M. Robert del Picchia. Pour un euro, c’est cher !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pour deux euros, c’était le même prix ! (Sourires.)

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le juge pourra désormais, ce n’est pas automatique, rendre une décision d’ « inéligibilité relative » en constatant que l’euro manquant dans les comptes des campagnes ne constitue pas une erreur considérable. Nous faisons donc en sorte de permettre au juge de moduler l’inéligibilité.

C’est un progrès considérable. Il était en effet un peu scandaleux qu’un candidat de parfaite bonne foi, qui avait rempli toutes les obligations prévues par la loi subisse une telle sanction.

M. le ministre l’a dit tout à l’heure, en matière de financement des campagnes électorales, nous possédons l’arsenal juridique le plus perfectionné, le plus cohérent et le plus poussé de tous les pays démocratiques d’Europe occidentale. Par conséquent, il fallait créer un peu de souplesse, ce qui est chose faite, notamment à l’article 2. C’est l’élément le plus important du projet de loi organique en dehors du toilettage de certaines dispositions du code électoral. Je serai donc conduit à en reparler tout à l’heure.

J’en viens au projet de loi ratifiant l’ordonnance relative à l’élection de députés par les Français établis hors de France.

Je tiens à saluer le remarquable travail effectué par les sénateurs représentant les Français établis hors de France dans l’élaboration du texte de la commission. Ils nous ont aidés sur un sujet que nous connaissions mal et que les députés eux-mêmes connaissent mal.

Prenons l’exemple de la onzième circonscription, qui compte quarante-neuf États. Celle-ci conduira donc le malheureux élu à avoir un subdélégué dans chacun de ces pays. J’en ai parcouru quelques-uns et je peux dire en connaissance de cause que certains d’entre eux ne sont pas faciles.

Je souhaite bien du plaisir au candidat dans la onzième circonscription qui souhaitera représenter les Français établis hors de France lors de sa campagne électorale. Il devra parcourir une circonscription de milliers de kilomètres englobant l’Ukraine, l’Afghanistan, l’Iran, la Mongolie, la Chine, l’Indonésie, le Japon, notamment, utiliser des monnaies qui ne sont pas toujours convertibles et faire face à beaucoup d’autres difficultés.

Heureusement, je le répète, les sénateurs représentant les Français établis hors de France, qu’ils siègent à gauche ou à droite de cet hémicycle, nous ont apporté une aide considérable, que je tiens à saluer. D’ailleurs, plusieurs amendements que nous examinerons tout à l’heure le montrent.

Comme nous l’avons vu en commission, ces élections ne seront pas aussi simples que celles qui se déroulent dans la Creuse ou en Lozère. C’est pourquoi je tiens de nouveau à saluer les futurs candidats et à leur souhaiter bon courage lorsqu’ils tenteront de convaincre les Français répartis sur l’ensemble du globe.

M. le président. Ils ne sont pas encore désignés.

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est vrai !

M. le président. C’est une remarque personnelle qui ne s’adresse qu’à la droite. (Sourires.)

M. Patrice Gélard, rapporteur. J’en viens à la proposition de loi portant simplification de dispositions du code électoral.

Je me méfie comme de la peste des lois dites de simplification. En général, elles apportent une complexité supplémentaire, ce qui est un peu le cas de ladite proposition de loi. Néanmoins, celle-ci nous permet d’améliorer un certain nombre de dispositions et de les rendre plus démocratiques et plus transparentes.

Deux innovations sont dues au Sénat.

Dans le cadre du respect constant qu’une chambre a par rapport à l’autre, les députés n’ont pas traité de l’élection des sénateurs, de même que le Sénat ne s’est jamais immiscé dans l’élaboration des règles électorales des députés. Ils nous ont donc renvoyé la balle. Toutefois, ils ont lancé un certain nombre d’idées.

Ainsi, les députés ont décidé que l’âge pour être élu à l’Assemblée nationale serait dorénavant de dix-huit ans et non plus de vingt-trois ans. Cela nous a interpellés. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a adopté une disposition selon laquelle l’âge pour être élu sénateur passera de trente ans à vingt-quatre ans.

