M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. L’autorisation d’aménager, la déclaration préalable et le permis de construire sont des documents d’urbanisme, qui doivent bien évidemment respecter les prescriptions.

Je répète donc l’argument que j’ai avancé tout à l’heure : dans les zones où sont actuellement implantés des commerces des quatre catégories, comment ferez-vous demain, en cas de vente, pour maintenir l’autorisation d’un commerce existant alors même qu’il n’est pas prévu dans la future typologie dans la zone en question ? Cela sera rigoureusement impossible ! Les collectivités locales seront donc confrontées à un véritable problème.

Enfin, M. le rapporteur nous a lu des extraits de la lettre envoyée par M. Berardis. Je voudrais vous donner lecture d’autres paragraphes de ce courrier, qui ne vont pas tout à fait dans le même sens : « La détermination de catégories de commerces pouvant s’implanter dans certaines zones périphériques répondait à la nécessité d’éviter un type de pratique très répandu consistant à demander dans une zone périphérique une autorisation pour un type d’enseigne n’entraînant que peu de difficultés, par exemple une jardinerie, » avant de demander un changement d’affectation. Mais ce n’est pas ce qui est prévu dans le texte : il ne vise pas uniquement les transferts, mais bien « tout type d’implantation » !

M. Berardis ajoute que, si telle est bien l’interprétation qu’il faut faire du texte, il faudrait qu’elle soit précisée dans la proposition de loi. Dans le cas contraire, il y serait défavorable. C'est la raison pour laquelle je reste convaincu que ce texte ne règle pas le problème avec Bruxelles. Je serai donc favorable aux amendements nos 96 rectifié et 93 rectifié bis, qui, comme l’amendement n° 107 du Gouvernement, tendent à supprimer l’alinéa 11.

Sur les amendements nos 51, 74 rectifié bis, 9, 40 rectifié et 77 rectifié, qui concernent les seuils, le Gouvernement a émis un avis défavorable, pour deux raisons.

D’une part, Bruxelles refusera une diminution du seuil. M. Berardis a précisé : « Concernant la demande de certains parlementaires d’abaisser à 300 mètres carrés le seuil au-delà duquel des restrictions peuvent être imposées, nous vous avons indiqué qu’il serait très difficile de justifier la proportionnalité de restrictions à l’établissement de surfaces commerciales de 300 mètres carrés. »

D’autre part, ne pensez pas que nous aurons ainsi trouvé une martingale ! Je le répète, entre 1996 et l’entrée en vigueur de la LME, le seuil était de 300 mètres carrés et pourtant nous avions, comme aujourd'hui, 4 millions de mètres carrés de surfaces commerciales. Le passage du seuil de 300 à 1 000 mètres carrés n’a rien changé : l’explosion des surfaces commerciales a bien eu lieu. L’abaissement du seuil a été testé pendant dix ans et cela n’a rien donné !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Dominique Braye, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'État, je ne me battrai pas avec vous sur l’interprétation qu’il convient de faire de la lettre de M. Berardis : selon les extraits que l’on retient, chacun a pu le constater, on y trouve ce qu’on y cherche…

Je crois plus intéressant de vous inviter à relire les alinéas 6 et 7 de l’article 1er : ils font clairement apparaître que « la localisation préférentielle des commerces en fonction de la typologie définie au IV » permet de « répondre aux exigences d’aménagement du territoire ». Autrement dit, contrairement à ce que vous prétendez, c’est bel et bien écrit dans notre texte, que vous auriez peut-être dû examiner avec plus d’attention.

Quoi qu'il en soit, tout le monde sait qu’il y a des enseignes qui attirent énormément de monde et auxquelles, de ce fait, d’autres viennent nécessairement s’agréger. C’est ainsi que l’on trouve, à côté d’un gros magasin de bricolage, une jardinerie, un Lapeyre, etc. Ce n’est peut-être pas le cas à Nantes, mais, en général, ces commerces-là ne sont pas implantés en centre-ville, et l’on comprend bien pourquoi.

