Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la question. Monsieur le secrétaire d'État, nous allons examiner avec grande attention et en détail les dispositions que le Gouvernement mettra en œuvre. Je tiens à rappeler que, au titre des risques sanitaires et des atteintes aux cultures végétales, la défense contre les organismes nuisibles est une mission de service public.

Mme Jouanno a parlé de la violence de mes propos. Je ne pense pas avoir été excessive, d’autant que tous mes collègues ici présents semblent reconnaître que la prolifération de cette espèce invasive pose un vrai problème et que l’État doit réagir.

J’aimerais dire quelques mots des mesures prises par le Gouvernement en faveur des pollinisateurs – je pense notamment au plan Ecophyto 2018 – puisque je suis à l’initiative avec mon groupe de la création d’une mission commune d’information sur les pesticides, qui va se constituer sous peu.

Je reconnais que fixer, comme l’a fait le Grenelle de l’environnement, un objectif de réduction de moitié de l’utilisation de pesticides à l’horizon de 2018 était bienvenu. Toutefois, je dois souligner que, comme on le craignait, la mise en œuvre du plan Ecophyto s’avère bien difficile.

Les premiers indicateurs semblent montrer que, depuis 2008, l’utilisation de pesticides a augmenté de 2,4 %, au lieu de diminuer, avec en outre des produits plus puissants, plus concentrés, ayant des conséquences notables sur la santé des agriculteurs, la pollution des eaux, la biodiversité et, bien évidemment, les abeilles.

La loi de finances pour 2012 a acté un prélèvement de 55 millions d’euros sur le fonds de roulement de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques. Or ces fonds proviennent justement des redevances pour pollution diffuse qui doivent normalement financer le plan Ecophyto ! Cette coupe budgétaire peut être interprétée comme un manque de volonté politique du Gouvernement sur ce dossier, ce que je trouve bien regrettable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur la lutte contre la prolifération du frelon asiatique.

6

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation relatif aux moyens nécessaires à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

7

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 8 février 2012, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2012-235 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

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Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président. La séance est reprise.

L’ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est conduit dans l’hémicycle selon le cérémonial d’usage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, c’est un très grand plaisir pour moi, à titre personnel comme à titre institutionnel, de vous accueillir dans l’hémicycle du Sénat pour la remise du rapport annuel de votre institution.

Les relations entre la Cour des comptes et le Parlement sont anciennes, mais jamais avant ces dernières années elles n’avaient connu un tel développement. Celui-ci a été consacré par l’article 47-2 de la Constitution. En tant que président du Sénat, je ne puis que m’en féliciter.

Ce développement est dû à l’affirmation par la Cour de ses compétences et à sa volonté d’affirmer toujours davantage, et en toute indépendance, son rôle d’information sur la situation des comptes publics, non seulement devant le Parlement, mais aussi, de mieux en mieux, devant l’opinion publique.

La Cour contribue ainsi à la fois au débat public, auquel elle fournit des bases de qualité et aussi objectives que possible, et à la confiance, si nécessaire en démocratie, entre les citoyens et leurs institutions.

En ce qui concerne le Sénat, on ne compte plus les demandes d’assistance à la Cour, émanant principalement de la commission des finances, mais également de la commission des affaires sociales.

Je me plais à souligner que c’est le Sénat qui a pris l’initiative de mettre en place des réunions « pour suite à donner » entre les représentants de la Cour, les rapporteurs de la commission des finances et les représentants de l’organisme public contrôlé. On peut faire la même observation à propos de l’examen des lois de règlement.

Ce que l’on sait moins, c’est que, à l’instar des autres comptes de l’État, les comptes des assemblées sont désormais eux aussi certifiés à l’issue d’un processus contradictoire, avec le concours du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables. Dans son acte de certification, la Cour elle-même n’a formulé aucune réserve sur les comptes des assemblées ni sur leur mode de certification.

