Mme la présidente. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le premier projet de loi de finances rectificative pour 2011 relève d’un tout autre état d’esprit que les nombreux projets de loi de finances déposés en 2009 et en 2010.

En effet, alors que la réponse à la crise économique et financière constituait le fil conducteur de la démarche d’ajustement budgétaire engagée ces deux dernières années, c’est désormais la fiscalité du patrimoine qui est au cœur des préoccupations gouvernementales. La crise serait-elle donc un mauvais souvenir ? Non, assurément, si l’on écoute la plupart des économistes ou si l’on se réfère aux déclarations alarmistes et aux engagements vertueux entendus dans cet hémicycle lors du débat sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques. Au reste, le rapporteur général de la commission des finances vient de nous rappeler à quel point la situation était inquiétante.

À l’évidence, les déclarations solennelles du Gouvernement en matière de vertu budgétaire auraient dû trouver leur traduction immédiate dans ce premier PLFR pour 2011. Tel n’est pas le cas, hélas !

Derrière le rideau de fumée que constitue la suppression du bouclier fiscal, la majorité persévère dans sa désastreuse politique de diminution des recettes fiscales de la France. À moins d’un an de l’élection présidentielle, le Gouvernement va en effet achever son mandat comme il l’avait commencé : en octroyant un beau cadeau fiscal aux Français les plus aisés, à travers une diminution de 1,8 milliard d’euros du montant total perçu au titre de l’ISF.

Manifestement, cette réforme de l’impôt sur le patrimoine s’inscrit dans une stratégie fiscale inchangée. De la création du bouclier fiscal, au début du quinquennat, à la quasi-disparition de l’ISF, en fin de législature, le mandat présidentiel aura donc été un très bon cru pour les plus fortunés. (Ah oui ! sur les travées du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. François Marc. Durant cinq ans, la roue de la fortune aura systématiquement tourné dans le même sens et au profit des mêmes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Bien vu !

M. François Marc. Le bouclier fiscal va certes être supprimé.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas tout de suite !

M. François Marc. Nous ne pouvons que nous en réjouir, puisque nous avons réclamé l’abrogation de ce dispositif dès sa création. Toutefois, il s’agit simplement, pour le Président Sarkozy et sa majorité, de se débarrasser d’un symbole encombrant, qui était d’ailleurs honni jusque dans les rangs de leur électorat traditionnel. Ce tour de passe-passe fiscal, que d’aucuns qualifient de subterfuge électoral, ne peut masquer l’échec total d’une politique fiscale, qui, en diminuant les recettes, a plongé le budget de la France dans un état calamiteux, tel que nous n’en avions jamais connu auparavant.

Je m’efforcerai donc de vous démontrer à quel point cette politique en matière de recettes a été désastreuse pour la France et, par voie de conséquence, de vous convaincre de la nécessité de rejeter le projet de loi de finances rectificative.

On nous a souvent expliqué, dans cet hémicycle, que les dispositifs fiscaux instaurés par la droite depuis 2002, et plus encore depuis 2007, visaient à « libérer le travail », à « alléger la charge des entreprises » et à « stimuler l’initiative et l’investissement ». Le caractère vertueux de cette démarche d’essence libérale devait se traduire par une dynamique nouvelle de création de richesse et de relance de l’emploi salarié, sans oublier le retour au bercail des expatriés fiscaux.

M. Guy Fischer. Combien ?

M. François Marc. Pierre angulaire de cet édifice, la loi TEPA du 21 août 2007 illustrait la volonté politique de la présidence Sarkozy. Qu’on se souvienne des arguments qui ont alors été avancés ! Il fallait mettre fin à ce que le Gouvernement appelait à loisir une « fiscalité confiscatoire » ; le paquet fiscal était censé créer un « choc de confiance » afin de retrouver le chemin de la croissance. Le Gouvernement faisait ainsi le pari que ce « cocktail gagnant », comme il a été qualifié dans cet hémicycle, permettrait à la fois de financer l’ensemble des mesures annoncées et d’assainir les finances publiques.

