M. Éric Bocquet. Tout à fait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pour ma part, je me battrai constamment contre de tels procédés !

Si l’expertise des agences de notation est indéniable en matière de notation des entreprises – j’en conviens, même si, en fin de compte, tout se régule tout seul ! –, il en va autrement pour la notation souveraine, qui n’est en rien comparable.

La notation souveraine ne saurait relever d’une simple opinion : il faut plutôt procéder à une évaluation des finances publiques spécifique et adaptée, en considérant la structure d’un budget public, en distinguant les dépenses productives et improductives et en évaluant l’efficacité économique des différentes structures fiscales. Je le redis, ce travail ne relève pas du tout des compétences des agences de notation actuelles. La notation en direction des marchés peut être un sous-produit de la programmation à moyen terme des finances publiques. Une telle mission a un caractère public et ne peut être considérée comme une simple opinion parmi d’autres.

Pourtant, les trois grandes agences de notation de culture anglo-saxonne se sont arrogé le droit de juger les États, particulièrement les États européens. Mes chers collègues, soyons très vigilants. Ils notent les vingt-sept États membres de l’Union européenne, alors qu’ils ne délivrent qu’une seule note aux États-Unis ! Pourtant, nous connaissons parfaitement les difficultés que traverse la Californie. Soyons donc très attentifs, car nous sommes beaucoup plus fragiles que les autres sur ces questions. Cette affaire est très grave.

En outre, ne perdons pas de vue le fait qu’il y a évidemment derrière tout cela le financement de l’économie. Or le financement à long terme par les banques est de plus en plus difficile. Pour ma part, je le dis clairement, je souhaite une montée en puissance de la Banque centrale européenne.

Aussi suis-je tentée de vous poser, monsieur le ministre – n’y voyez là aucune malice de ma part ! (Sourires.) –, une question simple : le changement de majorité qui vient d’intervenir remet-il en question l’action publique de vos prédécesseurs dans ce domaine ? Il s’agit véritablement d’un problème-clé, très récent, qui exige une prise de position très forte. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un débat aussi opportun qu’important qui nous réunit aujourd’hui. On ne peut que saluer le travail de grande qualité réalisé par la mission commune d’information sur un sujet qui, pour le moins, fait désormais écho dans l’opinion publique.

La crise financière qui affecte le monde depuis plusieurs années déjà et n’en finit pas d’affaiblir l’économie, singulièrement aujourd’hui celle des pays de la zone euro, a mis à jour les failles de nos systèmes financiers et l’interdépendance de ceux-ci : c’est la rançon d’un monde rétréci en termes d’échanges de biens et de capitaux.

Au nombre des facteurs aggravants, il y a notre dépendance aux agences de notation, qui évaluent le risque de crédit des émetteurs et dont la fonction tient désormais lieu d’oracle des temps présents que nul, semble-t-il, n’a le pouvoir de contrecarrer.

Jusqu’à une époque récente, le grand public avait peu entendu parler – voire sans doute jamais ! – de ces agences aux noms plutôt sympathiques et gentiment anglo-saxons, comme ceux des marques de luxe.

C’est l’année dernière, singulièrement au moment où on a annoncé la dégradation de la note de la France par l’une d’entre elles – le désormais fameux triple A a été ramené à un double A – que les médias ont abordé la question du rôle des agences de notation et de leur influence sur la vie des entreprises et des pays.

D’abord, je veux souligner le rôle de ces agences : elles notent comme des superviseurs omnipotents non seulement les entreprises, mais aussi les collectivités, et rien de moins que les États eux-mêmes.

Dans une économie globale, mondialisée, où les États se financent de plus en plus comme les grandes entreprises, où le modèle de financement par les banques glisse de plus en plus vers un financement par les marchés, cela n’a au fond rien de surprenant.

Dans la zone euro, l’encours obligataire des entreprises a triplé depuis quatorze ans et la dette de l’État français est aujourd’hui exclusivement émise sur les marchés.

La mondialisation financière a donc conforté la position des agences de notation, qui donnent l’illusion de procéder à une analyse scientifique à partir d’un standard d’évaluation prétendument compris et accepté par tous.