Je crois cependant qu’il existe des champs nouveaux de coopération entre la Cour et le Sénat, au-delà du contrôle des comptes. Lors de mon allocution du 11 octobre dernier, je disais ainsi que, pour aller « vers un Sénat plus modeste », nous ne devions « craindre aucun regard extérieur, notamment celui de la Cour des comptes, sous réserve naturellement que les principes inhérents à la séparation des pouvoirs soient respectés ». Au demeurant, je sais la Cour aussi attachée que le Parlement à cette séparation des pouvoirs.

Dans la continuité des contacts que nous avons déjà eus, monsieur le Premier président, je prendrai très prochainement l’initiative de faire appel à l’expertise de la Cour en vue d’améliorer notre dispositif de contrôle interne, autour de notre commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne, déjà en place, d’examiner le statut juridique ainsi que les conditions de fonctionnement d’un certain nombre de services et, plus généralement, d’accompagner les réflexions nécessaires que nous avons déjà entreprises pour rendre plus lisibles les modalités administratives et financières selon lesquelles s’organise le travail du Sénat.

Ainsi, dans le respect du principe d’autonomie des assemblées, pourrons-nous mieux répondre ensemble à l’exigence de clarté et de sincérité des comptes et, surtout, de transparence de la gestion publique, qui fonde la confiance de nos concitoyens. (Applaudissements.)

Monsieur le Premier président, je vous donne maintenant la parole.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, j’ai l’honneur de vous remettre le rapport public annuel de la Cour des comptes, en application de l’article L 136-1 du code des juridictions financières. (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat le rapport annuel de la Cour des comptes.)

Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, le dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours un moment solennel et hautement significatif pour notre institution. Je suis heureux de vous le présenter. Je l’ai remis au Président de la République hier après-midi et je viens de le déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Ce rapport représente l’expression la plus forte de la mission constitutionnelle d’information des citoyens, que vous nous avez confiée, à travers votre pouvoir constituant, à l’occasion de la révision de 2008, que vous avez évoquée à l’instant, monsieur le président. Nos nombreuses autres publications, qui s’échelonnent dans l’année, concourent aussi à cette mission.

Conformément à la loi, et à la tradition, ce rapport vous est remis chaque année depuis 1832. Bien entendu, les relations qui unissent votre assemblée et la Cour sont sans cesse plus étroites et ne se résument plus à cette seule tradition. D’une part, le rapport public annuel est aujourd’hui accompagné, durant l’année, de rapports thématiques : il n’y en eut pas moins de quatorze en 2011. D’autre part, les missions que la Cour remplit pour assister le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques ont été élargies, notamment par les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances de 2001 – la LOLF – et par la révision constitutionnelle que j’ai citée.

En 2011, nous vous avons ainsi remis nos six rapports annuels sur les finances publiques, destinés à nourrir vos débats budgétaires et financiers. Par ailleurs, en réponse aux demandes des commissions des finances et des affaires sociales, nous vous avons transmis sept communications, en application de la LOLF et de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, la LOLFSS. Symétriquement, nous avons également adressé à l’Assemblée nationale neuf communications, ainsi que deux rapports d’évaluation de politiques publiques. Je me réjouis de voir que ces rapports, par les observations et les recommandations qu’ils contiennent, alimentent les travaux de vos commissions.

Vous le savez, si nous nous réjouissons de contribuer toujours davantage aux travaux du Parlement, nous sommes aussi très attachés à exercer pleinement notre liberté de programmation, ce qui impose que la majeure partie des activités de la Cour relève de sa propre initiative, lui permettant d’assumer ses missions propres, notamment l’examen des comptes et de la gestion des administrations et des entreprises publiques. Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sont là des travaux qui sont aussi à votre disposition et peuvent vous être utiles.

