Mme Dominique Voynet. Vous me permettrez de le dire, mais l’ardeur manifestée, la précipitation avec laquelle fut improvisée la reconnaissance du Conseil national de transition libyen suscite, d’une certaine façon, le même malaise, les mêmes questionnements que les retards, tergiversations et ambiguïtés de la période récente. La diplomatie ne s’accommode pas d’impulsions et de coups ; elle suppose de la constance, de la ténacité, de la visibilité à moyen terme, elle suppose du professionnalisme.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Dominique Voynet. Aussi, monsieur le ministre d’État, vous comprendrez que nous soyons plutôt rassurés par votre arrivée à la tête de ce ministère, même si nous ne partageons pas forcément toutes les options du Gouvernement en matière de politique étrangère.

Alors que la révolte populaire dure depuis plusieurs semaines en Libye, alors qu’il était évident, dès le départ, que le régime du tyran se lancerait, à un moment ou à un autre, dans une contre-offensive folle visant à terroriser la population et à semer la mort parmi des opposants insuffisamment armés, il est regrettable qu’il ait fallu si longtemps pour que le Parlement soit sollicité sur la politique du Gouvernement de façon plus large. Il est regrettable que, une fois encore, il soit consulté après l’engagement et non avant.

En réalité, je ne doute pas du vote du Sénat, parce que personne ici ne saurait vous reprocher ce retard. L’essentiel est qu’on ait pu enfin agir. Cela dit, il faudra, dans le calme, revenir sur les raisons qui ont conduit à ce que nous n’ayons aucune discussion de fond depuis l’autocongratulation à laquelle nous avons assisté, médusés, à l’occasion de la farce de la conférence sur l’Union pour la Méditerranée.

Quand même, convenons que nos choix d’hier devront être revisités !

Nos avions bombardent aujourd’hui les bases militaires d’un État que les fabricants français ont largement fourni en armements et pour le principal dirigeant duquel a été déployé, de façon obscène, le tapis rouge lors de sa venue dans notre capitale.

D’ailleurs, il y a quelque chose de profondément étrange dans le fait d’entendre certains, ici, cracher son patronyme en y ajoutant « et sa clique », cependant que, voilà quelques mois encore, on parlait avec dévotion et respect du « président Kadhafi » ou du « colonel Kadhafi ».

M. Roland Courteau. Effectivement !

Mme Dominique Voynet. En fait, il s’agit d’un dictateur remis dans le jeu par le gouvernement français, malgré les attentats de Lockerbie ou la bombe placée dans un avion français, malgré les crimes de masse de juin 1996…

Mme Dominique Voynet. … et tant d’autres, malgré les innombrables entreprises de déstabilisation dont il s’est rendu coupable d’un point à l’autre de l’Afrique et qui ont causé la mort, ici ou là, de dizaines de nos compatriotes civils et militaires. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Il s’agit d’un homme redevenu suffisamment fréquentable pour que l’on envisage de faire avec lui du commerce de technologies nucléaires, certes civiles, mais particulièrement sensibles, d’un homme avec lequel on a entretenu des relations intenses, quoique parfois discrètes, dans le but explicite de lui vendre des équipements militaires et des armes, officiellement et moins officiellement.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Dominique Voynet. Je parle avec précaution, monsieur le ministre d’État, pour ne pas subir, dans les jours qui viennent, le sort réservé à Mme Joly.

J’en reviens à la Libye.

Le 17 mars, dans la nuit, le Conseil de sécurité de l’ONU a donc adopté la résolution 1973 qui, exigeant du gouvernement libyen « un cessez-le-feu immédiat », autorise « toutes mesures nécessaires pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en [Libye], y compris à Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ».

Elle autorise également sous certaines conditions la création sur la Libye d’une « zone d’exclusion aérienne » en vue de « protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque », ainsi que l’application de l’embargo sur les armes et le gel des avoirs du dictateur.

Cette résolution autorise des frappes ciblées ou des interventions militaires aériennes, pas seulement, donc, sur des objectifs aériens, mais également sur des objectifs terrestres.

C’est ce mandat, rien que ce mandat, que nous devons soutenir. Cette décision est historique : elle permet à la gouvernance mondiale de faire un pas de plus dans sa construction ; elle permet aussi de protéger la révolution sociale et démocratique arabe. Mais si ce mandat était outrepassé, cette résolution se retournerait contre ses auteurs, car la légitimité de l’intervention serait aussitôt contestée, tant par les citoyens français que par les peuples arabes et l’opinion mondiale.

