M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà des données chiffrées, qui démontrent la dégradation des dotations budgétaires de cette mission, il convient à ce stade d’en relever l’application quasi mécanique exigée au titre du plan de rigueur gouvernemental, qui fait courir le risque de régressions majeures, notamment dans le secteur agricole.

L’enjeu en est une restructuration particulièrement inquiétante, focalisée de fait sur les objectifs du territoire hexagonal et qui, d’ores et déjà, relègue les outre-mer et la Guyane, que je représente, au rang de priorités de second plan.

L’argument de la restructuration, celui des restrictions présumées indispensables à la compétitivité sur les marchés commerciaux, s’impose aux outre-mer souvent en dépit du bon sens.

En Guyane en particulier, les enjeux se situent encore au niveau de la structuration élémentaire des filières de production et d’activité.

Ainsi, l’agriculture dans une région immense mais aux terres cultivables difficilement accessibles est attachée non pas à des problématiques de compétitivité, mais avant tout à des questions d’accès au foncier et, en même temps, à une autosuffisance alimentaire.

Lorsque la métropole réalisait ses principales réformes agraires, la Guyane voyait, au contraire, l’essentiel de ses terres cultivables confisquées pour le domaine privé de l’État.

C’est pourquoi il faut à tout prix conforter les outils d’accès au foncier viabilisé, en renforçant les missions confiées à l’Établissement public d’aménagement en Guyane.

Les dispositifs budgétaires de l’État, adaptés à des objectifs principaux d’autoproduction alimentaire, enjeux urgents pour les outre-mer avec une aide concrète à la diversification et à la commercialisation, auraient ainsi tout leur sens.

Comment développer autrement ce secteur agricole, sinon en le considérant comme un élément porteur du développement endogène pour l’ensemble des outre-mer ? C’est là que l’on observe des coûts de production locale souvent supérieurs à ceux de nombre de produits importés.

Les mesures facilitant l’approvisionnement des producteurs en matières premières sont donc cruciales, mais elles se situent manifestement aux antipodes des préoccupations actuelles du Gouvernement, alors que la viabilité de ces mesures repose tout de même sur un marché de plus de 2 millions de consommateurs.

En vérité, les avantages fiscaux sur les bénéfices envisagés en faveur des producteurs ont peu de pertinence pour des volumes de production et de vente encore insuffisants.

Les attentes de nos concitoyens se situent à dire vrai précisément au cœur des mesures de restriction gouvernementales, telles que l’aide à l’installation ou le renforcement des aides directes au fret, à l’import et à l’export, alors que actuellement, au contraire, le monopole du transport aérien entraîne des hausses insupportables pour les professionnels des outre-mer.

En Guyane encore, tous les facteurs liés aux enjeux de production alimentaire doivent être soutenus, y compris les facteurs constitutifs des prix des matières premières et des sources d’approvisionnement.

À l’heure où se dégradent les moyens du contrôle qualité en métropole, on nous oppose une stricte réglementation. Pourtant, des mesures sanitaires ainsi qu’une politique douanière et commerciale énoncées depuis de longs mois, comme le prévoit le traité de Lisbonne, devraient nous ouvrir des portes en matière de coopération régionale. Ce serait là, monsieur le ministre, une perspective considérable de production, de consommation des ménages ou d’intérêt collectif particulièrement encadrée et, enfin, de commercialisation, plus conformes aux réalités et aux besoins alimentaires.

S’agissant de l’aménagement du territoire, à l’époque, vous aviez, monsieur le ministre, évoqué l’existence d’une mission visant à réformer les SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, qui étudierait simultanément le fonctionnement et la gouvernance de l’EPAG. Où en est-on, monsieur le ministre ?

La pêche, davantage encore en Guyane, est loin d’être une filière structurée, dont les besoins restent et ne pourront que rester en marge des dotations budgétaires de l’État dont la timide hausse conjoncturelle ne saurait masquer la chute brutale des dotations observées de manière pluriannuelle.

Au regard du projet de loi de finances, la Guyane restera effectivement à l’écart des objectifs fixés pour la détermination des crédits nationaux, dont la grille vise des objectifs incertains de modernisation face à la concurrence internationale.

Il y a là manifestement matière à réflexion quant à l’incapacité aussi marquée de définir une stratégie à partir de la zone économique exclusive de plus de 11 millions de kilomètres carrés que procurent les outre-mer à la France.