Cela donne un pouvoir exorbitant à quelques agences, qui influent ainsi sur l’économie mondiale, avec tous les risques que cela comporte.

Il est par exemple frappant de constater que, lorsqu’une entreprise ou un État est mal noté, les difficultés s’enchaînent ; elles peuvent lui être fatales. La mauvaise note est non plus alors un simple avertissement de nature à inciter à la vigilance, mais le début d’un cercle vicieux, qui peut aggraver une situation passagèrement difficile. C’est là une responsabilité colossale, presque un pouvoir mortifère, d’autant qu’une agence n’est pas infaillible.

Le constat dressé est même accablant à plusieurs égards.

En tout premier lieu, si l’on se réfère à la période récente, l’efficacité des agences de notation ne paraît pas prouvée sur bien des sujets importants. Qu’on en juge par quelques exemples.

Aucune agence n’a lancé d’alerte sur les risques relatifs à la titrisation à outrance, qui a débouché sur la crise des subprimes et a déclenché une crise financière mondiale.

Plus près de nous, une erreur technique d’appréciation, en novembre 2011, de Standard & Poor’s a eu une répercussion instantanée sur le taux de base supporté par la France et a conduit à creuser, en notre défaveur, l’écart avec l’Allemagne.

De plus, aucune agence n’a détecté les dérives de la banque Lehman Brothers, alors que, a contrario, des entreprises ont pu voir leur notation dégradée sans raison véritablement sérieuse, ce qui a limité leur capacité d’emprunter et a donc eu de lourdes conséquences pour elles-mêmes et leurs salariés. Et tout cela sans que les agences de notation puissent véritablement être mises en cause, c’est-à-dire sans qu’elles courent aucun risque majeur en termes de responsabilité civile.

Mieux encore, selon le rapport de la mission commune d’information, Moody’s entend échapper à tout risque d’incrimination, en profitant du défaut d’harmonisation en Europe pour contractualiser avec ses clients selon le droit britannique, qui lui est plus favorable sur ce point.

Ensuite, on peut légitimement s’interroger sur l’indépendance des agences de notation en toutes circonstances : la composition du capital de Moody’s et de Standard & Poor’s n’étant pas, selon le rapport, « connue avec exactitude », qui peut garantir que les analyses échappent toujours à un éventuel conflit d’intérêts ?

La question se pose d’autant plus que ni les méthodes ni le contenu des notations de crédit, qui varient d’ailleurs d’une agence de notation à l’autre, ne sont précisément connus. Sans compter qu’un élément subjectif « non quantifiable », selon les termes du rapport, peut entraîner une dégradation de note. Convenons qu’en matière de transparence et de rigueur, il y a matière à progrès…

Ainsi, l’activité de notation échappe à tout contrôle sérieux, puisque les régulateurs publics n’ont volontairement pas de moyens d’ingérence pour examiner les méthodes utilisées.

Depuis le début de la crise financière, les États, obéissant en cela aux accords de Bâle, ont paradoxalement conforté la place des agences de notation en officialisant leur mission. Ils ont en effet accepté que les notes qu’elles attribuent soient imposées par la règlementation financière.

De la sorte, faute d’autres moyens disponibles, la référence aux agences se maintient et se renforce, en dépit parfois de la « faible valeur ajoutée des commentaires » qu’elles émettent, pour reprendre le jugement émis par l’Agence France Trésor s’agissant du cas particulier de notre pays.

C’est précisément de cette toute-puissance des agences de notation et de l’hégémonie de quelques-unes sur l’ensemble du marché qu’il faut parvenir à se défaire.

Le recours répété et quasi systématique à ces agences depuis la crise américaine de 1929 jusqu’à la crise actuelle de la zone euro les a transformées, elles qui auraient dû rester consultatives et remplir une fonction de prestataire de services, en véritables lieux de pouvoir exerçant une influence sur les marchés et la capacité d’emprunt des États.

On sait bien qu’il est très difficile de s’affranchir d’un système une fois qu’il est installé et, d’une certaine façon, institutionnalisé. Cependant, le rapport très intéressant et très complet de la mission commune d’information, qui constitue le point de départ de notre débat, démontre que des propositions sont possibles. Quelles sont donc les alternatives ?

