M. le président. Mes chers collègues, je dois attirer votre attention sur le fait que nous devons impérativement clore nos travaux à minuit car la séance de demain matin doit ouvrir à neuf heures.

Par conséquent, afin que la proposition de loi puisse être adoptée aujourd’hui, j’appelle chacun d’entre vous à respecter le temps de parole qui lui est imparti.

La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l’avenir du patrimoine monumental de l’État n’est, bien sûr, pas nouvelle. Elle se pose aujourd’hui avec d’autant plus de force que l’actualité donne à chacun à réfléchir de nouveau sur ce sujet.

La proposition de loi que nous examinons traite plus particulièrement du cas de la dévolution de ce patrimoine historique aux collectivités territoriales. Elle fait suite à un débat entamé depuis plusieurs années. Dès 2003, on a commencé à s’interroger sur l’opportunité de transférer la propriété de certains monuments historiques appartenant à l’État. À l’époque, ce processus suscitait déjà des inquiétudes.

Nous avons tous constaté cependant que les collectivités locales ont dans la plupart des cas une vision dynamique du patrimoine. Tout ce qu’elles ont entrepris, vous l’avez souligné à l’instant, monsieur le ministre, elles l’ont réussi ;…

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Plancade. … elles ont même, de ce point de vue, montré quelque peu l’exemple à l’État.

M. Roland Courteau. C’est vrai également !

M. Jean-Pierre Plancade. C’est la raison pour laquelle l’année dernière, à l’occasion des débats sur la loi de finances pour 2010, le sujet est revenu sur le devant de la scène. Le dispositif alors adopté n’était pas satisfaisant et a de toute façon été censuré par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est alors saisie de la problématique et a rendu un excellent rapport d’information sous l’autorité de Mme Férat, adopté, je tiens à le rappeler, à l’unanimité. Puis, poursuivant la logique de ce rapport et le consensus qui s’est dégagé, mes éminents collègues Françoise Férat et Jacques Legendre ont déposé cette proposition de loi, qui, je l’espère, sera adoptée.

Ce texte prend une résonance, bien sûr, particulière dans la mesure où il intervient à un moment où l’État envisage de se séparer de l’hôtel de la Marine, ce qui a donné naissance à une polémique bien réelle. Et pourtant, l’arrivée de ce texte n’est évidemment pas liée à cette affaire, je tiens à le souligner. D’ailleurs, si les propositions formulées avaient déjà été adoptées, le problème de l’hôtel de la Marine ne se serait pas posé dans les mêmes termes, …

Mme Françoise Férat, rapporteur. Absolument !

M. Jean-Pierre Plancade. … d’où la nécessité absolue de ce texte.

Je constate également que tous les membres de notre assemblée, toutes tendances politiques confondues, souscrivent globalement à l’idée directrice de ce texte.

En effet, tout le monde s’accorde à dire que ce n’est pas parce que certains monuments historiques ne servent que de bureaux qu’ils doivent être traités comme n’importe quelle propriété immobilière, ce qu’ils ne sont pas ! Il faut donc en réglementer strictement tout processus éventuel de dévolution. D’ailleurs, tout le monde sait bien ici qu’il s’agit avant tout pour l’État d’un problème de moyens.

En effet, la situation des finances publiques est telle que je comprends la légitime interrogation de l’État sur l’entretien de ce patrimoine, qui représente bien sûr un coût important. Mais je m’interroge sur le manque de prospective et sur la façon dont ces monuments ont été gérés au cours des vingt dernières années.

Depuis longtemps, nous constatons que les budgets de l’État sont de plus en plus contraints. Cette situation aurait dû mettre en éveil tous ceux qui ont la responsabilité de ces monuments et les inciter à trouver de nouvelles sources de financement pour bâtir, autour de ces bâtiments, un programme bien entendu culturel, mais s’appuyant sur un projet économique, voire à inventer un nouveau modèle économique pérenne. On peut penser, par exemple, à un partenariat public-privé. Recourir à un tel modèle aurait évité que nous ne nous retrouvions parfois placés devant une alternative dramatique, à savoir la vente ou la détérioration du bâtiment. Certes, je force quelque peu le trait, mais cela a pu se produire.