Quatre plus tard, ce pari a-t-il été remporté ? Telle est la question que nous devons poser, car on peut tout à fait reconnaître les bienfaits d’une politique dont on ne partage ni les ressorts ni les motivations. Nous serions ainsi prêts, quoique nous ne partagions pas les convictions libérales du Gouvernement, à saluer les résultats de la politique qu’il a menée.

Or le « cocktail gagnant » s’est conclu par un échec cuisant et n’a aucunement rendu plus compétitif le territoire national. Au contraire, jamais les performances économiques de notre pays n’ont été aussi médiocres, s’agissant tant de croissance et de pouvoir d’achat que des délocalisations.

Je me permets d’ailleurs d’appeler votre attention, mes chers collègues, sur un ouvrage publié voilà quelques jours, À l’ombre des niches fiscales, qui démontre à quel point la politique des niches fiscales instituée depuis 2002 s’est révélée inopérante.

S’agissant de la croissance, le rapport de juin 2011 de la Banque mondiale sur les perspectives économiques confirme la tendance : en France, la croissance paraît sans aucun ressort.

On est bien loin des promesses du candidat à la présidence, qui prétendait aller chercher la croissance supplémentaire « avec les dents » ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Les décisions fiscales avaient en outre pour but de libérer des gisements d’emplois afin de parvenir au plein emploi. Rien de tel en vue ! Certaines zones d’emploi sont même en pleine souffrance économique avec des taux de chômage de 15% ou %16 %. Les Français ont des raisons de déchanter...

S’agissant du pouvoir d’achat, le « choc de confiance » ne s’est manifestement pas produit dans le sens voulu. Ainsi, 56 % des Français pensent que leur pouvoir d’achat va baisser au cours des trois prochains mois. Avec des salaires qui stagnent – alors que ceux des patrons du CAC 40 ont augmenté de 24 % en 2010 –, il n’y a en effet pas de quoi être confiant !

Le Gouvernement nous avait promis une « économie de ruissellement ». Or les chiffres de l’INSEE sont sans appel : en France, les inégalités se creusent par le haut et la société évolue « en sablier ». Depuis 2003, l’écart de niveau de vie s’est accentué entre les plus pauvres et les plus aisés, ces derniers jouissant de l’accroissement constant des loyers et de l’envolée des dividendes.

Avec ce projet de loi de finances rectificative, on continue à privilégier 0,01 % des ménages et on fait délibérément le choix de la rente, et non pas celui de l’intérêt des salariés.

Quant à l’argument, souvent évoqué, de la compétitivité fiscale pour réduire les risques d’expatriation ou l’exil des contribuables, il ne tient pas non plus.

Dois-je rappeler que les recettes totales de l’ISF dépassent tout juste 3 milliards d’euros, soit à peine plus de 0,3 % des 900 milliards d’euros de patrimoine imposable ? Cessez donc de faire croire que l’ISF tue l’esprit d’entreprise et menace l’équilibre économique du pays, d’autant que vous savez tout aussi bien que nous que la fiscalité du patrimoine individuel n’a strictement rien à voir avec le choix de localisation des entreprises.

Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de mai 2011 indique clairement que les considérations fiscales ne sont pas à l’origine des départs de France des contribuables assujettis à l’ISF. Non seulement le nombre des départs n’a pas diminué depuis l’instauration du bouclier fiscal, alors que c’était l’objectif affiché, mais la majorité d’entre eux s’expliquent par des raisons professionnelles et non pas fiscales.

Pour l’anecdote, je vous renvoie également, mes chers collègues, à une étude du Crédit Suisse qui place la France au troisième rang des pays de résidence des millionnaires dans le monde, après les États-Unis et le Japon !

