M. le président. Veuillez conclure, madame David !

Mme Annie David. Mes chers collègues, vous le voyez bien, si les entreprises ont besoin de flexibilité et de réactivité, ce n’est pas cette mesure qui les en privera. Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, sur l’article.

M. Albéric de Montgolfier. Notre collègue vient de citer Jean-Pierre Gorges, qui se trouve justement être un élu de mon département. Étrangement, il n’a pas, de son propre rapport, tout à fait la même lecture que Mme David. J’en discutais encore avec lui la semaine dernière et il a eu l’occasion de s’exprimer lors des débats à l’Assemblée nationale, se prononçant très clairement contre la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires.

Fabienne Keller l’a dit très justement, ce dispositif ne concerne pas les classes plus aisées, mais les classes modestes. Elle a cité les chiffres : les heures supplémentaires rapportent en moyenne 1 500 euros à chaque salarié et la suppression de la défiscalisation entraînera pour chacun une perte de 450 euros. Si l’on veut avoir une certitude sur ces chiffres, il suffit de se référer au rapport de la direction générale du Trésor, le rapport Guillaume, qui chiffre très précisément les gains par salarié.

La suppression de ce dispositif va donc réduire le pouvoir d’achat, faire baisser la consommation et toucher singulièrement certaines catégories modestes : les enseignants, les aides-soignants et tous les salariés qui ont de faibles revenus.

Cette mesure va également toucher les entreprises, notamment dans le secteur des travaux publics, du bâtiment, des transports, ainsi que dans un certain nombre d’activités saisonnières comme l’hôtellerie ou la restauration.

Enfin, deux problèmes n’ont pas été envisagés.

Le premier concerne les dates d’application. Initialement, si je ne m’abuse, le projet de loi de finances rectificative prévoyait une application de cette mesure au 1er septembre 2012. Je sais que les débats à l’Assemblée nationale ont été un peu confus, mais il semblerait que la date d’entrée en vigueur soit avancée au 1er août. Il faudra sans doute que le ministre nous explique quelle est la date réelle : il semblerait qu’elle diffère selon que l’on envisage la défiscalisation ou l’exonération sociale.

Le deuxième problème touche au champ d’application. Si je me réfère à la promesse n° 34 du candidat Hollande, l’exonération fiscale et sociale devait être maintenue pour les PME. Or le projet de loi de finances rectificative méconnaît cette promesse puisque l’exonération ne concerne plus que les charges sociales, les heures supplémentaires réalisées dans les PME et les TPE étant fiscalisées. C’est clairement une promesse de campagne qui n’est pas tenue !

Enfin, j’aimerais que M. le ministre nous éclaire sur les effets de seuil. En limitant à vingt salariés le niveau sous lequel les entreprises continueront à bénéficier des exonérations de charges sociales, on s’expose en effet au risque de créer un effet de seuil. Je connais des exemples très précis d’entreprises qui seront réticentes à réaliser des embauches qui leur feraient dépasser l’effectif de vingt personnes puisqu’elles perdront alors le bénéfice de cette exonération.

Toutes ces raisons conduiront le groupe UMP à voter contre cet article 2. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin, sur l’article.

M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite compléter le propos de mes collègues par quelques remarques sur le schéma que nous propose le Gouvernement.

Si l’on analyse les présupposés qui l’inspirent, on aboutit à peu près au schéma suivant : on rend moins attractives les heures supplémentaires ; il s’ensuit des créations d’emplois.

M. Joël Bourdin. C’est votre hypothèse !

Ainsi, les revenus qui étaient distribués au titre des heures supplémentaires le seraient dorénavant au titre d’heures de travail réalisées dans le cadre de nouveaux emplois. La mesure serait donc en quelque sorte neutre : moins d’heures supplémentaires, celles-ci étant de fait moins intéressantes, mais plus d’emplois ; moins de revenus distribués au titre des heures supplémentaires, mais plus de revenus distribués par ailleurs.

Ce type de raisonnement s’inspire des lois de la physique, mais nous parlons là d’économie ! En physique, les variables sont inertes ; en économie, les variables réfléchissent, elles réagissent, elles se dilatent ou se rétractent ; elles ne sont pas aussi faciles à manier qu’en physique.