En revanche, cher Philippe Dominati, l’équipement de la maison, la vente de vêtements ou de produits de beauté relèvent à l’évidence de l’activité du centre-ville : dès lors, il faut sans doute limiter l’implantation de ces commerces en périphérie, de façon qu’ils contribuent à l’animation du centre-ville. D’ailleurs, la lettre de M. Berardis le souligne bien : il s’agit d’un moyen très important d’aménagement du territoire. Or ce qui nous motive, c’est précisément l’aménagement du territoire et la préservation des centres-villes.

J’ajouterai deux remarques.

Tout d’abord, la typologie ne s’applique qu’au-delà de 1 000 mètres carrés et en périphérie. Les petits commerçants ne seront nullement touchés et, lorsqu’ils prendront leur retraite, contrairement à ce que j’ai pu entendre, leurs ressources ne seront pas amputées. Je veux bien que l’on fasse pleurer dans les chaumières en disant que les commerçants retraités n’auront plus un sou, mais, je le dis solennellement devant la Haute Assemblée : les transferts de baux sont assurés. Les petits commerçants de centre-ville auront même encore plus de facilité à céder leur fonds puisqu’il y aura une totale liberté.

Ensuite, si nous avons effectivement identifié quatre types de commerces, sachez qu’une cinquième catégorie englobe tous les autres et que les pharmacies ou les commerces de véhicules automobiles sont visés dans certains articles. Pour ces commerces-là, ce sont les dispositions générales qui s’appliquent.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 73 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 52.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Merceron, pour explication de vote sur l'amendement n° 87 rectifié bis.

M. Jean-Claude Merceron. Je veux dire à M. le rapporteur que mon amendement vise bien à modifier aussi les alinéas 6 et 10 : il l’a donc mal lu.

Je note par ailleurs que M. le secrétaire d’État a beaucoup parlé de prescriptions et non de conditions. Le terme de « prescriptions » me semble en effet plus approprié.

Cela étant, je n’insiste pas et je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° 87 rectifié bis est retiré.

La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote sur l'amendement n° 109.

M. François Patriat. On nous explique qu’il faut choisir entre typologie et seuil et que celle-là serait une sorte de Graal tandis que celui-ci signerait l’échec permanent ! Or le système du seuil a au contraire montré son efficacité.

J’ai entendu le vibrant plaidoyer de M. Braye en faveur de la typologie, mais, si elle n’est pas appliquée à toutes les grandes surfaces, elle aura des effets pervers, notamment en ne permettant pas de lutter contre les situations de monopole.

Compte tenu du refus de revenir sur le seuil de 1 000 mètres carrés, nous ne pouvons soutenir la position du Gouvernement, mais nous ne nous y opposerons pas non plus, étant entendu que nos préoccupations sont beaucoup plus proches de celles de M. Mézard, dont nous voterons les amendements.

Le groupe socialiste s’abstiendra donc sur l’amendement n° 109.

M. le président. La parole est à M. Michel Houel, pour explication de vote.

M. Michel Houel. Je regrette sincèrement que ne siègent pas dans notre assemblée les principaux intéressés, à savoir ceux qui investissent, ceux qui créent des emplois grâce à l’implantation de leur commerce en centre-ville ou en périphérie.

M. Roland Courteau. Ils n’ont qu’à se présenter aux élections sénatoriales !

M. Michel Houel. En effet, la typologie est une nouvelle contrainte qui leur est imposée.

Pour ma part, je suis tout à fait d’accord avec le Gouvernement : nous n’avons nul besoin de typologie. C’est au commerçant lui-même de choisir le meilleur emplacement pour s’installer.

Mettez-vous à la place d’un maire sur le territoire duquel se trouve une friche commerciale. Face à une demande d’implantation d’une entreprise de meubles, va-t-il répondre : « Je ne peux pas accepter votre enseigne, car seules des concessionnaires automobiles peuvent s’installer dans ce secteur » ? Ne croyez-vous pas que ce maire trouvera une astuce pour passer outre cette législation, car il préférera voir cette surface occupée plutôt que vide de toute activité ?

Voilà pourquoi je soutiens l’amendement du Gouvernement, qui défend la liberté du commerce.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, pour explication de vote.