Votre stratégie, monsieur le ministre, a donc non seulement mené à l’échec par rapport aux objectifs annoncés, mais elle a aussi, et c’est terrible, coûté 60 milliards d’euros de baisses de recettes au budget de l’État. « Vous ne regretterez pas l’investissement que la France fait aujourd’hui », nous disait-on en 2007. Par « investissement », on entendait alors la multitude de cadeaux fiscaux consentis aux plus aisés…

En fait, à travers sa stratégie fiscale inconséquente, le Gouvernement a fragilisé nos finances publiques dans des proportions inédites. La dette française, qui s’élevait à 910 milliards d’euros en 2002, était déjà passée à 1 152 milliards d’euros en 2006 et atteignait 1 591 milliards d’euros à la fin de 2010. Elle aura doublé en dix ans, ce qui est considérable.

Le déficit de l’État représentait en 2010 plus de la moitié des dépenses réelles du budget général.

Pour 2011, vous venez tout récemment de le réviser, monsieur le ministre du budget, pour l’établir à 92,2 milliards d’euros. Les déficits de la France continuent donc de se creuser.

Pour autant, le Gouvernement ne renonce nullement à sa doctrine, car, on l’a bien compris, la réforme de la fiscalité du patrimoine dont nous débattons ici revient tout bonnement à remplacer un cadeau par un autre.

Les 200 000 redevables détenant 1,7 million d’euros de patrimoine verront ainsi leur ISF diminuer de 79 %. Quant aux très grandes fortunes, qui possèdent environ 37 millions d’euros de patrimoine, leur ISF sera abaissé de plus de 50 % par rapport à 2009. C’est un véritable jackpot pour les plus fortunés !

La désinvolture manifestée paraît d’autant plus surprenante que Bruxelles demandait encore récemment à notre pays de « redoubler d’efforts pour réduire les déficits et la dette publique » et que l’Union européenne a appelé la France à améliorer son système d’impôts via notamment une réduction des niches fiscales.

Mes chers collègues, on a clairement le sentiment que la suppression du bouclier fiscal n’est qu’un leurre.

M. François Marc. On peut certes comprendre que la droite ait peine à renier totalement à quelques mois d’une élection cardinale les engagements qu’elle a pu prendre. Pourtant, la dégradation continue de notre situation d’endettement commande une action en urgence avant que le sablier du temps ne se vide complètement.

Chers collègues de la majorité, n’attendez pas une année supplémentaire. C’est maintenant que nous devons agir.

Prenez conscience du désastre budgétaire vers lequel va notre pays si vous suivez le Gouvernement dans sa fuite en avant et ayez à l’esprit l’énorme trou budgétaire engendré par la calamiteuse politique de recettes conduite depuis 2002.

Nous avons ainsi pu établir sans être démentis au cours d’un récent débat sur une proposition de loi déposée par mon groupe que les niches fiscales instituées depuis 2002 avaient entraîné une moins-value de 50 milliards d’euros par an des recettes de l’impôt sur les sociétés.

Quant aux cadeaux fiscaux cumulés accordés aux contribuables individuels et aux ménages depuis 2002 sur l’impôt sur le revenu, avec notamment le bouclier fiscal, les réductions de l’ISF, les allégements des droits de mutation, on peut raisonnablement estimer qu’ils représentent entre 15 milliards et 20 milliards d'euros.

Au total, mes chers collègues, la facture de la politique fiscale menée par la droite depuis 2002 atteint plus de 60 milliards d'euros, ce qui signifie que les deux tiers du déficit du budget de l'État en France sont imputables aux décisions d’abaissement des recettes prises depuis cette date. C’est catastrophique !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce portrait à charge est légèrement excessif !

M. François Marc. Monsieur le rapporteur général, il a été clairement démontré, notamment par la Cour des comptes au travers de maints rapports, que nous avions aujourd'hui 60 milliards d’euros de déficit provenant de décisions politiques prises depuis 2002.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous y reviendrons !

