PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont

vice-président

M. le président. M. le président Bel s’est absenté pour assister à l’hommage rendu aux Invalides au lieutenant Boiteux, tombé au Mali.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’associe, au nom des radicaux de gauche et du groupe du RDSE, à l’hommage qui a été rendu tout à l’heure aux soldats français tombés au Mali et en Somalie.

Lors de la remise du prix Nobel de la paix à l’Union européenne, à Oslo, le 10 décembre dernier, MM. Barroso et Van Rompuy ont intitulé leur discours « De la guerre à la paix : une histoire européenne ». Dans la vie parlementaire, nous avons parfois l’occasion de participer à l’écriture de cette histoire. Au cours de son allocution, M. Van Rompuy déclara : « La guerre est aussi ancienne que l’Europe. » Ce constat est encore plus vrai s’agissant des Balkans.

Heureusement, dans cette région trop longtemps troublée, le processus d’adhésion à l’Union européenne agit comme un outil d’apaisement des conflits nés de l’éclatement de la Yougoslavie ou de haines plus profondes encore, qui resurgissent malheureusement de façon épisodique.

Examinons le traité dont la ratification est soumise à l’approbation de notre assemblée à travers le prisme de l’histoire de ce territoire où se sont mêlés les héritages slave, autrichien et hongrois, mais qui se trouva également dans la sphère d’influence de Venise, puis de l’Italie unifiée, tout en se situant aux marches de l’empire ottoman. Souvenons-nous également que Napoléon incorpora à l’Empire français les provinces de Dalmatie et de Dubrovnik, au sein des provinces illyriennes, entre 1809 et 1813. De par son histoire, la Croatie se situe bel et bien au cœur de l’Europe.

Nous ne pouvons cependant évoquer l’histoire sans rappeler l’équilibre des alliances européennes issu de la Première Guerre mondiale et des solidarités nées de ces années de dévastation.

D’aucuns, rejouant la Triple Alliance contre la Triple Entente, voient dans la Croatie un allié de l’Allemagne, à opposer à la Serbie amie de la France. Je n’oublie pas, pourtant, que dans le parc de Kalemegdan, à Belgrade, se dresse le monument de la reconnaissance à la France, ni que lors de la campagne de Serbie, en 1915, ce sont des bateaux français qui évacuèrent l’armée serbe en retraite et le roi Pierre Ier, pour les transporter sur l’île de Corfou.

Au nom de ces liens anciens, je forme ici le vœu, monsieur le ministre, que la Serbie, dont les négociations d’adhésion devraient débuter dans les mois qui viennent, en tout cas au cours du premier semestre de 2013, rejoigne à son tour rapidement l’Union européenne, dans laquelle elle a toute sa place.

M. Roland du Luart. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. L’un des apports majeurs de la construction européenne est qu’elle nous permet de transcender les vieux antagonismes que je viens d’évoquer. Depuis la cessation des conflits qui ont embrasé les Balkans à la fin du siècle dernier, l’Union européenne, notamment au travers des processus d’adhésion, joue le rôle de vecteur de stabilisation d’une région qui était, il y a peu, considérée comme une poudrière.

L’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, après celle de la Slovénie, en 2004, marquera une nouvelle étape de l’élargissement en direction des Balkans occidentaux. Elle s’opère en tirant les enseignements de la précédente vague d’adhésions, qui, entre 2004 et 2007, a vu une partie des pays de l’Europe centrale et orientale rejoindre l’Union européenne.

En effet, l’adhésion de ces douze pays était aussi motivée par la promesse de réconciliation d’une Europe qui, pendant plus de quarante années, fut coupée en deux par le rideau de fer. La dimension symbolique de cette réunification des « deux Europe » a sans doute éclipsé le respect d’une partie des critères habituellement pris en compte lors des négociations. En d’autres termes, l’engagement moral a parfois occulté les difficultés des États candidats à remplir les conditions requises, tant politiques qu’économiques, ou à reprendre l’acquis communautaire.

