Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Mon collègue Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales, soulignera ses conséquences sur le financement de la protection sociale.

Je dirai simplement, pour ma part, que la TVA sociale est une mauvaise idée proposée à partir d’un diagnostic erroné, selon lequel le coût salarial serait le facteur essentiel de notre perte de compétitivité. Or, un bon indicateur de la compétitivité de l’économie française nous est fourni par le récent rapport de la Commission européenne sur les déséquilibres macroéconomiques : la France a perdu, en cinq ans, 19,4 % de parts de marché à l’exportation, soit le pire score de l’Union européenne après la Grèce et Chypre ! Cela ne s’explique pas par un coût du travail qui serait trop élevé, puisque, dans le secteur manufacturier, il est comparable à celui de l’Allemagne.

M. Roland Courteau. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cela s’explique par le déficit de compétitivité hors prix de l’économie française. Le diagnostic du Gouvernement étant mauvais, le remède ne sera pas efficace.

Je voudrais m’arrêter un instant sur l’argument principal mis en avant par le Gouvernement : cette mesure favoriserait l’emploi. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

Il s’agit des fameux 100 000 emplois que l’abaissement des charges sociales permettrait de créer. Comment parviendrait-on à ce résultat ? Nul ne le sait, puisque le Gouvernement n’a pas publié le détail de ses simulations. Ce résultat serait-il susceptible de modifier de manière significative le niveau de l’emploi dans notre pays ? Pas vraiment, si l’on a en tête qu’une appréciation de l’euro de 10 % – qui détruirait 149 000 emplois – en annulerait totalement les effets.

Pour ma part, je me suis livrée à un exercice d’évaluation des effets de la réforme sur l’emploi.

M. Francis Delattre. Au doigt mouillé !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. J’en tire la conclusion que la réforme sera globalement sans effet sur le niveau de l’emploi. Elle pourrait même en détruire.

M. Roland Courteau. C’est clair !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Voici encore un paradoxe de ce collectif « de trop » : parmi toutes les façons possibles d’instaurer la TVA sociale, le Gouvernement a choisi – en ne ciblant pas les bas salaires – celle qui est la moins susceptible de créer des emplois… Pour le détail de mes investigations, je vous renvoie à mon rapport écrit. Je défie quiconque de me prouver que mes calculs sont erronés ! Du reste, l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, aboutit aux mêmes chiffres dans une étude récente, à quelques milliers d’emplois près.

Pour changer de sujet, tout en restant dans le même esprit, on peut également dire que, de toutes les manières de taxer les transactions financières, le Gouvernement a retenu celle qui est la plus éloignée des conceptions de ceux qui préconisent cette taxation depuis des années.

Le dispositif du Gouvernement est composé de quatre éléments.

Je commencerai par faire un sort à la « taxe alibi » sur les « CDS nus » sur titres souverains. Taxer un produit financier sur le point d’être interdit – il le sera à compter du 1er novembre 2012 – par l’Union européenne, cela n’a rien d’audacieux ! Il eût mieux valu l’interdire dès 2010, comme l’Allemagne. À l’époque, nous avions demandé à Mme Lagarde pourquoi elle refusait de prendre une telle mesure. Elle nous avait expliqué que ce n’était pas possible, pourtant cela l’était en Allemagne. Il faut savoir ce que l’on veut ! L’Union européenne s’est ralliée à la position allemande, et c’est tant mieux.

Quant à la taxe sur le trading haute fréquence, je relève, comme vous l’avez fait en commission, monsieur le ministre, que le Gouvernement reprend un dispositif que j’avais moi-même proposé en novembre et que le Sénat a voté. Je suis donc bien placée pour vous dire qu’il s’agit d’une taxe non pas sur les transactions financières, mais sur les non-transactions, puisqu’il s’agit de frapper des ordres annulés. Ce que j’ai jugé bon en novembre, je ne vais pas le juger mauvais en février, bien évidemment, même si, de son côté, le Gouvernement a complètement changé d’avis ! Ce sujet est essentiel, tant il s’agit d’une pratique nocive, déstabilisante pour les marchés, mais il est distinct de celui de la taxation des transactions financières. J’attends du prochain gouvernement français, quel qu’il soit, qu’il soutienne la Commission européenne, laquelle va être confrontée aux lobbies dans son effort d’encadrement de cette pratique, puisqu’elle ne veut pas aller jusqu’à l’interdire. À cet égard, je rappelle que nous avons examiné voilà quinze jours, sur l’initiative de la commission des affaires européennes, le projet de nouvelle directive sur les marchés d’instruments financiers.