Si, a priori, la voie d’une évaluation interne pouvait présenter l’avantage d’être plus précise et plus adaptée à chaque cas particulier, elle n’est pas sans poser elle aussi des problèmes de moyens et d’harmonisation.

Dans ces conditions, deux pistes de réflexion paraissent réalistes à court terme.

D’une part, il convient d’explorer les moyens pouvant conduire à mettre fin à l’hégémonie des trois agences de notation les plus puissantes : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, qui détiennent à elles seules 95 % des parts du marché mondial.

D’autre part, il importe de neutraliser les effets mécaniques des notations sur les décisions des régulateurs et des investisseurs.

Face à la domination des trois grandes agences américaines, l’Europe serait avisée de se doter rapidement de sa propre agence de notation financière. À bien des égards, elle reste encore trop dépendante, à la remorque des États-Unis.

Par ailleurs, une convergence réglementaire entre les deux continents, sous l’impulsion du G20, permettrait à l’Autorité européenne des marchés financiers de jouer pleinement son rôle.

J’ajoute que des régulateurs légitimes, comme, dans notre pays, la Banque de France, devraient pouvoir investir davantage leur fonction d’expertise.

Nous soutenons donc la position du Gouvernement, qui défend actuellement la création d’une agence publique européenne de notation de crédit. D’ailleurs, cette proposition a déjà été formulée par le Parlement européen dans sa résolution du 8 juin 2011.

La diversification des sources, donc des notes, limiterait les risques d’erreur et permettrait de dégager la note la plus juste.

En outre, supprimer le caractère systématiquement obligatoire du recours à une agence de notation laisserait aux agences leur statut d’organe consultatif et aux émetteurs leur libre arbitre.

Par ailleurs, la réglementation de la profession et son assainissement par l’amélioration de la transparence et la limitation des conflits d’intérêts entre agences et actionnaires constitue un objectif important.

Enfin, comme le préconise judicieusement le rapport de la mission commune d’information, un lien doit être tissé entre les agences de notation et les organes démocratiques comme les commissions des finances des assemblées parlementaires.

En effet, il est impensable que la dette souveraine d’un État soit appréciée uniquement par des organismes extérieurs tels que les agences de notation, sans que la représentation nationale ait son mot à dire.

Nous pourrions avantageusement tirer profit d’un autre rapport intéressant : celui de l’eurodéputé Leonardo Domenici, membre du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen.

Ce rapport a fait l’objet, la semaine dernière, d’un vote favorable de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, qui veut que des règles plus strictes soient désormais imposées aux agences de notation.

Pendant la réunion au cours de laquelle la commission des affaires économiques et monétaires a adopté son rapport, Leonardo Domenici a déclaré que « la crise de la dette de la zone euro a montré que les agences de notation avaient acquis trop d’influence sur les marchés financiers, au point d’être capables d’interférer avec l’agenda politique des pays », de sorte que « nous devons restaurer un équilibre en la matière. »

Il a rappelé que « les agences de notation doivent apporter un service d’information aux investisseurs et consommateurs » et que « nous ne leur demandons pas d’opinions politiques ».

Il a ajouté que, « dans cette optique, leur travail doit respecter des règles de qualité et de transparence et devrait aussi être soumis à un système de responsabilisation. » C’est bien le moins !

La commission ad hoc a renforcé, dans ses propositions, les dispositions restrictives concernant les notations des dettes souveraines et les conflits d’intérêts entre agences et entités notées.

La France doit bien entendu agir en complémentarité avec l’Europe et soutenir cette démarche. On doit donc se féliciter de ce que notre gouvernement soutienne la mise en place de l’agence publique dont j’ai parlé il y a un instant.

Mes chers collègues, nous devons approuver les préconisations contenues dans le rapport de la mission commune d’information.

Il est essentiel de diversifier et de responsabiliser les agences de notation, afin de permettre aux États de recouvrer une part de leur indépendance vis-à-vis de celles-ci.