Ceux-là mêmes qui l’ont ardemment espérée, qui se sont désespérés à l’idée qu’elle ne serait pas décidée, seraient les premiers à nous reprocher une intervention mal ciblée, au but ambigu, qui conduirait à un désastre humain plus important que celui que cette résolution prétendait éviter.

À cet instant, nous pouvons dire que l’application de la résolution 1973 a d’ores et déjà permis de sauver la population de Benghazi, menacée ouvertement par le colonel Kadhafi, qui s’apprêtait à envahir la ville après l’avoir frappée à l’arme lourde. Ce premier succès, non négligeable, a été obtenu en dépit de la duplicité de l’annonce, non suivie d’effets, d’un cessez-le-feu de la part du dictateur libyen.

Celui-ci, qui tente désespérément de se maintenir au pouvoir, devra répondre devant la Cour pénale internationale des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité que son armée et ses mercenaires ont commis ou commettraient dans les jours et semaines à venir.

À ce stade, cette intervention est fondée en droit aussi bien que du point de vue de la morale. Nous n’avons donc aucune raison d’appeler la France à s’en dégager immédiatement. Et même si nous regrettons les tergiversations successives et les divisions de l’Europe, qu’agacent aussi les volte-face et le jeu parfois personnel de Paris, nous considérons comme nécessaire et incontournable de poursuivre cette opération.

Cependant, nous serons extrêmement attentifs à ce que cette intervention, dont vous prétendez assez vaniteusement prendre la tête, demeure dans des limites précises. Si ces dernières devaient être élargies de façon très significative, il serait nécessaire que les Nations unies l’aient décidé et que la représentation nationale soit à nouveau saisie de cette question.

Quelles sont donc ces limites ?

Il faut que les frappes militaires soient strictement limitées aux nécessités de la protection des populations ; qu’elles n’aient pas comme résultat, par des blessures et des morts civils tragiquement inutiles, de ressouder les rangs, en Libye comme ailleurs, autour du dictateur ; que priorité absolue soit donnée, en matière militaire, à l’équipement et au déploiement de moyens au profit de la résistance intérieure libyenne elle-même ; que les seules formes d’engagement terrestres, s’il devait y en avoir à la frontière de la résolution de l’ONU, soient limitées au soutien logistique de ceux qui agissent auprès des populations dans un but humanitaire et au soutien des migrants aujourd’hui encore en errance sur le sol libyen.

Le conflit oppose une insurrection armée dirigée par le Conseil national de transition à un gouvernement devenu illégitime. Nous devons appuyer et soutenir le CNT, en lui livrant des moyens, y compris militaires, pour se défendre et contre-attaquer. Ce n’est pas à nous de chasser Kadhafi : cela donnerait du grain à moudre à ceux qui taxent cette intervention sous mandat de l’ONU de nouvelle « croisade ». C’est l’une des raisons les plus sérieuses pour lesquelles il est hors de question que le commandement de l’OTAN dirige les opérations.

Évidemment, il ne faut pas négliger le risque de l’enlisement militaire et de la partition de facto du pays. Nous savons quand commence une guerre, nous ne savons jamais comment elle se termine !

La coordination avec la Ligue arabe est indispensable. Si cette dernière sort de la coalition, la question de la légitimité de l’usage de la force devra, bien sûr, être de nouveau posée.

La non-implication des grands pays émergents, des pays africains, de notre partenaire européen le plus solide, c'est-à-dire l’Allemagne, le refus de s’engager des pays de l’ALBA, les prises de position à géométrie variable de la Ligue arabe doivent en effet être pris sérieusement en compte.

Cette intervention ne sera une réussite que si elle respecte scrupuleusement le droit international, y compris celui de la guerre, et les termes de la résolution des Nations unies.

S’il est nécessaire de reconnaître le CNT, il faut aussi admettre que la fiabilité de ses dirigeants peut poser problème. Ce sont le plus souvent d’anciens proches de Kadhafi, tels que l’ancien ministre de l’intérieur, compagnon d’arme du colonel depuis quarante-deux ans, ou l’ancien ministre de la justice, ou encore Mahmoud Jibril Ibrahim al-Wourfalli, ancien ministre du plan et proche du fils de Kadhafi, Saïf al-Islam, chargé des relations avec les firmes et les gouvernements occidentaux.

