M. Jean Leonetti, ministre. La Chancelière le rappelait récemment, l’organisation démocratique qui a prévalu dans son pays au sortir de la guerre, le poids respectif des syndicats et de l’exécutif, l’obligation de gouverner par coalitions et les modes d’élection, à une époque où l’on se méfiait d’une Allemagne susceptible de retrouver sa puissance hégémonique, ont favorisé l’émergence de contre-pouvoirs permanents. Si l’Allemagne est aujourd’hui économiquement plus forte que la France, en tout cas au regard des exportations, notre exécutif a beaucoup plus de poids que son homologue allemand. Ce ne sont là que de simples constatations.

Certains se sont émus du fait que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ait octroyé au Bundestag un pouvoir de contrôle préalable alors que le Parlement français ne peut se prononcer sur les textes qu’a posteriori. Je rappellerai simplement que ceux qui parlaient de « coup d’État permanent » se sont assez bien accommodés des institutions de la Ve République,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas le sujet ! Tout a changé au moment du traité de Maastricht !

M. Jean Leonetti, ministre. … au point de les utiliser au mieux au cours des périodes d’alternance que nous avons connues. Il n’aura ainsi pas été nécessaire de fédéraliser complètement l’État français ni d’ôter toute sa force à l’exécutif pour permettre à ce système politique très particulier de fonctionner.

Il ne suffit pas de marteler « Voilà ce qu’il faut faire ! » à une tribune. Encore faut-il aller discuter non seulement avec l’Allemagne, mais aussi avec nos autres partenaires. Et le Conseil Affaires générales de ce matin a bien montré combien les négociations sont parfois longues et difficiles ! Il arrive qu’elles se trouvent bloquées par un seul État membre,…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Jamais par la France !

M. Jean Leonetti, ministre. … pour des raisons qui peuvent paraître relativement futiles au regard de l’intérêt général.

Monsieur le président de la commission des affaires européennes, il n’y a pas, à mon sens, d’antagonisme entre la croissance potentielle et la rigueur budgétaire prônée dans le cadre du TSCG. La France a d’ailleurs, dans un le contexte que nous connaissons, mené une politique lui permettant de répondre aux objectifs fixés, notamment en termes de réduction des déficits, sans se priver pour autant de toute possibilité de relance. Le soutien aux dépenses d’avenir, orientées principalement vers la recherche et l’innovation, en témoigne : relance et rigueur budgétaire peuvent parfaitement cohabiter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous se sont offusqués de l’interdiction des déficits, la considérant comme une perte de souveraineté. Dois-je vous rappeler qu’une telle contrainte pèse sur nos collectivités territoriales, ainsi que… sur l’Union européenne ?

M. Jean-Pierre Chevènement. Non, l’Europe doit équilibrer son budget de fonctionnement, mais peut s’endetter pour investir !

M. Jean Leonetti, ministre. Elle a tout de même des obligations en la matière.

Dans la situation actuelle, il y a bien un contrôle démocratique sur nos collectivités territoriales.

M. Jacques Chiron. Pourquoi les montrer du doigt ?

M. Jean Leonetti, ministre. De temps en temps, la presse nous apprend même que telle ou telle ville a été mise sous tutelle par le préfet.

MM. Michel Le Scouarnec et Jacques Chiron. C’est très rare !

M. Jean Leonetti, ministre. C’est rare parce que la sanction existe ! Chaque maire de ce pays se voit ainsi incité à concilier rigueur budgétaire et volonté de faire de l’économie positive, de favoriser la croissance et l’emploi.

Je tiens à lever toute ambiguïté quant au rôle de la Cour de justice de l’Union européenne. La France a été très ferme sur le sujet : la Cour ne pourra pas intervenir sur les budgets nationaux ni au préalable ni a posteriori. Faut-il le rappeler, celle-ci ne sera compétente que pour vérifier la bonne transposition du traité dans le droit national, et c’est bien normal puisque cela emporte un certain nombre de conséquences.