À la suite de l’élargissement à l’Est, les institutions européennes ont renforcé les exigences envers les États candidats en matière de reprise de l’acquis communautaire ou de garanties de l’État de droit, ce qui était nécessaire, et ont introduit un dispositif de suivi des réformes engagées entre la signature du traité d’adhésion et l’adhésion elle-même.

De plus, la Commission européenne semble avoir fait du cas croate un modèle, en termes de négociations, pour les autres pays des Balkans occidentaux, qui sont tous engagés dans un processus de rapprochement avec l’Union européenne, à des degrés et selon des rythmes divers.

Néanmoins, en ce qui concerne la Croatie, plusieurs questions soulevées demeurent encore sans réponses. Elles concernent les efforts à accomplir en matière de réforme judiciaire, de lutte contre la corruption et le crime organisé. De même, dans ses relations avec ses voisins, les motifs de crispation ne manquent pas : participation au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, question du retour des réfugiés, notamment de la minorité serbe…

Par ailleurs, le différend frontalier et le conflit bancaire avec la Slovénie, s’ils ne trouvaient de solution, pourraient retarder la ratification du traité d’adhésion par les autorités de Ljubljana.

Cependant, en dépit de ces écueils, il nous faut souligner les efforts réels et les réformes entrepris par la Croatie pour se conformer aux « standards européens ».

Il est aussi utile de noter que, tout au long du processus de négociation, les gouvernements croates successifs ont partagé le même objectif de mener ce pays vers l’adhésion à l’Union européenne.

Les auteurs du rapport d’information intitulé « La Croatie, 28ème État membre de l’Union européenne » et publié en juin 2011, à savoir nos anciens collègues Jacques Blanc et Didier Boulaud, ne disaient pas autre chose : « Toutes tendances politiques confondues, les responsables croates ont souligné qu’une telle perspective viendrait couronner les efforts considérables de réformes déployés par le pays ces dernières années. »

Certes, au sein de la population, l’enthousiasme initial suscité par la perspective de rejoindre l’Union s’est sensiblement érodé, au bénéfice d’une lassitude née de la longueur des négociations et de la crise économique et institutionnelle que traverse l’Europe depuis plusieurs années. En effet, lors du référendum sur l’adhésion, si la victoire du « oui » fut nette, avec plus de 66 % des suffrages, le taux de participation ne s’éleva qu’à 43,5 %.

La ratification de ce traité portera donc à vingt-huit le nombre des États membres de l’Union européenne. Bien sûr, d’autres pays seront amenés à les rejoindre dans les prochaines années : l’Islande, mais aussi le Monténégro, la Macédoine, la Serbie et la Turquie, que nous devrions cesser de stigmatiser, sans parler des « candidats potentiels » que sont l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine.

S’il sera moins considérable que le précédent, ce nouvel élargissement ne pourra se faire sans une réforme de la gouvernance européenne. Mes chers collègues, vous le savez, les radicaux sont historiquement favorables à une évolution fédéraliste de l’Union. À plus de trente membres, comment mener cet approfondissement de la construction européenne ?

En marge du sommet des 18 et 19 octobre dernier, le Président de la République a précisé les grandes lignes de sa politique européenne, au cours d’une interview accordée à six journaux européens : « En changeant de dimension, l’Europe a changé de modèle. Ma démarche, c’est une Europe qui avance à plusieurs vitesses, avec des cercles différents. » Nous ne pouvons que partager cette vision. Dans le même entretien, François Hollande a déclaré, à propos de l’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union européenne : « L’hommage, il est adressé aux pères fondateurs de l’Europe, capables d’avoir réussi la paix au lendemain d’un carnage. L’appel, il est lancé aux gouvernants de l’Europe d’aujourd’hui, pour qu’ils soient conscients qu’un sursaut est impérieux. »

C’est donc en se plaçant dans cette double perspective historique et prospective que les radicaux de gauche, ainsi que la grande majorité des sénateurs du groupe RDSE, voteront pour la ratification du traité d’adhésion, pour une Europe réconciliée, pour une Europe puissante, pour une Europe de l’avenir. (Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien évidemment, nous nous associons nous aussi à l’hommage rendu en ce moment même au lieutenant Boiteux, et présentons nos sincères condoléances aux familles des victimes.

