M. Jacques-Bernard Magner. On ne se méfie jamais assez ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Il s’agit d’un dispositif de formation que l’on peut qualifier de très original, à ce point d’ailleurs qu’il est, pour le moment, inclassable dans notre système de formation.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. C’est ce qui nous vaut aussi l’étude d’une telle proposition de loi.

L’originalité réside, tout d’abord, dans le concept même d’« école-entreprise », avec pour devise « faire pour apprendre » – et non « apprendre pour faire » –, que je ne rejette pas complètement dès lors qu’un objectif n’est pas réalisé aux dépens de l’autre.

Sur ce point, la ventilation entre pratique et théorique s’opère selon une règle deux tiers-un tiers. De la sorte, les élèves se placent quasiment dans une situation de travail réel ou, à tout le moins, de production pour le compte d’un client.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. La production issue des ateliers a donc non seulement une fonction pédagogique, ce que je veux bien entendre, mais aussi un rôle de motivation du jeune, qui a la satisfaction de voir la pièce qu’il a réalisée être vendue et satisfaire un client.

Mme Françoise Cartron. Il n’est pas payé !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Si la pièce est bonne, elle est vendue ; si elle ne convient pas, elle est refusée. C’est donc un principe de confrontation au réel qui guide la pédagogie.

Nous parlons, ici, de jeunes dits « décrocheurs ». Pour ma part, je préfère d'ailleurs le terme « décrochés », qui convient mieux à leur situation.

Mme Françoise Laborde, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Pierre Plancade. Très bonne formule !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Pour ces jeunes âgés de 14 à 18 ans, le système scolaire traditionnel ne convient plus ; aussi, ils sortent de nos écoles sans bagage solide, sans diplôme et sans qualification. Le niveau du brevet des collèges n’est, bien souvent, même pas validé.

Aussi, il nous faut étudier et regarder de plus près ce que ce modèle d’école est capable d’apporter à ces jeunes.

Sur ce point, les résultats dont se prévaut la Fédération nationale des écoles de production, la FNEP, et que je ne conteste pas, sont intéressants, puisque près de 90 % des élèves scolarisés dans de tels établissements obtiennent leur diplôme. Mieux, presque 100 % d’entre eux s’insèrent durablement à terme dans la vie professionnelle.

En outre, ces écoles obtiennent, comme l’a souligné Mme Laborde dans son rapport très bien argumenté, des succès notables dans le cadre de concours nationaux, tels que celui des meilleurs ouvriers de France ou le concours général des métiers, ce qui est gage de la qualité des formations qui y sont dispensées.

Le Gouvernement cherche à réduire le nombre de jeunes sortant du système scolaire sans formation. Cet objectif s’est traduit non seulement par la signature d’une déclaration commune entre l’État et les régions, le 12 septembre dernier à l’Élysée, avec l’engagement fort de diviser par deux en cinq ans le nombre de jeunes sans qualification, mais aussi par l’adoption récente du texte sur le développement des emplois d’avenir dans notre pays, lequel prévoit une formation obligatoire au bénéfice des jeunes de 16 à 25 ans sans formation initiale.

À ce titre, la démarche qui nous est ici proposée mérite que nous l’examinions de plus près, même si les écoles de production ne concernent qu’un petit millier de jeunes en France.

Cela étant, toute extension de ce dispositif est un enjeu important, qui passera, chacun l’aura compris, par la fiabilisation du cadre juridique de ces écoles de production. Or, sur ce point, les questions sont nombreuses – Mme la rapporteur les a soulevées.

Contrairement à ce que demande l’auteur de ce texte, ces établissements ne peuvent, en l’état, prétendre à une reconnaissance du ministère de l’éducation nationale dans le cadre de contrats d’association ou même dans celui de la formation professionnelle et de l’apprentissage, et ce pour plusieurs raisons.

J’entends bien la soif de reconnaissance légitime de ces établissements. Encore convient-il de poser les garde-fous nécessaires, sur lesquels le Gouvernement ne saurait transiger.

Plusieurs questions importantes sont, en effet, soulevées par le fonctionnement et par la pédagogie des écoles de production. Je crois qu’il faut les entendre sans dire que nous n’aurons pas de réponse.