En l’occurrence, comment peuvent réagir les intéressés, qu’il s’agisse des travailleurs ou des chefs d’entreprise ?

En ce qui concerne les travailleurs, si les heures supplémentaires sont moins rémunératrices – selon les évaluations, en moyenne, les salariés qui effectuaient des heures supplémentaires devraient perdre 400 euros –, elles susciteront moins d’appétence, elles seront moins demandées ou moins facilement acceptées.

En ce qui concerne les employeurs, le coût des heures supplémentaires étant accru, ils réduiront forcément leur offre. De plus, du fait des effets de seuil, la création d’emplois risque d’être moindre.

Avec le schéma que vous proposez, nous risquons donc de constater, à terme, une contraction des heures travaillées : le nombre d’heures supplémentaires baisserait, mais cette baisse ne serait pas compensée par le nombre d’heures réalisées dans le cadre d’emplois nouvellement créés. Dès lors, le système que vous prévoyez a un caractère récessif et risque de jouer négativement sur les facteurs de croissance : la croissance potentielle pourrait donc être affectée par cette mesure.

On peut aussi aborder le problème d’une autre manière : si l’on ne parvient pas à transformer en emplois les heures supplémentaires qui ne seront plus effectuées, le revenu distribué sera moindre et la consommation en sera affectée. Certains de nos collègues ont insisté sur le fait que la consommation comptait pour 60 % dans le niveau de croissance : si la consommation baisse, là encore, la croissance s’en trouvera altérée.

Faites attention ! Vous mettez le doigt dans un mécanisme qui peut provoquer un affaiblissement de la croissance potentielle.

Nous avons remarqué qu’il était beaucoup question de croissance depuis quelque temps et nous ne pouvons vous le reprocher. Mais alors, permettez-moi de vous dire que ce que vous proposez joue contre la croissance.

C’est la raison pour laquelle, avec le groupe UMP, je ne voterai pas le dispositif proposé à l’article 2.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l'article.

M. Richard Yung. Tout à l'heure, je pensais au Huron de Voltaire et me disais que, si un Huron écoutait ce débat depuis notre tribune d’honneur, il serait certainement perplexe ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. C’est sûr !

M. Richard Yung. À entendre certains, il risquerait fort de croire que nous débattons de la suppression des heures supplémentaires payées 25 % de plus, alors qu’il n’est question que de la suppression l’exonération fiscale de ces mêmes heures supplémentaires.

M. Albéric de Montgolfier. Fiscale et sociale !

M. Richard Yung. Alors, mes chers collègues, aidez un peu le Huron à comprendre !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On va le faire, comptez sur nous !

M. Richard Yung. Par ailleurs, et je sens que vous allez être d’accord avec moi, l’article 2 vient après l’article 1er. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Excellente observation !

M. Richard Yung. Eh oui ! Contrairement à ce que vous prétendez, nous avons une stratégie budgétaire…

M. Philippe Dallier. Ça, on l’avait compris aussi !

M. Richard Yung. … et la ligne que nous suivons pour l’article 2 est cohérente avec l’article 1er ; j’y reviendrai dans quelques instants.

Maintenant, si vous le voulez bien, abandonnons un moment le dogme et l’idéologie…

Mme Catherine Procaccia. Vous êtes bien placé pour en parler !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est à vous de le faire ! Question idéologie, vous nous battez !

M. Richard Yung. J’ai dit « abandonnons l’idéologie » ! Je vous invite à une démarche conjointe ! Vous, vous ne faites jamais d’idéologie, madame Des Esgaulx ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous êtes le meilleur !

M. Richard Yung. C’est formidable ! Vous êtes toujours vêtue de lin blanc et de probité candide, n’est-ce pas ?

Le débat de fond, nous l’avons déjà évoqué. Vous avez sincèrement pensé qu’en défiscalisant les heures supplémentaires, en les encourageant, vous alliez créer davantage de travail. Après tout, l’idée pouvait se défendre. La réalité – et c’est là que vous devez faire votre examen de conscience –, c’est que, cinq ans après, le nombre d’heures supplémentaires en France est resté parfaitement constant : 400 000 par an. C’est donc une politique qui n’a pas marché.

Mme Annie David. Exactement !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Sans elle, le nombre d’heures supplémentaires aurait peut-être diminué !