La pêche outre-mer est, nous le savons, artisanale ; elle est pratiquée par des pêcheurs sans formation, peu armés pour faire face aux normes et pratiques du commerce international, et qui sont, surtout, exclus des emplois relevant des accords entre l’Europe et les pays tiers.

À ce titre, l’organisation professionnelle de la filière est l’un des objectifs premiers, afin d’être entendu jusqu’au niveau du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins pour que, au-delà du rôle consultatif de celui-ci, on puisse faire valoir les réalités ultramarines.

La Guyane reste le seul département ultramarin à ne pas avoir de centre permanent de formation aux métiers maritimes, portuaires et fluviaux. Pourtant n’est-ce pas là le préalable à toute politique de développement, qui s’appuie sur des équipements et la valorisation de la production ?

D’ailleurs, la commission de l’économie vous avait, à l’époque, interpellé, monsieur le ministre, sur les mesures que le Gouvernement comptait prendre pour développer la formation aux métiers de la mer en Guyane et dans les outre-mer en général. Quid de ces mesures ?

Enfin, je voudrais évoquer la question du régime forestier, à propos duquel demeurent les plus fortes inquiétudes quant à la question de la contribution des communes forestières et à la pérennité de la gestion de ce patrimoine, qui a perdu en vingt ans près de la moitié de ses agents.

Nul n’ignore le capital constitué par la forêt primaire de Guyane, et surtout son potentiel carbone, qui dote la France d’un argument de poids dans les négociations internationales en matière de préservation de l’environnement et de développement durable. Mon interrogation principale porte sur la mise sous cloche, de fait, de toute valorisation de la biodiversité guyanaise avec un juteux marché international de CO2, et qui ne trouve, en retour, aucun projet de dotation compensatoire.

Non seulement ce budget n’est pas à la hauteur des enjeux nationaux et mondiaux – produire plus et mieux–, mais il n’est pas adapté aux outre-mer et ne s’accompagne pas de mesures qui auraient pu rendre les restrictions supportables : une véritable démarche de structuration de filière, des dispositions pour diminuer le coût du fret aérien, pour un accès plus facile au foncier et à l’installation des dispositifs, pour l’assouplissement des marchés publics afin de permettre aux petits producteurs de trouver des débouchés pour leurs produits, un véritable dispositif de formation permanent, tenant compte des débouchés réels et des perspectives de développement des secteurs.

Voilà, monsieur le président, mes chers collègues, comment l’analyse rapide de filières essentielles du secteur primaire nous conduit inéluctablement à la logique selon laquelle le budget de l’État ne peut faire avec et pour les outre-mer, et ne peut se résoudre à en faciliter le développement endogène. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous propose de poursuivre nos travaux afin d’achever l’examen des crédits de la mission et du compte d’affectation spéciale avant le dîner, c'est-à-dire à vingt et une heures, chacun s’engageant alors à faire en sorte que ce délai soit tenu. (Assentiment.)

La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, je veux vous dire d’emblée combien nous apprécions votre action et la façon dont vous traitez, à bras-le-corps, les dossiers, défendant, au niveau européen, les intérêts de l’agriculture française. Nous avons un excellent ministre de l’agriculture.

M. Jean-Claude Carle. C’est vrai !

M. Gérard Bailly. Tout à fait ! Et on veut le garder !

M. Jean-Claude Lenoir. C'est la raison pour laquelle je voterai, avec mes collègues de l’UMP et de l’UCR, les crédits qui nous sont proposés.

La discussion budgétaire donne aux parlementaires l’occasion d’ouvrir une sorte de catalogue, qui leur permet de poser des questions sur des sujets qui méritent d’être examinés et auxquelles vous apporterez sans doute des réponses.

Premièrement, j’évoquerai la question du lait, un sujet que vous connaissez bien.

Il y a quelques semaines, vous avez accompagné le Premier ministre lors d’un déplacement dans mon département. Vous avez pu voir des producteurs de lait particulièrement dynamiques, qui procèdent eux-mêmes à la phase de transformation pour vendre leurs produits sur la place parisienne. Mais la grande majorité des producteurs de lait sont inscrits dans un processus de collecte via les laiteries.

Cette filière rencontre aujourd'hui un vrai problème, et permettez-moi ici de vous apporter mon témoignage, car les producteurs de lait ont besoin d’avoir des éclaircissements ; je pense que vous avez des réponses à leur apporter, monsieur le ministre.

Il ne m’appartient pas de refaire la genèse des quotas laitiers. En 2003, a été prise la décision de mettre fin au système des quotas laitiers en mars 2015. Le Gouvernement a anticipé sur cette mesure et, dans le cadre de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, vous avez proposé, et nous vous avons soutenu, le principe de la contractualisation entre les producteurs et les acheteurs.