Je le rappelle, sous la IIIe République, l’âge pour devenir sénateur était de quarante-cinq ans. Il est passé à trente-cinq ans sous la IVe République. Il est demeuré le même au début de la Ve République jusqu’à ce que nous l’abaissions récemment à trente ans, ce qui fait que, lors des dernières élections sénatoriales, deux candidats à peine âgés de la trentaine ont été élus.

Nous poursuivons dans cette voie. Cependant, nous estimons qu’un sénateur doit avoir un minimum d’expérience. L’idéal serait que tous les sénateurs aient préalablement exercé un mandat local de six ans. En l’occurrence, nous ne l’exigeons pas, mais nous laissons au candidat le temps de remplir un tel mandat. C’est la raison pour laquelle nous proposons l’âge de vingt-quatre ans.

Par ailleurs, l’élection des sénateurs est de même nature que l’élection dans les communes de moins de 9 000 habitants, c’est-à-dire qu’il n’y a pas obligation de tenir des comptes de campagne. Cette absence d’obligation n’est pas très gênante, puisqu’une élection sénatoriale de base ne coûte pas très cher, mais elle entraîne des inégalités. Le candidat sortant peut en effet bénéficier de moyens bien plus considérables que ses adversaires.

La commission des lois a donc décidé que les candidats aux élections sénatoriales devraient présenter des comptes de campagne. Cette disposition entrera en vigueur non pas lors des élections de septembre prochain en vertu de la règle non écrite selon laquelle on ne modifie pas les règles du jeu un an avant une élection, mais au moment où les nouvelles règles de renouvellement du Sénat s’appliqueront, c’est-à-dire en 2014.

Monsieur le ministre, il y a tout de même un problème concernant ces comptes de campagne : nous ne pouvons faire jouer ces comptes qu’à condition que l’État prenne en charge les frais de campagne …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La moitié !

M. Patrice Gélard, rapporteur. … comme pour l’élection des députés.

Nous serions tombés sous le coup de l’article 40 si nous avions inscrit nous-mêmes cette mesure dans le texte. C’est pourquoi je remercie le Gouvernement d’avoir déposé un amendement visant à résoudre ce problème. Par conséquent, à partir de 2014, les sénateurs verront leurs comptes de campagne répondre aux mêmes règles que celles des députés. Cette règle démocratique nouvelle permettra, d’une part, de limiter le montant des dépenses de campagne sénatoriale et, d’autre part, d’apporter un peu plus de transparence dans les élections. C’était l’objectif recherché !

Telles sont les deux grandes innovations.

Je voudrais revenir sur le problème de fond, à savoir l’inéligibilité relative que pourra prononcer le juge.

Je tiens à souligner que nous n’avons pas – à l’Assemblée nationale comme au Sénat – abouti à ce que certains ont appelé une autoamnistie. C’est exactement le contraire. Les parlementaires qui ne respecteront pas les règles du jeu, qui feront des déclarations mensongères, qui se comporteront de façon absolument inadmissible en matière de financement des partis politiques et de déclaration de patrimoine encourront des sanctions. Auparavant, je le rappelle, la seule obligation d’un parlementaire était de faire une déclaration de patrimoine au début et à la fin de son mandat. Or si celle-ci était fausse ou mensongère, cela n’avait aucune espèce d’importance.

Dorénavant, toute déclaration mensongère pourra non seulement être passible de sanctions financières lourdes, mais également de la sanction majeure : l’inéligibilité. Celle-ci pourra être prononcée pour une période de trois ans pour toutes les élections et non pas seulement pour l’élection où des irrégularités auront été commises. C’est là un changement considérable.

L’élément capital, celui sur lequel le Sénat a insisté par rapport à l’Assemblée nationale, c’est que, pour nous, un parlementaire ou un candidat à l’élection n’est, par définition, pas un fraudeur, bien au contraire. Il est, comme n’importe quel autre citoyen, présumé de bonne foi. Voilà ce que doivent reconnaître les textes.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Or la rédaction qui nous vient de l’Assemblée nationale, même corrigée par le biais de la commission Mazeaud, aboutit à faire porter la charge de la preuve par le candidat à l’élection. Or ce n’est pas ce qu’il faut faire. La bonne foi doit être présumée dans les déclarations. En revanche, si sa mauvaise foi est prouvée, on doit le sanctionner.