M. Richard Yung. Nous pensons que, dans les circonstances que nous connaissons, il vaut mieux partager et faire en sorte que des emplois soient créés plutôt qu’encourager le recours aux heures supplémentaires. Cependant, je reconnais que l’on peut avoir un vrai débat sur ces questions.

Sur le pouvoir d’achat, j’en reviens à l’article 1er abrogeant la TVA sociale, qui représente une économie de 10 milliards d'euros pour les ménages, soit à peu près 400 euros par foyer. La fin de l’exonération des heures supplémentaires à l’article 2 représente, quant à elle, 5 milliards d'euros, soit à peu près 400 euros par personne concernée. Autrement dit, l’opération est parfaitement équilibrée du point de vue du pouvoir d’achat. Vous ne pouvez pas dire, monsieur Bourdin, que cette disposition entraîne une perte de pouvoir d’achat.

M. Christian Cambon. Vous irez l’expliquer aux salariés concernés !

M. Richard Yung. Je crois avoir montré que ce n’est pas le cas.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ah bon ?

M. Richard Yung. J’ajoute que le système est relativement injuste du point de vue social puisque chacun sait que ce sont ceux qui perçoivent les rémunérations les plus élevées qui bénéficient des heures supplémentaires les mieux payées.

M. Christian Cambon. C’est faux !

M. Richard Yung. Mais si, c’est la vérité ! On a cité, par exemple, ces enseignants qui doublaient leur salaire grâce aux heures supplémentaires.

M. Christian Cambon. Et dans nos communes rurales !

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. C’est la solidarité des agrégés ! (Sourires.)

M. Richard Yung. Dernier point, contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, il existe un rapport d’information de l’Assemblée nationale de MM. Gorges et Mallot sur cette question, et il y est très clairement expliqué qu’il y a 100 000 emplois à la clé. Lisez-le, monsieur de Montgolfier ! (Nous l’avons, il est là ! sur les travées de l'UMP. – Mme Chantal Jouanno brandit le document en question.)

M. Francis Delattre. Il ne dit pas du tout ce que vous racontez !

M. Richard Yung. Il dit parfaitement cela ! Votre collègue a peut-être changé d’avis, mais pas nous !

Enfin, vous avez voulu nous faire croire que la mesure était injuste puisque la part patronale continue à être exonérée pour les entreprises de moins de vingt salariés. Ce n’est pas le cas de la part salariale, et c’est un argument qui a été employé pour parler d’injustice sociale. Or, le fond de cette question, c’est qu’il n’est pas possible d’introduire des différences de rémunération entre les salariés. Ce ne serait pas conforme à nos principes constitutionnels. Nous sommes donc obligés d’agir ainsi.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera l’excellente disposition figurant à l’article 2. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, sur l'article.

M. Roger Karoutchi. Enfin la vérité !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’en déplaise à notre collègue Richard Yung, je dois vous dire que les salariés de ma circonscription, c'est-à-dire le beau département de la Gironde, et au-delà les plus de neuf millions et demi de Français concernés, vont constater, après le vote de cet article 2, une perte nette de pouvoir d’achat sur leur feuille de paye et sur leur avis d’impôt sur le revenu. Et cette part de pouvoir d’achat va manquer à la consommation.

Mme Annie David. Il faut tenir compte de l’abrogation de la TVA sociale !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Or, ne l’oublions pas, la croissance, pour ceux qui aiment bien faire un peu de macroéconomie, repose à 60 % sur la consommation et dépend donc du pouvoir d’achat.

La suppression visée à l’article 2 concerne quelque 700 millions d’heures supplémentaires, monsieur Yung, qui génèrent en moyenne 500 euros de pouvoir d’achat par an et par salarié percevant un revenu moyen de 1 500 euros par mois. Avec 1 500 euros, je ne crois pas que l’on soit classé dans la catégorie des riches !

Cela va toucher non seulement ces salariés, mais aussi les entreprises et leur compétitivité. C’est un véritable gâchis !

Le partage du travail que vous cherchez, au fond, à instaurer va aboutir à la sclérose de l’offre sur le marché du travail. C’est ce que la défiscalisation des heures supplémentaires visait justement à éviter.