Monsieur Sutour, vous avez également souligné avec beaucoup de clairvoyance que, de temps en temps, il est possible d’accepter du déficit pour faire de la relance. Mais cette arme ne peut pas être utilisée éternellement. Je vous remercie, du reste, de vos propos, tant il est souvent reproché au gouvernement de François Fillon d’avoir creusé le déficit pour relancer l’économie.

J’ai régulièrement entendu, sur les bancs de gauche de l’Assemblée nationale, en appeler à toujours plus de relance, et donc de déficit. Ce sont les mêmes personnes qui viennent aujourd’hui poser le problème de la dette !

Mme Cécile Cukierman. Il faut investir davantage pour dégager les recettes nécessaires !

M. Jean Leonetti, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez soulevé cette interrogation : comment susciter l’espoir ? Mais qui ne voudrait susciter l’espoir ? L’espoir est fait de lucidité et de rigueur, mais il se nourrit en même temps de perspectives.

Pour ce qui est de la lucidité, le médecin que je suis sait qu’il vaut mieux être névrosé que psychotique. (Sourires.)

M. Alain Richard. Quel choix !

Mme Michelle Demessine. Quelle formidable métaphore !

M. Jean Leonetti, ministre. Le premier est capable d’analyser son angoisse. Le second rêve en se croyant dans la réalité.

S’il me fallait choisir, je préférerais être angoissé dans la lucidité plutôt que de rêver et de me retrouver, un jour, sans espoir, en me rendant compte que j’avais pris mon rêve pour la réalité et, de fait, de vivre ainsi un véritable cauchemar.

Mme Michelle Demessine. Laissez-nous rêver, il ne nous reste déjà plus grand-chose !

M. Jean Leonetti, ministre. La réalité, sur le plan budgétaire, est marquée par l’endettement. À entendre certains d’entre vous, le coupable absolu, c’est l’euro, c’est l’Europe, c’est l’ensemble des gouvernements !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela fait dix ans que vous êtes au pouvoir !

M. Jean Leonetti, ministre. Or ceux-ci, petit à petit, par tâtonnements successifs, quelquefois poussés par la crise, ont essayé de trouver la voie vers plus d’intégration et de solidarité, pour favoriser une plus forte dynamique économique.

Comme le monde était plus simple avant, au temps du bloc communiste et du rideau de fer !

Mme Cécile Cukierman. Il faut tourner la page, monsieur le ministre, construire l’avenir. Du passé faisons table rase !

Mme Michelle Demessine. Quelle pauvreté dans l’argumentation ! C’est incroyable !

M. Jean Leonetti, ministre. À l’époque, la prospérité de l’Europe occidentale apparaissait comme naturelle, notamment aux yeux du Tiers-Monde, en grande pauvreté. Fort heureusement, à l’Est, les pays se sont ouverts à la démocratie.

Mme Michelle Demessine. S’il n’y avait plus de communistes, il vous faudrait les inventer ! Qu’auriez-vous à dire, sinon ?

M. Jean Leonetti, ministre. Fort heureusement aussi, un certain nombre de pays sont sortis de la pauvreté et ont pu émerger grâce à des économies devenues compétitives.

Ne voyez aucune volonté de polémique dans ce que je dis. Je rappelle simplement la réalité : oui, il était bien plus aisé de trouver la voie de la compétitivité lorsqu’il n’y avait pas de concurrence à l’Est ni dans le Tiers-Monde.

L’euro, si bénéfique qu’il ait été, est apparu comme un élément masquant l’hétérogénéité de l’ensemble de la zone euro. La Grèce et l’Allemagne, malgré des économies différentes, ont pu disposer, grâce à la monnaie unique, de la même capacité d’endettement, et ce à des taux ridiculement bas, inférieurs à 4 %, approchant parfois 2 %. La crise a permis de dévoiler cet état de fait : l’endettement fut facilité en dehors de toute considération sur l’économie réelle des pays concernés.