L’adhésion à l’Union européenne de la Croatie, qui en deviendra ainsi, le 1er juillet 2013, le vingt-huitième État membre, constitue une bouffée d’air frais pour notre continent, en ces temps de doutes quant à la construction d’un ensemble politique toujours plus cohérent.

Au sein des Balkans occidentaux, dont la « vocation européenne » a été affirmée dès le sommet de Zagreb –organisé sur l’initiative de la France –, en novembre 2000, la situation de la Croatie se distingue.

La mission effectuée à Zagreb, en mai 2011, par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a permis de délivrer un message très clair de soutien à la candidature croate à l’adhésion à l’Union européenne.

La Croatie n’a pas démérité et a fait énormément d’efforts, qu’il s’agisse du renforcement des institutions, notamment par l’augmentation des fonds alloués à la cour constitutionnelle, des réformes électorales, de l’intégration des réfugiés ou de l’amélioration des statuts des minorités.

Mes chers collègues, l’adhésion de la Croatie sur laquelle nous devons nous prononcer aujourd’hui souligne avec force la vocation première du projet de construction européenne : l’Europe, c’est la paix.

Hélas, la Croatie ne connaît que trop bien le prix de cette dernière, ayant payé un très lourd tribut lors de la violente dislocation de l’ensemble yougoslave, à la fin du siècle dernier.

Il est vrai que la guerre fut incomparablement plus longue et plus sanglante en Croatie qu’en Slovénie. Elle s’est déroulée sur une période de près de dix ans, depuis les premières altercations, en 1990, jusqu’à la reconquête totale du territoire, en 1998, par le gouvernement croate, avec son funeste lot de tueries, de déplacements de populations et d’emprisonnements.

Le conflit a été très dur : on a dénombré près de 16 000 tués et 40 000 disparus. Les dommages directs et indirects, pour l’économie, ont été évalués à quelque 37 milliards de dollars, soit presque deux fois le PIB de la Croatie.

Les sièges de Vukovar et de Dubrovnik, de sinistre mémoire, sont devenus les symboles de cette guerre atroce. Ces joyaux de l’architecture médiévale ont subi d’énormes destructions, certaines irrémédiables.

D’un point de vue environnemental, l’agriculture croate n’a pas encore retrouvé ses niveaux de production de 1990. Les conséquences du conflit sont encore importantes : près de 1 million d’hectares ne seraient pas exploités, soit l’équivalent de la surface agricole actuellement mise en valeur. Cette situation est liée, d’une part, à la présence de mines antipersonnel, et, d’autre part, à l’existence de problèmes de propriété foncière concernant des terres appartenant à des ressortissants de minorités qui ont fui vers d’autres régions et ne sont pas revenus jusqu’à présent. Le cheptel bovin a été décimé : en 2007, il restait encore inférieur à 60 % de son effectif d’avant-guerre.

Souvenons-nous, mes chers collègues, que ces tragiques événements ont eu lieu sur notre continent, à une époque relativement récente !

Ainsi, l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne souligne la vocation universelle de cette dernière en matière de promotion de la paix et des droits de l’homme.

À ce titre, nous ne pouvons que nous réjouir que, en décembre dernier, nos collègues députés européens aient solennellement accueilli à Strasbourg la médaille symbolisant le prix Nobel de la paix attribué à l’Union européenne.

De même, l’optimisme des Croates à l’égard du projet européen contraste très singulièrement avec le climat eurosceptique ambiant, prospérant sur fond de défiance au sein de la zone euro.