Je voudrais maintenant souligner un fait cocasse. Dans la rédaction initiale du projet de loi, l’article consacré à la création d’une taxe sur les transactions financières supprimait une taxe existante et portant, précisément, sur des transactions financières, en l’espèce les cessions de parts de sociétés ! La majorité de l’Assemblée nationale n’ayant pas accepté la suppression d’une mesure votée par le Parlement sur l’initiative du Sénat, le Gouvernement a dû composer avec elle, a minima malheureusement.

J’en viens enfin au morceau de choix : la taxe sur les actions françaises.

Le dispositif technique s’inspire de la taxe britannique, le stamp duty ou droit de timbre, sans aller aussi loin qu’elle en matière de périmètre et de taux.

Cela étant, je préfère concentrer mon propos sur la portée politique de la décision du Gouvernement. La place financière de Londres se porte très bien malgré le stamp duty. La France crée son droit de timbre, après avoir supprimé l’impôt de bourse en 2008,…

M. François Baroin, ministre. Ce n’est pas la même chose !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … mesure à laquelle nous nous étions opposés. L’industrie financière se déclare « soulagée ». Quel enseignement tirer de cette attitude, sinon que cette industrie a eu très peur lorsqu’elle a entendu la France annoncer son intention d’anticiper la création de la taxe européenne et qu’elle s’est rassurée lorsqu’elle a découvert le dispositif proposé ! J’ai pu m’en assurer personnellement.

Dès lors, la France rend-elle vraiment service à la cause de la taxe conçue par la Commission européenne, qui elle est une vraie taxe sur les transactions financières ? À mon sens, elle ouvre plutôt une porte de sortie aux gouvernements qui proclament leur soutien à l’instauration d’une taxe sur les transactions financières tout en ayant peur d’affronter le secteur financier ! Avec la taxe sur les transactions financières « à la française » se fait jour un plus petit commun dénominateur, et l’on risque de voir se multiplier les taxes nationales à assiette étroite, au lieu de voir naître la taxe européenne.

L’objectif de lutte contre la spéculation est loin, on en revient à un impôt de bourse modernisé – c’est-à-dire adapté aux évolutions des plates-formes de négociation en Europe – qui ne frappe pas les transactions les plus spéculatives.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L’habillage et la cosmétique sont vraiment des spécialités du Gouvernement. La création de la « banque de l’industrie », improvisée le 29 janvier par le Président de la République, en constitue une autre illustration.

Il y aurait matière à réorganiser les soutiens publics à l’industrie en regroupant au sein d’une même entité les prestations aujourd’hui fournies par différents acteurs, comme le propose François Hollande. Peut-être faudrait-il d’ailleurs envisager une régionalisation de l’action de cette entité, afin qu’elle intervienne au plus près du terrain et des grappes d’entreprises, qui sont nécessaires à la compétitivité de notre tissu industriel.

On peut douter, en revanche, de l’intérêt de se lancer dans un jeu de Meccano consistant à créer une filiale d’OSEO proposant les mêmes services que sa maison mère, sous prétexte de donner un semblant de contenu politique à une opération de recapitalisation qui aurait en tout état de cause dû être menée et qui avait du reste été réclamée en 2010, à hauteur de 1 milliard d’euros, par le président-directeur général d’OSEO. Les membres de la commission des finances du Sénat, qui l’avait auditionné, en sont témoins.

En outre, pour financer l’opération, on puise dans les crédits du programme d’investissements d’avenir, ce qui confirme sa nouvelle vocation de « cagnotte » destinée à financer, en dehors de la norme de dépense, des annonces présidentielles, au détriment de secteurs d’avenir comme le numérique et la croissance verte…

Je pourrais compléter mon propos en citant divers exemples tirés des vingt-huit articles additionnels ajoutés par l’Assemblée nationale.