Contrairement à ce qu’a affirmé le président de la commission de l’économie, M. Raoul, le traité ne se résume pas à un seul plan d’austérité. La preuve en est qu’y figurent également un objectif de coordination et une politique de relance européenne : seront ainsi réorientés 82 milliards d’euros, dont 22 milliards d’euros provenant du Fonds social européen, rien que pour la formation des jeunes et l’emploi, à l’heure où le taux de chômage des jeunes atteint 46 % en Espagne, 23 % en moyenne dans les pays européens, à peine moins en France. Associer relance économique et action en faveur de la jeunesse, par le développement de l’apprentissage : voilà une manière d’agir en phase avec la réalité.

Il est évidemment tentant de jouer les Cassandre, car elles finissent souvent par avoir raison. C’est surtout vrai pour les médecins : ceux qui disent : « Vous allez mourir » auront forcément raison un jour ! (Sourires.) Mais moi, je préfère entendre que la vie est devant nous, qu’il y a beaucoup de raisons d’espérer, qu’il est possible de relever les défis. La France comme l’ensemble de l’Europe, dans des conditions plus difficiles qu’actuellement, ont toujours montré leur capacité à y parvenir.

S’agissant de l’énergie, se pose indubitablement un problème de dépendance et de souveraineté. Reste que, grâce au mix énergétique européen, chaque État membre peut choisir son orientation énergétique.

Cela étant, la Conférence mondiale des Nations unies sur le développement durable qui se tiendra du 20 au 22 juin prochain, dite « Rio+20 », confirmera que l’Europe, fer de lance du développement durable, ne produit que 11 % des gaz à effet de serre de l’ensemble de la planète. Si nous ne pouvons pas prendre nos désirs français pour des réalités européennes, nous ne devons pas non plus prendre nos désirs européens pour des réalités mondiales. Il nous reste donc à convaincre les autres pays de faire des progrès en la matière.

M. Arthuis a repris, à juste titre, son credo. Retraçant l’histoire de la construction européenne, il a montré que des erreurs avaient été commises au fur et à mesure des crises, mais aussi que nous avions été capables, chaque fois, de surmonter ces dernières. Je suis favorable, pour ma part, je le répète, à un Conseil de la zone euro, car les parlements nationaux doivent pouvoir contrôler la monnaie unique. Ce transfert de souveraineté impose en effet un contrôle démocratique au niveau de la zone euro, en raison de l’intégration et de la mise en commun de la souveraineté des pays concernés.

Selon Mme Demessine, ce que l’Histoire retiendra de ce sommet, c’est la signature du traité. Je crois plutôt qu’elle retiendra qu’il y avait une crise et que nous l’avons surmontée en franchissant une étape vers le fédéralisme – même si cela choque certains – et le renforcement de l’intégration. Cette étape est irréversible. Au niveau européen, lorsque l’on va de l’avant, on ne peut pas prendre de billet de retour, car cela reviendrait à menacer l’ensemble de la construction communautaire.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est pourquoi il faut interroger les peuples !

M. Jean Leonetti, ministre. La Grèce n’est pas un laboratoire : l’Europe ne « s’amuse » pas avec le peuple grec ! Mais la Grèce est l’exemple de ce qu’il ne faut plus jamais faire. Plus jamais nous ne devons accepter que les pays s’endettent au-delà du raisonnable et augmentent, à force de clientélisme et à chaque alternance, le nombre de leurs fonctionnaires. Il faut tout de même savoir la proportion de fonctionnaires par rapport à la population totale est en Grèce supérieure d’un tiers à ce qu’elle est en France !

M. Alain Néri. On pourrait aussi faire payer les armateurs grecs !

M. Jean Leonetti, ministre. Comment pouvez-vous dire cela, monsieur Néri, alors que vous défendez la souveraineté des États ? Pourquoi l’Europe s’immiscerait-elle dans les systèmes fiscaux des États membres et indiquerait-elle la meilleure façon de lever l’impôt ? (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous ne faites que cela !