Un calendrier a été prévu : en principe, les laiteries devaient proposer aux producteurs laitiers un projet de contrat avant le 1er avril. Dans votre réponse à une question écrite publiée à la fin du mois d’octobre dernier au Journal officiel, vous suggériez de poursuivre la discussion, car un certain nombre de problèmes restaient à régler. Mais le temps passe, monsieur le ministre, et, pour organiser cette rencontre entre les producteurs et les acheteurs, il faut des bases juridiques. En effet, il faut organiser la profession des producteurs laitiers de telle façon que ces derniers pèsent dans les négociations avec les acheteurs, aussi bien avec les transformateurs qu’avec les collecteurs de lait.

Je sais que vous pensez qu’il nous faut attendre encore un peu parce qu’une directive européenne est en préparation, qui sera de nature à autoriser l’organisation que vous souhaitez mettre en place, afin que celle-ci ne se heurte pas aux règles de la concurrence. De même, un décret visant à organiser de façon formelle les groupements de producteurs est en préparation. Mais le problème, c’est que certains producteurs ont été obligés de lâcher prise avant dans les discussions avec certaines laiteries, et ce pour une raison simple, que j’ai apprise il y a quelques jours seulement. En effet, une laiterie importante, que je ne citerai pas ici, a lancé aux producteurs laitiers un ultimatum : si au 1er décembre le contrat n’est pas signé, la prime « saisonnalité » ne sera pas versée.

Mme Odette Herviaux. Exactement !

M. Jean-Claude Lenoir. Or, cette prime représente une part importante de leurs revenus.

Monsieur le ministre, quelle réponse rapide pouvez-vous aujourd'hui apporter aux producteurs de lait, qui se rencontrent et organisent des réunions, lesquelles rassemblent de nombreux participants, tant l’angoisse est forte ?

Deuxièmement, j’aborderai la question des zones défavorisées simples.

Une grande partie de mon département appartient à une zone défavorisée simple ; nous savons qu’une discussion est engagée pour réduire les périmètres de ces zones. On entend dire que l’on veut rapprocher les critères retenus de ceux des zones de montagne. Mais quels que soient les efforts des élus, ma région n’est pas prête de ressembler à une zone de montagne ! (Sourires.)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture. La mienne non plus !

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, vous connaissez bien ce problème, vous qui êtes élu d’un département voisin de l’Orne, celui de l’Eure. J’aimerais être sûr que vous preniez en compte ce problème.

Troisièmement, je parlerai des contraintes environnementales.

On a toujours un peu l’impression que les Français font volontairement plus, car ils croient devoir faire mieux que les autres. Les règles environnementales qui s’appliquent au niveau européen doivent ensuite être traduites par des mesures franco-françaises. À cet égard, je citerai deux exemples, et vous me contredirez si j’ai tort.

Le premier concerne les surfaces en herbe, les prairies.

Aujourd'hui, les critères français obligent un exploitant agricole possédant des prairies à afficher les mêmes surfaces que sa surface de référence ; on examine ces surfaces exploitation par exploitation et non pas sur un plan général.

Or on sait que les prairies ne sont pas la source des plus revenus les plus importants. À cet égard, permettez-moi de prendre un cas précis : on a obligé un propriétaire de prairies, qui a décidé de monter un atelier de volailles, à supprimer une partie de ses surfaces céréalières pour compenser. Cette décision frise l’absurdité quand on sait qu’il avait précisément besoin de ces surfaces en céréales pour nourrir ses volailles.

Second exemple : est-il vraiment nécessaire de maintenir la couverture hivernale des sols, alors que l’herbe ne pousse pas vraiment en hiver ?

Monsieur le ministre, j’aimerais avoir une réponse sur ces deux points, quand bien même celle-ci ne serait pas immédiate.

Quatrièmement, j’en viens à la procédure des calamités agricoles pour sécheresse, un sujet sur lequel nous avons entretenu une correspondance pendant des mois, monsieur le ministre.

Mon département a été, comme d’autres, victime de la sécheresse. Or lorsqu’on vient déposer un dossier de demande d’indemnisation au titre des calamités « sécheresse », il nous est répondu, y compris par des voix autorisées du ministère de l’agriculture : ce n’est pas le moment car on est en pleine période d’évaluation ; nous verrons lorsque cette période sera terminée. Soit ! Mais quand cette période s’achève-t-elle ? En effet, on m’a fait le coup deux années de suite. Il faudrait tout de même qu’à un moment on sache quand les cartes sont rebattues et que l’on peut éventuellement réexaminer les territoires où il est possible de faire jouer la procédure dite des calamités agricoles.

