Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est le cas pour le meurtre, les tortures et actes de barbarie, les violences, le viol, les agressions sexuelles et d’autres délits ou crimes.

Ce seuil de quinze ans date de l’ordonnance du 2 juillet 1945. Il était de onze ans dans le code pénal de 1810, puis est passé à treize ans dans la loi du 13 mai 1863.

Un mineur de plus de quinze ans a le droit d’avoir des relations sexuelles librement consenties, y compris, depuis 1983, avec une personne du même sexe.

Il en découle que sont punissables les seules atteintes sexuelles – qui, par définition, sont réalisées sans contrainte – commises sur des mineurs de moins de quinze ans, le législateur estimant que ceux-ci n’ont pas le discernement suffisant pour exprimer un consentement éclairé.

C’est pour tenir compte de cette majorité sexuelle à quinze ans que le législateur, lorsqu’il aggrave les peines en raison de la minorité de la victime, fixe également le seuil à quinze ans.

Il semble que la nécessaire cohérence de notre droit pénal, dont la garde des sceaux que je suis est le garant, justifie de conserver ce seuil de quinze ans en matière de harcèlement sexuel.

Cela n’interdira évidemment pas aux juridictions compétentes en matière de harcèlement sexuel, comme c’est le cas pour les autres infractions, d’être plus sévères en pratique, si les faits sont commis sur un mineur de quinze ans à dix-huit ans, par exemple s’il s’agit d’un ou d’une jeune stagiaire. Dans ce cas, l’aggravation pourra fréquemment être liée à l’abus d’autorité.

J’en viens à présent à la problématique de la vulnérabilité économique et sociale, que vous avez soulevée.

Le Gouvernement propose que la sanction soit aggravée lorsque les faits sont commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur.

Lors des travaux en commission, plusieurs voix ont exprimé le souhait d’y adjoindre la vulnérabilité économique et sociale.

Si l’on ne peut qu’entendre le souhait d’assurer une plus grande protection à nos concitoyens, très nombreux, trop nombreux, disposant de faibles revenus, de contrats précaires ou se trouvant dans des situations sociales fragiles – on pense, bien sûr, aux familles monoparentales –, je m’interroge cependant sur la pertinence de confier au juge le soin de définir le degré, forcement subjectif, à tout le moins relatif, de vulnérabilité sociale.

M. Jean Arthuis. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette appréciation peut, en effet, être perméable aux préjugés idéologiques.

Je me range à la réserve inscrite dans l’avis de votre commission des affaires sociales, qui indique : « Introduire la notion de vulnérabilité économique dans le code pénal serait une innovation et il est possible que les tribunaux aient du mal à l’appréhender dans un premier temps, en raison de son caractère relatif. »

Il appartiendra en outre à l’accusation de démontrer que cette vulnérabilité aura constitué l’élément déclencheur du passage à l’acte. Nous craignons que cette disposition ne fragilise la poursuite et ne desserve la victime.

Bien entendu, il ne s’agit pas de nous soustraire à notre obligation de combattre ensemble cette vulnérabilité sociale et de mettre en place des politiques publiques, économiques et sociales favorisant une meilleure santé économique générale.

Il convient de garder à l’esprit que le Conseil constitutionnel a invalidé le texte précédent pour non-respect du principe de légalité des délits et des peines, qui impose de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis.

Il y a donc lieu de prendre des précautions en pareil cas : il paraît opportun de reprendre au maximum des termes existant déjà en droit pénal. C’est en fonction de cet impératif que le Gouvernement s’est montré très attentif aux observations juridiques du Conseil d’État, qui a émis un avis globalement favorable sur ce texte.

Bien évidemment, le projet de loi, déjà fortement amélioré par les travaux des commissions des lois, des affaires sociales, de la délégation aux droits des femmes et par les amendements de M. le rapporteur et de Mme le rapporteur pour avis, pourra encore être enrichi, au vu des nombreux amendements qui ont été déposés.