La crise n’a fait qu’amplifier ce phénomène. On ne doit pas pratiquer la politique de l’autruche : pour faire vivre ces bâtiments, il faut des moyens. Plus on attend, plus on attendra, plus cela coûtera cher, et moins l’État aura les moyens !

Il est donc urgent de trouver de nouvelles solutions pour permettre l’entretien, la sauvegarde, le développement et l’animation de l’activité culturelle autour du patrimoine monumental de l’État. Mais, bien sûr, cela ne peut pas et ne doit pas se faire n’importe comment ni à n’importe quel prix.

Tel est d’ailleurs le sens de cette proposition de loi, qui constitue une avancée formidable, notamment en ce qu’elle crée le Haut conseil du patrimoine.

Le patrimoine monumental de l’État pourra être transféré, mais de façon encadrée, et ce sous la surveillance de ce conseil. Cette nouvelle instance aura pour mission d’apprécier le caractère transférable des monuments historiques, inscrits ou classés, et de formuler, pour chacun d’eux, des prescriptions, notamment en matière d’ouverture au public et de diffusion de l’information relative au monument. L’intégrité des monuments sera ainsi protégée, et ce d’autant que le texte prévoit expressément l’interdiction du « dépeçage » des monuments historiques, jusques et y compris du mobilier attaché à tel ou tel type de bâtiment, ainsi que vous l’avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre.

Il était, en effet, nécessaire de bien encadrer les conditions dans lesquelles des monuments du Centre des monuments nationaux, le CMN, sont cédés à des collectivités territoriales ou à des particuliers pour faire en sorte, d’une part, que les collectivités en fassent, à leur tour, un usage culturel et, d’autre part, que ce transfert ne déséquilibre pas le CMN.

À cet égard, l’introduction, dans le code du patrimoine, de la notion de péréquation est un autre apport fondamental de ce texte. Raison d’être du Centre des monuments nationaux, 0 comme de la Réunion des musées nationaux, il est bon que ce principe figure dans la loi.

Le travail en commission a été très productif : les amendements adoptés enrichissent le texte et contribuent à rassurer les collectivités territoriales, grâce notamment à leur participation au Haut conseil du patrimoine.

De plus, je tenais à saluer l’introduction, dans ce texte, d’une référence au patrimoine mondial, classé par l’UNESCO. Les collectivités devront désormais être clairement averties des responsabilités qui leur incombent pour ces monuments.

Pour aller encore un peu plus loin dans la logique de protection de notre patrimoine monumental, j’ai déposé, avec ma collègue Françoise Laborde et les membres du groupe du RDSE, un amendement relatif au patrimoine monumental de l’État français situé à l’étranger, et je me félicite qu’il ait été adopté en commission.

En résumé, nous ne nous réjouissons pas bien sûr de la vente du patrimoine national. Nous regrettons d’ailleurs que, depuis vingt ans, on ait laissé faire les choses, alors que la situation financière était parfaitement prévisible. Nous regrettons aussi que nous n’ayons pas cherché un modèle économique pérenne permettant de faire vivre culturellement et économiquement ce patrimoine, et ce pour le plus grand bien de tous.

Toutefois, nous nous réjouissons évidemment de ce texte, qui est de nature à protéger notre patrimoine et à accélérer la réflexion sur la dynamisation ou la redynamisation des monuments nationaux. Il représente un tournant positif ; il montre le chemin et constitue un signal fort en direction de nos concitoyens et en faveur de la protection de notre patrimoine.

C’est pourquoi les membres du groupe du RDSE, y compris les radicaux de gauche, ont décidé à l’unanimité d’apporter leur soutien à ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État ne semble pas, à première lecture, soulever un grand courroux. En effet, le travail accompli à partir du rapport d’information de Mme Françoise Férat intitulé « Au service d’une politique nationale du patrimoine : le rôle incontournable des monuments nationaux », déposé le 30 juin 2010, vise à assurer la sauvegarde du patrimoine monumental.