Cette affaire aurait mérité que nous légiférions en prenant véritablement en compte la question des effectifs. Car qu’est-ce, en vérité, qu’une petite entreprise ? Ce n’est pas une entre prise de vingt salariés au plus ! Les chiffres sont très clairs : une petite entreprise, c’est une entreprise qui occupe moins de cinquante personnes ou bien qui réalise moins de 2 millions d'euros de chiffre d’affaires ou de total de bilan annuel. Ce sont les trois critères retenus dans le droit communautaire.

Franchement, le seuil de vingt salariés me paraît totalement insuffisant. L’effet de seuil qu’il faut en attendre sera très dangereux. Nous en entendons déjà parler dans nos circonscriptions.

Cette affaire aurait également mérité qu’on légifère en fonction des activités, parce que l’on ne peut pas les traiter toutes de la même manière. Je pense en particulier aux activités saisonnières comme le tourisme. J’habite sur le bassin d’Arcachon et j’affirme que seules les heures supplémentaires sont efficaces pour répondre à la demande dans ce type d’entreprise. Le caractère saisonnier doit vraiment être pris en compte.

Je pourrais également parler du secteur du bâtiment, avec les intempéries, ou les délais que nous fixons dans nos appels d’offres, mes chers collègues. À l’évidence, avec tout ce que vous nous préparez, le prix du logement pourrait bien augmenter ! Et le même raisonnement vaut pour le secteur des transports.

Pour conclure, je voudrais insister sur deux points.

Premièrement, les branches à hauts salaires n’ont pas recours aux heures supplémentaires. Contrairement à ce que vous prétendez, ce sont les branches à bas salaires qui y recourent massivement. Par moments, quand je vous écoute, je me demande dans quel monde vous vivez !

M. Richard Yung. Moi, je n’habite pas sur le bassin d’Arcachon !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Rencontrez-vous des personnes ayant les mêmes problèmes que celles que je vois dans ma mairie, dans ma permanence ? J’ai l’impression que vous êtes totalement déconnectés et que vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir des gens en face de vous qui veulent travailler un peu plus pour payer leur maison, pour terminer de payer les études de leurs enfants. Vraiment, nous ne vivons pas dans le même monde !

M. David Assouline. Ces gens-là ont voté ! Ils ne vous connaissent que trop !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Deuxièmement, je veux évoquer un point qui me tient beaucoup à cœur. Parce que, même si je suis sénateur, je n’oublie pas que je suis d’abord un élu local.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est le cumul !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Heureusement que le cumul existe : on apprend des choses concrètes !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous invoquez la destruction massive d’emplois induite par les heures supplémentaires. Cet argument ne tient pas ! S’il est un secteur dans lequel cet argument ne tient pas, c’est bien dans la fonction publique ! Comment pouvez-vous soutenir que, dans la fonction publique, les heures supplémentaires sont une mauvaise chose parce qu’elles provoqueraient une destruction massive des emplois ? Là, il y a un problème !

Mme Marie-France Beaufils. Il s’agit surtout de créer des emplois supplémentaires !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Avec les dispositions que vous vous apprêtez à voter, la perte de pouvoir d’achat pour les agents des collectivités territoriales sera sévère et s’ajoutera au gel du point de la fonction publique.

Vraiment, l’effort prétendument juste que vous voulez imposer est totalement injuste ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l'UCR.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, sur l'article.

M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs généraux, mes chers collègues, ce que notre ami le Huron de Voltaire a déjà certainement compris depuis la tribune, c’est que la majorité socialiste est en train, avec cet article, de porter un mauvais coup aux neuf millions de salariés qui bénéficient des heures supplémentaires.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Exactement !

M. Jean-Pierre Leleux. Je ne sais si elle est ingénue ou candide, mais, plus de dix ans après l’instauration malthusienne des 35 heures,…

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Pierre Leleux. … la gauche continue de penser que le travail se partage et qu’un salarié qui effectue des heures supplémentaires prend la place d’un chômeur.

Au-delà de cette remarque d’ordre général, je voudrais, en tant que membre de la commission de la culture, souligner un point qui me paraît important, à savoir les conséquences de l’adoption de cet article sur les enseignants.