Il s’agit, en somme, de relativiser le rôle de ces agences et de limiter les conséquences de leurs avis, souvent excessives et parfois désastreuses dans la crise que nous traversons.

Sans exagérer nullement, il s’agit de restaurer la primauté de l’expression démocratique des peuples sur le pouvoir exorbitant qu’un petit nombre détient aujourd’hui sur l’économie et les gouvernements ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, sans faire preuve d’une grande originalité, car beaucoup a déjà été dit, je vous présenterai ce que sont, à mes yeux, les enjeux liés au problème des agences de notation.

D’abord, je suis très heureux que cette mission commune d’information ait pu voir le jour, à la suite de l’adoption d’une proposition déposée par le groupe de l’Union centriste et républicaine. En effet, la question des agences de notation est importante dans l’état actuel de nos finances et des marchés financiers mondiaux.

Pendant des années, on a ignoré jusqu’à l’existence de ces agences. Que l’on vive à crédit ne posait problème à personne, pas même aux agences de notation. C’était l’insouciance : les déficits s’accumulaient, les dettes aussi, et les notes restaient bonnes, voire excellentes. L’idée qu’un État puisse faire faillite n’effleurait personne.

Pourtant, dans les années trente, la moitié des États américains s’étaient retrouvés en défaut de paiement ; mais on a parfois la mémoire courte.

Évaluer le risque de défaut de paiement des États comme des entreprises ou des établissements bancaires est aujourd’hui devenu un enjeu majeur.

Il faut bien reconnaître que les trois agences qui détiennent le quasi-monopole du marché de la notation n’ont pas brillé par la qualité de leurs prédictions… Les exemples d’erreurs de diagnostic sont légion, d’Enron à Lehman Brothers.

Et quand le mal est avéré, on voit les mêmes agences dégrader brutalement leurs notes, contribuant ainsi à déstabiliser davantage les marchés et, au bout du compte, à aggraver les crises. C’est ainsi que l’emballement de la dette grecque a été le produit de la hausse des taux d’intérêt due à la défiance des investisseurs après 2009.

De même, la dégradation d’une note souveraine conduit à la dégradation en cascade des notes des collectivités territoriales, des banques, des entreprises, bref, de tous les agents financiers liés de près ou de loin à l’État en question, et cela sans analyse des fondamentaux réels de ces institutions.

Les carences des agences de notations actuelles, sur le plan à la fois de l’anticipation et de la mesure, justifient tout à fait que l’on s’empare de cette question.

Les États-Unis, d’ailleurs, l’ont déjà fait : la Securities and Exchange Commission a publié un rapport sur le sujet en 2008 et le Sénat américain s’est également penché sur le problème en 2011.

Il ne s’agit pas de souhaiter la disparition des agences de notation. Elles n’étaient pas parfaites avant la crise, elles n’ont pas aujourd’hui tous les défauts de la terre ; il serait déraisonnable de se priver de leurs avis. Ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on guérit le malade !

Ce qui est en jeu, c’est la manière de garantir la qualité des avis émis et de réduire la position de quasi-monopole des trois grandes agences de notation.

Il est légitime d’agir, mais, à mon avis, il convient d’éviter trois écueils.

D’abord, il faut écarter toute suggestion coûteuse comme celle visant à mettre en place une agence publique de notation avec de l’argent public que l’on n’a pas.

De quelle crédibilité, d’ailleurs, une telle agence pourrait-elle bien se prévaloir ? D’entrée de jeu, elle serait en situation de conflit d’intérêts ! Imagine-t-on une agence de notation européenne dégrader la France ou l’Allemagne ?

Ensuite, il convient de ne pas renforcer excessivement l’appareillage juridique, s’agissant notamment de la responsabilité civile.

Chacun sait, en effet, que notre code civil est déjà bien fourni. Sans compter que le recours au contentieux serait souvent sans effet, car les préjudices, dans ce domaine, sont difficiles à évaluer. Privilégier cette voie serait donc faire fausse route.

Enfin, il faut éviter de passer d’un excès à l’autre, ce qui est souvent un défaut français. Je ne crois pas qu’il faille passer de l’absence totale de contrôle à un contrôle absolu et sans défaut. Nous connaissons tous la belle formule : qui trop embrasse mal étreint !