Mes chers collègues, je n’ai pas besoin de vous rappeler quelle fut l’âpreté des débats, au sein de notre chambre, sur le Mécanisme européen de stabilité ou le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance…

Certes, l’enthousiasme pro-européen des Croates, partagé selon les sondages par plus de 80 % de la population en 2003, a pu s’éroder au fil des négociations, qui se sont prolongées de 2005 à 2011, en raison de la rigueur des critères fixés par Bruxelles et de la crise économique qui secoue l’Union européenne.

En outre, un vieux différend bancaire avec la Slovénie pourrait retarder l’adhésion de la Croatie si aucun accord entre les deux pays n’est conclu avant le 1er juillet 2013 : il s’agit de l’affaire de la banque slovène Ljubljanska Banka.

Lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, quelque 430 000 Croates avaient placé leurs économies dans cette banque, qui a fait faillite dans les années quatre-vingt-dix. Par la suite, la Croatie a dédommagé les deux tiers de ces épargnants, pour un montant d’environ 270 millions d’euros, et elle exige désormais que la Slovénie lui restitue ce montant.

Or, comme vous le savez, mes chers collègues, la ratification du traité par les vingt-sept pays actuellement membres de l’Union européenne est indispensable pour valider l’adhésion de la Croatie.

L’entrée de la Croatie dans l’Union européenne n’est donc pas une simple formalité : elle témoigne, au contraire, d’une démarche enthousiaste et déterminée de la part des Croates, en dépit des difficultés que j’ai énumérées.

Ainsi, le 22 janvier 2012, soit près de vingt ans après la déclaration d’indépendance de leur pays, et malgré un fort taux d’abstention, les Croates se sont exprimés par voie référendaire et ont voté, à 67 %, en faveur de l’adhésion de leur pays à l’Union européenne, lors d’un scrutin jugé crucial par les autorités de la jeune république.

Cette nation de 4,2 millions d’habitants a donc décidé, en toute conscience, d’arrimer son destin à celui d’un projet toujours en mouvement – la construction d’un ensemble politique efficient à l’échelle de notre continent –, malgré les crises et les difficultés.

Dans cette optique, nous ne pouvons que nous féliciter de l’adhésion à l’Union européenne de ce nouveau membre.

En effet, approfondir l’intégration continentale est vital si nous voulons relever les immenses défis économiques, démographiques et environnementaux suscités par la globalisation et l’émergence de nouvelles puissances.

Enfin, en tant qu’européenne convaincue, je reste persuadée que l’agrandissement de la famille européenne représente plus que jamais une formidable chance pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jacques Gautier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour saluer, au nom du groupe UMP, le grand professionnalisme des soldats français, où qu’ils soient déployés, et m’associer à la douleur des familles des militaires décédés au Mali, en Somalie ou en Afghanistan.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de ce que le premier texte que nous examinions en 2013 ait pour objet de permettre à l’Union européenne de compter, à partir du 1er juillet prochain, un nouvel État membre, la Croatie.

L’intégration de ce pays témoigne de l’existence d’une soif d’Europe, en une période de turbulences et de mutations qui fait douter certains. Cette intégration doit donc être un modèle, ainsi que l’occasion de rappeler ce qu’est l’Europe.

Adhérer à l’Union européenne, c’est, au travers de la Charte des droits fondamentaux, s’approprier un certain nombre de valeurs qui, au fil des siècles, ont forgé nos démocraties occidentales : le respect de l’homme, des minorités, le souci constant de maintenir des institutions stables garantissant un État de droit, le désir de paix.

Adhérer à l’Union européenne, c’est assumer une responsabilité : celle de mettre en place une économie de marché viable, capable de faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle s’exerçant à l’intérieur de l’Union européenne, celle de faire siens les objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

Être membre de l’Union européenne ne peut se résumer à bénéficier d’une sécurité budgétaire lors de crises financières.

Être membre de l’Union européenne ne peut se résumer à calculer les retombées financières de la répartition des fonds de cohésion ou des crédits de la politique agricole commune.