M. François Marc. Mes chers collègues, ma conclusion est simple.

On constate à travers le projet de loi de finances rectificative que l’obsession patrimoniale de la majorité est intacte et va encore se payer dans les finances publiques. Mais ces mesures ne sont pas seulement dispendieuses ; elles révèlent également l’incroyable traitement inégalitaire réservé aux contribuables. La politique fiscale du Gouvernement, ostensiblement orientée vers les plus riches, porte ainsi gravement atteinte au principe de progressivité de l’impôt inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Il est urgent de renouer avec une politique de recettes conforme aux principes républicains de solidarité et de justice fiscale. J’invite en conséquence l’ensemble de mes collègues à prendre en considération nos arguments et à voter contre le projet de loi de finances rectificative dont nous préconisons le rejet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le directeur du centre de politique et d’administration fiscales – une référence donc – de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, Jeffrey Owens, décrit ainsi la fiscalité française : « Vous aimez les impôts : vous en avez tant qu’il nous faut chaque année six pages pour présenter les statistiques françaises quand il en faut trois pour les autres pays ».

Sous ce trait d’humour, qui ne nous fait pas obligatoirement rire, il met l’accent sur la principale tare de notre fiscalité : sa complexité, qui la rend quasi illisible par tous et incompréhensible pour beaucoup.

Les comparaisons internationales et les exemples de nos partenaires, surtout l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède, pays auxquels on peut peut-être ajouter aujourd'hui la Grande-Bretagne, sont toujours riches d’enseignements. Il ressort sans surprise de ces comparaisons que la France a, persiste Jeffrey Owens, « le plus d’impôts, la plus forte imposition, la plus forte progressivité » et que c’est le pays « où les taux nominaux sont les plus élevés ».

Pour préparer la réforme fiscale, le bureau de la commission des finances a effectué des missions d’évaluation chez nos voisins allemands, belges et hollandais ; l’Allemagne, notre principal partenaire, reste le modèle à la mode avec qui une tentative de rapprochement fiscal existe, mais le système hollandais nous a aussi révélé ses nombreuses vertus.

Pourtant, ces modèles, même s’ils sont séduisants, sont-ils transposables en France ? Les experts sont sceptiques.

La commission des finances, qui a lancé, dès le début du mois de février, des cycles d’auditions, a mené une réflexion de fond. « Complexe », « pénalisante », « incompréhensible », « contradictoire », les qualificatifs meurtriers ne manquent pas pour décrire notre fiscalité. Je n’ai cessé, en tant que commissaire des finances, de faire appel à la simplicité et au bon sens dans les finances publiques, mais je ne suis pas certain d’avoir été entendu.

Monsieur le ministre, comme vous le savez, depuis des années, je soutiens le triptyque de la commission des finances : suppression du bouclier fiscal, suppression de l’ISF et création d’une nouvelle tranche d’impôt pour réduire les écarts parfois scandaleux des salaires, écarts qu’aucun talent ou compétence ne saurait justifier. Le projet de loi de finances rectificative ne répond qu’en partie à mes attentes.

Il supprime enfin le bouclier fiscal, qui, soulignons-le, n’existe que chez nous et qui est ressenti en temps de crise comme une injustice, car les plus gros revenus sont exclus de tout effort contributif supplémentaire exigé par celle-ci. Je me demandais pourquoi les effets de sa suppression ne devaient se faire sentir qu’à partir de 2013, mais vous venez de répondre à cette question en ramenant l’échéance à 2012.

Le projet de loi de finances rectificative ne supprime pas l’ISF ; il le réforme en essayant de remédier à ses principaux défauts, en particulier en frappant les ménages, dont le patrimoine immobilier est souvent constitué par la seule résidence principale dont ils ne veulent et ne peuvent se séparer, et en utilisant un système de barèmes beaucoup trop alambiqué.

Pourquoi ne pas avoir tout bonnement supprimé l’ISF ? Nous y viendrons tôt ou tard, car la commission des finances va être prophète en son pays.