M. Gérard Cornu. Avec la typologie, nous sommes au cœur du débat.

Je comprends que puisse être ébranlée la sensibilité libérale de certains, qui pensent que la liberté du commerce ne doit pas être limitée. Mais il faut savoir ce que l’on veut, mes chers collègues !

Notre préoccupation – je pense qu’elle est largement partagée ici – est de défendre les centres-villes et les centralités urbaines, et donc de soutenir le commerce de proximité. À partir de là, notre souci doit être d’offrir aux maires un outil adéquat.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Très bien !

M. Gérard Cornu. Moi, j’ai tendance à faire confiance aux élus locaux : cet outil, chaque maire pourra l’utiliser ou non. Le sort des commerces de proximité de sa ville sera entre ses mains ; il ne pourra pas venir dire ensuite : « Le commerce de proximité meurt en centre-ville, et je n’y peux rien ! » Dorénavant, il disposera de l’outil nécessaire pour le maintenir envers et contre tout.

Bien sûr, on peut aussi considérer que la liberté du commerce doit être totale sur l’ensemble du territoire. Cependant, en tant qu’élus locaux, nous devons nous préoccuper de l’aménagement du territoire, ce qui implique de défendre le commerce de proximité dans nos centres-villes et nos centralités urbaines.

Faisons donc confiance aux élus locaux pour utiliser cet outil à bon escient. C’est la raison pour laquelle, avec la majeure partie du groupe de l’UMP, et, je l’espère, l’ensemble de la commission, je suivrai la position du rapporteur.

M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. Je suis également opposé à cet amendement.

J’ai entendu M. le secrétaire d’État mentionner les inconvénients du dispositif proposé par la commission. J’ai moi-même indiqué ce matin, au cours de la discussion générale, que cette typologie me dérangeait dans la mesure où elle ne pouvait pas être absolument exhaustive ; ainsi, je ne sais pas où placer les services à la personne.

Mais je crois qu’il faut effectivement se poser la question suivante : que voulons-nous, au fond, pour nos communes ? Nous voulons des commerces de proximité dans nos centralités urbaines. Nous voulons qu’il s’en installe et surtout qu’ils soient pérennes. Or accepter que ceux-ci subissent une concurrence en périphérie, c’est admettre implicitement l’absence de pérennité.

Je l’ai dit à M. le rapporteur et à M. le président de la commission, cette typologie est, compte tenu du droit en vigueur, la seule possibilité de faire quelque chose en faveur des commerces de proximité.

M. Dominique Braye, rapporteur. Bien sûr !

M. André Reichardt. Si les seuils avaient été utiles, pardonnez-moi, monsieur Patriat, cela se saurait ! Nous avons déjà eu un seuil de 300 mètres carrés : il n’a servi à rien ! Il n’y a donc aucune raison d’y revenir.

Enfin, on ne l’a pas suffisamment dit, c’est une simple possibilité qui est ouverte de faire figurer une typologie dans le DAC. Les élus qui ne le voudront pas ne le feront pas.

Je le répète, le dispositif de la commission est la seule possibilité de s’opposer à la mort du petit commerce en centre-ville et d’offrir un cadre de décision aux élus. Que demander de plus ?

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.

Mme Isabelle Pasquet. L’amendement n° 109 vise à remettre en cause l’une des principales dispositions du texte, qui permet de maintenir de façon subtile un levier d’action en termes qualitatifs afin que l’urbanisme commercial ne se traduise pas par une guerre entre des commerces d’une même nature sur un territoire, guerre qui ne pourrait que nuire à la variété de l’offre commerciale.

Si l’on peut comprendre l’intérêt qu’il y a à intégrer toute la législation relative à l’urbanisme commercial dans le code de l’urbanisme, il semble toutefois délicat de vouloir parler de régulation de l’urbanisme commercial sans évoquer à aucun moment la nature des commerces, au nom de la sacro-sainte liberté d’établissement promue par l’Union européenne.