Le rapport de 2012 est, à l’instar de ses prédécesseurs, très varié ; il couvre, à travers ses quarante-quatre contributions, un très large spectre de politiques publiques et d’organismes. Ces contributions figurent dans deux tomes distincts. L’un présente des observations et recommandations nouvelles, l’autre les résultats des travaux de suivi que mène la Cour de façon systématique, pour vérifier dans quelle mesure ses recommandations sont prises en compte.

Vous constaterez que, dans de nombreux domaines, des évolutions positives sont relevées, que nous nous plaisons à souligner. La Cour prend les exemples du Plan cancer, des contrats de reclassement professionnels, des inspecteurs de l’académie de Paris ou de la gestion des juridictions administratives. Sur d’autres sujets, des évolutions sont constatées, qui doivent toutefois être prolongées pour produire tous leurs effets positifs. La Cour « insiste » ainsi sur la réforme portuaire de 2008, sur les grands chantiers culturels, sur France Télévisions ou encore sur les industries publiques d’armement.

Enfin, la Cour constate que, sur certains sujets, la prise en compte de ses recommandations est insatisfaisante. Elle alerte et alertera régulièrement les citoyens et les décideurs publics, aussi longtemps que nécessaire, pour que les réformes soient engagées. Cette année, la Cour vise particulièrement le régime des intermittents du spectacle, la gestion des pensions des fonctionnaires de l’État, la prime à l’aménagement du territoire et la politique relative à la périnatalité.

Ce travail sur les suites apportées à ses recommandations illustre le fait que la Cour est non seulement un facteur de transparence au service de l’information du citoyen, mais aussi un déclencheur et un accompagnateur de réformes. Elle s’efforce d’associer à ses constats et critiques des recommandations formulées dans les termes les plus opérationnels possible. Son suivi systématique des recommandations illustre aussi son souci d’être pleinement utile et constructive.

Avant d’attirer votre attention sur une sélection de sujets du rapport, comme les dépenses fiscales, la Banque de France, le logement social, la lutte contre la fraude ou les sous-préfectures, je souhaite vous faire part des constats et messages de la Cour concernant la situation de nos finances publiques.

Il y a un mois, à l’occasion de la séance solennelle de début d’année, j’ai rappelé quatre orientations et principes fondamentaux, à l’aune desquels la Cour examine la situation des finances publiques, et qu’elle a clairement dégagés dans ses précédentes publications.

Premièrement, il faut que notre pays s’éloigne aussi rapidement que possible de la zone dangereuse dans laquelle il est entré, en raison de son niveau d’endettement.

Deuxièmement, il importe d’assurer la crédibilité des engagements de la France en matière de finances publiques, ce qui suppose de préciser le plus possible les modalités retenues pour tenir ces engagements.

Troisièmement, les déficits récurrents de nos régimes de protection sociale, sans équivalent dans les autres pays d’Europe, sont des anomalies et doivent être éliminés.

Quatrièmement, enfin, l’effort de redressement doit concerner toutes les entités publiques – État, sécurité sociale, collectivités territoriales – et aussi bien les dépenses que les recettes, mais plus les dépenses que les recettes eu égard au niveau qu’atteignent déjà les prélèvements obligatoires dans notre pays.

La vigilance de la Cour pour alerter sur les déséquilibres des comptes publics ne résulte pas de préoccupations de nature simplement comptable. L’enjeu fondamental pour notre pays est de rester maître de ses décisions et, en définitive, de son destin.

Selon Paul Valéry, « la plus grande liberté naît de la plus grande rigueur ». Il n’est pas tout à fait certain que l’écrivain avait à l’esprit les finances publiques en écrivant ces mots ! Mais la perte considérable de marges de manœuvre que la charge de la dette nous impose aujourd’hui – et pourrait nous imposer davantage demain si nous ne mettons pas en œuvre un redressement rapide de nos comptes – montre qu’en effet, afin de rester maître de sa souveraineté, un pays doit être maître de ses finances publiques.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. En juin dernier, la Cour avait de nouveau relevé l’importance du déficit structurel de la France. Nous avions conclu que la crise expliquait environ un tiers du déficit de 2010 ; pour le reste, donc pour l’essentiel, il était de nature structurelle.