Être membre de l’Union ne peut se résumer à s’abriter sous un « parapluie » sécuritaire en cas de crise ou de conflit armé. Je souligne, à cet instant, que la France est actuellement seule sur le terrain au Mali…

Être membre de l’Union, c’est assumer un engagement pour mieux répondre aux défis posés par une mondialisation qui constitue désormais notre quotidien, non pas au travers d’un protectionnisme faussement protecteur, mais grâce à l’excellence, fondée sur la recherche et l’innovation, à la réciprocité, bâtie sur le respect de règles exigeantes en matière environnementale, sanitaire ou sociale, à la solidarité et à la complémentarité entre États membres.

Être membre de l’Union, c’est avoir une haute exigence face à la corruption. À cet égard, certaines pratiques avaient encore cours il y a peu, comme nous le rappellent des articles parus dans des quotidiens de Zagreb, tel le Jutarnji List, relatant la mise en examen de 500 médecins accusés de collusion avec certaines industries pharmaceutiques, ou la récente condamnation d’un ancien premier ministre, M. Ivo Sanader, à dix ans de prison.

Les responsables croates ont donc des défis à relever. L’Union européenne vient de leur exprimer sa confiance, en permettant à la Croatie de devenir le vingt-huitième État membre.

Cette intégration ne sera pas soumise au mécanisme de coopération et de vérification mis en œuvre en 2007 suite à celle, quelque peu imparfaite car trop hâtive, de la Roumanie et de la Bulgarie, dont il faut tirer les enseignements. Ce mécanisme a pour objet de garantir la poursuite, par les pays adhérents, de leurs efforts dans des domaines fondamentaux tels que les réformes judicaires ou la lutte contre la corruption, à tous les échelons de la société.

Je profite de l’occasion pour saluer, à la suite de M. Gattolin, les travaux de nos collègues de la commission des affaires européennes, qui ont rendu un rapport intitulé : « La Bulgarie et la Roumanie : la transition inachevée ».

Cette adhésion à l’Union européenne d’un vingt-huitième État relève d’une procédure de ratification par le Parlement qui est employée ici pour la dernière fois. Désormais, toute adhésion sera régie par l’article 88-5 de notre Constitution, c’est-à-dire qu’elle fera l’objet d’un référendum, sauf approbation des assemblées à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.

Je voudrais surtout profiter de ce débat pour délivrer trois messages ; certains pourront considérer que je m’écarte du sujet qui nous occupe aujourd’hui, mais je ne m’en éloigne pas tant que cela.

Mon premier message s’adresse à la Grande-Bretagne. Je souhaite exprimer la profonde inquiétude que m’inspire l’intention de David Cameron de confirmer, vraisemblablement dans les prochains jours – ce pourrait être le 22 janvier, à La Haye –, l’organisation d’un référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne.

Comme le dit fort pertinemment Jean-Dominique Giuliani, le président de la fondation Robert Schuman, voilà ce qui se produit quand une classe politique néglige la politique européenne en faisant croire que tout se décide au niveau national, quand des leaders font des promesses inconsidérées dans le seul but de gagner les élections, quand on fait de l’Europe le bouc émissaire de ses propres turpitudes.

La place de la Grande-Bretagne est dans l’Union européenne, et non ailleurs, même s’il est vrai qu’elle a acquis le bénéfice, au fil du temps, de « régimes spéciaux », à mon sens trop nombreux. Le général de Gaulle avait redouté une telle évolution et en avait tiré les conséquences que l’on sait.

Écoutons ce que dit le secrétaire d’État adjoint américain chargé de l’Europe, Phil Gordon, sur ce point précis : « Nos liens se renforcent avec l’Union européenne en tant qu’entité qui a une influence grandissante dans le monde, et nous voulons que le Royaume-Uni ait une influence croissante en son sein. […] Nous souhaitons une Union européenne tournée vers l’extérieur, et que le Royaume-Uni en fasse partie. » Mes chers collègues, monsieur le ministre, on ne saurait être plus clair !