Pour ma part, si je me réfère aux propositions contenues dans le rapport, je considère qu’il faut nous concentrer uniquement sur certaines d’entre elles.

Le problème du marché de la notation tient à sa concentration et à sa position stratégique dans l’évolution des valeurs financières. C’est le cœur du problème, et c’est donc sur ce point qu’il faut agir.

Nous devons ramener la notation à sa juste place : celle d’un avis, d’une opinion, et pas d’une parole d’évangile ou d’une vérité révélée.

Pour nous désintoxiquer de notre addiction à la notation financière, concentrons-nous, mes chers collègues, sur quelques solutions de bon sens, réalistes et pragmatiques.

Nous pourrions nous inspirer utilement non seulement des propositions de l’excellent rapport de la mission commune d’information, mais aussi de celles qui ont été présentées dans le rapport publié en juillet 2012 par l’institut Montaigne, lequel comporte trois idées-clés.

D’abord, il convient de mettre fin à la situation de rente des trois grands acteurs et de favoriser la libre concurrence.

Ensuite, il faut réglementer l’activité des agences de notation en exigeant plus de transparence.

Enfin, il importe d’instaurer un véritable principe de responsabilité pour les principaux acteurs du marché, c’est-à-dire les agences, les investisseurs et les régulateurs.

Pour se désintoxiquer des agences de notation, demandons aux régulateurs de supprimer, chaque fois que cela est possible, l’obligation d’avoir recours à elles.

Obligeons l’Autorité européenne des marchés financiers à procéder, d’ici au 31 décembre 2013, au retrait des références aux notations dans les réglementations financières.

Pourquoi ne pas favoriser aussi une concurrence plus forte ? Je suis d’accord avec ceux qui souhaitent le lancement d’un appel à projets au niveau européen pour encourager la création d’une agence européenne de notation.

L’arrivée sur le marché de ce nouvel acteur permettrait notamment d’éviter le biais favorable aux normes comptables américaines, qui conduit aujourd’hui à une distorsion de concurrence injustifiée entre les entreprises françaises et leurs concurrentes d’outre-Atlantique.

Encourageons une réglementation européenne qui garantisse la transparence des méthodes employées et des moyens humains utilisés, tant en qualité qu’en quantité. Nous savons en effet qu’il y a souvent un sous-effectif chronique au sein des agences de notation.

La transparence doit concerner aussi l’actionnariat des agences, afin de prévenir tout conflit d’intérêts.

Comme le suggère l’institut Montaigne, les infractions relevées pour non-respect de ces règles pourraient faire l’objet d’une publicité large dans les organes de la presse économique de chaque pays où l’agence est présente, aux frais de celle-ci.

Comme il a été dit, pour rompre avec les collusions d’intérêts possibles, passer progressivement d’un modèle émetteur-payeur à un modèle investisseur-payeur semble constituer une très bonne piste.

Une autre piste consiste à « réinternaliser » l’évaluation des risques au sein des grands établissements de crédit et des compagnies d’assurance, avec des systèmes de scoring fondés sur des modèles robustes, indépendants et sérieux. Ces organismes devront se pencher sur les risques de crédit, bien sûr, mais aussi sur les liquidités, le change et les contreparties.

Encourageons des alternatives crédibles de notation au sein de ces établissements pour éviter un recours systématique et unique aux notes des agences.

Par ailleurs, il faudra instaurer une plateforme de notation. Au sein de l’Autorité européenne des marchés financiers, l’AEMF, on pourrait compiler, agréger, voire comparer les informations relatives aux émetteurs de dettes émises par les diverses agences. Cette plateforme offrirait aux émetteurs et aux investisseurs une vue d’ensemble des diverses actions engagées par les diverses agences enregistrées. On pourrait même comparer les notes des agences ainsi que leurs performances.

Enfin, exiger des agences qu’elles fixent à l’avance un calendrier des notations indépendant de la conjoncture paraît aussi une bonne mesure politique pour éviter les interférences avec les campagnes électorales et les moments-clés, comme ceux que nous avons connus récemment, de la vie d’un pays.