Vous avez eu raison de pointer la difficulté, l’impossibilité pratique d’identifier des partenaires qui soient expérimentés tout en n’ayant jamais été en relation avec le dictateur. Il n’empêche qu’il faudra probablement veiller à soutenir au moins autant les efforts d’une société civile libyenne désorganisée que ceux des renards expérimentés qui, ayant senti le vent tourner, se seraient reconstitués en quelques semaines une façade présentable.

La France a eu raison de dénoncer la dérive meurtrière du chef de la Jamahiriya – celui-ci, prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, a commis des actes absolument horribles contre son peuple –, mais elle l’a longtemps courtisé pour son pétrole.

J’ai évoqué tout à l'heure la question des ventes d’armes. Je n’ai rien dit du pétrole, ni de l’hypocrisie de l’Union européenne et de ses pays membres, notamment l’Italie et la France, qui en sont conjointement responsables et qui ont érigé la Libye du colonel Kadhafi en vigile de la « forteresse Europe ». La rive nord de la Méditerranée n’a pas hésité à lui donner pour mandat de contenir les arrivées de migrants du continent africain qui tentent de rejoindre l’eldorado européen à partir de la Libye.

Voilà encore un sujet qui devra être abordé sans tabou.

Quelles sont donc, je le répète, les limites de cette opération ?

Il faut que le but politique final affiché soit clairement la constitution d’un gouvernement de transition et la tenue d’élections libres, le maintien de l’intégrité territoriale et la réconciliation sans représailles, d’où qu’elles viennent, entre les populations et les différents territoires de la Libye, ainsi que le démantèlement des structures répressives – milices et garde prétorienne – du régime du dictateur.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, je dispose des cinq minutes que M. Carrère n’a pas utilisées tout à l'heure et qu’il m’a offertes.

M. Jean-Pierre Sueur. M. Carrère est un mutualiste !

M. Aymeri de Montesquiou. Quel galant homme ! (Sourires.)

M. le président. Il aurait été courtois de nous en informer.

Mme Dominique Voynet. Enfin, il est nécessaire qu’aucune modification n’intervienne dans ce délai en ce qui concerne le statut de la propriété et de l’extraction du pétrole, dans aucune partie du sol du pays, et que les compagnies anglaises ou françaises se tiennent à distance respectable de ces gisements.

Monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est probable qu’une majorité de nos concitoyens considèrent aujourd’hui cette intervention comme justifiée.

Toutefois, si nous voulons que cette opération conserve sur la durée le capital de sympathie nécessaire pour que les Libyens eux-mêmes atteignent leurs objectifs, il convient d’en lever les ambiguïtés et de dissiper le halo de suspicion et de défiance né des revirements et volte-face successifs des gouvernements français dans la région.

Monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n'y a pas de guerre juste, il n'y a pas de guerre propre. Devoir faire la guerre, devoir s’y résoudre, relève toujours d’un constat d’échec. Des efforts destinés en amont à désamorcer les crises, à réduire les tensions, n’ont pas été déployés, ou pas à temps : voilà ce qui s’est passé en l’occurrence. Et si nous pouvons convenir avec Rony Brauman que « la guerre n’est pas la solution », aucun de nous – il faut l’admettre – ne pouvait accepter que l’on ne fît rien.

J’apprécie et j’approuve les termes qui ont été employés tout à l'heure par François Fillon, évoquant le drame palestinien et la blessure béante que l’injustice faite aux Palestiniens constitue pour nous tous et pour la paix dans toute la région. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Quand ils commencent, personne ne sait jamais par quelles étapes tortueuses passent les processus révolutionnaires, ni où ils s’achèveront.

Ceux qui sont en cours montrent que les peuples arabes ne sont pas condamnés au choix terrible entre différentes catégories de dictatures. Ils aspirent à la liberté et à la démocratie, que celles-ci s’installent en six mois ou en dix ans.