Enfin, monsieur le ministre, même si les quelques secondes qui me restent ne seront pas suffisantes pour bouleverser le dossier, je veux néanmoins ajouter ma voix à celles qui se sont élevées dans cet hémicycle pour dire combien les retraités du monde agricole sont aujourd’hui dans une situation des plus difficiles.

Ce sont des gens qui ont travaillé toute leur vie et ont une carrière pleine. Mais, quand on affiche dans votre permanence les revenus qui leur sont octroyés par rapport aux cotisations qu’ils ont versées, on constate qu’il leur est impossible de vivre !

L’affirmer à cette tribune, ce n’est pas m’exposer à être pris pour un démagogue ; c’est simplement témoigner de ma solidarité avec ceux qui ont largement nourri la France et bâti notre société. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pardonnez-moi de reprendre la parole, mais il me semblait que ce budget consacré à la pêche, petit de par le montant de ses crédits, mais aux grandes conséquences sur nos territoires littoraux, méritait bien quelques minutes supplémentaires.

Voilà quelques semaines a eu lieu à l’Assemblée nationale une réunion entre les parlementaires français et Mme Maria Damanaki, commissaire européenne en charge des affaires maritimes et de la pêche, à qui j’ai pu faire part de ma totale opposition à la logique libérale de privatisation de la ressource qui semble guider cette réforme, et cela sous l’apparence du seul souci environnemental !

Ses objectifs tels les quotas individuels transférables annoncent une politique de dérégulation qui conduira inexorablement à un processus de concentration et de financiarisation de la filière, entraînant la disparition de la diversité de nos modes de pêche.

En revanche, la Commission semble ignorer les objectifs sociaux et économiques : drôle de conception du développement durable !

D’ailleurs, dans ce qui ressemblait un peu à un dialogue de sourds, Mme la commissaire a reproché aux parlementaires français de soutenir et de défendre les pêcheurs, alors que la Commission devait défendre la pêche !

Mais de quelle sorte de pêche s’agira-t-il s’il n’y a plus de pêcheurs ? Une pêche minotière exclusivement destinée à nourrir les poissons d’élevage ? Ce n’est pas notre vision !

Pour notre part, nous défendons ardemment la gestion collective de la ressource halieutique, qui a démontré son efficacité et accompagné utilement l’évolution des comportements des professionnels.

Faut-il rappeler que, sur la façade atlantique, le pourcentage de stocks dits « surexploités » a diminué de 25 % en quelques années ? Monsieur le ministre, les Français, eux, ne s’y sont pas trompés si l’on en croit un récent sondage qui a été publié dans un grand quotidien régional et selon lequel plus de 80 % d’entre eux ont une bonne image du secteur de la pêche et des pêcheurs, et reconnaissent à 68 % leurs efforts en faveur de l’environnement.

De même que nous refusons les quotas individuels transférables, QUIT, nous refusons le « zéro rejet », qui n’est ni écologiquement souhaitable, ni techniquement applicable. Cette vision stricte et réductrice condamne à court terme l’existence de la filière et, surtout, risque de réduire à néant tous les efforts réalisés par nos pêcheurs et nos chercheurs sur les matériels de pêche plus sélectifs, notamment dans ma région où le slogan : « trier sur le fond, pas sur le pont ! » n’est pas un vain mot.

Quant au rendement maximal durable, RMD, si nous sommes conscients que la préservation de la ressource est un objectif stratégique et une nécessité, nous nous interrogeons sur les conséquences, à court terme et à moyen terme, pour les professionnels, de cette précipitation soudaine de l’Europe à vouloir l’imposer dès 2015, alors que depuis le Sommet mondial sur le développement durable, qui s’est tenu à Johannesburg en 2002, et jusqu’en 2010 aucune mesure n’a été prise pour le mettre en œuvre. Pourra-t-on, en cinq ans, revenir sous la barre de ce RMD ?

Nous avons besoin d’un calendrier raisonnable, établi, si possible, en concertation avec les professionnels et les représentants de la filière.

L’Association des régions de France, ARF, la Conférence des régions périphériques et maritimes d’Europe, la CRPM, et les organisations de producteurs, tout en reconnaissant la nécessité d’introduire un système d’écoconditionnalité au sein du futur Fonds européen pour la pêche, le FEP, demandent unanimement une mise en œuvre progressive, avec des études d’impact qui tiennent compte de la spécificité des pêcheries.