Ainsi, de façon pragmatique et réaliste, nous aurions fait un pas vers une réglementation saine d’un secteur dont nous ne pouvons malheureusement pas nous passer. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l’UMP.  M. François Fortassin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer, à mon tour, l’excellent travail mené tant par le rapporteur que la présidente de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation. Ce travail a permis, à la faveur d’un large consensus politique, l’adoption à l’unanimité d’un rapport. Je me félicite également de ce que nous puissions aujourd’hui avoir ce débat en séance publique : cela atteste de l’intérêt que le Sénat porte à cette question d’autant plus essentielle que les États entretiennent avec les agences de notation des relations à la fois complexes et ambiguës.

Depuis la crise des subprimes, les limites des agences ont été pointées du doigt. La question du conflit d’intérêts est réapparue. Les agences manqueraient d’objectivité, car les émetteurs qu’elles notent les rémunèrent. Elles sont souvent apparues comme favorisant l’instabilité des marchés, voire jouant parfois un rôle d’accélérateur de la crise. Le cas de la Grèce a été assez révélateur : les investisseurs anticipent de nouvelles dégradations de la part des agences de notation et contribuent à une augmentation des taux ; les agences en tiennent compte et baissent d’autant la note du pays. La gouvernance des agences demeure ainsi sujette à caution, notamment dans le cadre de l’évaluation de la dette publique.

Or, malgré ces limites, nous demeurons excessivement dépendants des agences, lesquelles, compte tenu de la faiblesse des banques, tiennent un rôle prééminent lorsqu’il faut évaluer l’état de santé de l’économie mondialisée. Rappelons-nous comment chaque annonce d’une agence au sujet des dettes souveraines d’un État membre, par exemple, fait trembler le gouvernement du pays concerné et influe immédiatement sur la stabilité de toute la zone euro.

Que nous le voulions ou non, nous assistons à une modification du modèle de financement de l’économie, comme cela a été rappelé tout à l’heure par la présidente de la mission commune d’information. On passe d’un financement par les banques à un financement par les marchés. Le marché obligataire étant totalement mondialisé – en France, 65 % des obligations d’État sont détenues par des non-résidents –, l’influence des agences de notation en est mécaniquement renforcée.

Pour preuve, les pouvoirs publics ont fait des agences de notation des standards d’évaluation des risques, et donc de quasi-régulateurs. On ne peut être que stupéfait de le constater, sur les 2 000 milliards d’euros déposés auprès de la Banque centrale européenne, 75 % sont admis sur la base d’une notation d’agence.

De fait, les notes ne sont plus de « simples opinions » ; elles ont des implications considérables tant sur le taux des emprunts que sur la crédibilité de l’émetteur, et la « mission de service public » accordée aux trois principales agences a été réalisée sans vrai cahier des charges ! La transparence des méthodes d’analyse ainsi que la facilité d’examen des données n’ont jamais été encadrées ni exigées.

À ce titre, le rapport de la mission commune a le grand mérite de formaliser diverses propositions de nature à renforcer la transparence et la professionnalisation, à limiter les conflits d’intérêts et à préciser le cadre juridique des agences.

Je me permettrai de citer simplement les propositions qui me semblent particulièrement appropriées pour améliorer la situation actuelle.

La première d’entre elles consiste en l’instauration d’un système de certification professionnelle des agences, qui permettrait ainsi de renforcer la qualification, l’expérience et la formation continue des analystes.

Ensuite, les missions des agences doivent être organisées pour éviter diverses difficultés que nous constatons trop fréquemment, à savoir l’application des seules lois du marché, l’existence de conflits d’intérêts dans les rapports entre les banques et les agences sur les produits structurés, l’intrusion des agences dans le domaine de la prénotation pour les opérations de fusion-acquisition, l’émission de contrats de droit anglo-saxon dans une tentative de « délocalisation par le droit », pour reprendre les termes utilisés tout à l’heure par M. le rapporteur.

Enfin, obliger les agences à souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle et à disposer d’un capital minimal est une proposition de nature à véritablement encadrer leur engagement et à leur faire assumer réellement leur responsabilité.