La liberté, au sens de l’Union européenne, c’est celle qui ne doit jamais trouver de limites, celle qui favorise la compétition sauvage, et bien souvent destructrice. Même le commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, Michel Barnier, a explicitement remis en cause dans cette enceinte ce dogme de l’ultralibéralisme, qu’il a défini comme une « caricature de libéralisme », ayant pour corollaire une « autorégulation des marchés » à laquelle il ne croit pas.

De ce point de vue, je tiens à saluer l’initiative de Dominique Braye, qui a introduit cette disposition dans le texte.

Contrairement à ce que dit le Gouvernement, il ne s’agit pas de rigidifier les documents de planification ou de porter un coup fatal à la concurrence, ce qui aurait prétendument des conséquences néfastes sur le pouvoir d’achat ; il s’agit de garantir un minimum d’harmonie et de diversité dans les produits vendus dans les zones d’implantation commerciale.

Nous voterons donc contre cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.

M. Philippe Dominati. Avant toute chose, je voudrais souligner que ce débat a été très utile. Nous sommes en effet arrivés ce matin avec un certain nombre de certitudes et les arguments qui ont été avancés par les uns et par les autres, le Gouvernement ayant plus particulièrement insisté sur les aspects techniques, ont incontestablement apporté un nouvel éclairage.

Je ne voudrais pas donner le sentiment à M. le rapporteur, qui intervient avec passion, comme chaque fois qu’il rapporte un texte, que ma position est purement théorique. Et qu’il veuille bien croire que je ne suis pas isolé. Au demeurant, il ne l’est pas non plus : notre collègue communiste vient de lui apporter son soutien. S’agissant de la liberté du commerce, ce rapprochement est d’ailleurs pour le moins curieux et je comprends donc la gêne qu’il peut en retirer…

Quoi qu'il en soit, je le répète, ce débat a été utile parce qu’il a permis de montrer une vision de l’avenir du commerce. C’est une évolution qui se produit ailleurs. Peut-être n’y sommes-nous pas encore prêts, et je le regrette. Cela étant, à la vérité, je crois que, chez nous, cette évolution a déjà commencé dans les faits et que la typologie proposée ne correspond pas au commerce contemporain.

Si ma position n’est pas strictement théorique, monsieur le rapporteur, c’est parce que j’ai été commerçant, que j’ai ouvert des commerces dans des centres-villes ; et ce n’était pas à Paris, mais dans des villes moyennes ou petites. Par ces dispositions, vous établissez des contraintes, vous entravez la liberté du commerce.

D'ailleurs, je ne comprends pas mon ami Gérard Cornu lorsqu’il en appelle à la liberté des élus. Ma vision des élus est bien plus libérale que la sienne ! En l’occurrence, c’est le Gouvernement qui a raison en défendant la liberté quand vous voulez imposer des règlements et sectoriser.

Le débat est ouvert et il va mûrir : c’est une question de temps. Ni vous, monsieur le rapporteur, ni moi ne sommes isolés. Pour l’heure, je soutiendrai évidemment l’amendement du Gouvernement. S’il n’est pas adopté, nous reprendrons ce combat plus tard.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 109.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que l'avis de celle-ci est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 176 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 205
Majorité absolue des suffrages exprimés 103
Pour l’adoption 2
Contre 203

Le Sénat n'a pas adopté.

La parole est à M. Dominati, pour explication de vote sur l'amendement n° 96 rectifié.

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, cet amendement ayant le même objet que l’amendement qui vient d’être rejeté par scrutin public, je le retire.

M. le président. L'amendement n° 96 rectifié est retiré.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Monsieur le président, dès lors que l'amendement n° 109 a été rejeté par le Sénat, le Gouvernement ne croit pas utile de maintenir les amendements nos 108 et 107.

M. le président. Les amendements nos 108 et 107 sont retirés.

Je mets aux voix l'amendement n° 93 rectifié bis.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Je rappelle que la commission a émis un avis défavorable et le Gouvernement, un avis favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 177 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 338
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l’adoption 133
Contre 205

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix l'amendement n° 51.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. Jean-Claude Merceron. Je retire l'amendement n° 74 rectifié bis, monsieur le président !