Je vous rappelle que le Conseil d’État a développé une jurisprudence restrictive, qui ne reconnaît presque jamais la bonne foi. Il nous fallait donc rétablir les choses. Mais, attention, la bonne foi, si elle est présumée, ne doit pas empêcher les sanctions les plus lourdes de s’appliquer au candidat, notamment celle de l’inéligibilité, en cas de fraude ou de volonté de ne pas respecter les règles.

J’en viens à un dernier point sur lequel M. le ministre a pratiquement terminé son intervention, celui de la codification à venir.

La codification du code électoral, qui est très bien faite jusqu’à maintenant, du moins dans l’avant-projet, comportera plusieurs éléments.

Tout d’abord, il y aura la codification de la partie organique. Il est bien évident que celle-ci doit être intégralement contrôlée, regardée, analysée par le Parlement. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’ordonnance sur les lois organiques. Nous garderons donc la plénitude de nos compétences dans ce domaine et nous reverrons prochainement la totalité des dispositions organiques du code électoral.

Deux autres types de dispositions vont également figurer dans le nouveau code électoral.

Les premières sont à droit constant, et nous avons maintenant l’habitude, légitime, de mandater le Gouvernement par voie d’ordonnances pour assurer cette codification. C’est une procédure à laquelle nous sommes favorables.

Les secondes, en revanche, apportent des modifications rendues nécessaires par l’évolution du droit, etc. Nous avions demandé et obtenu que le Parlement contrôle l’intégralité de ces dispositions qui ne sont pas à droit constant mais qui feront l’objet d’une codification nouvelle.

Nous avons été obligés de réécrire, dans une certaine mesure, le texte qui nous venait de l’Assemblée nationale, parce qu’il était non pas faux mais ambigu. Nous avons réussi, me semble-t-il, à clarifier les choses en rédigeant un nouvel amendement.

Lorsque le code électoral viendra devant nous, nous examinerons la partie organique ainsi que celle qui n’est pas à droit constant ; nous voterons naturellement l’ordonnance pour tout ce qui concerne le droit constant.

Mes chers collègues, ces textes ne sont peut-être pas capitaux, mais ils sont nécessaires, comme l’a souligné M. le ministre. N’oublions pas que se tiennent l’année prochaine des élections législatives et que, pour la première fois, des députés représentant les Français établis hors de France siégeront au Palais Bourbon. Nous leur souhaitons naturellement à l’avance la bienvenue ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Hervé Maurey applaudit également.)

M. le président. La parole est Mme Jacqueline Gourault.

Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le « paquet électoral » que nous examinons aujourd’hui est une nouvelle étape de la modernisation de la vie politique française.

Qu’il s’agisse du régime des inéligibilités, du renforcement de la transparence financière, de la rénovation en profondeur du système des sanctions applicables en droit électoral, de la réforme du code électoral, de l’abaissement à vingt-quatre ans de l’âge d’éligibilité aux élections sénatoriales et de l’application de la législation relative aux comptes de campagnes aux candidats aux élections sénatoriales, ces textes permettront une meilleure lisibilité du droit électoral.

Certes, leur importance n’est pas capitale, comme vient de le dire M. Gélard, mais le diable se niche toujours dans les détails,…

Mme Nathalie Goulet. Et s’habille en Prada ! (Sourires.)

Mme Jacqueline Gourault. … et c’est pourquoi je formulerai trois remarques.

La première concerne l’habilitation à légiférer par ordonnance. Tout d’abord, je me félicite de l’adoption par la commission des lois de plusieurs amendements de son rapporteur visant à ce que le Gouvernement soit tenu dans son habilitation à légiférer par ordonnance à le faire à droit existant. Le pouvoir réglementaire sera donc uniquement habilité à « codifier » « à droit constant » les dispositions figurant dans des textes non intégrés au code électoral.

Ces dispositions me semblent primordiales, l’habilitation du Gouvernement à modifier le code électoral ne pouvant avoir lieu qu’à droit constant.

Ma deuxième remarque porte sur la représentation directe des Français établis hors de France à l’Assemblée nationale.

Le projet de loi que nous examinons tend à ratifier une ordonnance technique permettant la mise en œuvre d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l’élection des futurs députés représentant les Français de l’étranger.