Notre responsabilité à tous est de sortir de la menace de la guerre des civilisations qui, trop longtemps agitée, nous a réduits à l’impuissance. Après le temps de la guerre viendra celui du dialogue, et je m’en réjouis. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre est la pire des solutions, mais elle est aujourd’hui la seule option. Les trop nombreuses victimes de la répression libyenne nous y obligent. Un immobilisme empreint de compassion aurait abouti au final, sous la pression des opinions publiques, à ajouter la guerre au déshonneur.

La France a été un catalyseur indispensable pour sensibiliser la communauté internationale. Grâce à la détermination du Président de la République et du Gouvernement, notre diplomatie a retrouvé la place qu’elle avait acquise lors du débat aux Nations unies sur l’Irak, en mettant en œuvre la mise en garde de Winston Churchill : « Si on discute indéfiniment sur le passé et le présent, on se rendra vite compte qu’on a perdu l’avenir ».

Nous avons convaincu et mobilisé les membres du Conseil de sécurité pour éviter tout vote négatif. On peut regretter que, dans le cadre de l’Union européenne, l’Allemagne, pour des motifs de politique intérieure, soit si peu allante.

En recevant le Comité national de transition de l’opposition libyenne, le Président de la République a su faire preuve à la fois de hardiesse et de clairvoyance, car la venue de cette délégation a entraîné la caution de la Ligue arabe. Or l’implication de cette dernière et de son secrétaire général, Amr Moussa, fut certainement déterminante.

Néanmoins, déjà, les interrogations affluent. La guerre, certes, mais après ? Et, tout d’abord, quels sont nos objectifs ? En effet, nous ne pouvons nous placer dans l’état d’esprit d’un Clemenceau déclarant : « Je fais la guerre, je fais la guerre, je fais la guerre ».

Dès lors, faisons-nous de l’ingérence humanitaire ? Mais où se trouve la séparation entre cette dernière et la participation à une guerre civile ? Où est la frontière entre la répression d’un peuple et une guerre civile dans laquelle s’affrontent un gouvernement hier légitime et une opposition armée s’appuyant sur les droits de l’homme ?

Hélas, les zones d’exclusion aérienne ne suffiront sans doute pas pour arrêter les affrontements interlibyens et demain, peut-être, intertribaux. Les satellites, les avions d’observation permettront-ils d’empêcher l’infiltration de petits groupes se constituant en forces opérationnelles pour lancer une guérilla urbaine dans laquelle l’aviation devient inopérante ? On en viendra à s’interroger sur les troupes au sol.

Nous devrons certainement nous limiter à la résolution 1973, mais celle-ci permettra-t-elle de stabiliser un pays à l’organisation tribale ? En effet, la Libye risque l’éclatement, avec pour cortège, tout d’abord, un flux de réfugiés que les pays de l’Union européenne se repasseront comme un fardeau dont personne ne voudra, puis le spectre d’un nouveau Somaliland, zone à très haut risque, source d’instabilité politique et économique.

Surtout, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, quand pourrons-nous déclarer la guerre finie et les objectifs atteints ? Quand pourrez-vous annoncer que l’intervention, puis l’état d’alerte auront cessé ?

Est-ce l’ONU qui le décidera ? Oui, sans doute. Ou sera-ce la réticence grandissante de la Ligue arabe ? Peut-être.

Lorsque le président Obama déclare que le colonel Kadhafi doit partir, c’est un peu court. Il faut fournir le mode d’emploi !

Confier la gestion du conflit à l’OTAN, comme certains le proposent, nous priverait du soutien de la Ligue arabe et, vraisemblablement, de la participation active, mais symbolique, de l’aviation du Qatar et des Émirats arabes unis. Pour les opinions arabes, malgré l’appui du Conseil de sécurité, nous nous trouverions dans une position comparable à celle des Américains en Irak.

Bien que ses membres s’interrogent sur leur propre avenir, la Ligue arabe ne pouvait cautionner en Libye un régime dont la brutalité répressive horrifiait le monde.

L’effondrement des régimes tunisien, égyptien et, espérons-le, libyen, les manifestations grandissantes au Yémen, à Oman et à Bahreïn, les tentatives de protestation en Syrie et en Arabie Saoudite montrent que tous ces pays, dont chacun était convaincu de la stabilité, sont en mutation.

À supposer que cette intervention se déroule le moins mal possible – en effet, les aléas sont nombreux, et, comme Talleyrand, n’oublions pas que « le pire est toujours sûr » –, quelles en seront les leçons ?