M. le président. L'amendement n° 74 rectifié bis est retiré.

M. Michel Houel. Je retire l'amendement n° 40 rectifié, monsieur le président !

M. le président. L'amendement n° 40 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. Jean-Claude Merceron. Je retire l'amendement n° 77 rectifié !

M. le président. L'amendement n° 77 rectifié est retiré.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures pour l’examen d’une proposition de résolution, avant de revenir à la discussion de la présente proposition de loi.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article 1er (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'urbanisme commercial
Discussion générale

4

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait connaître qu’elle a d’ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu’elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au prix du livre numérique, actuellement en cours d’examen.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu ultérieurement lorsque le Gouvernement formulera effectivement sa demande.

5

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la mise en conformité du droit français concernant le régime des astreintes et le système de forfaits en jours sur l'année considérés par le Comité Européen des Droits Sociaux comme violant différentes dispositions de la charte sociale européenne révisée
Discussion générale (fin)

Régime des astreintes et système de forfaits en jours

Rejet d'une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution par Mme Annie David et les membres du groupe CRC-SPG, relative à la mise en conformité du droit français concernant le régime des astreintes et le système de forfaits en jours sur l’année, considérés par le Comité européen des droits sociaux comme violant différentes dispositions de la Charte sociale européenne révisée (proposition n° 328 rectifié).

La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la proposition de résolution.

M. Guy Fischer, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des affaires européennes, mes chers collègues, je commencerai par vous rappeler que la Charte sociale européenne est un traité du Conseil de l’Europe qui sauvegarde les droits sociaux et économiques de l’homme.

Adoptée en 1961, ratifiée par la France en 1973 et révisée en 1996, cette charte vise, selon ses propres termes, à garantir les droits sociaux et économiques de l’homme en énonçant des droits et des libertés qu’un processus particulier de contrôle est censé garantir.

Ce contrôle a été confié au Comité européen des droits sociaux, dont la fonction est de statuer en droit sur la conformité des situations nationales avec la Charte sociale européenne, le protocole additionnel de 1988 et la Charte sociale européenne révisée. Il peut prendre deux formes différentes : une procédure de contrôle sur la base de rapports nationaux, mais aussi – et c’est de cela dont il s’agit dans cette proposition de résolution – une procédure dite de « réclamation ». Celles-ci peuvent être engagées par les organisations non gouvernementales dotées du statut participatif auprès du Conseil de l’Europe et inscrites sur une liste établie à cette fin par le Comité gouvernemental, la Confédération européenne des syndicats, l’Organisation internationale des employeurs ou encore les organisations d’employeurs et les syndicats de l’État concerné.

La procédure de réclamation se déroule ainsi : la réclamation déposée par un acteur habilité est examinée par le Comité qui, si les conditions de forme sont remplies, décide de sa recevabilité. Une fois la réclamation déclarée recevable, une procédure écrite se déroule avec échange de mémoires entre les parties, le Comité pouvant décider, s’il l’estime nécessaire, de procéder à des auditions publiques.

À l’issue de ce parcours, le Comité adopte une décision, appelée « décision sur le bien-fondé de la réclamation », qu’il communique aux parties ainsi qu’au Comité des ministres.

C’est à l’issue de cette procédure que, dans sa décision sur le bien-fondé en date du 23 juin 2010, le Comité européen des droits sociaux a considéré que notre législation en matière de temps de travail et, plus spécifiquement, la règle des forfaits annuels en jours ainsi que celle relative aux astreintes n’étaient pas conformes à la Charte sociale européenne révisée.

Je le sais, dans notre pays, la question de la durée hebdomadaire du temps de travail n’a cessé de faire l’objet d’une polémique entre, d’une part, ceux qui attaquent et dénoncent les mesures de réduction du temps de travail, sans d’ailleurs jamais les remettre en cause, et, d’autre part, ceux qui, comme moi, se réjouissent que l’on ait permis à l’immense majorité des salariés de disposer de plus de temps libre.

Les Français, ceux qui, pour reprendre la formule présidentielle, « se lèvent tôt pour travailler », ceux qui connaissent les conséquences de leur activité professionnelle sur leur état de santé ou sur leur espérance de vie, ne s’y trompent d’ailleurs pas. Ils restent très majoritairement favorables aux 35 heures.