Les élèves de ces écoles sont accueillis dès l’âge de 14 ans. Ils sont, certes, en formation, mais ils n’en produisent pas moins dans des conditions réelles de marché pour des entreprises et des particuliers. Vous le savez, l’âge de 14 ans ne fait pas consensus.

M. Jean-Claude Carle. C’est mieux que la rue !

M. Jacques-Bernard Magner. Ce sont des enfants !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Nous avons donc besoin d’une expertise qui dépasse largement les connaissances dont nous disposons, les uns et les autres, dans cet hémicycle.

La durée des enseignements est de trente-cinq heures hebdomadaires. Ce sujet est au cœur de l’actualité. Il occupe d'ailleurs une place importante dans les discussions du congrès des maires de France, qui se tient en ce moment. Cela nous renvoie forcément à un débat sur une durée de cours hebdomadaires de trente-cinq heures, y compris, d’ailleurs, pour des jeunes dès l’âge de 14 ans.

Le fait que la production réalisée par les élèves et leurs maîtres professionnels soit vendue au seul bénéfice des écoles sans que les jeunes soient pour autant rémunérés pose également question.

Quant aux frais d’inscription demandés aux familles, ils sont, dans certains cas – certes pas dans toutes les écoles et pas pour toutes les familles – assez élevés. Ils peuvent atteindre 1 000 euros et viennent s’ajouter à l’achat de matériel.

Il est une autre question que nous ne devons pas éluder : le statut de bénévoles de la plupart des formateurs, notamment de ceux qui sont en charge de matières d’enseignement général.

Cependant, ces questions ne peuvent être posées sur le plan des seuls principes, sans prendre en compte les résultats obtenus par les écoles, que j’ai rappelés tout à l’heure. Ainsi, toutes ces légitimes interrogations rendent difficile une discussion sur une proposition de loi qui clarifie peu ces points, mais vise plutôt, pour des raisons que je comprends, à tailler sur mesure un dispositif. Celui-ci pourrait, comme les travaux de la commission l’ont révélé, cumuler les avantages de l’enseignement et ceux de l’apprentissage.

L’adoption de la proposition de loi se heurte, en outre, à des obstacles objectifs. Je les illustrerai par quelques exemples.

Quand l’article 2 prévoit de placer les écoles de production sous la responsabilité de mon ministère, je suis flatté, mais je ressens aussi un certain embarras. En effet, les seuls services et missions de mon ministère ne lui confèrent pas objectivement les compétences aujourd’hui nécessaires pour valider des méthodes pédagogiques. Cela signifie qu’au moins un autre ministère devrait être complètement associé à ce dossier et se voir attribuer la responsabilité de ces établissements.

De même, la rédaction de l’article 3 ne me paraît pas acceptable en l’état. On ne peut pas envisager le transfert du contrôle des écoles de production à l’inspection du travail alors même qu’une partie du public accueilli par ces établissements est âgée de 14 à 16 ans.

En effet, les jeunes concernés sont encore sous responsabilité scolaire, la scolarité étant obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. Ils ne sont pas salariés, puisqu’ils sont inscrits dans ces établissements à un âge où l’enseignement est obligatoire. Ils relèvent donc nécessairement du ministère de l’éducation nationale, avec lequel – je tiens à le dire pour avoir rencontré Vincent Peillon sur ce sujet – je porte ce dossier en parfaite harmonie d’analyse.

À vrai dire, je pense que le dispositif des écoles de production tel qu’il est présenté par la proposition de loi de notre collègue mérite d’être examiné de plus près. Malgré les questions lourdes qui sont posées, je souhaite que le débat ne soit pas refermé d’une façon brutale et définitive.

D’ailleurs, par le passé, le ministère de l’éducation nationale a entrouvert la porte, reconnaissant, par un arrêté de 2006, six de ces écoles de production. De plus, deux rectorats, ceux de Grenoble et de Lyon, les associent lors de journées portes ouvertes organisées par le ministère de l’éducation nationale, notamment dans la région Rhône-Alpes.