Avant de terminer mon propos, je souhaite saluer tous ceux qui, pêcheurs ou scientifiques, avec un sens exemplaire des responsabilités, ont travaillé en étroite collaboration pour développer de nouvelles pratiques écoresponsables et faire comprendre la nécessité d’appliquer au secteur de la pêche l’idée de développement durable, dans toutes ses dimensions, environnementales certes, mais aussi sociales et économiques. C’est l’esprit des contrats bleus, qui reconnaissent et valorisent les services environnementaux rendus par les pêcheurs.

En revanche, je regrette la baisse des crédits consacrés aux recueils des données et à tout ce qui pourrait affaiblir les capacités de recherche et d’innovation hébergées par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, dont le rôle décisif dans ce domaine n’est plus à démontrer.

Je regrette également, et cela depuis plusieurs années, les conséquences parfois négatives des plans de sortie de flotte, qui représentent plus de 20% des crédits nationaux dédiés à la pêche : renchérissement du prix des navires d’occasion, fragilisation du renouvellement des générations en dissuadant des installations pourtant vitales.

Cela menace d’autant plus gravement la pérennité de la filière que les moyens déployés en faveur de la modernisation des navires sont faibles et que les perspectives européennes sont particulièrement sombres en la matière.

Par ailleurs, le prix du gazole continue à peser lourdement sur le coût d’exploitation, d’où la nécessité de bateaux récents, plus économes, mais aussi plus sûrs et mieux adaptés aux conditions de travail.

Je conclurai avec le projet annuel de performances, dans lequel sont reconnus les efforts des collectivités dans ce domaine pour leurs financements complémentaires. Mais la reconnaissance est trop timide, alors que ces collectivités se battent quotidiennement pour préserver les infrastructures, le dynamisme de leurs espaces portuaires ainsi que des filières d’enseignement efficaces et innovantes, sans parler des secteurs en crise, comme l’ostréiculture.

Je souhaite très sincèrement que, sur tous ces secteurs liés à la mer – pêche, conchyliculture, aquaculture –, nous prenions toutes nos responsabilités et que le Gouvernement déploie des moyens à la hauteur du destin maritime qui devrait être celui de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux.

Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du budget de l’agriculture nous pousse à nous interroger sur l’avenir de notre modèle agricole dans une conjoncture de plus en plus incertaine au vu des mutations économiques, sociales et désormais environnementales auxquelles nous devons faire face. Les diverses interventions de cet après-midi l’ont bien démontré, ce n’est pas dans un esprit très serein que nous appréhendons cet avenir.

À cette inquiétude justifiée vient s’ajouter un scepticisme qui l’est également quant à l’adaptation des mesures qui nous sont proposées actuellement pour apporter une réponse durable à la crise traversée par nos agriculteurs.

Nous savons tous que l’avenir de notre agriculture ne pourra malheureusement pas se régler uniquement à l’échelon national. L’Europe a un rôle central à jouer, tout comme l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC. Or, pour l’instant, les décisions prises sont décevantes, car elles restent très largement orientées vers les marchés, au détriment des hommes et des territoires.

La mondialisation et l’évolution des pratiques agricoles font que nous ne pouvons plus voir notre agriculture comme il y a quarante ans ; c’est une évidence. Mais, dans le même temps, cette mondialisation ne doit pas se faire sans garde-fou, et l’ouverture de nos économies doit inévitablement s’accompagner de véritables outils de régulation et d’harmonisation des pratiques aux niveaux européen et mondial. Ce constat est vrai en agriculture comme ailleurs.

Dans ce cadre, les réflexions menées actuellement sur la nouvelle PAC sont cruciales. J’espère qu’elles donneront lieu à une véritable prise de conscience collective, celle de la nécessité de repenser notre modèle agricole dans son ensemble, afin qu’il soit en phase avec nos besoins et nos attentes, que ce soit en termes non seulement économique, mais aussi social, environnemental et sanitaire !

En effet, il est impensable de continuer d’appréhender l’agriculture sous le seul prisme de la compétitivité, telle qu’elle s’entend sur les marchés financiers. En agriculture, plus encore qu’ailleurs, il faut redéfinir la compétitivité. Si cela ne s’entend que par une recherche du moindre coût, l’agriculture française telle que nous la voulons est condamnée à disparaître.