Le Gouvernement est tout à fait ouvert à la discussion et examinera avec la plus grande attention ces amendements, quelle que soit leur provenance. Nos travaux préparatoires ont en effet laissé apparaître qu’il existait un large consensus sur ce texte.

Je tiens à rappeler, en conclusion, que, si le harcèlement sexuel ainsi énoncé figure dans notre droit pénal depuis 1992-1994, des tentatives existaient bien avant. On trouve ainsi dans les lois du 19 mai 1874 et du 2 novembre 1892 des injonctions invitant les patrons et chefs d’établissements au maintien des bonnes mœurs et à l’observation de la décence publique. Il s’agit de termes extrêmement paternalistes et d’une conception vieillotte – je ne suis d’ailleurs pas certaine que les mentalités aient tellement évolué depuis... –, mais il est intéressant de noter qu’il s’agit de deux textes relatifs au travail des filles et garçons mineurs dans l’industrie.

Je souhaite évoquer, durant quelques instants, un mouvement social qui a eu lieu à Limoges au début du siècle dernier, au mois de mai 1905, dans l’usine de porcelaine Haviland. Des femmes, qui représentaient la majorité des salariés de cette usine, s’étaient mises en grève afin de protester contre les agissements d’un contremaître qu’elles accusaient de pratiquer le droit de cuissage.

En raccrochant leur grève à un autre mouvement ouvrier destiné à protester contre les bas salaires et les licenciements, ces femmes ont introduit une dimension de dignité de la personne au sein de ce mouvement social et ont augmenté ainsi sa force et son efficacité. Surtout, elles ont arraché la société à son mutisme, à son aveuglement, à sa pruderie et, pour parler un peu brutalement, à son hypocrisie. Elles ont donné une véritable visibilité sociale au phénomène de harcèlement sexuel dans l’entreprise et permis l’évolution de la loi et des mentalités. Cela prouve combien la combativité sociale, politique, féminine, permet souvent de faire évoluer le droit.

Je ne méconnais pas les débats techniques, juridiques et philosophiques portant sur ces incriminations, au demeurant récentes dans notre droit. Je les entends, sans les récuser totalement, lorsqu’ils ont trait à la privatisation du procès pénal et au passage de l’incrimination comme atteinte au corps social vers une prééminence de l’incrimination comme atteinte à l’individu, c’est-à-dire à son intégrité non pas seulement physique, mais également psychique.

La question posée est la suivante : comment appréhendons-nous l’évolution des comportements – qui prend d’ailleurs très souvent la forme d’une régression au regard du droit, des libertés individuelles et de l’altérité – dans la société ? Nous traitons en effet de faits, d’abus de droit ou d’autorité, de souffrances, mais aussi de mutations dans les relations de travail fondées sur une conception managériale que nous avons le droit, et même le devoir, d’interroger aujourd’hui, et qui s’ajoute à la persistance dans la société tout à la fois de clichés et de représentations.

Il est important, par conséquent, de s’interroger sur la réponse qu’il convient d’apporter à de telles situations. Le travail que nous accomplissons aujourd’hui, il est bon de le noter, est susceptible de nous faire avancer dans cette voie.

Nous vivons dans des sociétés où coexistent, à la fois, des technologies très sophistiquées et des comportements relevant de rapports archaïques avec l’autre, qu’il s’agisse de l’autre « féminin » ou de l’autre « différent ».

Toutes ces interrogations, j’en suis persuadée, nourriront et enrichiront nos débats. Nous serons extrêmement attentifs, pour notre part, à toutes vos observations et à nos échanges. Nous acceptons d’être encore habités par le doute, car nous pensons qu’il est un moteur puissant pour l’action de progrès.

Comme l’écrivait Stendhal, « l’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vive Stendhal !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, monsieur le rapporteur, madame le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, rendant hommage aux femmes victimes de harcèlement qui avaient trouvé le courage de défendre leurs droits, un avocat du barreau de Paris reprenait ainsi, en 2007, la parole de l’une d’entre elles : « Cela valait la peine, la justice m’a rendu justice ! »

Nous étions alors en 2007 et nous étions loin d’imaginer que cette demande de justice, de reconnaissance d’une souffrance véritable, pourrait se trouver compromise par l’effet de l’abrogation d’une loi par le Conseil constitutionnel.