M. Gélard, soulignant la complexité de ce système, a souhaité bon courage aux futurs candidats. Ce faisant, il anticipait mon propos sur une position que je défends avec constance : pourquoi ne pas avoir opté pour un scrutin proportionnel ou, à tout le moins, instillé une dose de proportionnelle ?

Une sénatrice du groupe socialiste. Excellente question !

Mme Jacqueline Gourault. Un tel mode de scrutin pour l’élection des députés représentant les Français établis hors de France aurait permis de répondre aux difficultés posées par l’ampleur du territoire et d’assurer la représentation de tous les courants. C’est une nouvelle occasion manquée de favoriser le pluralisme ! (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)

Ma troisième remarque concerne la création d’un nouveau cas de suppléance pour les députés et les sénateurs.

Inséré par l’Assemblée nationale en séance publique à la suite de l’adoption d’un amendement de M. Bernard Roman, député du Nord, l’article 4 bis du projet de loi organique prévoit que le député élu, en cours de mandat, au Sénat ou au Parlement européen est remplacé définitivement par son suppléant.

Estimant que les conditions dans lesquelles un suppléant peut être amené à remplacer un député étaient excessivement restrictives, les auteurs de l’amendement ont fait valoir que l’impossibilité d’organiser une élection législative partielle moins d’un an avant le prochain renouvellement de l’Assemblée nationale – et la vacance du siège qui en résulte – pouvait priver de représentation, pendant plusieurs mois, les citoyens de la circonscription dont le député est originaire.

La commission des lois a approuvé cette modification et adopté un amendement de son rapporteur afin de mettre en place un système similaire, et donc une réciprocité, pour les membres de la Haute Assemblée : ainsi, les suppléants ou les suivants de liste de nos collègues appelés, en cours de mandat, à siéger à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen pourront-ils prendre leur place jusqu’à la fin du mandat initial.

J’attire votre attention toute particulière sur cet article 4 bis qui, si je comprends bien les préoccupations qui ont amené à son adoption, me choque pour deux raisons.

La première raison est juridique : le mandat de député est incompatible avec celui de sénateur, comme vous le savez tous. Par exemple, en cas d’élection au Sénat, la perte du mandat de député est immédiate et automatique. Selon moi, cette déchéance du mandat de député est applicable aussi bien au titulaire qu’à son suppléant puisqu’il s’agit de la même élection.

Les dispositions de l’article 4 bis sont donc contraires à celles du code électoral en vigueur fixant l’incompatibilité des mandats de député et de sénateur.

Une raison supplémentaire m’invite à la prudence concernant cet article : si un député exerçant des fonctions ministérielles se faisait élire au Sénat, cet article 4 bis permettrait à un suppléant de siéger dans chaque assemblée, à la place du titulaire ! Ce serait vraiment incroyable !

M. Daniel Raoul. Ce n’est pas normal !

Mme Jacqueline Gourault. De plus, le remplacement par le suppléant siégeant à l’Assemblée nationale deviendrait définitif, ce qui serait inconstitutionnel, puisque le caractère temporaire de la suppléance est prévu par la révision constitutionnelle de 2008.

M. Yvon Collin. Ce n’est pas moral !

Mme Jacqueline Gourault. En effet, l’article 25 de la Constitution fixe les conditions de remplacement « temporaire » en cas d’acceptation par des députés ou des sénateurs de fonctions gouvernementales.

Voilà pour l’argumentation juridique.

J’ajouterai une argumentation politique et morale. Il convient de faire attention à ce que j’appellerai « le double effet Kiss Cool ». En effet, vous êtes élu sénateur ou député et, profitant de cette situation, vous vous faites élire dans l’autre assemblée en maintenant un suppléant : cela augure une représentativité parlementaire un peu particulière et un renouvellement certainement limité.

Je vois se profiler des situations où des députés perdant leur circonscription du fait du redécoupage électoral viendront siéger au Sénat, où d’autres pourront installer leur dauphin en se faisant élire dans l’autre assemblée.

Franchement, mes chers collègues, comment pourrions-nous justifier cette mesure, que ce soit sur le plan constitutionnel, moral ou politique, à un moment où nos citoyens souffrent déjà d’un manque de confiance dans le personnel politique ?

À force de créer des systèmes fermés, ce sont toujours les mêmes qui siègent dans les assemblées.

M. Richard Yung. Et voilà !

Mme Nathalie Goulet. Les mêmes, et des hommes !