Notre pays est entré dans la crise avec un déficit structurel qui était déjà de 3,7 % du PIB en 2007 et, pendant plus de trente ans, le déficit public avait presque toujours été supérieur aux moyennes communautaires, quel que soit le gouvernement en place, y compris pendant les périodes de reprise de la croissance.

Dans ses précédents rapports, la Cour a montré la nécessité de faire disparaître les cinq points de déficit structurel qu’elle a constatés en 2010, c’est-à-dire 100 milliards d’euros, par un effort structurel de redressement, suffisamment rapide et vigoureux, d’un point de PIB par an, soit 20 milliards d’euros par an pendant cinq ans.

Analysant les résultats provisoires de l’année 2011, la Cour confirme, dans le présent rapport, qu’un effort de réduction du déficit structurel a été engagé. Alors qu’il avait été quasi nul en 2010, cet effort structurel a représenté environ un demi-point de PIB en 2011. Ce résultat est encourageant, mais il aurait fallu le double pour s’inscrire dans le processus de redressement dont la Cour a montré la nécessité.

Un élément nouveau de l’année 2011 a été le ralentissement de la dépense publique, qui a augmenté de 1,4 % en volume, contre 2,2 % par an au cours de la dernière décennie. Toutefois, l’accroissement de la dépense publique a encore été du même ordre que la croissance du PIB. De ce fait, l’amélioration structurelle a reposé en 2011 sur les hausses de prélèvements obligatoires, qui ont apporté 11,5 milliards d’euros de mesures pérennes, soit 0,6 point de PIB.

Selon les annonces les plus récentes du Gouvernement, le déficit total de 2011 serait inférieur à sa prévision, qui était de 5,7 % du PIB. En toute hypothèse, ce niveau de déficit, même un peu inférieur à 5,7 % et moindre qu’en 2009 et 2010, demeure trop élevé. Il signifie que 110 milliards d’euros de dépenses n’ont pas été couverts par des recettes, soit, par exemple, l’équivalent de l’ensemble des dépenses du budget de l’État consacrées à l’enseignement scolaire, la justice et la défense réunis. Avec un tel déficit, la dette publique continue d’augmenter à un rythme dont le maintien serait difficilement soutenable.

Aussi, pour conduire le redressement, les étapes qui restent à franchir pour la réduction de notre déficit structurel seront à la fois plus importantes et plus difficiles que celle qui a déjà été franchie. Si les objectifs de réduction du déficit que vous avez voté pour 2012 sont respectés, le déficit structurel n’aura été réduit, sur les cinq points que j’évoquais, que de 1,75 point depuis 2010, ce qui signifie que la plus grande part du chemin restera à parcourir en 2013 et 2014. Ce message, la Cour des comptes le renouvelle pour que chacun en mesure l’importance.

C’est d’ailleurs au cours des deux années à venir que doit être accompli l’essentiel de l’effort de redressement des comptes publics, selon le programme de stabilité remis à la Commission européenne : il prévoit un déficit public de 4,5 % du PIB en 2012 et de 3 % en 2013.

En juin dernier, la Cour avait jugé trop optimistes les hypothèses de croissance retenues pour 2012 et les années suivantes. Le Gouvernement les a progressivement réduites depuis septembre, notamment pour 2012. Cette prévision vient encore d’être révisée, ce qui est plus conforme à l’analyse de la Cour et confirme, si besoin en était, que les budgets doivent être préparés à partir d’hypothèses suffisamment prudentes.

Le projet de loi de finances rectificative présenté ce matin en conseil des ministres conforte le constat de la Cour selon lequel seule une partie de la réserve budgétaire est mobilisable pour tenir compte de la révision à la baisse de l’hypothèse de croissance. Cette opération a, par ailleurs, pour conséquence que presque toutes les marges de gestion du budget de 2012 ont désormais disparu.