Cependant, il faut tout de même être en mesure d’auditer davantage le dispositif, en le replaçant dans un cadre plus large. Cette expertise doit être approfondie. L’obtention de chiffres indépendants me semble nécessaire, puisque les seules données dont nous disposons nous sont fournies par la FNEP, la Fédération nationale des écoles de production.

De même, le label qui est proposé par la FNEP elle-même n’est pas satisfaisant ; je l’ai d’ailleurs dit au président de cette structure. Il faut y travailler, pour que ce label ait une vraie valeur, pour savoir, par exemple, qui en assure le respect, par quels contrôles et à quelle fréquence ; aujourd’hui, tous ces points ne sont pas clarifiés.

Il faut aussi réfléchir à la façon d’apporter les garanties nécessaires en matière d’enseignement théorique, d’enseignement professionnel et de déroulement pédagogique. Il est nécessaire d’apporter un niveau de garanties plus solides, et ce même si les taux de réussite aux examens sont indéniablement encourageants.

Enfin, il faut avoir une vue plus claire du fonctionnement et du financement des écoles.

En somme, tout cela nous montre que le texte n’est, en l’état, pas assez abouti. Je pense, à l’instar de votre rapporteur, que ce dispositif, au demeurant intéressant, doit être étudié au regard des autres systèmes alternatifs à l’enseignement scolaire, pour que l’on puisse, plus clairement, et dans un cadre juridique stabilisé, le positionner au sein des dispositifs classiquement appelés « de la deuxième chance », tels que les écoles de la deuxième chance ou les établissements publics d’insertion de la défense, les EPIDE. Il faut identifier la fonction, les publics et les financements de chacune de ces structures, mais aussi les passerelles qu’il convient de créer.

Nous gagnerions à reprendre l’ensemble de ces dispositifs, dont certains ont des points d’entrée communs avec les écoles de production. Il nous faut donner à cet ensemble une cohérence et une complémentarité, ce qui leur conférera aussi une plus grande visibilité.

Nous connaissons tous sur nos territoires des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme et sans qualification. Nous les retrouvons dans les missions locales et les dispositifs d’insertion. J’en rencontre beaucoup en ce moment, parce que les emplois d’avenir sont un vrai succès. Ces derniers sont une chance pour ces jeunes, auxquels ils apportent une formation professionnelle. J’aurais d'ailleurs aimé que tout le monde vote ce dispositif qui, aujourd’hui, fait florès. Charge à nous, collectivement, de trouver les voies et moyens pour élaborer une solution de substitution à ce système, qui ne convient pas forcément à des jeunes insérés dans un système scolaire classique.

Cette réflexion pourrait être féconde. Je n’ai évidemment pas à indiquer au Sénat quelle est la marche à suivre. Pour ma part, je me demande si, d’aventure, il ne pourrait pas y avoir, non pas une commission pour enterrer cette idée, mais – pourquoi pas ? – une mission d’information commune à plusieurs commissions du Sénat. Grâce à cette structure, nous pourrions nous retrouver dans l’avenir sur des bases mieux partagées qu’elles ne le sont à ce jour.

En ce qui me concerne, j’y serai très attentif, car je connais – et pour cause ! – la qualité des travaux de la Haute Assemblée. Par le passé, un certain nombre de solutions copartagées entre plusieurs commissions ont permis de faire aboutir des dossiers qui semblaient complètement bouchés, en mettant en œuvre des solutions innovantes.

J’y serai d’autant plus attentif que ces travaux pourraient esquisser des pistes nous permettant de servir la priorité que le Président de la République et le Premier ministre ont définie, celle qui doit s’appliquer en faveur de la jeunesse. Telle est la voie que je vous suggère. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le décrochage scolaire dans notre pays est une réalité particulièrement préoccupante : 150 000 jeunes sont concernés tous les ans, en raison d’un système scolaire parfois inadapté à leurs nécessités ou, plutôt, à leurs besoins psychologiques du moment.

À ce titre, notre collègue Jean-Claude Carle, auteur de la présente proposition de loi, met en lumière des écoles peu connues, je l’avoue, et nous rappelle ainsi qu’il n’existe pas une seule et unique méthode d’enseignement.

Cher collègue, je vous remercie de votre démarche. Au sein de la commission de la culture, vous intervenez souvent, et toujours avec beaucoup de conviction. Je ne cesse d’apprécier la sincérité de vos prises de position, même quand, comme aujourd’hui, nos conclusions ne sont pas les mêmes.