Nous sommes en 2012 et, le 4 mai dernier, le Conseil constitutionnel a abrogé avec effet immédiat le délit de harcèlement sexuel au motif de son inconstitutionnalité.

Les premiers mots que je veux avoir devant vous aujourd’hui sont des mots de soutien pour celles – car, nous le savons, ce sont les femmes qui sont pour l’essentiel concernées – qui ont vu les actions qu’elles avaient engagées s’éteindre brusquement, sans recours ou presque...

Certes, cela a été rappelé, la Chancellerie a donné des instructions pour que des faits puissent être requalifiés et des actions poursuivies sur d’autres terrains, comme les violences volontaires ou les agressions sexuelles ; je veux en remercier la garde des sceaux. Cependant, dans certains cas, on le sait, cela n’a pas été possible ou n’a pas été reconnu par les juridictions.

Cette situation de souffrance sans recours nous oblige. Elle nous oblige tous : vous, parlementaires de toutes sensibilités, et nous, ministres du Gouvernement.

Je dois le dire, le Sénat, par sa mobilisation sans précédent, a été à la hauteur de cette ardente obligation, et ce dès le 4 mai dernier.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci, madame la ministre !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Tous ou presque, dans cet hémicycle, avez été acteurs de cette mobilisation : à la commission des lois, sous l’impulsion de M. Jean-Pierre Sueur, à la commission des affaires sociales, sous la conduite de Mme Annie David, ou encore à la délégation aux droits des femmes, bien sûr, grâce à l’engagement de Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Sept propositions de lois, un groupe de travail auditionnant en un temps record une cinquantaine de personnes, des rapports de grande qualité de vos commissions et de votre délégation : c’est un travail immense. Je tiens à remercier, à la suite de Mme la garde des sceaux, les présidents de commissions et de délégation ainsi que les deux rapporteurs, M. Alain Anziani et Mme Christiane Demontès, avec lesquels nous avons œuvré en confiance et qui ont accompli un travail remarquable.

Je salue également le climat très consensuel dans lequel l’ensemble de ce travail a été conduit...

M. Alain Gournac. C’est normal !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. ... et l’esprit de responsabilité qui a animé les sénateurs de tous les groupes.

C’est ce travail global, auquel le Gouvernement s’est associé au travers du projet de loi, qu’il nous appartient désormais de faire fructifier ensemble, en rétablissant le délit de harcèlement sexuel censuré, mais aussi en proposant des avancées pour répondre à l’attente des femmes.

Vous l’avez écrit dans votre rapport, monsieur le rapporteur : « Le harcèlement sexuel est un fléau demeuré longtemps ignoré du code pénal, puis méconnu dans la diversité de ses expressions. »

De quoi parle-t-on au juste ?

Il existe, comme souvent en matière de violences faites aux femmes, peu d’études pour nous révéler l’ampleur de ces délits et crimes. C’est un point sur lequel nous discuterons au cours de nos débats puisque, comme vous, je reconnais qu’il nous manque une instance capable de fédérer les enquêtes et d’en faire l’analyse, pour guider les pouvoirs publics.

En l’absence d’une telle instance, il faut remonter à la grande enquête nationale sur les violences faites aux femmes réalisée en 2000 pour avoir quelques éléments au plan national, complétés par l’étude menée par la Commission européenne en 1999.

D’autres enquêtes, que Christiane Taubira a évoquées, ont été conduites en 2007 en Seine-Saint-Denis. Le rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes les mentionne également.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les violences faites aux femmes sont une réalité importante de notre société, que l’on ne peut ignorer.