M. Jean-Pierre Leleux. On a entendu beaucoup de choses sur le sujet, et la nouvelle majorité a jusqu’à présent tenté de faire croire que ce sont des contribuables appartenant à une classe plutôt aisée qui vont subir seuls la « rigueur », mot qu’il faut d’ailleurs éviter d’employer en ce moment.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il n’est pas convenable !

M. Jean-Pierre Leleux. Or on s’aperçoit que des heures supplémentaires sont régulièrement effectuées par des ouvriers et des fonctionnaires, au premier rang desquels les enseignants.

Sur l’année scolaire 2010-2011, dans l’enseignement public, plus d’un enseignant sur deux a fait des heures supplémentaires : 56 % des enseignants, pour être précis.

M. David Assouline. Comme toujours !

M. Jean-Pierre Leleux. Ne pouvant écarter cette évidence objective, le Gouvernement tente d’opposer les enseignants les uns aux autres, en laissant entendre que seuls les plus favorisés d’entre eux ont eu jusqu’à présent accès aux heures supplémentaires. Ainsi, M. Vincent Peillon, auditionné par notre commission, a indiqué que « les professeurs des écoles en [avaient] très peu bénéficié et [que] dans le secondaire, elles [étaient] allées davantage aux professeurs des grands lycées de centre-ville qu’aux jeunes certifiés des collèges difficiles. »

Il me semble donc utile d’examiner un peu plus en détail la situation, et nous disposons pour cela d’un document récent : le rapport fait par Mmes Cartron, Férat et Gonthier-Maurin sur la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2012, dans lequel figure tout le cadre réglementaire des heures supplémentaires dans l’éducation nationale.

Qu’y constate-t-on ? Il existe tout d’abord des heures supplémentaires effectuées de manière permanente. À titre d’exemple, pour un certifié avec un service normal de dix-huit heures par semaine, deux heures supplémentaires représentent un supplément de rémunération d’environ 326 euros. Mais j’ai bien compris que vous vouliez revenir sur cette défiscalisation. Sur cette somme, il perdra donc l’équivalent de 20 % du montant représenté par les cotisations salariales, soit 60 euros, ce qui n’est pas négligeable.

De plus, à défaut d’enseignants volontaires, les chefs d’établissement peuvent désigner des personnels pour assurer le remplacement d’un enseignant absent pour une courte durée ; ces personnels devront ainsi faire des heures supplémentaires.

Il y a d’autres cas de ce type. N’oublions pas les dispositifs particuliers relatifs aux heures supplémentaires, qui permettent, notamment, de mieux rémunérer l’accompagnement éducatif après les cours. Ce dispositif existe depuis la rentrée 2007 dans les collèges, mais aussi, je le rappelle, dans les écoles qui relèvent de l’éducation prioritaire. J’ai également en tête les stages de remise à niveau, ainsi que les stages passerelles, organisés depuis 2010. Pour mémoire, les stages en anglais sont aussi assurés, depuis la rentrée 2008, par les enseignants du second degré, pour aider les collégiens et lycéens pendant les vacances.

On nous objecte le cas des professeurs des classes préparatoires, qui, eux, bénéficieraient de quatre heures supplémentaires pour ce que l’on appelle les heures d’interrogation, les fameuses « colles ».

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Eh oui !

M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le ministre, ces enseignants sont-ils les privilégiés que l’on entend dénoncer ?

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En tout cas, ils sont bien utiles !

M. Jean-Pierre Leleux. Il me semble qu’il serait préférable de réfléchir à un statut particulier pour ces enseignants plutôt que de supprimer la défiscalisation des heures supplémentaires.

Je vous le dis, cette suppression se fera au détriment de tous, et notamment des enseignants, qui, vous le savez bien, ne sont pas les plus riches de nos concitoyens. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Marie-France Beaufils. C’est la revalorisation des salaires qui est nécessaire !

M. Jean-Pierre Leleux. Enfin, pour rester dans le domaine de l’éducation nationale, je voudrais comprendre en quoi l’imposition des heures supplémentaires permettra de créer des emplois, puisqu’il s’agit d’un des principaux arguments que vous mobilisez pour défendre cette mesure. Le renouvellement des départs à la retraite, que vous rétablissez à l’article 23 du présent texte, ne va en rien réduire le nombre d’heures supplémentaires. Vous allez simplement diminuer le revenu actuel des enseignants, à l’inverse de ce que vous promettiez lors de la campagne.