Nous avons appris, avec étonnement, que les écoles de production existent depuis 1882. Au nombre de quinze, elles délivrent une formation qui se veut avant tout professionnalisante : les deux tiers du volume horaire sont consacrés à la formation pratique, en situation réelle de production. Les élèves âgés de 14 à 18 ans, encadrés par un maître professionnel, réalisent des commandes pour des clients dans divers domaines, tels que l’automobile, le bâtiment, l’hôtellerie...

Par conséquent, si ces « écoles-entreprise » jouent un rôle essentiel dans l’insertion socioprofessionnelle de ces élèves, elles permettent aussi à la moitié d’entre eux de poursuivre des études pour lesquelles ils ont pu développer antérieurement une aversion au vu de leur caractère théorique.

Elles peuvent notamment délivrer des diplômes comme le certificat d’aptitude professionnelle, le CAP, le brevet d’études professionnelles, le BEP, ou le baccalauréat professionnel.

Ces établissements sont parvenus à mettre en place une méthode pédagogique de qualité. En témoigne leur fort taux de réussite, qui se situe, en moyenne, autour de 80 %. Toutefois, si je vous ai bien entendu, monsieur le ministre, ces statistiques nous sont fournies par la Fédération nationale des écoles de production elle-même.

Le texte dont nous sommes saisis tend à favoriser leur développement et vise alors un objectif légitime que nul ne conteste : soutenir des jeunes adolescents en difficulté scolaire, sociale, culturelle et parfois même familiale. Toutefois, dans sa mise en œuvre, il soulève un certain nombre de questions juridiques et administratives dont les réponses méritent d’être approfondies. Vous savez, mes chers collègues, le souci du RDSE, notamment de son président, Jacques Mézard, de faire du bon travail législatif !

Est-il pertinent, comme cela est proposé, de rattacher ces écoles au ministère de la formation professionnelle, alors que celui-ci ne dispose pas de la compétence nécessaire pour les contrôler ? Vous avez répondu à cette question, monsieur le ministre.

L’État doit pouvoir garantir qu’un ensemble de connaissances minimales sont enseignées, telles que la lecture, l’écriture ou les mathématiques, même lorsque ces jeunes fréquentent des établissements privés hors contrat.

Or après le travail minutieux, et même pédagogique, accompli par notre collègue et rapporteur Françoise Laborde, nous sommes au regret de constater que la rédaction de ce texte reste inachevée.

En effet, la carte « Étudiant des métiers » serait accordée aux élèves de ces écoles. Par ailleurs, les entreprises partenaires pourraient bénéficier des versements exonératoires de la taxe d’apprentissage. Or, cela n’est possible qu’au titre du « hors quota », puisque la part quota est évidemment destinée à financer le développement de l’apprentissage. Les écoles de production bénéficieraient enfin des bourses nationales et des aides scolaires pour leurs élèves, sans être soumises au contrôle du ministère de l’éducation nationale.

Comme l’a souligné notre excellente rapporteur, la création d’un statut hybride et spécifique à ces écoles n’est pas souhaitable au regard du principe d’égalité. Pourquoi devrait-on favoriser particulièrement ces écoles par rapport aux 875 autres établissements privés d’enseignement technique ? De notre point de vue, rien ne le justifie.

Je rejoins donc les conclusions de Mme la rapporteur, et je remercie la présidente de la commission de la culture et de l’éducation lorsqu’elle nous propose de réaliser des déplacements afin de mieux appréhender le fonctionnement des écoles de production.

Loin de nous l’idée de faire preuve d’un quelconque dogmatisme ! Il faut le dire, nous ne sommes pas réticents a priori aux enseignements alternatifs. Nous ne rejetons pas la mise en place d’autres expériences pédagogiques ; elles nous paraissent même nécessaires.

Néanmoins, si le développement du travail manuel peut être positif pour certains élèves, je reste, quant à moi, dubitatif et, surtout, très vigilant lorsque des enfants de moins de 16 ans travaillent. Les deux tiers de leur horaire d’enseignement sont consacrés à la pratique dans les conditions du marché du travail et, donc, à la vente d’un produit ou d’un service de l’école à l’entreprise.