Le solde primaire en 2012, c’est-à-dire après versement des intérêts de la dette, demeurerait négatif en France, de 1,7 % du PIB, alors qu’en Allemagne, il serait positif à hauteur de 1,3 % du PIB. La décroissance du ratio dette/PIB de l’Allemagne se poursuivrait donc, revenant à 81 % du PIB, alors que la dette française poursuivrait encore son augmentation, pour avoisiner 90 % du PIB.

L’ajustement doit donc se poursuivre. La mobilisation de nouvelles recettes atteignant ses limites, le volet des dépenses devrait apporter une contribution beaucoup plus importante au redressement des comptes publics. Cela implique inévitablement la réduction de la dépense publique dans certains domaines, qu’il convient de repérer, et les mesures envisagées pour y parvenir doivent être explicitées.

Le recours à des règles générales relatives à la dépense publique ou à la réduction des effectifs ne suffira pas à cet effort sur la dépense. Il faut que l’effort soit ciblé : les dépenses inefficaces doivent être identifiées et réduites, voire supprimées. À lui seul, je le rappelle, l’État finance aujourd’hui plus de 1 300 dispositifs d’intervention. Qui peut dire qu’il n’y en a pas d’inutiles ?

La mise en œuvre d’une revue triennale des politiques publiques et le développement de l’évaluation des politiques publiques doivent permettre de faire porter les efforts sur l’argent public mal dépensé, en préservant les dépenses essentielles. Cet effort doit aussi pleinement concerner les collectivités territoriales, ainsi que les dépenses de protection sociale.

Certes, les finances locales pèsent peu dans la dégradation globale des finances publiques et l’endettement des collectivités locales apparaît, dans l’ensemble, bien maîtrisé.

M. Didier Guillaume. Il est bon de le rappeler !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Toutefois, dans beaucoup de collectivités, la dynamique des dépenses locales retient l’attention : si l’on écarte les transferts de compétences, elles ont augmenté en volume, chaque année, de 3,6 % en moyenne entre 1999 et 2009.

Mme Évelyne Didier. C’est normal, il y a plus de pauvres !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Symétriquement, la fiscalité locale a augmenté, elle aussi, pour suivre la progression des dépenses : les prélèvements obligatoires locaux sont ainsi passés de 4,9 % à 6,2 % du PIB entre 2002 et 2009. Même si ce rythme a connu une inflexion en 2010, son maintien n’apparaît pas compatible avec la poursuite de l’effort structurel de redressement, qui impose de recourir le moins possible à de nouvelles recettes et de ralentir nettement la progression des dépenses publiques.

La masse salariale constitue un facteur important de croissance de la dépense qui devrait être davantage maîtrisé : une meilleure articulation entre les moyens dont disposent les communes et ceux dont disposent les structures intercommunales pourrait être recherchée.

Des contraintes plus fortes doivent aussi peser sur les dépenses de sécurité sociale. Elles représentent 46 % des dépenses publiques et ne peuvent plus être financées à crédit. Elles continuent d’augmenter à un rythme trop rapide, qui exclut le retour à l’équilibre avant un terme très éloigné. Mettre en œuvre des réformes structurelles pour infléchir durablement la progression des dépenses sociales, sans remettre en cause la qualité de la protection sociale, est un impératif premier et essentiel. Cet effort doit porter en priorité sur l’assurance maladie : ce n’est en effet que par des mesures d’une ampleur à la hauteur des enjeux qu’elle représente que sera préservé le haut degré de protection sociale de notre pays.

La résorption de notre déficit structurel doit être conduite aussi vite que possible. Ce redressement est, en tout état de cause, moins lourd de conséquences qu’une poursuite de l’endettement. Les pays qui réussissent le mieux aujourd’hui sont ceux qui ont engagé le plus tôt le redressement de leurs comptes publics. Des réformes structurelles nouvelles sont donc indispensables, accompagnées de mesures destinées à renforcer la compétitivité du pays et à assurer un juste partage des efforts.