Mon deuxième message est à l’adresse du couple franco-allemand. L’Union européenne a besoin d’une entente franco-allemande forte. Nos deux pays ont des différences, voire des divergences, mais l’exemple du général de Gaulle et du chancelier Adenauer nous démontre que c’est en les surmontant que l’on donnera à l’Union européenne, aujourd’hui riche de vingt-huit États membres, sa vraie dimension, à la fois monétaire, budgétaire et économique. Et c’est parce que les différences entre nos deux pays sont des complémentarités que le couple franco-allemand est la clé pour une Europe forte.

Comme le souligne notre ancien ambassadeur à Berlin, à la veille de la célébration du cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, nous avons deux défis à relever : celui de l’énergie et celui de la défense.

Mettre en place une vraie politique européenne de l’énergie, clé de la compétitivité de nos entreprises, est une urgente obligation.

Instaurer une politique plus volontariste en matière de défense est tout aussi urgent. Dans un monde dangereux, la première puissance économique mondiale qu’est l’Union européenne ne doit pas s’engager vers un désarmement, bien au contraire. Des crédits, de la recherche, de l’innovation, des alliances sont nécessaires ; ils ne peuvent se concevoir que dans la coopération entre États membres. Je tiens d’ailleurs, à cet instant, à saluer la coopération existant aujourd’hui entre Londres et Paris.

Mon troisième message, enfin, s’adresse plus directement à la France. Il porte sur les réformes structurelles que nous devons continuer à mettre en œuvre.

Si je me réjouis que, dans les dernières propositions budgétaires du président Van Rompuy, le montant des crédits affectés à la compétitivité soit fixé à 139,543 milliards d’euros, il nous faut, comme nous y invite l'Union européenne, rendre notre marché du travail plus flexible et nos coûts salariaux plus compétitifs, ainsi que réduire nos dépenses publiques, qui sont encore trop élevées aujourd’hui. Si nous ne parvenons pas à opérer ces mutations – elles sont difficiles, j’en conviens, mais, je le redis à cette tribune, l’opposition actuelle se montrera constructive –, nous ne pourrons utiliser ces crédits avec efficacité et pertinence.

Si je me suis permis cet aparté sur les réformes structurelles, c’est tout simplement pour rappeler qu’adhérer à l’Union européenne – je ne crois pas que M. Arthuis me contredira – emporte pour tous les États membres, anciens et nouveaux, l’obligation de mettre en œuvre au niveau national les objectifs décidés à l’unanimité à Bruxelles.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’intégration de la Croatie doit être une réussite, pour les Balkans occidentaux, qui étaient hier encore une poudrière, mais aussi pour les vingt-sept autres États membres, qui peuvent être légitimement fiers d’avoir tracé la voie à ces pays dont la soif d’Europe, de justice, de liberté et de démocratie est d’autant plus grande qu’ils ont été trop longtemps privés de ces valeurs.

Le groupe UMP du Sénat votera le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne nous donne l'occasion de mener une réflexion plus générale sur le processus d'élargissement.

Si l’ensemble des pays membres de l’Union européenne ratifient cette adhésion, par voie parlementaire ou référendaire, la Croatie deviendra au mois de juillet prochain le vingt-huitième État membre à part entière. Elle aura pour cela su franchir avec succès toutes les étapes d’un long et difficile processus.

Cela veut-il dire, pour autant, que la réalité de la situation de ce pays satisfait pleinement aux critères dits de Copenhague, que, pour ma part, je conteste parce qu'ils imposent aux pays le modèle de développement néolibéral ?

Non, des problèmes importants demeurent. C'est pourquoi, d'ailleurs, la Croatie est encore soumise au mécanisme spécifique de suivi renforcé de ses engagements, institué pour tenir compte des enseignements tirés de l'intégration peu aboutie de la Roumanie et de la Bulgarie. Il lui reste du chemin à faire pour mettre en place une société répondant aux canons européens actuels, c'est-à-dire dotée d'une économie de marché et d'un arsenal législatif parfaitement aligné sur celui de l'Union européenne.