Mme Jacqueline Gourault. C’est un point qui mérite une attention toute particulière. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un récent sondage indiquait que les Français n’avaient plus confiance dans leurs élus. Cette défiance n’est pas nouvelle, elle n’est d’ailleurs pas propre à notre pays, mais elle révèle une faille dans notre démocratie fondée sur la représentation.

Cette situation tient sans doute à plusieurs causes. Les Français ne croient plus aux politiques publiques, qui n’apportent pas de solution à leur recherche d’un emploi, d’un logement, et qui ne leur offrent aucun avenir, ni pour eux-mêmes ni pour leurs proches. Ils ont aussi l’impression – et cela nous concerne directement – que la vie politique appartient à un autre monde, dans lequel les règles ne seraient pas les mêmes selon que l’on est puissant ou misérable. En outre, un grand nombre de Français méconnaît le travail que les élus accomplissent et en ont parfois une vision caricaturale.

Les textes examinés aujourd’hui modernisent et simplifient de nombreuses dispositions électorales. Ils aménagent les règles existantes plutôt qu’ils ne les transforment. Ils n’ont pas pour ambition de se confronter aux modes de scrutin, notamment à la question de la représentativité du Sénat, et donc de l’égalité des suffrages, qu’il faudra un jour poser. Toutefois, sans d’ailleurs que leurs auteurs l’aient voulu, ils ouvrent un large débat qui va nous occuper dans les prochaines années : comment réconcilier les Français et leurs élus ?

Vous me permettrez de m’y attarder quelques instants. En fait, ce débat a été initié depuis maintenant plus de vingt ans par les différentes lois sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales, scandées par des scandales. La France a été le dernier pays européen à se doter d’une législation de ce type. Il aura fallu voter onze lois, entre 1988 et 2006, pour combler ce retard.

Aujourd’hui, ce débat se poursuit, poussé par d’autres scandales qualifiés de « conflits d’intérêts » ou de confusion entre l’intérêt général et les intérêts particuliers. La démission de M. Éric Woerth a posé la question de savoir si l’on pouvait cumuler à la fois les fonctions de trésorier d’un parti politique et celles de ministre du budget. La démission, ce week-end, de Mme Alliot-Marie a montré que, désormais, les fonctions ministérielles imposaient une retenue, y compris dans la sphère privée.

La particularité française consiste à appliquer aux conflits d’intérêt un traitement pénal qui repose sur la prise illégale d’intérêts. À cet égard, la situation française est paradoxale : si nous disposons d’un arsenal juridique extrêmement répressif, la pratique en matière de sanctions est plutôt bienveillante, en tout cas plus complaisante qu’ailleurs. Ainsi, à l’occasion d’un déplacement à Berlin, mardi dernier, avec M. le président Hyest, nous avons constaté une plus grande sévérité dans la pratique, alors que la législation allemande est moins contraignante.

Comment allons-nous réduire cet écart qui contribue à la méfiance de l’opinion ? Au fond, comment pouvons-nous prévenir plutôt que réprimer ?

L’une des voies que la mission sénatoriale explore est celle de la transparence. La transparence est selon moi l’enjeu premier de ces textes. Elle est évidemment un impératif absolu en matière électorale. Elle conditionne à la fois la sincérité du scrutin et la confiance de l’électeur.

Cette transparence suppose des règles claires. Qui peut se présenter à une élection ? Notre régime des inéligibilités et des incompatibilités est aujourd'hui obsolète, comme l’a souligné M. le rapporteur. Le code électoral vise encore aujourd'hui les inspecteurs des lois sociales en agriculture, lesquels n’existent plus ! Une actualisation de notre régime est donc nécessaire.

La transparence suppose également des sanctions claires. Or ces sanctions sont aujourd'hui confuses. En cas de compte de campagne non conforme ou de non-respect des règles, des décisions différentes seront prises en fonction des juridictions.

Le Conseil d’État ne prononcera l’inéligibilité d’un candidat aux élections locales que si ce dernier n’est pas de bonne foi. En outre, la jurisprudence en la matière est complexe, comme l’a rappelé M. le rapporteur tout à l’heure.