Cependant, elle ne saurait non plus susciter notre acquiescement tant elle ne permet pas, malgré ses intentions, d’enrayer la colère légitime provoquée par l’article 52 de la loi de finances pour 2010, qui relançait le transfert du patrimoine monumental de l’État vers les collectivités territoriales, sans restrictions et sans limite de temps, un article que la majorité du Sénat avait malheureusement adopté.

Si je suis satisfait que le Conseil constitutionnel ait censuré cet article, chacun sait qu’il l’a fait en raison de sa forme « cavalière » et non de son contenu.

L’État n’était pas content et voulut reprendre la main, comme en témoignent les six amendements qui nous ont été présentés ce matin et qui concernent les finances, dans la partie tant fonctionnement qu’investissement, les personnels, le Haut conseil du patrimoine, et, me semble-t-il, un cavalier, les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, et les SDAP défunts, les services départementaux de l’architecture et du patrimoine.

Or il trouva sur son chemin le rapport de Mme Férat, qui, à l’évidence, ne considère pas que la question des monuments nationaux, du point de vue de la propriété, se résume au seul droit commun : j’achète ! Je vends ! J’achète ! Je vends librement, comme dans les affaires !

Pour ma part, l’art – et les monuments nationaux en font partie ! – n’est pas une marchandise comme les autres ; il a une spécificité incontournable. Le rapport de Mme Férat aborde cette spécificité en appliquant le principe de précaution : en principe, on peut vendre, mais la vente est encadrée. Ma position part de cette spécificité, mais dans un sens inverse : on ne peut pas vendre par principe, d’où la notion d’inaliénabilité à inscrire dans la loi, avec de possibles dérogations très encadrées.

La préparation de cette future petite loi, qui, les jours passant, se fait grande, est, au surplus, fortement marquée par son contexte d’élaboration, véritablement inquiétant. Une proposition de loi trouvant son origine dans une loi de finances, ce n’est pas le fruit du hasard ! C’est porteur de sens. C’est une réactivation du transfert de la propriété des monuments nationaux de l’État vers les collectivités territoriales, sans référence à leur autonomie, comme dans la loi de 2004 sur les premiers transferts.

Aujourd’hui, c’est sous le seul angle budgétaire – alléger les finances de l’État – que sont envisagés les transferts. Peu importe que les collectivités locales, qui ont tant et si bien fait pour les monuments, n’aient plus les moyens de faire face et risquent d’être mises dans l’obligation par le Gouvernement de sacrifier certains monuments nationaux. C’est potentiellement le feu vert à leur braderie ! Et c’est déqualifier ainsi une grande tradition, dont il n’est pas question de faire table rase !

Songez à ce qu’il faut appeler « l’inadmissible scandale de l’hôtel de la Marine », que des historiens, Jean-Noël Jeanneney, Jacques Le Goff, Pierre Nora, Alain Decaux, Mona Ozouf, Régis Debray, Michel Winock, Olivier de Rohan-Chabot, le président de l’association des Amis de l’hôtel de la Marine, ou encore Edouard Balladur ont condamné. Je suis avec eux, et plus encore depuis la visite, avec quelques sénateurs, aux engagements pluralistes, que nous avons pu faire, hier, place de la Concorde, à Paris.

Comme la vente possible des monuments historiques choque, a été inventée une vente que l’on peut qualifier de « masquée », au travers des baux emphytéotiques administratifs adoptés en juillet 2010 à cet effet, au détour de la loi relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services. Ainsi sont méthodiquement mis en place tous les moyens de céder la responsabilité financière, mais aussi l’utilisation et l’affectation à des opérateurs privés peu soucieux de l’intérêt général.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jack Ralite. Grâce à ce subterfuge juridique, l’hôtel de la Marine, lieu chargé d’histoire, pourrait être transformé pendant une durée de 99 ans, en hôtels de luxe, restaurants, galeries d’art et autres magasins !