Les autorités européennes ont ainsi assez fermement invité les responsables croates à poursuivre leurs efforts dans une dizaine de domaines, allant de la privatisation totale des chantiers navals jusqu'à l'aboutissement de procédures judiciaires, tels certains procès pour crimes de guerre, en passant par des recrutements dans la police des frontières ou l'adoption rapide des décrets d'application d’une loi sur la police.

Il est donc important de ne pas sous-estimer les difficultés que rencontre ce pays en matière économique ou en termes de capacités judiciaires ou administratives.

Toutefois, d'un autre côté, la perspective de l'adhésion et les rapports de suivi des autorités européennes peuvent aussi constituer pour la Croatie une incitation à mener les réformes nécessaires en matière de justice et de lutte contre la corruption ou contre le crime organisé.

Cependant, je crains que, comme ses prédécesseurs d'Europe centrale, la Croatie ne subisse les mêmes conséquences néfastes d'une stricte application des exigences communautaires.

Par exemple, les conditions d'acceptation au titre de l'un des critères de Copenhague, la reprise de « l'acquis communautaire », ne tiennent aucun compte des inégalités qui se creusent, des problèmes sociaux du pays, de la situation réelle de l’emploi, de la fragilité de l’économie, ainsi que de certaines spécificités nationales.

En réalité, au nom de l'exigence, inscrite dans les critères de Copenhague, de se montrer capable d'affronter la concurrence du grand marché européen, ce pays est poussé, comme les autres, à privatiser, à précariser à tout-va la situation des salariés, à libéraliser et à déréglementer les échanges, quitte à créer un énorme déficit commercial.

Ce mécanisme fait ainsi des bas salaires une sorte d'avantage comparatif dans le jeu de la concurrence, ce qui aboutit à élargir les marchés européens sans que les droits des peuples suivent.

D'une façon générale, la politique d'élargissement de l'Union européenne à de nouveaux pays est souvent mal comprise et suscite de grandes inquiétudes dans les opinions publiques. En effet, le processus semble s'accélérer depuis quelques années, être mal maîtrisé et surtout mal défini. Les peuples d'Europe, mais aussi leurs élus et leurs dirigeants, ont besoin de savoir où ils vont, pourquoi « élargir », à qui et jusqu'où.

En outre, au moment où l'Union européenne est confrontée à une grave crise économique et financière, ayant de lourdes conséquences pour les économies et la vie des peuples, et se montre impuissante à parler d'une seule voix sur la scène internationale en raison de divergences entre les vingt-sept États membres, on peut légitimement s'interroger sur l’intérêt de poursuivre son élargissement.

Le passage de l’Union européenne de quinze à vingt-sept pays membres avait déjà eu pour conséquence de modifier la nature du projet européen initial, l’Union tendant à devenir une simple zone de libre-échange, à cause des fortes disparités existant entre États membres.

Le projet européen que nous connaissons, dont les peuples subissent aujourd'hui les conséquences négatives, a été principalement conçu, dès l’origine, pour des raisons strictement économiques. Il s’agit avant tout de permettre une libre circulation des capitaux et des marchandises dans un marché unique. Les grands et généreux principes, l'histoire, les idées et les valeurs communes, la libre circulation des personnes, les droits de l'homme, la paix ou le nécessaire progrès social n'ont été mis en avant qu'après coup.

Dans le contexte de la crise actuelle, certains préconisent une pause dans l'élargissement et évoquent la nécessité de procéder à un approfondissement de l'Union européenne avant d'envisager de porter le nombre de ses membres de vingt-sept à trente ou davantage, comme il est prévu de le faire avec l’adhésion de l'ensemble des pays des Balkans.

Pour ma part, je pense qu'il faut plutôt préciser, et mieux encore redéfinir, les principes sur lesquels doit se fonder la politique d'élargissement de l'Union européenne.