Selon un sondage réalisé par l’institut Harris Interactive pour le compte du journal L’Humanité et publié le 7 janvier dernier, 56 % des personnes intéressées se déclarent opposées à une mesure législative ayant pour effet de retourner aux 39 heures. Et pour cause !

On apprend en effet dans ce sondage très instructif que 55 % des personnes sondées estiment que cela entraînerait une détérioration de leurs conditions de travail. Des conditions qui sont déjà dégradées au point que, dans notre pays, les troubles musculo-squelettiques, les TMS, représentent plus de 70 % des maladies professionnelles reconnues. Selon les données de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, un total de 8,4 millions de journées de travail est perdu chaque année à cause des TMS, ce qui génère un coût social de 847 millions d’euros par an !

Et c’est sans compter les conséquences financières de l’explosion du mal-être au travail, les fameux troubles psycho-sociaux également dus au travail.

Qu’il s’agisse de conséquences physiques ou psychiques, les cadences de travail accrues, la pression permanente qui pèse sur les salariés, le chantage à la délocalisation ou au licenciement et certaines organisations du travail ou du management pèsent sur la santé des salariés, comme la mission d’information sur le mal-être au travail, créée par la commission des affaires sociales de notre Haute Assemblée, l’a bien démontré.

Toujours selon ce sondage, 63 % des personnes interrogées estiment convenable la durée hebdomadaire de travail des salariés français. Un constat que ne partage pas l’actuel secrétaire général de l’UMP M. Jean-François Copé qui, en visite à Beaune le 8 décembre 2010, déclarait : « Les Français ne travaillent pas assez. Nous ne tiendrons pas le coup si nous ne remettons pas en cause les 35 heures ! »

Ce discours bien connu, parfaitement rodé, au point de faire presque autorité, est celui que porte le patronat. À tel point qu’en janvier dernier Mme Laurence Parisot n’hésitait pas à déclarer : « Ne pas voir que la durée du travail a un effet sur la compétitivité dans notre pays, c’est refuser de voir la réalité en face. » Cette déclaration faisait suite à la remise, la veille, d’un rapport commandé par M. Éric Besson à l’institut économique COE-REXECODE, connu pour sa proximité d’avec le MEDEF, rapport qui expliquait que « La France est moins compétitive que l’Allemagne car le coût du travail y est plus élevé », allant jusqu’à préconiser de supprimer l’horaire légal de travail.

Au demeurant, cette préconisation, les gouvernements de droite ont déjà commencé à la concrétiser, et ce dès 2003, mais j’y reviendrai plus longuement tout à l'heure.

Or cette analyse est, nous le savons aujourd’hui, erronée. Elle reposait à la fois sur une erreur matérielle quant au calcul du coût du travail en France et sur un postulat dogmatique : le travail serait trop cher dans notre pays.

Il faut dire que cette explication a le double « mérite » de justifier la désindustrialisation de notre pays sans avoir à réfléchir sur le rôle toxique des actionnaires sur l’économie et de permettre l’obtention de réductions ou d’atténuations de cotisations sociales qui ne servent, au final, qu’à accroître la rentabilité, au seul bénéfice des actionnaires.

La réalité est tout autre et le président-directeur général de Bosch – entreprise qui possède d’ailleurs un établissement à Vénissieux –l’a confirmé lors de son audition récente par la commission des affaires économiques du Sénat : les salariés outre-Rhin lui coûtent plus cher que les salariés français !

Si vous attaquez à ce point les 35 heures, c’est que vous espérez obtenir en échange des réductions artificielles et non justifiées du coût du travail, afin de servir les seuls intérêts du capital et des actionnaires.

Car, n’en doutons pas, les économies ainsi réalisées n’iront pas à l’amélioration des outils de production ni au renforcement des sommes dédiées à la recherche et au développement. Elles n’iront pas non plus aux salaires puisqu’elles n’auront qu’une finalité : l’accroissement des dividendes versés aux actionnaires, lesquels ont déjà profité, cette année, d’une explosion de leur rémunération.