Mme Michelle Demessine. Vous êtes toujours du côté des riches !

M. Jean Leonetti, ministre. L’Europe ne fait qu’apporter une aide substantielle à la Grèce, afin d’éviter que son déficit ne la conduise à la faillite, dont la seule conséquence, vous le savez bien, serait de réduire le peuple grec à la misère. Quant à la décision finale, elle appartient au parlement et au peuple grecs.

Nous nous contentons d’apporter une aide au gouvernement de ce pays, qui oriente ensuite sa politique fiscale en toute souveraineté, laquelle ne lui est nullement retirée. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Alain Néri. Il s’agit toujours de faire payer les pauvres !

M. le président. Monsieur Néri, laissez parler le ministre !

M. Alain Néri. Vous souriez de la misère du peuple grec, monsieur le ministre ! C’est une honte !

M. Jean Leonetti, ministre. Ne vous énervez pas, monsieur Néri ! Fort heureusement, ce n’est pas l’Europe qui décide des règles fiscales des pays souverains composant l’Union. Ce serait tout à fait anormal,...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous imposez bien des baisses de salaires !

M. Jean Leonetti, ministre. ... et vous seriez les premiers à vous insurger si c’était le cas ! Ne nous demandez pas d’imposer aux Grecs ce que nous refuserions pour nous-mêmes !

M. Alain Néri. Les armateurs grecs ont 800 milliards d’euros dans les banques suisses ! De l’autre côté, on impose aux Grecs de vivre avec un SMIC à 480 euros par mois !

M. Jean Leonetti, ministre. Vous avez dit, monsieur Chevènement, que la zone euro était en récession, tandis que d’autres économies, notamment celles de la Chine et des États-Unis, seraient florissantes. Vous connaissant, je ne peux croire une seule seconde que vous souhaitiez nous voir adopter ces deux pays comme modèles.

L’euro n’est pas responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Vous avez fait une analyse pertinente des disparités économiques existant dans la zone euro : ce fut sans doute une erreur d’y faire entrer des pays qui n’avaient pas la capacité d’assumer la monnaie forte portée par la BCE.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela demande en effet de la force !

M. Jean Leonetti, ministre. Pour autant, vous ne pouvez pas parler du « bruit des chaînes » qui entraveraient les peuples ! C’est la dette qui enchaîne les pays n’ayant pas eu une lucidité et un sens des responsabilités suffisants pour gérer sainement, et non l’Europe !

Mme Michelle Demessine. Vous oubliez que la crise a été d’abord bancaire et financière !

M. Jean Leonetti, ministre. Quant aux eurobonds, tout le monde y est favorable, mais encore faut-il accepter le principe de la mutualisation d’une dette insuffisamment maîtrisée.

Que diraient nos concitoyens si nous leur expliquions qu’il faut mutualiser la dette grecque ? Ils nous répondraient sans doute que toute aide mérite compensation et qu’il faut un équilibre entre les deux. La mutualisation des dettes est possible, à condition d’en accepter la discipline !

Mme Michelle Demessine. À qui va-t-on demander d’accepter ? Au peuple ?

M. Jean Leonetti, ministre. Je cite souvent Rousseau, ce qui énerve un peu à droite, et quelquefois aussi à gauche : « L’obéissance à la loi que l’on s’est prescrite est liberté. » Si l’ensemble des peuples décident d’appliquer ensemble la rigueur budgétaire, ils auront alors plus de liberté et de souveraineté qu’en étant sous la tutelle des créanciers ou des marchés financiers.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. On n’a qu’à faire comme en Islande !

M. Jean Leonetti, ministre. M. Bizet a bien vu la globalité du projet, qui comprend à la fois des objectifs de croissance et d’emploi, des règles de discipline budgétaire et un outil de solidarité, le MES.