La Cour des comptes prescrit la mise en œuvre, pendant qu’il est encore temps, d’un traitement de fond, continu et suivi, afin d’écarter le risque de devoir recourir à une brutale cure d’austérité, à un remède de cheval administré sous la pression de l’extérieur, ce qui reviendrait à une mise sous tutelle.

Dans la perspective de cet impératif de redressement, la Cour recommande depuis plusieurs années la réduction des dépenses fiscales. En 2010, leur coût s’élevait à 73 milliards d’euros environ, soit presqu’un tiers des recettes fiscales nettes de l’État, en hausse de plus de 60 % depuis 2004. S’y ajoutent des dépenses fiscales non recensées, que la Cour a néanmoins identifiées comme telles. La définition de ces dépenses fiscales a été précisée, mais l’inventaire demeure incertain.

La Cour préconise de réduire fortement le coût de ces niches en réduisant celles qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, au regard de leur coût. En 2013, les mesures votées par le Parlement, qui représenteront 11 milliards d’euros de réduction des niches par rapport à 2010, conduiront à une réduction du coût d’ensemble des niches de 5 milliards d’euros seulement, car le coût des niches fiscales a progressé entre-temps. L’effort doit être amplifié et viser une réduction de 15 milliards d’euros.

Les rapports de la Cour des comptes comme ceux de l’Inspection générale des finances, ainsi que de nombreux rapports parlementaires, ont identifié de nombreuses niches dont l’inefficacité est avérée. Dans le présent rapport, la Cour prend, à ce titre, l’exemple des défiscalisations dites « Girardin » en faveur de l’outre-mer. En effet, dans la mesure où les résultats sont loin d’être à la hauteur des moyens engagés, la Cour propose la suppression de cette niche au profit d’autres modes d’action publique pour soutenir les économies ultramarines.

La Cour rend compte du contrôle de la Banque de France. Elle estime que, dans l’univers financier incertain où la Banque de France se situe désormais, la gestion financière du portefeuille que celle-ci détient pour son compte propre devrait donner plus d’importance au long terme et à la sécurité par rapport à la rentabilité à court terme. L’objectif d’assurer à l’État un dividende élevé a conduit à une gestion patrimoniale qui n’est pas vraiment satisfaisante si l’on regarde le long terme : l’exemple de la vente d’or qui s’est échelonnée de 2004 à 2009 l’illustre.

Sur la gestion de la Banque de France, la Cour constate des progrès intervenus à la suite de son rapport de mars 2005, jugé à l’époque sévère par la Banque, mais note que celle-ci dispose toujours d’importants réservoirs de gains de productivité. Il apparaît essentiel qu’un certain nombre de mesures complémentaires soient prises quant à la gestion même de la Banque de France.

Concernant le logement social, l’indispensable recentrage de l’effort de construction que la situation actuelle des finances publiques rend nécessaire a produit des résultats décevants. En 2009, 75 % des logements sociaux étaient construits là où n’existaient pas de besoins manifestes, et seuls 25 % l’étaient dans les zones les plus tendues. Ces résultats médiocres s’expliquent en partie par les faiblesses dont souffre le zonage sur lequel reposent les incitations à la construction. Les instruments utilisés sont mal adaptés, parfois même contreproductifs. La connaissance nationale du parc social et de son évolution doit s’améliorer, tandis qu’un nouveau zonage adapté aux enjeux du recentrage et révisé tous les trois ans doit être adopté.