S’il y a déjà une conclusion à tirer de ce conflit, c’est que la France doit intensifier son dialogue avec la Ligue arabe pour comprendre et accompagner l’évolution des États membres. Il serait illusoire et contre-productif de vouloir plaquer sur ces pays nos critères occidentaux. Ne soyons pas péremptoires, oublions toute arrogance.

La France dispose d’un crédit certain auprès de nombreux pays qui constituent cette ligue. Si les mouvements de libération s’accentuent, nous devrons tenter d’éviter aux populations des répressions brutales.

La Ligue arabe, que certains pouvaient considérer comme un agrégat protéiforme sans axe politique majeur hormis l’hostilité à Israël, apparaît désormais comme un partenaire majeur de notre diplomatie.

Convaincre Israël de cesser son injustifiable et dramatique politique de colonisation, contraire au droit international et contraire, sur le long terme, à ses intérêts propres, serait un moyen de renforcer notre dialogue avec la Ligue arabe et la volonté de cette dernière de collaborer.

De même, nous devons entretenir un dialogue étroit avec l’Union africaine.

Ces deux regroupements sont certainement aujourd’hui à l’aube de nombreux bouleversements, dont nous devons veiller à ce qu’ils ne deviennent pas sanglants.

M. Jean-Louis Carrère. Il faut conclure !

M. Aymeri de Montesquiou. Il s'agit d’une orientation essentielle de notre diplomatie, car, au-delà de la défense de nos valeurs humanitaires, nous ne pouvons faire face militairement à d’autres conflits semblables à celui de la Libye. Si nous ne le pouvons militairement, nous n’en sommes pas davantage capables économiquement.

Une grande partie du pétrole mondial…

M. Jean-Louis Carrère. Le mot est lâché !

M. Aymeri de Montesquiou. … provient de cette zone au fort potentiel conflictuel, et la propagation de l’incendie libyen serait cataclysmique pour l’économie mondiale, avec des conséquences sociales désastreuses. Il est de notre responsabilité de la prévenir et d’accompagner ce printemps arabe où les peuples doivent devenir maîtres de leur destin et choisir le régime politique qui leur convient le mieux.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Aymeri de Montesquiou. Nous devions décider et convaincre, en raison des morts déjà trop nombreux. C’est l’honneur des armes françaises de s’être engagées et du Gouvernement d’avoir rallumé dans le regard des populations la reconnaissance et l’espoir que la France joue le rôle que lui confère l’affirmation de ses valeurs.

Monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, soyez assurés que, tant que l’intervention militaire de la France dans le ciel libyen s’inscrit dans les limites fixées par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, le groupe du RDSE soutiendra votre initiative. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. Jean-Claude Gaudin. Et c’est très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.

Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la répression de la vague démocratique libyenne par le tyran Kadhafi et l’intervention militaire de la communauté internationale qui en résulte sont des événements d’une extrême complexité ; le moment est trop grave pour que nous puissions nous en sortir avec des schémas simplifiés.

Avant d’aborder la question des opérations militaires en cours, vous me permettrez de revenir sur notre position initiale.

Le Parti de gauche s’est prononcé en faveur d’une résolution de l’ONU encadrant les conditions d’une protection de la population. Deux axes de raisonnement nous ont conduits à prendre cette position.

Premièrement, nous partons du constat qu’une véritable vague démocratique a déferlé contre le régime de Kadhafi. Il s’agit d’un soulèvement du peuple libyen contre un régime tyrannique et oligarchique, comme en Tunisie et en Égypte, mais, à l’inverse de ce qui s’est produit dans ces deux pays, en Libye, le pouvoir a décidé de briser la révolution en menant une véritable offensive armée contre son peuple, opération qui a d’ores et déjà entraîné plusieurs centaines de morts et la fuite de plus de 300 000 personnes.

Cette situation confère une responsabilité importante à la communauté internationale. Il est décisif que la vague révolutionnaire ne soit pas brisée en Libye. Il suffirait en effet que Kadhafi l’emporte pour que se propage le message selon lequel le tyran qui tire le plus longtemps et le plus durement sur son peuple pendant une révolution gagne !

Ce serait alors le signal désastreux d’une victoire de la contre-révolution, et donc la fin du « printemps arabe ».