Par ailleurs, on l’a vu lors du débat sur les retraites, l’idée que les progrès techniques, l’augmentation continue de la productivité et le partage des richesses puissent servir au progrès social vous est insupportable.

Les 35 heures, parce qu’elles ont pour fonction première de réduire le temps consacré au travail, au profit d’activités « non productives », vous insupportent. C’est d’ailleurs pourquoi, méthodiquement, loi après loi, vous n’avez eu de cesse de tenter de réduire la portée de cette avancée sociale.

Initialement limité aux cadres intermédiaires, le forfait annuel en jours, qui constitue un système particulier de rémunération, sans référence horaire et sans durée maximale hebdomadaire de travail, est aujourd’hui progressivement devenu applicable à tous les salariés.

En 2000, nous avions voté contre cette disposition, considérant que, avec la suppression des bornes horaires journalières et hebdomadaires, disparaissaient certaines protections collectives importantes. Pour autant, nous convions bien que le cadre législatif de l’époque devait pouvoir évoluer pour tenir compte de l’autonomie propre à l’activité professionnelle des cadres, tout en leur permettant, à eux aussi, de bénéficier, des effets positifs de la loi sur la réduction du temps de travail.

Force est de constater que, dans bien des cas, les entreprises n’ont pas respecté leurs engagements. Elles ont vu dans cette législation le moyen d’imposer aux cadres, au nom de leur autonomie, des amplitudes journalières de travail très importantes, tout en leur imposant les règles applicables aux salariés non-cadres.

Je pense particulièrement aux horaires collectifs de début de journée et à un cas précis dans la grande distribution de l’ameublement et du bricolage, où un cadre autonome fut licencié pour non-respect des horaires de début de poste, alors même que son appartenance à la catégorie des cadres autonomes, couplée à l’existence d’une convention de forfait annuel en jours, était de nature à lui laisser une certaine latitude quant aux horaires imposés aux salariés non-cadres. La chambre sociale de la Cour de cassation lui a donné raison dans un arrêt rendu le 15 novembre 2006, ce qui n’a toutefois pas empêché son licenciement.

Je pense encore aux difficultés que rencontrent aujourd’hui les salariés, cadres ou non-cadres, pour obtenir de leurs employeurs le paiement dû en cas de dépassement du nombre de jours de travail prévu par la convention.

Monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir que la jurisprudence joue actuellement contre les salariés concernés puisque les juges de la Cour de cassation, comblant un vide juridique actuel, appliquent à ces contentieux la même règle que celle qui est relative à la preuve du dépassement des heures supplémentaires, à savoir le partage de la preuve. C’est ce que montre cette affaire dans laquelle un ingénieur commercial export ayant conclu une convention de forfait en jours sur l’année avec son employeur avançait le dépassement de son forfait de 215 jours pour demander le paiement de jours complémentaires. La Cour de cassation, dans son arrêt en date du 23 septembre 2009, a statué en ces termes : « La preuve n’incombe spécialement à aucune des parties, et le juge ne peut, pour rejeter une demande de paiement de jours travaillés, se fonder sur l’insuffisance des preuves apportées par le salarié mais doit examiner les éléments de nature à justifier les jours effectivement travaillés par le salarié et que l’employeur est tenu de lui fournir. » Au final, ce salarié a obtenu gain de cause, mais c’est rarement le cas, ne serait-ce que parce qu’il est plus difficile pour un salarié que pour son employeur de faire la démonstration de son travail effectif.

Si la situation est complexe pour les cadres, qui sont protégés, en quelque sorte, par leur autonomie dans l’exécution de leurs tâches, que dire de la situation des cadres intégrés, voire des salariés dans leur ensemble ? Car la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi, dite « loi Fillon 2 », et celle du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, que certains appellent la « loi Bertrand », ont toutes deux eu pour effet d’étendre le forfait annuel en jours à des salariés qui, jusqu’alors, n’étaient pas concernés.

Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur la manière dont, méprisant les partenaires sociaux, vous avez imposé, dans la loi de 2008, un titre II relatif au temps de travail, non contenu dans l’accord national interprofessionnel que votre projet de loi était censé transposer.