Je trouve également très important et très sain d’instituer une consultation des commissions des finances des parlements nationaux pour mieux mesurer la dimension des dettes souveraines et assurer un « relais démocratique » des travaux des agences. Cela permettrait, sans nul doute, sur un dossier aussi complexe, qui nous éloigne de nos concitoyens, de mieux prendre en compte le travail parlementaire.

Par ailleurs, on ne peut éviter de s’interroger sur l’absence de réelle concurrence sur le marché de la notation. Le caractère oligopolistique de ce marché laisse apparaître une situation de position dominante au profit des trois principales agences. Parfois même, l’abus de position dominante n’est pas loin. Sur une question aussi délicate, sur laquelle l’Union européenne est particulièrement sourcilleuse – on l’a vu dans beaucoup d’autres domaines –, l’émergence de nouveaux intervenants pourrait présenter un intérêt.

À ce titre, je suis largement favorable à la création d’une agence de notation privée européenne de taille mondiale, avec, bien entendu, la mise en place des « clefs de sécurité » nécessaires pour assurer une plus grande responsabilité et un plus grand sérieux. La difficulté principale sera de faire émerger un acteur européen qui ne pourra pas être soupçonné de partialité et d’éviter que toute initiative européenne soit interprétée comme une volonté de limiter l’influence des agences de notation. Cela aurait en effet pour conséquence automatique de renforcer la défiance à l’égard de la zone euro.

Comme je l’avais évoqué devant aussi bien la mission commune d’information que la commission des affaires européennes, je me réjouis que le président Barroso ait été interpellé sur les propositions contenues dans ce rapport, en particulier sur la pertinence de la création d’une agence de notation européenne privée.

Cette procédure permise par le traité de Lisbonne est en tout point excellente. Je l’avais d’ailleurs utilisée, au nom de la commission des affaires européennes, en juillet 2011, à propos de l’aide alimentaire. Je note simplement que la réactivité du président de la Commission européenne n’est pas forcément celle que l’on pourrait souhaiter. J’avais déjà remarqué à l’époque, concernant précisément la problématique de l’aide alimentaire, que celui-ci n’avait pas jugé bon de répondre à la sollicitation du Sénat ; je le rappelle aujourd’hui.

J’ajouterai que le lien avec la Commission européenne me semble d’autant plus pertinent que la réflexion du Sénat serait de nature à compléter le projet européen de réglementation des agences de notation, dont le commissaire européen Michel Barnier avait pris l’initiative et qui est destiné à renforcer la supervision européenne des agences.

En prévision de la mise en œuvre d’une union politique devant parachever l’union monétaire et budgétaire, il me semble indispensable que nous puissions doter l’Union européenne d’une agence de notation de dimension mondiale s’intégrant dans un paysage aujourd’hui constitué par trois principales agences de notation anglo-saxonnes.

Si nous pouvons saluer la volonté du président Obama de moraliser et de réguler le secteur financier américain avec le vote du Dodd-Frank Act dès 2007, nous sommes loin, aujourd’hui, de sa mise en application rationalisée.

Pour sa part, au travers de la mobilisation du commissaire Barnier, l’Union européenne s’est à son tour engagée, dès 2009, dans la mise en œuvre d’une législation communautaire.

Il est désormais impératif que nous puissions ensuite harmoniser l’ensemble de ces règles dans le cadre d’une mondialisation de plus en plus présente sur les marchés ; c’est le rôle du G20. Enfin, ne l’oublions pas, si quatre pays de l’Union européenne – l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie – en font actuellement partie, seule l’Allemagne sera encore présente dans ce classement à cette échéance, selon les projections économiques à l’horizon 2050.

La régulation, la compétitivité, l’harmonisation des règles et la réciprocité dans les échanges sont autant de défis à relever aujourd’hui pour la France. Je fais donc mienne la question que notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx a posée au terme de son propos, tout en vous précisant, monsieur le ministre, et cela sans aucune animosité de ma part, que l’urgence, c’est maintenant ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.  Mme la présidente de la mission, M. le rapporteur et M. François Fortassin applaudissent également.)