En revanche, si, par compétitivité, nous entendons qualité des produits, respect des normes environnementales ou sanitaires, développement des circuits courts, création d’activités dans les territoires, alors les agriculteurs français ont toutes leurs chances, car ils ont dans ce domaine de véritables atouts. Mais encore faut-il vouloir s’engager vers un système qui valorise et rémunère ces pratiques !

Malheureusement, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans cette optique, le budget de cette année en est une illustration. Ainsi, l’axe majeur du présent budget, sa mesure phare tout au moins, repose sur une exonération des cotisations patronales sur le travail permanent pour les plus bas salaires, permettant de baisser de 1 euro par heure le coût du travail rémunéré au SMIC.

Comme l’année dernière, c’est ainsi que le Gouvernement semble percevoir la compétitivité de notre agriculture : par une recherche des plus bas coûts de main-d’œuvre. Or, à ce jeu-là, nous serons inévitablement perdants, car nous trouverons toujours moins cher que nous dans le monde.

Même si ces mesures peuvent soulager momentanément les agriculteurs, force est de constater qu’elles ne répondent pas aux problèmes de fond en ne s’inscrivant pas dans une politique de soutien et de développement à long terme de notre agriculture.

Nous en avons tous conscience, le contexte économique actuel est difficile, mais il faut absolument substituer à ces mesures conjoncturelles des mesures structurelles.

Certes, je ne le conteste pas, les salaires et les charges peuvent peser lourd dans les comptes d’exploitation des maraîchers, arboriculteurs ou viticulteurs, secteurs qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre.

Il est vrai aussi que certains États membres de l’Union européenne, parmi lesquels l’Allemagne et l’Espagne, pratiquent un véritable dumping social avec des salaires très bas et des charges faibles, voire inexistantes, sur le travail salarié agricole. Ma collègue en a parlé tout à l’heure et nous sommes tous à le regretter.

Toutefois, la méthode que vous avez choisie n’est pas sans soulever de nombreuses interrogations. Tout d’abord, le financement de cette exonération par une augmentation de la taxe sur le gazole non routier revient à faire payer aux agriculteurs une aide en leur direction.

Ensuite, ce choix apparaît bien coûteux pour les finances publiques, car il faut compenser la moindre recette auprès de la mutualité sociale agricole, la MSA. Ne peut-on craindre des effets d’aubaine ?

Autre question qui se pose, celle de l’eurocompatibilité. Ces exonérations ne risquent-elles pas d’être considérées comme une aide sectorielle ?

Enfin, quelle sera l’efficacité réelle de cette mesure en matière de compétitivité ? Rien ne nous assure que le gain de 1 euro de l’heure sera répercuté sur le prix de vente des produits. Or, en limitant cet allégement aux bas salaires, ne risquez-vous pas d’entretenir la précarité et les faibles rémunérations ? En effet, pour bénéficier entièrement de cette mesure d’exonération de charges, les exploitants agricoles seront incités à payer leurs salariés moins de 1,1 SMIC, au risque de paupériser toute une profession.

Monsieur le ministre, lutter contre le dumping social en Europe doit être un objectif majeur, mais l’objectif ne doit pas être de nous aligner sur ceux qui pratiquent le dumping social ! Tant que nous n’assurerons pas à nos agriculteurs un revenu décent, notamment par un contrôle assidu de la « construction » des prix, nous ne résoudrons pas le problème.

J’en profite ici pour dire quelques mots sur l’état d’application de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dite LMAP, qui devait justement donner de nouveaux outils à notre agriculture pour qu’elle sorte de la crise. Monsieur le ministre, un an et demi après son adoption, son bilan est plus que mitigé.

La contractualisation, recette miracle de la LMAP, peine à se mettre en place. Les contrats proposés sont majoritairement individuels, et non collectifs. De ce fait, les rapports de force entre producteurs agricoles et acheteurs continuent d’être très largement au détriment des premiers. Le conflit entre Lactalis et ses producteurs, qui refusent de signer le contrat très déséquilibré qui leur est proposé, montre bien que la contractualisation n’est pas la solution miracle. La contractualisation est quasi inexistante dans le domaine de l’élevage bovin.

De son côté, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ne fait qu’observer les déséquilibres persistants entre l’amont et l’aval de la chaîne de production. Cet organisme n’ayant pas vocation à les corriger, qu’est-il envisagé pour y remédier ?

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré une conjoncture économique difficile et un budget inévitablement contraint, je ne peux me résoudre à voter les crédits de cette mission, qui manque d’ambition pour le monde agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)