M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jack Ralite. À cet égard, quelques interviews de ceux qui le souhaitent ont été publiées dans la presse, dans son ensemble.

Même si la propriété demeure d’État, comme l’a indiqué le président Nicolas Sarkozy, avec le bail emphytéotique administratif, l’affectation et la gestion du monument ne relèvent plus de l’État ni des collectivités territoriales.

M. Jack Ralite. Alors que l’inaliénabilité des monuments nationaux ne figure pas dans le code du patrimoine, la loi a pour conséquence de consacrer légalement la possibilité d’aliénation, tout en ayant l’air de l’encadrer. Difficile, à ce propos, de ne pas se rappeler l’étymologie latine du verbe « aliéner », qui signifie « rendre autre » ou « rendre étranger ». René Char dirait : « C’est la supercherie qui relate la fatigue du siècle. »

Permettez-moi d’apporter deux éclairages justifiant ma distance au fur et à mesure de l’analyse de la proposition de loi.

Premièrement, la création d’un Haut conseil du patrimoine est une bonne chose : il établira, certes, la liste des monuments transférables, mais n’a pas le pouvoir de s’opposer à un quelconque transfert. Le ministre peut donc outrepasser son avis. Nous pensons que ce conseil devrait être saisi sur l’ensemble des questions et devrait donner un avis conforme.

Deuxièmement, le transfert vers les collectivités territoriales est gratuit lorsqu’un projet culturel est établi. Mais que doit-on entendre par obligations « culturelles » ? Certains peuvent malheureusement se satisfaire du minimum : ouverture au public lors des Journées du patrimoine...

Voilà deux réticences à l’adoption de cette proposition de loi, qui deviennent, au gré des jours, des convictions. Je le dis avec force, même si je suis satisfait de l’existence de l’article 3, encore perfectible, relatif au Centre des monuments nationaux.

En effet, avec cet article, on inscrit dans le code du patrimoine la notion de péréquation, de juste répartition des moyens de fonctionnement entre les monuments les plus connus, souvent dits « rentables », et les autres, non moins beaux et aux murs pareillement frottés d’histoire, mais plus éloignés de la convoitise touristique.

Avec cette loi, les monuments, comme bien d’autres secteurs, ne sont plus qu’une variable d’ajustement des contraintes budgétaires. L’État s’est engagé dans l’accroissement de la vente de son patrimoine via France Domaine, afin de contribuer à la réduction du déficit budgétaire.

M. Jack Ralite. Éric Woerth l’a confirmé au Figaro, le 4 janvier dernier, en justifiant la vente d’un terrain de la forêt domaniale de Compiègne : « Cette vente doit être replacée dans son contexte : celui de la politique immobilière de l’État, que j’ai complètement renouvelée avec l’accord du Président de la République et du Premier ministre lorsque j’étais ministre du budget. [... ] France Domaine est le bras armé de cette politique aux objectifs ambitieux [...]. La vente de la parcelle [...] s’inscrit pleinement dans ce cadre. »

Cette proposition de loi n’est, au fond, que l’affirmation d’une grave tendance à la dissolution, voire à la disparition des missions de service public de l’État dans le patrimoine national, au profit d’une gestion et/ou d’une possession privée. C’est une application du rapport Jouyet-Lévy, qui refait curieusement surface, après avoir cheminé clandestinement, et dont j’ai d’ailleurs retrouvé une mise en perspective juridique, économique et politique, « une recomposition des attributions gouvernementales », dans un article d’Olivier Henrard, tout nouveau conseiller culturel de Nicolas Sarkozy, publié dans le numéro d’octobre 2010 des Cahiers de la fonction publique et de l’administration.