Prenons, par exemple, l’article 2 bis relatif au rachat de leurs actions par les sociétés non cotées. Il s’agit d’une disposition qui avait été introduite dans la loi de finances avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier budgétaire. Elle nous revient aujourd’hui sous un habillage qui n’est pas plus satisfaisant, nous offrant surtout un nouvel exemple du double langage tenu par le Gouvernement en matière de régulation financière : d’un côté, on nous annonce une volonté sans faille de réguler les marchés et la finance ; de l’autre, on approuve des mesures qui tendent à accorder aux entreprises non cotées certains avantages dont bénéficient les sociétés cotées sans les soumettre aux mêmes exigences, au détriment de la transparence et de l’intégrité des marchés, quoi que l’on en dise !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est très critiquable, en effet !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Tout cela ne doit pas nous faire oublier l’essentiel, à savoir la situation de la zone euro.

Le programme de « prise en pension » à trois ans de la Banque centrale européenne a incontestablement permis de ramener le calme sur les marchés. Cette accalmie est bienvenue, mais rien ne garantit que la tempête ne soufflera pas à nouveau si les dirigeants européens ne se montrent pas à la hauteur des enjeux. Nous en reparlerons mardi prochain, lorsque nous examinerons les deux traités relatifs au Mécanisme européen de stabilité.

Cependant, ce projet de loi de finances rectificative aborde d’ores et déjà la mise en œuvre des décisions prises par les États de la zone euro, en permettant le versement des deux premières tranches de la dotation en capital de la France, qui explique la dégradation du déficit budgétaire constaté dans ce collectif. Il ne constitue que le premier de plusieurs versements, dont le montant total atteindra 16,3 milliards d’euros.

Il faut toutefois garder à l’esprit que s’ajoutent à ces 16,3 milliards d’euros de capital « appelé », dont le versement est certain, 126 milliards d’euros de capital « appelable », que la France s’engage, par le traité, à verser en cas de besoin.

Ce capital appelable du MES, dont la commission a débattu hier avec le directeur du Trésor, s’apparente à bien des égards à une garantie de l’État, dont la loi organique relative aux lois de finances prévoit qu’elle ne peut être accordée que par une loi de finances. C’est d’ailleurs au travers d’une loi de finances qu’a été accordée la garantie de l’État aux émissions du Fonds européen de stabilité financière, le FESF.

Par conséquent, si le Parlement décidait de ratifier le traité sur le MES en l’absence d’une « disposition miroir » inscrite dans une loi de finances, il permettrait que le seul fondement juridique interne de l’octroi de garantie soit un projet de loi de ratification, et non une loi de finances. La conformité à la LOLF du projet de loi de ratification serait discutable. J’imagine que le Gouvernement a mesuré la responsabilité qu’il prend à cet égard en élaborant ce projet de loi de finances rectificative…

Le MES constitue un mécanisme permanent de soutien aux États en difficulté en cas de menace pour la stabilité de la zone euro. Il est encore sous-dimensionné et ne peut se refinancer auprès de la Banque centrale européenne, mais il représente un attribut fort de la solidarité européenne. Malheureusement, il a été instrumentalisé, pour des raisons de politique intérieure, par la Chancelière allemande et le Président de la République, qui ont conçu le traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire, le TSCG.

Toutefois, étant d’un naturel optimiste, je veux croire que cette initiative franco-allemande véritablement contre-productive et prise sur une base intergouvernementale en court-circuitant le processus communautaire sera renégociée et connaîtra, en tout état de cause, le même sort que la précédente,…

M. Antoine Lefèvre. C’est de la naïveté !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … à savoir le « pacte de compétitivité », devenu ensuite le « pacte euro + », que tout le monde a oublié alors qu’il avait été présenté, au printemps 2011, comme un instrument essentiel de la gouvernance européenne. Il y a fort à parier que ce qui est aujourd’hui présenté par le Gouvernement et la majorité parlementaire comme primordial, au prix d’une instrumentalisation que je viens de dénoncer, le sera beaucoup moins d’ici quelques mois. Nous reviendrons sur ces sujets mardi prochain, lorsque nous examinerons les deux projets de loi de ratification des traités relatifs au MES.