Je partage son point de vue ; avec ce projet, nous amorçons véritablement une construction européenne. À l’heure où l’ensemble des États membres ont ou auront des difficultés budgétaires et sont ou seront contraints d’adopter une politique de rigueur, c’est l’Europe qui doit et devra prendre l’initiative de la relance.

L’Europe de la relance, que nous pouvons en effet envisager, ne doit pas obligatoirement dépenser plus, elle doit dépenser mieux, notamment en matière de recherche et de croissance.

M. Alain Néri. Cela fait dix ans que vous êtes aux affaires !

M. Jean Leonetti, ministre. Vous avez rappelé, monsieur Gattolin, que M. Valéry Giscard d’Estaing appelait de ses vœux un référendum. Lui se souvient en tout cas sûrement de celui de 2005 !

Cela étant, je ne vois comment, que ce soit par la voie du Congrès ou par la voie référendaire, je ne vois pas comment nous pourrions faire passer maintenant la règle d’or.

M. Alain Néri. Quand un référendum ne vous donne pas satisfaction, vous allez à Versailles !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le général de Gaulle a perdu un référendum : il a su en tirer les conséquences !

M. Jean Leonetti, ministre. Or, sans préjuger de ce qui se passera, je ne vois pas quel autre moyen nous offre la Constitution de la Ve République pour adopter une telle règle.

On m’a demandé ce que l’Union européenne faisait vis-à-vis de la Hongrie. Elle a adressé au gouvernement hongrois trois demandes aux termes desquelles leur pays doit en quelque sorte se soumettre ou se démettre. Les sanctions tomberont si la Hongrie ne se soumet pas à la triple demande de l’Union. Au reste, vous le savez, ce pays y a répondu positivement.

M. Richard, lorsqu’il a évoqué les difficultés que nous avons rencontrées, a quelque peu minimisé la crise de 2008, comme si elle ne permettait pas d’expliquer l’existence des déficits, puis la relance qui s’est ensuivie, laquelle a peut-être, à son tour, aggravé ces déficits.

M. Alain Richard. Si vous dites « peut-être », je ne peux pas être d’accord !

M. Jean Leonetti, ministre. Je crois avoir suffisamment répondu à la question qu’il m’a posée sur la Cour de justice de l’Union européenne.

Il a aussi évoqué la Banque centrale européenne. Si les États-Unis, dont les déficits sont bien plus importants que les nôtres et dont la monnaie, le dollar, est bien plus faible que l’euro, ne se trouvent pas dans la même situation que nous, c’est parce qu’il y a n’a pas dans ce grand pays la même diversité qu’au sein de l’Union européenne et qu’il dispose en outre d’une réserve fédérale.

Par ailleurs, si la Grande-Bretagne bénéficie également d’une situation plus confortable que la nôtre, c’est non pas parce que ses déficits sont moins importants et son économie plus forte, mais parce qu’elle a une banque centrale. Je souhaite, pour ma part, que la BCE joue ce rôle.

En dépit de l’opposition entre les Allemands, qui ne souhaitent pas qu’elle intervienne, et les Français, qui veulent qu’elle le fasse en dernier recours, la BCE intervient bel et bien, mais sans sacrifier sa liberté : elle vient au secours des États affectés par des dettes souveraines, ce qui répond au souhait de la France, sans que son indépendance, chère à l’Allemagne, soit altérée.

M. Jean Bizet. Et pour 500 milliards d’euros !

M. Jean Leonetti, ministre. Je crois avoir répondu à la question posée sur les euro-obligations.

Nous favoriserons la croissance en envisageant l’ensemble des problématiques, qu’elles concernent les PME, la jeunesse, la croissance verte, le numérique ou les grands projets, comme ITER, qui doivent être financés par l’Europe et qui sont indubitablement des facteurs de croissance.