Pour conclure, je citerai Jacques Rigaud, qui, dans les conclusions de son rapport sur l’inaliénabilité des collections publiques des musées, publié le 20 janvier 2008, et soutenu alors par Mme Albanel, qui l’avait missionné, affirmait : « Avant de parler de sa valorisation économique, songeons que ce bien commun est au cœur même de ce que l’on a longtemps appelé “le génie de la France”. En une époque où tout est chiffres, se vend, se paie et se mesure, n’oublions pas les folies, les rêves, les caprices et les extravagances à qui nous devons cette fabuleuse richesse matérielle et immatérielle. Il ne faudrait pas commettre l’erreur de réduire l’exigence d’une gestion modernisée de ce trésor à des pratiques ou à des recettes commerciales, si recommandables que puissent être certaines d’entre elles, dès lors qu’elles sont des moyens et non des fins. »

C’est pourquoi le groupe CRC-SPG ne votera pas cette proposition de loi. Personnellement, je ne le ferai pas en raison de mon attachement aux monuments historiques, attachement que je partage avec des centaines de milliers de Français et d’étrangers qui s’y pressent au gré des jours, mais aussi en tant que membre heureux du CMN que je fus. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, de rendre hommage à M. le président de la commission de la culture et à Mme Françoise Férat pour leur engagement et le travail qu’ils accomplissent en faveur du patrimoine. Chacun connaît la passion avec laquelle Jacques Legendre s’investit dans cette mission, et je rappelle que la commission de la culture a adopté à l’unanimité le rapport d’information établi par Mme Férat.

Monsieur le ministre, nous sommes tous derrière vous, même certaines fois devant vous (Sourires), en tout cas toujours avec vous. Toutefois, nous nous sommes fortement inquiétés de la dérive observée depuis 2004 dans le dossier géré à l’origine, avec une certaine rigueur, par M. René Rémond, et auquel nous avons été un certain nombre à collaborer.

Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, il est légitime et opportun que l’État se tourne vers les collectivités locales, et réciproquement, pour assurer des responsabilités partagées et gérer un certain nombre de monuments. Dans ma région, c’est la propriété du château de Chaumont-sur-Loire qui a été transférée avec succès. Pour ma part, comme mes collègues, je suis partisan de transférer, lorsque c’est possible, la propriété du patrimoine monumental de l’État vers les collectivités. C’est clair et net.

Toutefois, je vous l’indique d’ores et déjà, nous avons déposé un amendement visant à prévoir que les collectivités ne pourront pas revendre ce patrimoine. Nous ne sommes cependant pas opposés à ce qu’elles puissent le rendre à l’État au cas où elles n’en voudraient plus. Mais nous nous méfions des situations intermédiaires impliquant une revente des biens.

Au demeurant, nous pensons que tout monument historique cédé à une collectivité doit faire l’objet d’un projet culturel.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Yves Dauge. Sinon, nous ne voyons pas l’intérêt d’un tel transfert de propriété. En vertu de ce principe, nous proposons d’exclure les ventes à titre onéreux, en ne retenant que les cessions gratuites associées à des projets culturels. Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, notre position est conforme à ce que vous souhaitez.

Toutefois, nous prévoyons une limite, afin d’éviter les dérives que vous avez constatées comme nous, monsieur le ministre. Ces derniers temps, nous nous sommes aperçus que vous étiez revenu sur la scène, pour mettre de l’ordre. Disons-le franchement, certains services de l’État n’ont pas du tout la même approche que vous ! À l’origine, il s’agissait en effet d’un partenariat entre l’État et les collectivités locales. Or nous avons assisté à l’irruption d’un certain nombre d’opérateurs désireux de développer des projets qui n’ont rien de culturel, puisqu’ils sont essentiellement commerciaux.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. De vrais projets commerciaux !

M. Yves Dauge. Eu égard à la valeur de nos monuments – certains, plus particulièrement, sont des symboles historiques –, il est bien évident que nous ne pouvons pas les céder, y compris dans le cadre de baux emphytéotiques. L’État doit rester maître chez lui !