Je conclurai en réitérant les raisons principales qui ont conduit la commission des finances à déposer une motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi de finances rectificative.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous n’avons pas compris pourquoi !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il n’y a pas lieu de délibérer d’un tel texte en pleine campagne présidentielle,…

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … dès lors que, sur le plan des principes, il ne contient aucune disposition urgente et que, sur le fond, nous sommes opposés à l’essentiel de ses dispositions.

Mes chers collègues, pourquoi légiférer aujourd’hui sur des dispositions qui vont à l’encontre des propositions que nous entendons mettre en œuvre demain ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Francis Delattre. C’est l’aveu final : nous devons attendre !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis de deux articles du projet de loi de finances rectificative pour 2012 : l’article 1er, relatif aux dispositions fiscales améliorant la compétitivité des entreprises, qui prévoit la création de la TVA dite « sociale » et tous les ajustements qui lui sont liés ; l’article 8, relatif à la contribution supplémentaire à l’apprentissage, dont le barème serait augmenté pour les entreprises de plus de 250 salariés ne respectant pas un quota de jeunes en formation par alternance, lui-même en augmentation.

Avant de vous livrer les principales observations de notre commission sur le contenu de ces articles, je voudrais insister sur la méthode employée par le Gouvernement.

En ce 22 février, à deux mois exactement d’une échéance politique majeure pour notre pays, le Gouvernement nous demande de voter en urgence une réforme de grande ampleur, qu’il qualifie de déterminante pour l’avenir de notre économie et la compétitivité de nos entreprises,…

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. … visant à la fois la structure de nos prélèvements obligatoires et le mode de financement de notre système de protection sociale. Est-ce bien le moment ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La vie ne s’arrête pas parce qu’il y a des élections !

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. De deux choses l’une : soit il fallait entreprendre cette réforme plus tôt, et je vous renvoie alors aux rapports Besson et Lagarde de la fin de 2007, qui n’étaient clairement pas favorables à la mise en place d’une telle mesure, soit il faut en faire l’un des éléments phares et prioritaires du programme présidentiel et prévoir sa mise en place après les échéances électorales du printemps.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. L’immobilisme n’est pas une solution !

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je note d’ailleurs que, à l’Assemblée nationale, tant Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales, que Gilles Carrez, rapporteur général du budget, ont vigoureusement soutenu à la tribune qu’il s’agissait là, à leurs yeux, d’une réforme de début de législature. Devant notre commission, hier, Jean Arthuis n’a pas dit autre chose.

Deux autres points, sur le plan de la méthode, me paraissent contestables.

Le premier a trait à l’urgence dans laquelle nous débattons.

Le projet de collectif a été adopté en conseil des ministres voilà tout juste deux semaines. La commission des finances de l’Assemblée nationale l’a examiné le jour même : c’est une performance à mettre au crédit de ses membres et de son rapporteur général, mais cela laisse planer un doute sur la profondeur du travail effectué. Enfin, après que l’Assemblée nationale eut voté le texte hier après-midi, la commission des finances du Sénat, dès hier soir, puis celle des affaires sociales, ce matin, ont examiné celui-ci à leur tour, avant d’entamer la discussion en séance publique cet après-midi… La suite du calendrier est, elle aussi, déjà arrêtée. Au total, le Parlement aura donc adopté, en trois semaines à peine, un texte dont les conséquences sont très loin d’être négligeables pour l’ensemble de nos concitoyens. Quel parlementaire, quelle que soit son appartenance politique, peut décemment accepter un tel passage en force, qui plus est sur des sujets aussi importants ? Ce sont les fondements mêmes de notre démocratie que l’on remet ainsi en question : les parlements n’ont-ils pas été créés, précisément, pour examiner et voter en toute indépendance et sérénité les lois budgétaires des États ?

Le second motif d’interrogation tient aux dates d’entrée en vigueur des réformes que l’on nous demande d’adopter.