La Cour des comptes aborde également dans ce rapport le sujet de la lutte contre la fraude. Dans son ensemble, notre appareil répressif demeure trop peu efficace. La Cour s’est penchée spécifiquement sur un cas de fraude spectaculaire, qui a coûté 1,6 milliard d’euros de perte fiscale à l’État entre l’automne 2008 et le printemps 2009 : la fraude à la TVA sur les marchés de quotas de carbone. Tant la Caisse des dépôts et consignations que l’entreprise BlueNext, en charge du marché, ont tardé à percevoir l’ampleur systémique de la fraude. De son côté, l’administration fiscale et le ministère de l’économie et des finances ont fait preuve d’une insuffisante réactivité. Une telle fraude révèle les lacunes de la régulation d’un marché dont les potentialités frauduleuses ont été négligées.

Je voudrais terminer mon intervention en abordant brièvement plusieurs sujets en lien avec l’intervention de l’État et des collectivités locales sur les territoires.

S’agissant de l’intervention de l’État, la Cour des comptes a examiné le réseau des sous-préfectures. Leurs missions principales, notamment la délivrance des titres de séjour et le contrôle de légalité, sont en train de disparaître, laissant la plupart d’entre elles sans activités administratives précises. Les sous-préfets conservent un rôle de représentation et de mission, mais cette vocation se détache progressivement du ressort territorial de l’arrondissement, ce qui les conduit plutôt à assister les préfets de département et de région. La gestion courante est défaillante : les ressources humaines restent sans perspectives, la mutualisation des moyens humains et des tâches est insuffisante, les charges immobilières surdimensionnées et pesantes.

Pourtant les marges d’évolution sont très nombreuses pour faire évoluer ce réseau étatique de proximité, auquel le pays est souvent attaché, sans que la présence de l’État disparaisse pour autant. Le réseau doit donc se moderniser et s’adapter : son découpage devrait être amélioré, les perspectives d’évolution des sous-préfectures les plus petites clarifiées, la recherche d’économies amplifiée, notamment sur le plan immobilier : le parc actuel doit être rationalisé en fonction des missions restantes et des modes de vie actuels.

La Cour des comptes évoque également deux sujets sur lesquels des arbitrages pourraient être utilement rendus.

D’une part, la prime à l’aménagement du territoire est un dispositif géré par l’État pour soutenir les emplois et les investissements des entreprises sur les territoires. L’analyse de la Cour montre que son rôle est devenu marginal par rapport à l’action des collectivités locales, notamment. La Cour propose donc de supprimer cette prime.

D’autre part, le rapport montre aussi que le recours aux aides d’urgence à l’agriculture mériterait d’être rationalisé.

S’agissant plus spécifiquement des collectivités territoriales, la Cour se penche cette année sur la décentralisation routière et en conclut que la réforme apparaît plus coûteuse qu’il n’était prévu, pour l’État comme pour les collectivités locales, et qu’il reste à l’approfondir pour en atteindre les objectifs. Elle examine également la gestion prévisionnelle des ressources humaines dans les collectivités territoriales en donnant des exemples de bonnes pratiques. Enfin, elle apporte des éclairages particuliers sur la gestion communale et intercommunale, à travers ses études sur les communes balnéaires du Languedoc-Roussillon ou le parc minier du Val d’Argent, en Alsace.

Le secteur de la santé n’est pas non plus oublié, de même que ceux de l’enseignement et de la recherche, avec les réseaux thématiques de recherche avancée, la formation des enseignants, le passage aux responsabilités et compétences élargies des universités parisiennes, le plan Réussite en licence et les écoles normales supérieures.

Il y aurait encore beaucoup d’autres choses à dire, mais je veux vous laisser aussi découvrir par vous-mêmes les 1 600 pages de ce rapport public annuel.

Je vous remercie, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de m’avoir écouté aussi longuement sur des sujets de préoccupation qui nous sont communs. Je souhaite sincèrement que la sélection de nos contrôles qui figure dans ce rapport annuel alimente vos débats et nourrisse votre travail parlementaire. Notre expertise demeure à votre entière disposition. (Applaudissements.)