Peut-être M. Yung a-t-il un peu participé à la confusion qu’il dénonce ? Si nous partagions tous ici la même idée de l’Europe, d’une Europe plus intégrée, fédérale, plus solidaire, mais en même temps acceptant plus de se soumettre à la discipline qu’implique une harmonisation fiscale et sociale, comment pourrait-on envisager que l’on parte à la retraite à un âge différent selon les pays ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et l’impôt sur les bénéfices ?

M. Jean Leonetti, ministre. Cette convergence exige certes des efforts, mais elle apportera, si nous parvenons à la réaliser, plus de clarté dans nos débats et dans les messages que nous adressons à nos concitoyens.

Pourquoi ne pas reprendre à notre compte le plan de croissance du Royaume-Uni ? Là, je tombe des nues, monsieur Yung ! Le Royaume-Uni propose la déréglementation, une nouvelle directive Services, la fin de la réciprocité et un marché totalement libre. Voulons-nous cela pour l’Europe ? Non !

Nous voulons une Europe qui affiche un certain nombre de standards sociaux, économiques et écologiques, imposant la réciprocité, et non une Europe ouverte à tous les vents, où le libéralisme s’exerce de manière exacerbée.

M. Mézard a posé la question des investissements. Les instruments existent : ce sont les project bonds.

Quant à M. Collin, il a envisagé la renégociation du traité. Je pense que cela ne se fera pas, quel que soit le Président de la République élu. Et si cette idée m’a fait sourire, c’est parce qu’une telle hypothèse ne s’est jamais présentée ! On peut ne pas ratifier un traité, mais on ne peut pas le renégocier.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. S’il n’est pas ratifié, il faudra bien le renégocier !

M. Jean Leonetti, ministre. Imaginons cependant que le traité ne soit pas ratifié.

Au Conseil Affaires générales, ce matin, un participant a évoqué la possibilité qu’un État membre important demande à renégocier le traité. Les autres ministres n’ont pas souri : c’est plutôt l’incrédulité, voire l’angoisse qui se sont peintes sur leurs visages. Ils paraissaient vraiment incapables d’envisager une telle procédure !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Rira bien qui rira le dernier !

M. Jean Arthuis. Il y a eu le précédent d’Amsterdam...

M. Jean Leonetti, ministre. Alors que je ne suis ministre que depuis une petite année, j’ai déjà vu changer les ministres des affaires européennes danois, espagnol, allemand, italien, chypriote, et même des gouvernements entiers. Or aucun nouveau gouvernement n’est venu à la table des négociations en demandant que l’on arrête tout et que l’on recommence depuis le début sous prétexte qu’une nouvelle majorité était arrivée aux affaires dans son pays.

Je vous renvoie aux propos de M. Peer Steinbrück, ministre SPD,...

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le SPD peut aussi se tromper...

M. Jean Leonetti, ministre. ... qui paraît fort tenté de succéder à Mme Merkel si celle-ci perdait les prochaines élections : il juge « naïve » la vision de l’Europe du parti socialiste français et de M. Hollande.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand ils seront élus, on verra ce qu’ils feront !

M. Alain Néri. Mieux vaut être naïf que pervers !

M. Jean Leonetti, ministre. M. Jospin avait fait preuve de naïveté en matière de sécurité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Ne faites pas la même erreur s’agissant de l’Europe, au risque de connaître les mêmes déconvenues !

L’étape que nous sommes en train de franchir est imparfaite. À titre personnel, j’aurais préféré que le « saut d’intégration » soit plus fort, que la BCE soit plus impliquée et que le MES joue un rôle de pare-feu encore plus important ; la France défendra d’ailleurs cette idée.

Nous proposerons que, par la fusion entre le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité, cet effort soit porté à 750 milliards d’euros, ce qui nous rapprochera des 1 000 milliards fatidiques, nécessaires pour prévenir tout risque dans la zone euro.