Il est pour le moins étonnant que la très grande majorité des jeunes concernés ne reçoive pas de rémunération, contrairement aux élèves apprentis. Or certaines de ces écoles perçoivent des frais d’inscription qui peuvent parfois atteindre mille euros !

Aussi, s’il existe un système parallèle aux autres établissements d’enseignement technique, la recherche d’améliorations de notre système scolaire dans son ensemble doit être une priorité.

Ainsi, avant de généraliser à l'échelle nationale un système mis en place très majoritairement au sein de la région Rhône-Alpes et concernant uniquement 700 élèves, il convient de mesurer les conséquences d’une telle réforme. C’est pourquoi l’ensemble des membres du groupe du RDSE votera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi tend à instaurer un cadre juridique spécifique au seul bénéfice des écoles de production.

Ces établissements privés d’enseignement technique et de formation professionnelle, qui sont au nombre de quinze, dont huit situés en région Rhône-Alpes, sont centrés sur la pratique des métiers de l’artisanat, du commerce et de l’industrie.

Ces écoles présentent certaines spécificités. Elles ciblent des jeunes de 14 à 18 ans en situation de rupture scolaire. Une méthode pédagogique spécifique met l’accent sur la formation par la pratique en atelier durant les deux tiers du temps scolaire, le dernier tiers étant consacré à la formation théorique en classe. Il s’agit donc d’ « écoles-entreprises » qui, en répondant à des commandes de clients, placent les élèves en situation réelle de production au sein même de l’école.

Ces écoles n’étant pas sous contrat avec l’État, elles sont non pas soumises au contrôle pédagogique des autorités académiques, mais totalement autonomes.

Leur financement est particulier, fondé pour moitié environ sur la vente des produits commandés aux élèves par les clients et, dans les sept écoles de production reconnues par l’État, pour 20 % à 25 %, sur le bénéfice de la taxe d’apprentissage.

Les formations dispensées, qui figurent sur une liste établie par le préfet de région, peuvent bénéficier du versement de la taxe d’apprentissage au titre du « hors quota ». Elles reçoivent également des subventions de fonctionnement en provenance des collectivités territoriales, essentiellement les régions.

La Fédération nationale des écoles de production, la FNEP, indique que, en juin 2010, la proportion d’élèves de ces écoles ayant obtenu leur diplôme a atteint 85 % et que la moitié de ces diplômés accède facilement à l’emploi, quand l’autre moitié poursuit des études.

Un certain nombre de facteurs nous conduisent cependant à pondérer cet aspect positif.

Vous le savez, n’étant pas favorables à l’élargissement des dispositifs d’apprentissage précoce avant l’âge de 16 ans, nous nous sommes opposés à leur adoption. Nous ne pouvons pas davantage accepter l’exercice par des jeunes âgés de 14 à 18 ans, au sein même de l’école et durant deux tiers du temps scolaire, d’activités professionnelles relevant d’une spécialisation extrêmement précoce.

Nous considérons que l’échec scolaire doit au contraire être traité le plus en amont possible, au sein de l’éducation nationale, et sommes favorables à l’extension de la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans.

L’école doit avant tout former des citoyens. Si elle peut préparer à un métier, elle est le lieu non pas de l’exercice d’une activité professionnelle, mais d’un apprentissage théorique, en particulier s’agissant de jeunes de 14 ans.

Enfin, toute mesure d’extension et de développement de l’enseignement technique et professionnel devrait être en priorité focalisée sur une offre publique, gratuite, laïque et de qualité égale sur tout le territoire, et non pas inscrite dans une extension de l’enseignement privé confessionnel payant.

Ces écoles, il faut le reconnaître, offrent des solutions concrètes à des élèves en grande difficulté, que le service public de l’éducation nationale ne parvient malheureusement pas à prendre en charge.

Un tel constat doit nous conduire à nous interroger sur les raisons de l’échec du traitement de la difficulté scolaire par les établissements d’enseignement technique et professionnel public, et sur la capacité de ces derniers à favoriser la réussite scolaire et l’insertion professionnelle des élèves. Il ne doit pas mener à l’externalisation de la formation des élèves en difficulté vers des écoles ou des organismes privés, mais à la réintégration de ceux-ci au sein de l’éducation nationale.