M. Alain Néri. Nous allons créer des postes, quand vous en supprimiez !

M. Jean-Pierre Leleux. Oui, mais en supprimant ces postes, nous avions commencé à revaloriser le métier des enseignants en augmentant leur revenu (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Marc Todeschini. Vous plaisantez, là ? Personne n’y croit !

M. Jean-Pierre Leleux. … notamment en début de carrière.

M. Alain Néri. Mais vous avez supprimé la formation des enseignants !

M. Jean-Marc Todeschini. Vous avez tout cassé dans le système éducatif !

M. Jean-Pierre Leleux. C’est l’ancienne majorité qui a augmenté la rémunération des enseignants en début de carrière et qui, dans le même esprit, a défiscalisé leurs heures supplémentaires.

M. Jean-Marc Todeschini. Vous avez cassé les IUFM !

M. Jean-Pierre Leleux. C’est ce que, avec courage, vous vous empressez de supprimer au moment où ils sont partis en congés. Cela leur fera plaisir à leur retour ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l’UCR. – Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Patriat, sur l’article.

M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, il a été tout à l'heure question de paraphraser Voltaire, mais je constate que nous nous paraphrasons beaucoup nous-mêmes ! En effet, les arguments que nous avançons – et mon cas ne dérogera pas à la règle – ont déjà été évoqués avec talent par le ministre et certains collègues, comme Jean-Pierre Caffet ou d’autres de mes amis.

Nous avons une excuse en ce que vous nous « accrochez » avec violence et tentez de mener une offensive sans concession pour défendre la hausse de la TVA et les exonérations de charges sociales et fiscales sur les heures supplémentaires. Pourtant c’est vous qui, dans le même temps, nous accusez de nous livrer à des règlements de compte idéologiques !

Mes chers collègues, je me souviens d’un moment où l’idéologie s’est effectivement exprimée en ces lieux. Lorsque Mme Lagarde, alors au banc du Gouvernement, a dit que la loi TEPA allait créer un « choc de confiance » et un « choc de croissance », son discours était bien, alors, empreint d’idéologie. Souvenez-vous, on essayait, par cette loi, de décliner le slogan « travailler plus pour gagner plus ». C’est justement cet entêtement idéologique qui, me semble-t-il, a empêché les auteurs de ces mesures de réaliser qu’elles allaient totalement à rebours de ce qu’il fallait faire en période de crise, et qui est à l’origine d’une part des difficultés que nous connaissons aujourd'hui.

Car enfin, quel est le bilan des heures supplémentaires non taxées ? Clairement, il n’est pas satisfaisant. Inefficace et contre-productive pour l’emploi, cette mesure a représenté, depuis 2007, je le rappelle, un coût de 5 milliards d’euros par an pour les finances publiques, soit 25 milliards d’euros en cinq ans, financés exclusivement par l’endettement.

En outre, la loi TEPA a créé des effets d’aubaine pour de nombreuses entreprises, qui ont préféré avoir recours aux heures supplémentaires plutôt que d’embaucher. Elle a été une mesure qui a freiné l’embauche en n’incitant pas à l’emploi de chômeurs ou de gens qualifiés qui attendaient que des postes se libèrent.

Selon des chiffres que vous ne pouvez pas discuter puisqu’ils sont avancés par le directeur adjoint du département Analyse et Prévision de l’OFCE, Éric Heyer, près de 40 000 emplois n’ont pas été créés à cause de cette défiscalisation.

La remise en cause de cette mesure permettra non seulement de relancer en partie l’emploi, mais également d’alimenter les finances publiques.

Vous mettez en avant la prétendue perte de pouvoir d’achat que sa remise en cause induirait pour « des millions de Français » – ces 9 millions que vous citez à l’envi –, alors que vos explications sur son impact pour l’emploi restent bien insuffisantes.

Tout à l'heure, vous avez mis en doute le rapport parlementaire du député Jean-Pierre Gorges. Je vous cite ce qu’il contient : « À moyen et à long terme, cette dépense peu efficace, financée par un surcroît de dette publique – dont les intérêts correspondant à la dépense annuelle atteignent environ 140 millions d’euros – ne manquera pas d’alourdir les prélèvements obligatoires futurs. »