Le projet de loi de finances rectificative modifie l’imposition du patrimoine et, plutôt que de taxer le stock, il taxe les flux : les donations et droits de succession ciblés sur les plus hauts revenus. Cette orientation me paraît juste.

Pourtant, nombre de problématiques sont restées sans réponse.

Je pense à une refonte de la fiscalité du patrimoine englobant l’ISF et la taxe foncière, qui doit s’appliquer à des valeurs actualisées et non plus obsolètes, comme c’est le cas aujourd’hui.

Je pense également à la simplification et à la modernisation de notre système d’imposition des revenus, trop complexe et morcelé. À cet égard, je vous rappelle le constat d’Einstein : « la chose la plus difficile à comprendre au monde, c’est l’impôt sur le revenu. » Alors, simplifions enfin l’impôt sur le revenu afin que même Einstein puisse le comprendre !

Je pense encore à la suppression des niches fiscales. Quel est votre sentiment, monsieur le ministre, sur la retenue à la source pratiquée chez nos voisins ? Pensez-vous la mettre en œuvre ? Ses avantages vous semblent-ils supérieurs aux inconvénients ?

Par ailleurs, envisagez-vous une réforme de la fiscalité sur la consommation, sachant que la TVA est un levier de réforme ? Quelle est votre position sur la TVA anti-délocalisations ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bonne question !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. En effet.

M. François Baroin, ministre. Exact !

M. Aymeri de Montesquiou. Les taux élevés, parfois confiscatoires, de la fiscalité du capital dans son ensemble conduisent les assujettis à rechercher une optimisation fiscale. La réforme vise à éviter de tels contournements fiscaux, mais on peut faire confiance aux cabinets spécialisés dans l’optimisation et aux contribuables pour trouver des échappatoires...

L’évasion fiscale est une spécialité française et les exilés fiscaux se sentent mieux en Suisse. À l’instar de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, ne devrait-on pas conclure une convention avec la Suisse afin que ce pays collecte un impôt forfaitaire sur les dépôts dont il bénéficie ou bien s’inspirer des États-Unis et faire dépendre l’impôt non du lieu de résidence, mais du passeport ?

Le bilan sur les gagnants et les perdants, en gageant le coût de la réforme, fait apparaître que les perdants sont les non-résidents disposant d’une résidence secondaire et les exilés fiscaux. Cela ne me perturbe pas, il faut encourager par ce biais la solidarité nationale.

Enfin, la réforme de la fiscalité du patrimoine a pour objectif l’efficacité économique. Le rôle central de l’épargne étant de permettre l’accumulation du capital dans le pays pour financer l’économie, profitons que l’épargne des Français soit l’une des plus importantes de l’OCDE. Avec la productivité, elle constitue un potentiel majeur d’accroissement de la richesse nationale. Mais la compétitivité fiscale, comme le reste de la réforme, doit s’envisager globalement et non impôt par impôt.

Le financement des entreprises et leurs investissements, nous en convenons tous, sont déterminants pour la compétitivité française. Nous évoluons dans un contexte d’ « économie entrepreneuriale de la connaissance », où l’innovation et la créativité sont indispensables, et dans un environnement européen, ce qui est un élément fondamental. Il faut donc favoriser le rôle de l’entrepreneur dans notre système productif.

« La fiscalité est pour ainsi dire une passion française très ancienne » a déclaré le Premier ministre. Il ne peut être, hélas ! plus juste. Il pratique aussi l’autodérision : une semaine seulement après le vote du projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, nous voici saisis d’un projet de loi de finances rectificative réformant la fiscalité du patrimoine.

Je m’étonne de la modestie de cette réforme. On annonçait un « Grenelle », un « Grand Soir » de la fiscalité. Finalement, c’est une réformette sur la fiscalité du patrimoine qui nous est présentée dans ce projet de loi de finances rectificative.