Alors même que la réglementation en vigueur n’a pas empêché l’essor du réseau des écoles de production, qui organise en toute autonomie leur fonctionnement et leur scolarité selon des critères propres à chaque établissement, la reconnaissance d’un statut ad hoc, prévue dans la proposition de loi pour ces quinze écoles, nous semble malvenue.

Introduire dans notre droit un statut hybride taillé sur mesure au seul profit des écoles de production constituerait potentiellement une rupture de l’égalité de traitement dont bénéficient l’ensemble des établissements d’enseignement technique privé.

Ce statut procède en réalité, semble-t-il, de la volonté de combiner les avantages réservés aux apprentis dans le cadre des CFA ou des sections d’apprentissage et ceux qui sont ouverts aux élèves de l’enseignement public ou de l’enseignement privé sous contrat.

Dans cette logique, la présente proposition de loi vise à placer les écoles de production sous le contrôle du ministère de la formation professionnelle. Or celui-là même qui aurait la charge de l’agrément et du contrôle de ces écoles ne dispose pas des compétences nécessaires pour assurer la validation des méthodes pédagogiques mises en œuvre par ces établissements.

Le contrôle de l’État sur les établissements d’enseignement privé hors contrat doit, au contraire, rester sous l’égide de l’éducation nationale, afin que soient notamment vérifiés la validité des titres exigés des directeurs et des maîtres, ainsi que le respect de l’obligation scolaire et de l’instruction obligatoire.

Il s’agit sans doute, avec cette proposition de loi, de reconnaître aux écoles de production une vocation en matière d’apprentissage, afin de permettre l’extension de l’exonération de la taxe d’apprentissage des entreprises partenaires au titre du quota, ainsi que l’attribution de la carte d’étudiant des métiers, normalement réservée aux apprentis.

Le présent texte vise aussi à faire bénéficier les élèves des écoles de production des aides à la scolarité et des bourses de l’éducation nationale, alors même que le contrôle de ces établissements serait transféré au ministère du travail.

Il me faut préciser que l’État peut actuellement attribuer des bourses aux élèves des établissements d’enseignement technique privé reconnus par lui, après avis favorable du Conseil supérieur de l’éducation, le CSE. Or, en mai 2006, cela a été rappelé, le CSE a refusé d’accorder cette reconnaissance à plusieurs écoles de production. Nous ne saurions passer outre cette décision au détour d’une proposition de loi.

Nous voterons donc contre ce texte qui vise à contourner les obligations légales au bénéfice des écoles de production. Il appartient à celles-ci de se conformer à la loi pour obtenir la reconnaissance et les aides souhaitées, et non pas à la loi de s’adapter à elles pour qu’elles disposent de tous les avantages possibles, en matière de taxes d’apprentissage ou d’aides. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est tout le charme de la vie parlementaire que de pouvoir s’interroger le matin sur une loi que d’aucuns considéraient comme optionnelle, de voter l’après-midi un texte relatif aux lanceurs d’alerte et de se pencher le soir sur le sujet très pointu des écoles de production, dans lesquelles étudient 700 élèves et que l’on trouve essentiellement dans une seule région ! (Sourires.)

Je tiens à remercier M. Carle de m’avoir permis de découvrir ces écoles et de réfléchir sur cette question, à laquelle ont été confrontés tous les pédagogues.

Sans vouloir parler à la place de Philippe Meirieu, je tiens à préciser que sa position se situe sans doute entre les deux points de vue défendus précédemment. Certes, il connaît bien la région concernée et, du fait de ses attributions, il est conduit à signer des conventions. Il est également conscient du problème posé, de façon pertinente, au travers de cette proposition de loi. Toutefois, il est plutôt favorable – c’est du moins ce que je crois avoir compris – au choix de l’enseignement professionnel après l’âge de 16 ans. Nous lui en demanderons confirmation lorsque nous le rencontrerons !

