États de l’océan Indien.

On peut d’ailleurs noter que le projet de loi, dans la rédaction qu’il prévoit à l’article 2 pour l’article 5 de la loi n° 94–589 du 15 juillet 1994, ne donne compétence aux juridictions françaises pour poursuivre et juger les auteurs d’actes de piraterie qu’à défaut d’entente avec les autorités d’autres États pour le traitement judiciaire des pirates.

Par ailleurs, vous nous interrogez, monsieur Trillard, sur une éventuelle extension du champ d’application du projet de loi aux eaux territoriales nationales. Ai-je bien compris ?