Je regrette le manque d’ampleur de la réforme, qui aurait dû être une réforme d’ensemble de la fiscalité française. Elle n’est, je l’espère, qu’une première étape, ou plutôt une première orientation. Les experts conviennent de la nécessité et de l’urgence d’une réforme globale de notre système fiscal. Christian Saint-Etienne, référence pour beaucoup, pense que nous sommes à la veille d’une crise historique des finances publiques. Il n’a pas peut-être pas tort.

La fiscalité, sujet éminemment politique, héritière d’une longue et turbulente histoire, est donc victime des scories partisanes qui rendent difficile la séparation de l’idéologie et de la fiscalité.

Il faut toujours du courage pour entamer une réforme fiscale, par crainte des élections qui vont suivre. A contrario, l’absence de courage n’a jamais été perçue par les électeurs comme étant positive. Monsieur le ministre, je ne dis pas que vous manquez de courage, mais nous espérions un calendrier des différentes étapes de la réforme, laquelle est indispensable après les lâchetés qui se sont succédé au cours des trente dernières années. Une telle réforme demandant du temps, un calendrier est nécessaire.

Monsieur le ministre, démontrez-nous qu’équité et efficacité ne sont pas antagonistes, indiquez-nous que le projet de loi de finances rectificative contient les prémices d’une réforme d’ensemble de notre fiscalité, prouvez-nous qu’il vise à faire œuvre de justice en instaurant une véritable proportionnalité de l’impôt.

Mme Nicole Bricq. Il ne peut pas !

M. Aymeri de Montesquiou. Enfin, n’étayez pas vos propositions par des hypothèses trop optimistes.

Pour conclure, je reprendrai les propos du président de la commission des finances : « Prenons garde à ne pas hypothéquer l’avenir ! ». Je voterai ce projet de loi, monsieur le ministre, si vous apportez des réponses à mes interrogations. Réalisme et sincérité sont attendus par tous les Français. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur de Montesquiou, j’appelle moi aussi de mes vœux à une réforme en profondeur de l’impôt, mais je ne suis pas sûre que nous voulions la même ! Je suis même certaine du contraire…

M. Aymeri de Montesquiou. Nous pourrons en discuter ! (Sourires.)

Mme Marie-France Beaufils. Bien sûr !

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici en présence d’un collectif budgétaire – un projet de loi de finances rectificative –, dont les premières mesures sont assez édifiantes. Il s’agit, comme cela est indiqué sur la page d’accueil du site internet du Sénat, de réformer la fiscalité du patrimoine. Ce projet de loi de finances rectificative n’est donc pas un texte ordinaire. Son objet affiché est clairement, d’abord et avant tout, de réformer, avant de le supprimer, l’impôt de solidarité sur la fortune. Est-ce pour qu’il soit moins visible pour la majeure partie de nos concitoyens ? On peut le penser !

Ce collectif budgétaire vient en discussion alors que, il y a une semaine, plusieurs heures de débats ont été consacrées à l’adhésion de la France au Pacte pour l’euro, texte qui nécessiterait la modification de la Constitution et encadrerait très sérieusement les déficits publics avec l’objectif de les réduire à leur plus simple expression.

Ce qui était vrai le 14 juin ne le serait donc plus le 21 juin. Oublié le discours sentencieux des derniers jours du printemps : l’été venu, on peut déjà donner quelques coups de canif dans le dogme de l’équilibre des finances publiques !

Soit la situation des comptes publics s’est dégradée, soit elle s’est améliorée. Ce collectif vise donc à apporter un certain nombre de correctifs à la loi de finances initiale, ce qui est l’objet normal d’un tel texte.

La situation économique se serait en fait améliorée. C’est du moins ce que laisse entendre la communication officielle ces derniers temps, notamment depuis la publication des éléments statistiques sur la croissance du produit intérieur brut. Le Gouvernement considère que la France est sortie de la crise et qu’elle le doit à la clairvoyance et à l’audace politique de Nicolas Sarkozy.