Si l’on passe sur les 45 % de femmes qui déclarent avoir entendu des blagues sexistes ou sexuelles au travail – de façon répétitive pour la moitié d’entre elles –, 13 % des femmes salariées déclarent avoir côtoyé des personnes ayant eu une attitude insistante, gênante et des gestes déplacés. Elles sont 9 % à déclarer avoir reçu des avances sexuelles non désirées au cours de l’année.

Une autre donnée intéressante que vous avez portée à notre connaissance, madame la présidente Gonthier-Maurin, révèle que le harcèlement sexuel, en plus d’être une souffrance personnelle, est un fardeau collectif. Une étude conduite en Israël et que vous citez dans votre rapport évalue à quelque 250 millions d’euros le coût annuel du harcèlement sexuel dans ce pays, délit qui provoque démissions, mutations et ruptures de carrière pour les femmes.

Pourtant, face à cette réalité, la réponse pénale apparaît en décalage. Il a été rappelé que, depuis 2005, 1 000 procédures nouvelles sont enregistrées chaque année pour cette infraction. Plus de la moitié de ces procédures ont fait l’objet d’un classement sans suite, au motif que l’infraction n’était pas constituée. La très grande majorité des peines d’emprisonnement prononcées sont assorties d’un sursis total. Quant aux peines d’amendes, elles sont d’un montant moyen d’environ 1 000 euros…

On le voit : la procédure est exigeante et demande aux victimes un investissement personnel très fort, comme l’ont souligné toutes les associations que vous avez auditionnées.

Cette procédure est aussi ingrate pour les victimes. En effet, les délais d’instruction sont longs et les preuves difficiles à apporter. En outre, le délit, dans la définition qu’en donnait la loi du 17 janvier 2002, ne punissait que les agissements sollicitant une contrepartie de faveurs sexuelles.

Dans ces conditions, même si le délit de harcèlement sexuel n’avait pas été abrogé par le Conseil constitutionnel le 4 mai dernier, nous aurions sans doute dû ouvrir le débat d’aujourd’hui.

En effet, la question du harcèlement sexuel est grave : sans signaux visibles qu’il est considéré comme intolérable, on ne construit pas une société de justice, de respect et d’égalité entre les femmes et les hommes.

Le contexte dans lequel nous finissons par avoir ce débat est très particulier. Il nous conduit à agir dans l’urgence pour ne pas laisser des situations d’impunité s’installer trop longtemps et parce que la protection de la loi est un droit fondamental que le Président de la République et le Premier ministre nous ont demandé de rétablir.

Qu’il faille agir dans l’urgence, nous en sommes toutes et tous convaincus, au Gouvernement comme dans votre assemblée.

Mais Mme la garde des sceaux et moi-même avons aussi été soucieuses de garantir la pérennité de ce nouveau droit. Nous avons voulu nous assurer que la loi serait efficace, qu’elle serait appliquée et qu’une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité ne viendrait pas, dans quelques mois, mettre à bas cette loi aussi, désespérant une nouvelle fois les victimes et les faisant douter de l’action publique et de notre engagement à tous.

C’est parce que nous souhaitions agir en urgence que le Premier ministre a mis en œuvre la procédure accélérée. Je veux remercier le président Sueur qui, lors de notre audition, nous a confirmé qu’il ne voyait pas là une mauvaise manière faite au Sénat.

Nous sommes attachées, comme lui et comme vous, au temps du travail parlementaire et de l’expertise. Mais, ce temps de l’expertise, vous l’avez pris depuis le 4 mai dernier.

C’est parce que nous souhaitions combiner urgence et sécurité juridique que nous avons également consulté le Conseil d’État, pour conforter notre analyse sur certaines questions sensibles : la réitération, la notion d’environnement, l’échelle des peines et les articulations à construire entre le code pénal et le code du travail.

Urgence et sécurité juridique, donc, mais aussi concertation. C’est une exigence à laquelle je suis très attachée. Christiane Taubira et moi-même avons eu le souci de construire ce projet de loi en écoutant les associations, de manière partagée avec les partenaires sociaux.