Devant une irrégularité identique, le Conseil constitutionnel sera tenu – c’est le terme qu’il emploie constamment –, du fait des textes que le Parlement a votés, de prononcer l’inéligibilité du candidat, que celui-ci soit ou non de bonne foi. Un candidat aux élections législatives a ainsi été déclaré inéligible – il avait été élu – uniquement parce qu’il avait réglé personnellement ses frais de déplacement, ce que la loi interdit. Un mandataire est nécessaire.

Il faut avancer dans ce domaine. À cet égard, nous avons fait des propositions dans le cadre du groupe de travail sur le droit des campagnes électorales. Nous pensons en particulier que l’inéligibilité ne peut pas être automatique. Il faut sanctionner l’intention frauduleuse, non la simple erreur. La commission des lois a également souhaité ce matin que soit pris en compte le respect des règles en matière de financement des campagnes électorales. Nous y reviendrons lors de l’examen des articles.

La réforme de l’inéligibilité, cela a été dit, ne va pas passer comme une lettre à la poste. Nous devrons nous expliquer devant l’opinion publique une nouvelle fois, et ce avec beaucoup de netteté. Nous devrons lui dire qu’il ne s’agit ici que d’appliquer des principes auxquels nous sommes très attachés.

Premier principe : aucune peine ne peut être automatique, conformément à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il faut s’en réclamer dans ce cas, comme nous le faisons constamment.

Deuxième principe : toute peine doit être proportionnelle à la gravité des faits. Qui pourrait ne pas être d’accord avec cette évidence ?

Troisième principe, et nous y sommes très attachés : une peine doit être prononcée par un juge. En l’espèce, ce sera évidemment le juge de l’élection, même si un encadrement du pouvoir d’appréciation judiciaire est prévu.

Si le candidat est de bonne foi, il ne sera pas condamné à une peine d’inéligibilité. À l’inverse, en présence d’un voyou – permettez-moi d’utiliser ce terme – qui aurait fraudé financièrement ou électoralement, nous sommes favorables à une sanction exemplaire : le juge doit pouvoir mettre le candidat hors jeu de la vie politique en prononçant une inéligibilité étendue à toutes les élections. Une telle disposition est nécessaire. Aujourd'hui, pour un euro de trop, un candidat peut être déclaré inéligible, alors qu’un candidat qui cache des bulletins dans ses chaussettes peut continuer de sévir à l’occasion d’autres scrutins !

La transparence doit également se prolonger une fois l’élection acquise. En France, les candidats – les parlementaires et un certain nombre d’élus locaux – sont soumis à l’obligation de déclarer leur patrimoine. C’est très bien. Le non-respect de cette obligation est sanctionné d’une peine d’inéligibilité d’un an. C’est le minimum. En revanche, la Commission pour la transparence financière de la vie politique n’a aucun moyen de sanctionner un candidat dont la déclaration serait totalement farfelue, substantiellement fausse. On peut déclarer n’importe quoi et ne pas être sanctionné ! Tout cela ne peut évidemment pas durer. Le code électoral prévoit même que l’altération de la vérité en cas de déclaration complètement fantaisiste ne constitue pas un faux au sens pénal. Le législateur a ainsi inventé le droit au mensonge pour lui-même…

Il est temps d’en finir avec ces petits arrangements. La commission des lois de l’Assemblée nationale a souhaité qu’une telle dissimulation volontaire et significative soit constitutive d’une infraction pénale, réprimée par une peine d’emprisonnement de deux ans prononcée par le juge pénal. Toutefois, M. Jacob, relayé par M. Copé, a déposé un amendement tendant à revenir sur la création de ce délit spécifique. Il était inconcevable d’aller jusqu’à menacer d’emprisonnement un candidat ayant fait une fausse déclaration. Cet amendement a réveillé les passions à l’Assemblée nationale, où il a donné lieu à des débats très animés.

Je le dis franchement : je ne comprends pas la frilosité de la commission des lois du Sénat. Pourquoi s’obstine-t-elle à vouloir se caler sur la position du président du groupe UMP de l’Assemblée nationale ? Pour quelles raisons ? Le fait pour un élu de fournir une déclaration mensongère ne peut pas être admis par nos concitoyens ! Nous avons un devoir d’exemplarité. Le non-respect de nos devoirs doit donner lieu à une incrimination spécifique. Nous voterons donc tout amendement tendant à restaurer une peine d’emprisonnement. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)