En effet, s'il s'agissait simplement de fixer des limites à l'Europe, il se trouve que le Conseil de l'Europe l'a déjà fait il y a quinze ans en définissant, par la géographie, la culture et la volonté d'adhésion, les critères d'appartenance des quarante-sept pays qui la composent.

Les problèmes que soulève aujourd'hui la politique d'élargissement ne sont pas, à l'évidence, de même nature, car la construction européenne traverse en réalité une profonde crise d'identité.

Pour tenter de s'adapter aux difficultés de tous ordres que pose l'élargissement, l'Union européenne a déjà mis en place, en son sein, plusieurs cercles, plusieurs strates, plusieurs frontières, ainsi que des mécanismes de coopération à plusieurs vitesses et différenciés.

C'est pourquoi les problèmes suscités par le développement de l'Union européenne tiennent moins aux limites territoriales de celle-ci qu'au projet de société qu'elle prétend réaliser.

C'est donc moins la politique d'élargissement en elle-même que la façon dont elle est appliquée qui pose problème. C'est cette politique qui menace la cohésion de l'Union européenne.

Ce qui pourrait menacer plus gravement encore la construction européenne, ce n’est pas un risque de dilution lié à la poursuite de l’élargissement ; comme l’a montré la récente crise de la zone euro, ce sont plutôt les difficultés et la lenteur à trouver des solutions solidaires face à la crise financière, ainsi que l’absence de volonté politique des dirigeants européens de prendre des mesures fortes de régulation pour lutter efficacement contre la spéculation sur les marchés financiers.

En effet, n’oublions pas que la seule réponse des gouvernements à la crise financière qui a failli emporter l’Europe a consisté, au bout du compte, à en faire payer les conséquences par les populations, en rendant encore plus contraignant l’ancien pacte de stabilité et de croissance et en sanctionnant les pays qui ne respectent pas le dogme aveugle et socialement injuste de la lutte contre les déficits budgétaires.

La véritable menace, pour la construction européenne, vient du fait que les nouveaux entrants doivent se soumettre à la concurrence effrénée qui prévaut au sein du marché unique et les contraint à une privatisation généralisée de leur économie, entraînant une généralisation des bas salaires et la précarisation de l’ensemble de la population. Cela induit un dumping social, qui provoque en retour chez nous des délocalisations d’entreprises, au détriment de notre économie.

Est-ce à ces conditions, dans ce contexte, qu’il faudrait accueillir la Croatie au sein de l’Union européenne ? Cela mérite évidemment réflexion. On comprend que les politiques d’élargissement puissent inspirer des craintes et des réticences. En tout cas, j’estime que ce n’est pas en différenciant les niveaux d’intégration des pays accueillis, comme certains le proposent, que l’on résoudra les problèmes.

Je souhaite un changement fondamental des orientations de la construction européenne, mais, en attendant, faut-il différer l’adhésion de la Croatie ?

Je suis lucide et sans illusions sur les conséquences néfastes pouvant résulter de cette adhésion réalisée aux conditions définies par les critères néolibéraux de Copenhague et dans le contexte de la plus grave crise politique, financière, économique et politique que l’Europe ait jamais connue.

Dans le même temps, il faut bien mesurer que le peuple croate manifeste un désir certain de rejoindre l’Union européenne ; il en a approuvé le principe par référendum, à une majorité de 66 % des voix. Ne pas répondre à cette attente pourrait être dangereux, car cela risquerait de nourrir le populisme et d’encourager le retour d’un nationalisme d’extrême droite toujours vivant dans ce pays.

En outre, la perspective européenne peut et doit être un facteur de paix et de stabilité dans cette région des Balkans occidentaux qui a tant souffert.

Mes chers collègues, c’est principalement en considération de cette double nécessité – respecter la volonté exprimée par le peuple croate et installer une paix durable dans la région – que le groupe communiste, républicain et citoyen se prononcera en faveur de la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)