Dès notre prise de fonction, nous avons travaillé avec les associations. Nous avons continué de le faire durant l’ensemble de la préparation du projet de loi.

Bien entendu, je n’ignore pas que certaines associations s’estiment encore insatisfaites, doutent de certaines notions ou revendiquent des aménagements plus lourds, par exemple sur les peines.

Le travail de la commission des lois a déjà permis de répondre à certaines de ces attentes et de ces interrogations, mais il nous faudra aller plus loin dans le travail d’explication du projet de loi, pour lever les craintes.

Reste que la loi parfaite n’existe sans doute pas. Celle que nous cherchons à construire, avec la contribution des parlementaires, nous la voulons claire, globale et efficace.

Cette loi devra ensuite être appliquée – c’est bien là l’essentiel. C’est pour cela qu’il y aura une circulaire pénale, comme Mme la garde des sceaux l’a dit tout à l’heure.

Cette loi sera un signal pour les femmes victimes, mais aussi pour les auteurs de harcèlement. C’est le sens de la campagne de communication que nous mènerons, à l’automne, en accompagnement de la loi.

Mme Claire-Lise Campion et M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Michel Sapin, ministre du travail, et moi-même avons aussi discuté de ce projet de loi avec les partenaires sociaux, qui s’en sont saisi. Toutes les organisations syndicales ont salué le souci de faire face à l’urgence et de répondre à leurs attentes.

Enfin, nous avons dialogué avec votre assemblée, les membres de vos commissions et la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Je me réjouis que le travail collectif mené dans les commissions, en particulier lors des auditions, ait permis d’examiner le projet de loi en même temps que les propositions de loi.

Le travail du Sénat a permis de fixer clairement les termes du débat, s’agissant notamment de la question de l’élément moral et des éléments matériels du délit, des circonstances aggravantes et de la rétroactivité.

Vos travaux nous ont aussi permis de voir se construire un consensus autour de quelques principes qui nous ont guidés.

En premier lieu, la nécessité est apparue d’une approche globale, qui intègre l’application de la définition du harcèlement sexuel dans trois champs : le code pénal, bien sûr, mais aussi le code du travail et le statut général des fonctionnaires. S’agissant de ce dernier champ, je me réjouis que la commission des lois ait apporté les compléments que le projet de loi n’avait pas pu introduire.

En deuxième lieu, il est apparu pertinent d’élargir la définition du harcèlement en s’inspirant des directives européennes, tout en conservant la précision indispensable en matière pénale.

En dernier lieu, nous nous sommes mis d’accord sur l’ajustement des peines et le souci d’une stricte définition des circonstances aggravantes.

Votre commission des lois a enrichi le projet de loi, comme l’a souligné Christiane Taubira. Elle a tranché des questions importantes, par exemple celle de l’alignement des peines sur deux ans d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros. Elle a aussi simplifié le projet de loi pour le rendre plus clair encore.

Je souscris à l’ensemble des éléments qui vous ont été présentés par Mme la garde des sceaux. Ils décrivent bien notre intention et les équilibres que nous avons trouvés.

En ma qualité de ministre des droits des femmes, je me permettrai simplement d’insister sur trois points essentiels.

Premièrement, nous avons eu le souci – que vous partagerez bien entendu – qu’aucune situation ne se trouve désormais laissée en dehors du droit. Il s’agit d’une innovation décisive car l’exigence que des faveurs sexuelles aient été obtenues ayant été abandonnée, des faits qui n’étaient pas réprimés hier pourront l’être demain.

Je pense au harcèlement sexuel quotidien que certaines femmes vivent et qu’elles taisaient jusqu’à présent. Mme Tasca a trouvé la bonne formule en parlant d’un « climat qui pourrit la vie des femmes ».

Mais le nouveau dispositif concernera aussi le chantage sexuel, comme l’on dit communément, qui se produit une seule fois, à l’occasion d’un entretien d’embauche ou d’une demande de logement.