Il est prévu que la TVA « sociale » s’applique à compter du 1er octobre prochain. Comment, dès lors, justifier l’urgence d’un vote avant les élections, sauf bien sûr à suivre le promoteur de cette mesure, qui attend de sa simple annonce un rebond de la consommation tout en se disant persuadé, dans le même temps, qu’aucune hausse des prix n’interviendra après l’augmentation de la TVA !

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Il en va de même pour la mesure relative à l’apprentissage. L’article 8 prévoit de relever à 5 % le quota obligatoire de jeunes en alternance dans l’effectif de l’entreprise à compter de l’exercice 2015, c’est-à-dire que ce nouveau quota sera pris en compte pour le calcul de la taxe qui sera payée en 2016 !

Mme Christiane Demontès. Quelle urgence !

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Quelle peut-être, là encore, l’urgence de la réforme ?

Ces deux points pourraient, à eux seuls, justifier le rejet du collectif et le vote d’une motion tendant à opposer la question préalable, mais je ne m’en tiendrai pas à ces seuls arguments : je vais maintenant évoquer la teneur des deux articles dont s’est saisie la commission des affaires sociales.

La TVA « sociale », tout d’abord, est une mesure à plusieurs facettes.

Son premier volet consiste en une baisse des cotisations sociales patronales affectées à la branche famille, qui s’élèvent actuellement à 5,4 % de la totalité des salaires versés par les entreprises. Le dispositif proposé tend à les supprimer complètement jusqu’à 2,1 fois le SMIC, puis à prévoir leur diminution progressive jusqu’à 2,4 fois le SMIC. Ce faisant, la mesure étend le dispositif d’allégement général, dit « Fillon », sur les bas salaires. Elle vise en particulier l’emploi industriel. Au total, la baisse de cotisations sociales envisagée atteindrait 13,2 milliards d’euros.

Pour compenser cette perte de recettes pour la branche famille, deux ressources sont mobilisées : la TVA et la CSG.

Le taux normal de la TVA serait ainsi relevé de 1,6 point, passant de 19,6 % à 21,2 %, ce qui rapporterait 10,6 milliards d’euros. Le taux de la CSG sur les revenus du capital serait relevé de deux points, passant de 8,2 % à 10,2 %, pour un produit attendu de 2,6 milliards d’euros.

Cette mesure consistant à mettre en place une TVA curieusement dite « sociale » ne nous paraît pas acceptable. En effet, malgré tous vos démentis, madame, monsieur les ministres, il est clair que la hausse de la TVA aura un effet inflationniste, au moins partiellement – tel a toujours été le cas, en France comme dans les autres pays –, et donc une incidence sur la consommation des ménages et, par voie de conséquence, sur la croissance. N’est-ce pas le contraire de l’effet recherché ?

Par ailleurs, comme nous l’avons toujours dit, la TVA est un impôt injuste, parce qu’il touche particulièrement les plus modestes de nos concitoyens, ceux qui consacrent à la consommation la totalité de leur revenu. Tous ceux qui ont aujourd’hui des fins de mois difficiles auront, dès la rentrée, des fins de mois impossibles !

De plus, l’effet attendu de la mesure sur le plan de la compétitivité semble devoir être relativisé. Les experts que nous avons interrogés nous ont expliqué que cet effet ne se ferait sentir que pendant un temps limité, car nos partenaires européens s’adapteront rapidement au nouveau contexte. De son côté, Jean Arthuis a assimilé la mesure à une dévaluation. Or chacun sait que les dévaluations ne produisent qu’un effet de court terme…

Notre problème de compétitivité est en fait d’une tout autre nature : il résulte d’un retard en matière de création, de recherche, d’innovation. C’est d’une vraie politique industrielle que notre pays a besoin !