Bien entendu, il est possible de conclure des partenariats avec des entreprises privées, comme c’est le cas pour le musée du Louvre, qui a octroyé des concessions à des boutiques, des restaurants… Nous ne sommes pas intégristes, nous sommes raisonnables. Mais nous pensons que l’État doit rester maître chez lui dans un certain nombre de lieux inaliénables, comme il ressort des propos qu’a tenus Jack Ralite tout à l’heure et des travaux sur le patrimoine mobilier qui émanent de l’éminent haut fonctionnaire auquel vous pensez tous, Jacques Rigaud.

Si des dérives sont à déplorer, vous prétendez – j’espère que c’est vrai ! – qu’il n’y a eu aucun bradage. Vous en êtes convaincu, et je pense que le ministère de la culture n’a pas souhaité s’engager dans une telle voie. Toutefois, votre ministère – excusez-moi de le dire – occupe une place relativement faible dans le jeu politique. Je ne parle pas de vous personnellement, monsieur le ministre, qui portez un nom qui vous honore. Il n’empêche que le ministère de la culture est fragilisé, et je me réfère à cet égard aux paroles d’un ancien ministre du budget qui ont été citées tout à l’heure.

J’ose le dire, il existe une politique du pire, de bradage de notre patrimoine, qui n’a rien à voir avec un partenariat avec les collectivités locales. Je ne cherche pas à vous choquer, mais nous ne sommes pas là pour nous cacher derrière une vérité que tout le monde connaît ! Car l’opinion est extrêmement sensibilisée ! Le réseau des grandes associations de sauvegarde du patrimoine, que vous connaissez, appelé G8 Patrimoine, s’est mobilisé. Il nous abreuve de messages : « Halte au bradage ! » Dans un tel contexte, cette proposition de loi est la bienvenue.

Nous avons déposé des amendements tendant à « durcir » quelque peu le texte. Si vous les acceptiez, nous pourrions nous entendre, mais je n’ai pas l’impression que tel sera le cas ! (Sourires.) Cela ne nous empêchera pas de continuer à soutenir la volonté de l’État que vous incarnez, monsieur Frédéric Mitterrand. Je souhaite que vous réussissiez à l’imposer à ceux qui n’ont malheureusement pas la même vision des choses.

Je salue d’un mot notre collègue Ambroise Dupont, qui est à l’origine de l’excellente proposition visant à inscrire dans la loi la notion de patrimoine mondial. Une telle disposition se révélera utile, mais je ne préciserai pas dans quel cadre.

À la suite de la discussion très agréable que nous avons eue ce matin en commission, je peux dire que les positions des uns et des autres ont évolué, malgré deux ou trois points de blocage. Cela ne nous empêchera pas de nous tenir à vos côtés dans ce combat.

M. Jean-Pierre Plancade. Et vous n’allez pas voter cette proposition de loi ! C’est incroyable !

M. Yves Dauge. Monsieur le ministre, inutile de vous dire que nous comptons beaucoup sur vous, dans cette affaire et dans bien d’autres. La commission de la culture vous soutient en effet bien souvent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.

M. Pierre Bordier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, veuillez m’excuser par avance des inévitables redites que je serai amené à faire.

Notre patrimoine est une richesse qui doit être préservée, entretenue, restaurée et mise en valeur. Aussi faut-il veiller à ce qu’il en soit toujours ainsi lorsqu’il change de propriétaire, et notamment lorsqu’il est cédé par l’État à des collectivités locales.

Il est intéressant que les collectivités s’impliquent, car elles perçoivent alors tout l’intérêt d’un patrimoine bien mis en valeur pour le développement de leur territoire. La dévolution est également avantageuse pour l’État, lequel rencontre des difficultés pour assurer la conservation et la restauration de l’ensemble du patrimoine national. Encore faut-il l’encadrer, afin qu’elle soit véritablement respectueuse du patrimoine et de sa vocation culturelle.

La démarche avait été engagée en 2004. Le ministère de la culture avait alors confié à une mission présidée par René Rémond le soin d’établir, parmi les monuments détenus par l’État, ceux qui pourraient faire l’objet d’un transfert à des collectivités locales volontaires. Cette faculté était ouverte pour une période d’un an. Elle a conduit à la décentralisation d’une soixantaine de monuments.