Pour ma part, je ne pense pas que les 2,6 millions de chômeurs de catégorie A de notre pays, que les millions de travailleurs précaires, les 3 millions de smicards, majoritairement des femmes, le million de mal-logés, les 6 millions de salariés sous-payés et les jeunes diplômés sans débouchés professionnels en soient convaincus.

Nous devrions nous féliciter d’atteindre les deux points de croissance. Cela devrait suffire à notre bonheur et permettre, évidemment, de dégager quelques marges de manœuvre nouvelles pour réduire les impôts. C’est, semble-t-il, votre argumentaire, monsieur le ministre.

Cela étant dit, d’où vient la croissance ? Apparemment pas de nos exportations, puisque le déficit de notre balance commerciale a atteint un record jamais enregistré. Vient-elle de la distribution de produits importés, grâce à la consommation populaire ? Peut-être bien...

En tout cas, ce qui est certain, c’est que c’est d’abord et avant tout le travail des salariés de notre pays, des ouvriers, des techniciens, des cadres, des agents de maîtrise, des ingénieurs et des apprentis, ajouté à quelques hasards du calendrier – le nombre de jours fériés susceptibles de donner lieu à des « ponts » prolongés est en baisse cette année – qui est à l’origine de la croissance apparemment retrouvée.

La traduction en recettes fiscales n’est pas évidente. D’ailleurs, après le cadeau de 1,8 milliard d’euros fait aux plus gros patrimoines, le solde budgétaire global du présent projet de loi de finances rectificative traduit un déficit aggravé.

Atteindre le résultat prévisionnel du Gouvernement en termes de croissance aurait dû, selon votre doctrine, monsieur le ministre, servir à améliorer l’équilibre budgétaire. Or vous préemptez les fruits de la croissance au profit de la « réforme de la fiscalité du patrimoine ».

Le Gouvernement et sa majorité se disent soucieux de l’intérêt général. Réduire la TVA sur les produits de première nécessité, créer une « tranche sociale de consommation » pour le gaz ou l’électricité, procéder à une remise sur l’impôt sur le revenu des plus modestes – vous l’avez déjà fait, chers collègues, pourquoi ne pas recommencer ? – aurait pu contribuer à alléger la charge de la hausse de l’inflation qui va peser sur les ménages. Ce taux s’élève en effet aujourd'hui à 1,8 %, contre 1,5 % en loi de finances initiale. Vous auriez pu par exemple en tenir compte pour l’évolution des salaires dans la fonction publique.

Le plus important pour vous dans ce projet de loi de finances rectificative est de réduire l’impôt de solidarité sur la fortune et d’optimiser la gestion des patrimoines privés en les orientant clairement vers la Bourse, vers la finance. Ce faisant, vous oubliez complètement les causes de la crise financière que nous avons vécue.

Au moins ce texte est-il clair : il confirme les choix du Président de la République et de sa majorité.

Depuis 2007, la droite déclare défendre le travail et l’effort. Le Président de la République avait même fait de ce thème un axe essentiel de sa campagne. Seulement voilà : le produit du travail, dans cette politique, va non pas au travail, mais de plus en plus, et toujours plus et toujours mieux, vers la rente, le capital, la finance !

Dans mon activité quotidienne d’élue locale, je ne rencontre pas souvent, autant le dire tout de suite, d’interlocuteur qui me fasse part de sa profonde satisfaction de voir réduit l’impôt de solidarité sur la fortune ! Cela ne vous surprendra pas. Dans ma ville, les habitants me parlent plus aisément de la vie chère, de la hausse du prix de l’essence, du poids des loyers et des charges de leur logement, de leurs difficultés à joindre les deux bouts, que du caractère confiscatoire de l’impôt de solidarité sur la fortune.