À ce propos, nous avons rejoint votre analyse : une définition juridique du chantage existe bien dans le code pénal, mais elle se prête mal aux problèmes dont nous parlons, de sorte qu’il vaut mieux introduire dans le projet de loi une définition précise intégrée à la notion même de harcèlement sexuel.

Je tiens à vous dire, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, que j’ai été sensible à votre analyse : vous avez bien distingué le harcèlement à connotation sexuel de ce que l’on appelle communément le chantage sexuel, sans pour autant hiérarchiser la souffrance des victimes selon qu’elle est provoquée par un fait répétitif ou un acte unique.

Deuxièmement, je veux souligner que les peines sont aggravées dans une logique respectueuse de l’échelle des peines concernant les atteintes sexuelles aux personnes.

En effet, le projet de loi permet de conserver une cohérence globale dans les peines pour les atteintes sexuelles aux personnes : le nouveau délit, avec ses circonstances aggravantes, s’insère dans une échelle qui va d’une peine d’un an d’emprisonnement pour l’exhibition sexuelle à des peines de cinq ans d’emprisonnement pour l’agression sexuelle hors aggravation et de quinze ans d’emprisonnement pour le viol hors aggravation.

Nous avons entendu les critiques contre ces peines. Elles seraient trop légères et moindres que celles qui sont encourues pour un vol de téléphone portable.

Mais la question de la révision globale de l’échelle des peines sera peut-être abordée au cours de cette mandature, avec Mme la garde des sceaux. Il nous a semblé que l’examen du présent projet de loi n’était pas le moment d’ouvrir ce débat. Je vous sais, au Sénat, sensibles à cette prudence.

Troisièmement, je veux souligner que le projet de loi introduit une véritable nouveauté : les discriminations faisant suite à des faits de harcèlement sexuel, qu’elles s’exercent à l’encontre de la victime ou d’un témoin, deviendront également punissables, ce principe étant inscrit aussi bien dans le code pénal que dans le code du travail.

Pour ce qui est du code du travail, il s’agit en réalité de rétablir une disposition dont la suppression était involontaire... Les victimes n’ont pas à en payer le prix. Nous rétablissons donc la disposition.

Pour finir, je veux insister, au-delà de la répression, sur l’accompagnement des victimes et la prévention. La répression, en effet, n’est jamais suffisante.

D’abord, nous devons faire en sorte que les victimes soient informées des droits que leur ouvre la nouvelle loi. Je mobiliserai les réseaux d’accueil, d’information et d’orientation des femmes à cette fin. C’est une préoccupation forte de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dont je partage plusieurs analyses.

Nous conduirons aussi un travail sur la prévention, les représentations et les stéréotypes.

D’ailleurs, nous avons commencé d’aborder la question de la prévention dans le dialogue avec les partenaires sociaux. En effet, j’ai évoqué avec eux la question des violences au travail lors de la grande conférence sociale qui s’est achevée hier. Ma collègue Marylise Lebranchu, qui est chargée de la fonction publique, en a fait autant avec les organisations syndicales de la fonction publique.

D’ores et déjà, le texte de la commission a pris en compte certaines des demandes exprimées sur vos travées.

Je répète que, cet automne, nous lancerons une campagne de sensibilisation sur les violences au travail. Nous la préparerons avec les associations et les partenaires sociaux.

En outre, une autre de mes collègues a pris la mesure de cette question : il s’agit de Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Elle a engagé une réflexion sur les procédures disciplinaires applicables en cas de harcèlement au sein de l’université, que des associations nous ont décrites comme largement insatisfaisantes. Nous travaillerons ensemble sur la question de la prévention et de la sensibilisation dans les établissements d’enseignement supérieur.

Mais tout cet effort ne sera rien sans un travail en profondeur sur les représentations et les stéréotypes. Comme vous l’avez chacune souligné, mesdames Jouanno, Demontès et Gonthier-Maurin, il est évident qu’il faut davantage d’études sur le sujet, davantage de travail et, surtout, davantage de volonté. Je n’en manque pas et je conduirai ce combat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a construit le présent projet de loi avec le souci d’une approche globale qui permette de prévoir une réponse pénale tout en pensant aux actions concrètes à mener dans le domaine de la prévention et de la lutte contre les stéréotypes.