J’ai l’impression que, un peu dans la confusion, en tout cas dans le débat, parfois dans la polémique, l’Europe est en train de franchir une étape décisive vers l’intégration. Cette intégration, aucun gouvernement ne la remettra en cause ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

Débat interactif et spontané

M. le président. Nous allons maintenant avoir un débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le ministre, après avoir entendu vos arguments, je m’interroge beaucoup sur la position de la France. En effet, si je vous ai bien compris, une harmonisation fiscale qui assure aux États un niveau de fiscalité leur permettant de couvrir leurs dépenses ne constitue pas, à vos yeux, un objectif européen.

À ce propos, j’observe qu’aucune conditionnalité n’a été appliquée à l’Irlande en matière fiscale. Pourtant, le président Sarkozy avait jugé inacceptable qu’on aide un pays qui pratique le dumping fiscal au détriment des autres pays européens. Pour autant, aucune condition n’a été imposée à l’Irlande dans le domaine fiscal ! (M. André Gattolin acquiesce.)

Par contre, les conditions qu’on impose aux États pour pouvoir bénéficier des aides représentent toutes des reculs sociaux. Quand il s’agit des salaires ou de l’obligation de déréguler les taxis – comme si cela allait régler les problèmes de déficit budgétaire de la Grèce ou de l’Italie ! –, pour le coup, les obligations pleuvent !

En clair, je vous demande ce qui est prévu, d’une part, dans le traité – à ce sujet, je ne me fais guère d’illusions – et, d’autre part, dans les travaux du Conseil européen pour que l’objectif d’une harmonisation à un haut niveau de fiscalité, permettant aux États de lever des ressources répondant à leurs besoins, soit pris en compte dans les instances européennes.

Deuxièmement, vous nous dites que le traité ne sera pas renégocié. Je me permets de vous rappeler que la non-ratification d’un traité impose aux partenaires de le renégocier. Sinon, cela signifie qu’il était inutile !

Il y aura donc une renégociation si le futur Président de la République est celui qui en a pris l’engagement ou si, en tout état de cause, le Parlement ne ratifie pas le traité dans son état actuel.

Quant à vous, monsieur le ministre, votre responsabilité n’est pas d’aller dire à nos partenaires, au nom de la France, que l’opposition fera de toute façon la même politique que vous. Alors que vous engagez la parole de la France à quelques mois d’une élection, vous avez la responsabilité de leur dire qu’une partie de l’opposition dans notre pays refuse le traité en l’état.

L’honneur des autorités françaises serait d’annoncer qu’elles ne peuvent pas signer au nom de notre pays, faute de pouvoir garantir que cette signature vaudra dans la durée, un traité qui est à l’évidence profondément contesté par notre peuple, l’opposition actuelle et la majorité du Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean Leonetti, ministre. Madame Lienemann, quelle drôle de conception du pouvoir vous avez ! Le pouvoir serait très fort juste après les élections, puis il se déliterait petit à petit ?...

Alors que l’Europe est en crise, la France devrait dire qu’elle ne peut décider de rien parce qu’une élection va avoir lieu dans quelques mois…

Mme Michelle Demessine et M. Michel Le Scouarnec. C’est la démocratie !

M. Jean Leonetti, ministre. …et que, peut-être, dans notre pays démocratique, l’opposition viendra au pouvoir et changera ce que nous aurons fait ?...

Ce n’est pas notre conception de la démocratie et de la responsabilité politique !

Qui peut contester qu’il y ait une urgence au niveau européen ? Nous répondons à cette urgence en mettant en place des dispositifs comme le Mécanisme européen de stabilité, que vous n’avez pas eu le courage de voter. (M. Alain Néri s’exclame.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’ai même voté contre !

M. Jean Leonetti, ministre. Vous refusez de la même façon les autres dispositifs destinés à assurer la stabilité financière et la croissance

Après les élections, il y aura une majorité. Il est vrai qu’elle pourra ratifier le traité, ou non. Mais si elle ne le ratifie pas, elle mettra l’Europe en danger !

M. Alain Néri. C’est le parti de la peur !