En outre, soyons sérieux, le montant de l’impôt acquitté par les contribuables assujettis à l’ISF est bien inférieur à celui que doit payer un salarié redevable de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, proportionnellement à son revenu. Je ne reviendrai pas sur les chiffres qu’a donnés Jack Ralite tout à l’heure lors de son rappel au règlement.

Au demeurant, mes chers collègues, lorsque le beau mot de solidarité figure quelque part, je pense qu’il est difficile de parler de confiscation, surtout quand, à bien des égards, l’impôt concerné n’est qu’une forme de juste retour des choses vers ceux qui en produisent l’assiette.

Le baromètre des très petites entreprises réalisé par l’IFOP pour FIDUCIAL qui vient de nous être adressé est d’ailleurs lui aussi très intéressant : 45 % des 1 000 dirigeants interrogés considèrent que le premier impôt qui doit augmenter si le budget de l’État le nécessite, c’est l’impôt de solidarité sur la fortune ; 74 % d’entre eux le citent dans les impôts à augmenter.

En 2007, à la suite de la première réforme de la fiscalité du patrimoine, habilement dissimulée derrière la défiscalisation des heures supplémentaires dans la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, les services fiscaux avaient été autorisés à se manifester auprès des contribuables assujettis à l’ISF pour les inciter à solliciter le bouclier fiscal.

L’expérience ne fut guère probante, souvenez-vous en : moins de 2 % des contribuables ont fait jouer ledit bouclier.

Cette année, pour faire bonne mesure, une circulaire ministérielle a été envoyée aux agents de la direction générale des finances publiques, la DGFiP, dans laquelle il leur a été indiqué que la campagne de recouvrement de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui devait être achevée ces jours-ci, était reportée à après l’adoption du présent collectif budgétaire. Les contribuables assujettis à l’ISF vont donc dès cette année bénéficier de cette réforme, laquelle s’apparente plutôt à une baisse sensible et spectaculaire du rendement d’un impôt qui est pourtant de plus en plus efficace et qui concerne un nombre croissant de ménages, et ce malgré toutes les déclarations sur la fuite des capitaux et sur celle des cerveaux.

Les contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu auront à la fin mai acquitté deux des tiers provisionnels ou cinq des mensualités de l’impôt dû. En revanche, 600 000 contribuables sont autorisés à attendre le mois de septembre pour commencer à payer l’ISF ! Je ne pensais pas qu’ils avaient tant besoin de trésorerie.

Je dirai enfin un mot sur les dépenses publiques. Si elles ne figurent pas en première ligne dans le projet de loi de finances rectificative, elles apparaissent tout de même au travers de quelques articles.

Après la confiscation des fruits de la croissance au bénéfice des plus fortunés, voici qu’arrive à grands pas l’insincérité budgétaire !

Une bonne partie des crédits ouverts dans ce collectif budgétaire correspondent tout simplement à des sommes qui, jusqu’ici, n’avaient pas été prévues dans la loi de finances initiale. Il va bien falloir un jour rompre avec cette méthode pour le moins surprenante, qui plus est si l’on entend gérer de manière plus vertueuse les deniers publics.

Ce qui est sûr, une fois encore, c’est que ces ouvertures de crédit ne reviendront pas sur le caractère des plus scandaleux de l’actuelle politique gouvernementale et que nous aurons encore droit aux fermetures de classes – le Président de la République vient d’annoncer que le moratoire pour la fermeture des classes ne débuterait qu’en 2012 –, à la disparition des services publics de proximité, à la mise en cause des équipements hospitaliers et à la révision générale des politiques publiques, se traduisant en suppressions de postes, gel des traitements des fonctionnaires ou réduction des aides au logement et aux associations. Autant de décisions qui dégradent fortement le tissu social et mettent en grande difficulté les populations les plus modestes.

Dire que nous ne vous suivrons pas dans la voie ainsi tracée est une évidence.

Nous ne soutiendrons donc aucunement ce projet de loi de finances rectificative, marqué par l’injustice fiscale et sociale ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)