À ce titre, nous sommes attentifs aux événements en cours au Yémen, à Bahreïn, en Jordanie, en Syrie et dans d’autres pays encore.

Le seul point positif à l’heure actuelle réside dans la nouvelle dynamique insufflée aux soulèvements arabes à la suite de cette intervention militaire. Ainsi, la flamme du « printemps arabe » ne s’est pas éteinte en Libye, comme cela aurait été le cas si Kadhafi l’avait emporté.

Deuxièmement, nous sommes partisans d’un ordre international garanti exclusivement par l’ONU. Cette clause juridico-politique est primordiale.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les relations internationales ne s’inscrivaient pas dans ce cadre. Pendant toute la période de la guerre froide, deux blocs se sont affrontés, en faisant fi de l’ONU, jusqu’à la chute du Mur de Berlin.

Après 1989, les États-Unis ont ouvert la voie à un « nouvel ordre mondial » placé sous leur seul leadership. Cette situation a entraîné de nombreuses guerres illégitimes et impérialistes, comme en Irak ou en Afghanistan.

La décision d’intervenir en Libye est complètement différente, puisqu’elle résulte de l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de sa résolution 1973. C’est donc une bonne nouvelle pour les partisans d’un ordre international légitime, et c’est dans cet esprit que nous approuvons le mandat de l’ONU, s’agissant notamment de la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne qui permet tout à la fois de rééquilibrer les forces au profit de la révolution, de protéger les populations civiles et de démontrer au dictateur libyen – ainsi qu’aux autres dictateurs – la volonté de la communauté internationale de ne pas le laisser massacrer la population de son pays en toute impunité.

Cela étant dit, nous déplorons fortement que la communauté internationale pratique le « deux poids, deux mesures ». En effet, aucune décision n’est prise contre les répressions sanglantes à l’œuvre à Bahreïn et au Yémen. Et ne parlons même pas de l’attitude silencieuse de la communauté internationale lorsqu’il s’agit de Gaza ou de coups d’État en Amérique du Sud ! Ce « deux poids, deux mesures » jette un fort discrédit sur toute décision internationale.

De plus, nous ne sommes pas dupes et savons les intérêts qu’ont certains pays à intervenir, comme l’autocratie du Qatar, qui a négocié auprès des puissances occidentales une impunité pour pouvoir réprimer son peuple.

Enfin, nous avons encore en mémoire l’attitude pitoyable et scandaleuse du Gouvernement face aux révolutions tunisienne et égyptienne.

Mme Marie-Agnès Labarre. Cette attitude était dans la continuité de la complicité du Président de la République et de son gouvernement avec ces dictatures, en particulier celle de Kadhafi, qui, il n’y a pas si longtemps, était encore invité à planter sa tente dans les jardins de l’Élysée…

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Marie-Agnès Labarre. Cette attitude a déshonoré la France et aura des conséquences importantes sur nos liens avec les pays du monde arabe.

À l’heure où je parle, le déroulement des opérations commence à être de plus en plus problématique. Depuis le début, nous regrettons que cette intervention militaire soit menée presque uniquement par des puissances de l’OTAN, de surcroît anciennes puissances coloniales. Il aurait été préférable que la Tunisie et l’Égypte soient davantage associées.

Surtout, nous nous opposons très fortement aux pressions actuelles pour donner le commandement des opérations à l’OTAN. En effet, notre opposition est totale quant à l’intervention directe de l’OTAN, que ce soit à l’échelon des structures de commandement ou à celui de la planification des opérations.

Par ailleurs, si nous soutenons la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne, nous estimons qu’il ne faut pas aller plus loin dans le soutien militaire aux insurgés. Il faut limiter les frappes aériennes à la stricte mise en place de la zone d’exclusion aérienne et ne pas procéder à d’autres opérations militaires aéroportées ou de débarquement, quand bien même ces opérations ne sont pas expressément exclues par la résolution de l’ONU. Ainsi, nous sommes frontalement opposés à tout déploiement d’une force d’occupation étrangère, sous quelque forme que ce soit.

De plus, nous exigeons du Gouvernement qu’au-delà de la séance d’aujourd'hui il nous tienne informés, en tant que membres de la représentation nationale, du déroulement des opérations sur place.

À ce titre, nous déplorons l’absence de vote au Parlement sur la participation de la France à l’intervention militaire.