Par la suite, dans un avis du 22 octobre 2008 sur les politiques de conservation du patrimoine monumental, le Conseil économique, social et environnemental a estimé qu’il y avait lieu d’engager une nouvelle réflexion sur ce sujet.

Celle-ci n’a cependant pas été menée. Aussi, lorsqu’est intervenu l’article 52 du projet de loi de finances pour 2010 visant à relancer la dévolution, la commission de la culture s’est inquiétée de l’absence de bilan de la première vague de transferts. Finalement, l’article concerné fut considéré comme un cavalier budgétaire par le Conseil constitutionnel et censuré.

Cependant, l’idée d’une relance de la dévolution était toujours d’actualité. À la suite de cet épisode, notre commission a conclu à la nécessité d’encadrer le processus de dévolution de précaution, afin de garantir la cohérence de la politique patrimoniale nationale.

M. le président Jacques Legendre décida la création d’un groupe de travail, auquel j’ai participé avec le plus grand intérêt. Le rapport d’information qui s’est ensuivi a formulé plusieurs propositions, que nous retrouvons dans la présente proposition de loi. Je tiens à souligner qu’elles ont été adoptées à l’unanimité par les membres de notre commission.

Le texte que nous étudions aujourd’hui est une étape primordiale dans le mouvement de décentralisation de notre patrimoine monumental. Il introduit en effet plusieurs grands principes.

Tout d’abord, il vise à créer un Haut conseil du patrimoine, qui appréciera le caractère transférable des monuments historiques. Il les identifiera de façon systématique et rigoureuse, appréciant par exemple leur appartenance à la mémoire de la nation, leur notoriété internationale, l’engagement d’importants moyens financiers par l’État, ainsi que les hypothèses de conservation ou de gestion.

Ce « principe de précaution » permettra d’éviter des polémiques comme celle qui concerne l’hôtel de la Marine. Car, au-delà des questions soulevées par la décentralisation, c’est le risque de dépeçage lié à une conception exclusivement immobilière qui pèse sur le patrimoine monumental de l’État.

La proposition de loi garantit une analyse objective et scientifique en amont de toute décision de cession. Le Haut conseil se prononcera sur l’ensemble du parc monumental de l’État, y compris, donc, sur les monuments historiques classés ou inscrits, et gérés par France Domaine.

Le rapport de notre collègue Françoise Férat souligne en effet que le programme des opérations de cession piloté par France Domaine, en cours depuis 2009 et qui concerne 1 700 biens, n’a jamais identifié la catégorie des immeubles classés ou inscrits, qui sont dès lors intégrés dans le lot des ventes au même titre que les immeubles de bureaux.

Par ailleurs, s’appuyant sur un autre grand principe, le Haut conseil du patrimoine formulera des prescriptions garantissant une bonne utilisation du patrimoine. En imposant certaines obligations au nouveau propriétaire, notamment l’ouverture au public ou la diffusion d’informations historiques, cette instance apportera la garantie d’une utilisation culturelle du monument. Ces obligations s’imposeront à tout nouveau détenteur, qu’il soit public ou privé.

Enfin, le projet doit également être réaliste. La dévolution aux collectivités territoriales nécessitera donc une évaluation précise des coûts de prise en charge du monument, ce qui semble ne pas avoir été le cas lors de la première vague de transferts. Une information complète sera donnée, car le risque est grand, surtout dans un contexte budgétaire incertain, de voir des collectivités ne plus pouvoir entretenir leur patrimoine.

Selon moi, grâce à cette proposition de loi, la France deviendra exemplaire en matière de protection du patrimoine.

En conclusion, je me réjouis que ce texte nous rassemble, au-delà des clivages politiques, pour assurer la défense de nos monuments. Je me félicite également de ce que l’État ait à cœur de transmettre ce patrimoine dans les meilleures conditions, afin qu’il soit une richesse pour les générations futures. Le groupe UMP soutiendra bien évidemment cette démarche. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)