Même s’il est bien connu que la pédagogie est l’art de la répétition, je ne reviendrai pas sur l’organisation de ces écoles. Il nous faut bien reconnaître que celles-ci constituent, pour les métiers de l’artisanat, du commerce ou de l’industrie, une « troisième voie » pédagogique tout à fait intéressante et positive consistant à « faire pour apprendre ».

Il est tout à fait possible et envisageable que ce type d’école puisse répondre à un vrai besoin et résoudre, par exemple, un problème que M. le ministre connaît bien : le manque de soudeurs dont souffre cruellement notre pays.

Je le répète, ces écoles apportent de vraies réponses aux 700 jeunes qu’elles forment chaque année. Toutefois, il nous semble inopportun de leur offrir un régime juridique particulier, compte tenu de leurs modalités spécifiques d’organisation et du fait que, n’étant pas sous contrat avec l’État, elles ne peuvent faire l’objet d’un contrôle pédagogique. Nous préférons, pour notre part, envisager une autre perspective. Un voyage d’étude serait ainsi tout à fait utile pour saisir les aspects positifs de leur fonctionnement.

Mon groupe considère, par ailleurs, que des solutions de substitution existent d’ores et déjà pour les jeunes de 14 à 16 ans ; je ne citerai pas tous les dispositifs mis en place ces dernières années. Nous ne pensons donc pas qu’il faille chercher la réponse au problème posé dans un type particulier de structure scolaire.

Nous considérons néanmoins que les modalités d’apprentissage et une partie des approches pédagogiques en vigueur dans les écoles de production méritent d’être étudiées, y compris en portant sur elles un regard contradictoire, voire critique. Nous souhaitons ainsi que soient examinées, à l’occasion du prochain texte de refondation sur l’école qui nous a été annoncé, diverses méthodes pédagogiques. Nous pourrions ainsi user du droit à l’expérimentation prévu à l’article 34 de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005.

Il est très important selon nous que l’éducation nationale ne renonce pas à prendre en charge les jeunes qui sont « décrochés », comme vient de le dire M. le ministre. Notre système public d’éducation doit leur permettre à l’avenir d’apprendre les métiers concernés, y compris dans le cadre d’un partenariat avec les entreprises.

Comprenez-nous bien : nous ne sommes pas dans une posture radicale ou dogmatique à l’égard des entreprises, dont l’école a beaucoup à apprendre. Il ne nous semble cependant ni souhaitable ni opportun, compte tenu de l’âge du public visé dans ce texte et de l’absence de tout contrôle de l’État sur ces établissements, de voter une loi spécifique pour ces 700 élèves et cette quinzaine d’écoles.

Cette proposition de loi soulève toutefois une vraie question ; nous suggérons donc, encore une fois, que soit organisé un déplacement afin d’observer le fonctionnement de ces écoles de production.

Monsieur le ministre, je voudrais enfin attirer votre attention sur la question du décrochage scolaire, que nous avons évoquée en commission et qui concerne 150 000 élèves. Nous sommes conscients que l’éducation nationale n’est pas en mesure actuellement, sur le plan tant pédagogique que pratique, de répondre à toutes les attentes. C’est un fait.

Sans doute serait-il intéressant de constituer un recueil des bonnes pratiques pédagogiques qui existent dans les diverses structures, notamment dans les écoles de production, où nous pourrions aussi trouver matière à apprendre. Nous ne pensons pas, en revanche, que faire travailler les jeunes dès l’âge de 14 ans soit une bonne méthode pédagogique.

Plutôt que de tenter de résoudre le problème des élèves décrocheurs une fois qu’ils sont exclus du système scolaire, nous préférerions le traiter en amont, dans les collèges et les lycées. Pour cela, il faut prévoir les effectifs et les modalités pédagogiques nécessaires à la prise en charge de ces élèves différents.

Pour conclure, je tiens à souligner un point positif de ce texte qui, bien qu’il ne concerne que 700 élèves et une quinzaine d’écoles implantées dans une seule région, pose de façon très intéressante la question de l’échec du système éducatif dont, précisément, vivent les écoles de production. Nous devrons absolument y répondre dans la prochaine loi sur l’école.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous ne pouvons voter ce texte en l’état, mais nous tenons à remercier M. Carle de nous avoir appris que ces écoles existaient. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)