Il n’en demeure pas moins que, pour beaucoup d’observateurs, cette loi est, en quelque sorte, une loi de revanche. En effet, si vous avez pris grand soin de ne pas supprimer directement les 35 heures, vous avez permis, en étendant les forfaits annuels en jours à tous les salariés, qu’il puisse ne plus être fait référence à cette durée légale. Et, pour ce faire, vous n’avez pas hésité à bouleverser la hiérarchie des normes entre la loi, les accords de branche et les accords d’entreprise.

En effet, la loi de 2008 donne, pour les règles régissant l’organisation du travail et la fixation du salaire, la priorité aux accords entre employeurs et salariés. Comme le souligne M. Marc Véricel, professeur de droit privé à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne, « le bouleversement est d’autant plus significatif que le rôle prioritaire est accordé, d’abord, aux accords négociés dans les entreprises et, ensuite seulement, à ceux qui sont conclus au niveau des branches d’activité et que le salarié se voit conférer la possibilité de renoncer lui-même à toutes dispositions protectrices légales ou conventionnelles dans plusieurs cas ».

Autrement dit, la loi de 2008 poursuit le processus de dérégulation de la législation relative au temps de travail.

Monsieur le ministre, depuis plus d’une décennie, votre majorité a totalement débordé la loi instaurant les 35 heures, au point qu’aujourd’hui plus de 10 % des salariés, toutes professions confondues, sont assujettis aux forfaits annuels en jours.

La loi de 2008 présente de très nombreux avantages… Mais pour qui ? Pour les employeurs ! Parce qu’il n’est plus fait référence à une durée hebdomadaire de travail, les employeurs ne sont plus tenus, pour les salariés soumis aux forfaits annuels en jours, au paiement des heures supplémentaires, ce qui leur permet de réaliser de belles économies. Le slogan présidentiel « travailler plus pour gagner plus » est ici profondément contredit puisque les heures de travail excédant la durée journalière légale de huit heures ne déclenchent le droit à aucune majoration de salaire, à aucun paiement d’heures supplémentaires.

Avec cette disposition, l’employeur dispose de la possibilité d’imposer des journées toujours plus longues au salarié, même si cela doit nuire à sa santé, et ce sans avoir à payer les majorations dont il aurait dû s’acquitter si le salarié ne relevait pas du régime du forfait annuel en jours. Le rythme de travail du salarié devient ainsi la seule variable d’ajustement de l’activité de l’entreprise, avec les conséquences sanitaires, sociales et familiales que l’on devine.

Le Comité européen des droits sociaux n’a eu de cesse de dénoncer cette situation : en 2000, alors que ce système ne s’adressait qu’à certaines catégories de cadres, en 2003, alors que votre majorité avait étendu les forfaits annuels en jours à l’ensemble des cadres, ou encore en 2009, après que l’article 19 de votre loi eut étendu ce forfait à tous les salariés « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées ». Cette formulation, des plus floues, prépare sans doute une nouvelle extension !

Or, si le Comité européen des droits sociaux a rappelé son opposition à ce système, c’est qu’il considère que ce dernier viole l’article 2, alinéa 1, et l’article 4, alinéa 2, de la Charte sociale européenne révisée, qui garantit le droit pour les salariés à ne pas travailler au-delà d’une « durée raisonnable », ainsi que le « droit à une rémunération équitable ». Convenez, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il s’agit là de principes importants, je dirai même fondamentaux.

C’est cette conviction qui nous a conduits à déposer cette proposition de résolution, considérant qu’il appartenait au Gouvernement de tout mettre en œuvre pour que notre législation soit, enfin, conforme à la Charte sociale européenne révisée de 1961, que notre pays a ratifiée le 9 mars 1973.

Les principes contenus dans cette charte qui constituent la protection minimale des salariés européens ne peuvent continuer à être violés par l’un des pays fondateurs de l’Union européenne. Les désirs du MEDEF quant à la réduction du coût du travail ou à l’amoindrissement des protections collectives des salariés, à commencer par les horaires collectifs de prises et de fins de fonctions, ne peuvent avoir pour conséquence de dégrader la santé des salariés.