Monsieur le ministre, vous avez mentionné une enquête de l’INSEE dont au moins deux grands quotidiens nationaux font largement état dans leur édition d’aujourd’hui. Je me suis procuré le texte complet de cette étude sur le site internet de l’INSEE. Je vais vous en livrer un extrait qui montrera que beaucoup de vérités apparemment bien établies méritent en fait d’être discutées…

À la page 60 de ce document, il est écrit que « dans l’industrie automobile, le coût horaire allemand est le plus élevé d’Europe. Il est en particulier supérieur de 29 % à celui observé en France : 43,14 euros contre 33,38 euros. L’écart se montait à 49 % en 1996 et a donc diminué depuis. Néanmoins, il reste fort important, alors même que le secteur automobile a contribué dans une large mesure à la dégradation du solde commercial de la France. »

Plus loin, on lit que le coût salarial unitaire, le CSU –notion permettant de prendre en compte, outre le coût horaire, la productivité –, a baissé de 0,5 % par an en moyenne dans l’industrie française depuis 1996 !

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Par souci de vérité, il faut ajouter que, parallèlement, en Allemagne, le CSU a baissé de 0,7 % par an en moyenne, tandis que, au contraire, il a augmenté au Danemark, au Royaume-Uni et en Italie.

Mais il y a plus piquant encore : à propos du CSU, l’INSEE observe que « l’essentiel de la baisse s’est produite entre 1996 et 2000, c’est-à-dire au moment de la mise en place des 35 heures pour les entreprises volontaires (« Ah ! » sur les travées du groupe socialiste.), période où a eu lieu la majeure partie de la baisse du temps de travail ». Mes chers collègues, voilà qui relativise certains jugements catégoriques et hâtifs quelquefois portés dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est pour cela qu’ils n’ont pas supprimé les 35 heures !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le doute ne vous habite pas…

M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Enfin, que dire de l’objectif affiché par le Gouvernement, qui prévoit la création de 100 000 emplois à la suite de la mise en place de cette mesure ? Même dans les rapports présentés en 2007 par Éric Besson et Christine Lagarde, il n’était pas question de plus de 30 000 à 40 000 emplois créés, et ce dans un délai de plusieurs années !

Mes chers collègues, quel que soit l’angle sous lequel on examine la réforme proposée – dont certains aspects, je ne le conteste pas, sont a priori séduisants –, on est conduit à douter fortement de son efficacité. Il nous paraît donc impossible de l’adopter aujourd’hui en l’état et d’imposer à nos concitoyens une hausse aveugle de la TVA.

J’ajoute qu’aucune garantie réelle n’est apportée quant à une compensation à l’euro près de la perte de recettes que subira la branche famille de la sécurité sociale. Certes, la remise au Parlement d’un rapport faisant le bilan des comptes est prévue, mais notre commission a déjà connu de telles situations dans le passé : on en revient toujours à ce constat que la sécurité sociale est une variable d’ajustement commode pour le budget de l’État… Étant donné la situation déjà dégradée des comptes de la branche famille, nous ne pouvons cautionner une telle légèreté !

J’en viens à l’article 8, qui porte sur la réforme de la contribution supplémentaire à l’apprentissage. S’il est d’une moindre portée que l’article 1er, il n’est pas moins surprenant. En effet, son dispositif n’entrera pleinement en vigueur qu’en 2016 seulement… Une fois de plus, il s’agit donc surtout d’une mesure d’affichage !

Qui pourrait s’opposer au développement de l’apprentissage dans notre pays ? Personne, bien sûr ! Je le rappelle, nous avons déjà réformé ce mécanisme de soutien à l’apprentissage en juillet dernier, en décidant de le rendre progressif afin de récompenser les entreprises qui augmentent le nombre de jeunes en alternance qu’elles accueillent ou qui vont au-delà de l’obligation légale en la matière, actuellement fixée à 4 % de l’effectif salarié.

Aujourd’hui, il est proposé de relever ce quota à 5 % à compter de 2015. Le dispositif prévoit également une modulation du taux de la contribution supplémentaire à l’apprentissage en fonction de l’écart constaté entre l’effectif des jeunes en alternance présents dans l’entreprise et le seuil fixé par la loi. N’aurait-il pas été plus pertinent, avant de modifier les dispositions de la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, d’attendre que celle-ci ait été complètement mise en application et qu’une évaluation sérieuse de ses effets ait pu être menée ?

Toutes ces considérations militent en faveur du rejet de l’article 8 de ce projet de loi de finances rectificative.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a décidé de soutenir la motion tendant à opposer la question préalable qui a été adoptée hier soir par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)