Ce projet de loi est une première réponse. D’autres suivront, qui concerneront plus largement les violences faites aux femmes.

Nous avons entendu les associations, qui veilleront très attentivement à ce que la loi soit appliquée. Sachez que Mme la garde des sceaux et moi-même sommes très attachées à ce qu’elle le soit. Je sais que le travail auquel vous avez tous participé depuis le début du mois de mai y contribuera. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Muguette Dini ainsi que MM. Christian Poncelet et Antoine Lefèvre applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre des droits des femmes, mes chers collègues, nous sommes les témoins d’une disparition finalement rare : la disparition d’une infraction.

Avec elle, nous assistons aussi à la disparition de plusieurs centaines, peut-être de plusieurs milliers de procédures. Et ce sont plusieurs centaines, peut-être plusieurs milliers de victimes qui sont plongées dans l’incompréhension.

M. Alain Anziani, rapporteur. Elles voient s’ajouter la souffrance judiciaire à la souffrance née du harcèlement sexuel.

Cette évaporation est choquante pour les victimes ; selon nous, pourtant, elle était inéluctable.

Le Conseil constitutionnel s’est trouvé confronté à un délit dont la définition, d’une réforme à l’autre, était devenue une véritable tautologie. Qu’est-ce que le harcèlement sexuel ? Aux termes de la dernière loi votée, c’était « le fait de harceler quelqu'un dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles »… Naturellement, une telle définition ne peut nous convenir. Elle est même contraire au principe de légalité des délits et des peines inspiré par l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cette exigence nous avait d'ailleurs déjà été rappelée par le Conseil constitutionnel à propos de la définition des membres de la famille visée par le texte sur l’inceste.

En tant que législateurs, nous sommes ainsi renvoyés à notre responsabilité : faire des lois claires et précises. Telle sera la première orientation de nos travaux et tel est, mesdames les ministres, le premier objectif de ce texte. La seconde orientation, très ambitieuse, consistera à mieux appréhender une infraction qui demeure largement ignorée.

Beaucoup a déjà été dit sur ce point. J’ajouterai simplement que le harcèlement sexuel déstructure durablement ses victimes, réduites au rang d’objets, de choses, de miroirs de fantasmes. Or, en dépit de sa gravité, il est trop souvent confondu avec de la mauvaise plaisanterie, de la vulgarité machiste, voire avec une forme maladroite de galanterie – on trouve cette expression dans certaines décisions de justice.

Selon l’étude d’impact, ce délit fait l’objet aujourd'hui d’un millier de procédures et de seulement soixante-dix à quatre-vingt-cinq condamnations par an. Pourquoi des procédures qui sont si peu nombreuses et des condamnations qui le sont moins encore ?

La première explication est commune à toutes les infractions sexuelles : en pareil cas, nous le savons, il est difficile pour la victime de porter plainte.

La seconde tient à la difficulté, dans ce domaine plus que dans les autres, de rapporter la preuve de l’infraction. Dans le procès, c’est la parole de l’un, souvent un homme, contre celle de l’autre. (M. Roland Courteau acquiesce.) La victime peine à prouver le harcèlement.

Notre mission est de refonder l’incrimination en prenant en compte ces deux objectifs : il nous faut adopter une loi qui soit à la fois claire et précise, pour satisfaire les exigences constitutionnelles, et ambitieuse.

Pour y parvenir, nous disposons de nombreux éléments : cinq directives communautaires, la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes, la loi du 27 mai 2008 portant diverses adaptations au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et sept propositions de loi déposées au Sénat, dont je ne nommerai pas les auteurs. À cet égard, certains ont évoqué la frénésie du Sénat. Mais c’est plutôt la marque de l’intérêt porté par notre assemblée à cette cause qui mérite amplement d’être défendue !