PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer des zones d'exclusion pour les loups
 

4

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant prorogation du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, déposé sur le bureau du Sénat le 30 janvier 2013.

5

Débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe RDSE, le débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale (rapport d’information n° 611 [2011-2012].)

La parole est à M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE, auteur de la demande.

M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE, auteur de la demande. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale avait été constituée le 6 juillet 2011 à la demande du groupe RDSE, conformément au règlement du Sénat.

Après avoir présidé à la mise en place de cette mission d’information, j’avais rapidement cédé la place à notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier, qui a mené à bien cette mission avec Charles Guené, rapporteur.

Je tiens à souligner le très important travail réalisé par cette mission sur un dossier difficile et à remercier les collègues, nombreux, qui y ont participé, notamment Anne-Marie Escoffier et Charles Guené. Ils ont apporté un éclairage nouveau et ont constitué une contribution majeure au débat qui a suivi la très controversée réforme de la taxe professionnelle.

Notre Haute Assemblée remplit très clairement sa mission constitutionnelle en produisant de tels travaux, et plus encore en permettant aux représentants des territoires d’en débattre dans notre hémicycle avec le Gouvernement. C’est l’application de l’article 24 de la Constitution, le Sénat représentant, tant qu’il le pourra, les collectivités territoriales.

M. Alain Gournac. Pourvu que ça dure !

M. Jacques Mézard. En effet !

Nous regrettons d’avoir dû inscrire dans notre ordre du jour réservé ce débat sur les conclusions de la mission d’information, conclusions qui furent publiées le 26 juin 2012, car ce débat, qui avait toute sa place dans une semaine sénatoriale de contrôle, n’a jusque-là jamais pu être inscrit à ce titre, malgré nos demandes réitérées lors des conférences des présidents.

N’arrivant pas à obtenir satisfaction sur une demande pourtant tout à fait légitime, il ne nous semblait pas pour autant raisonnable d’attendre plus longtemps avant de débattre des conclusions de ce rapport. Au passage, je rappelle que ces conclusions avaient fait l’objet d’un report de quelques mois pour ne pas interférer avec la période électorale du printemps de 2012, mais aussi pour obtenir l’ensemble des données sur le produit des nouvelles impositions pour 2011, données que les membres de la mission n’avaient d’ailleurs pu se procurer dans leur intégralité, malgré ce délai supplémentaire.

Avant d’aborder les conclusions et les propositions du rapport, je reviendrai rapidement sur les conditions d’adoption de cette réforme de la fiscalité locale, ou du moins de ce qui nous avait été présenté comme telle, dont la mesure emblématique avait été la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, prévus par l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010.

Il y eut une longue discussion, parfois fastidieuse mais parfois passionnante, à l’Assemblée nationale et plus encore au Sénat, discussion toujours bien ancrée dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue, voire pour certains « subie ». Il n’est néanmoins pas inutile, à mon sens, d’y revenir aujourd’hui. D’ailleurs, monsieur le ministre, j’ai relu ces débats ainsi que votre contribution personnelle très intéressante en première comme en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Les membres de notre groupe, comme nombre de sénatrices et de sénateurs de tous bords, ont très majoritairement – mais pas unanimement, je salue à cet égard mon collègue Gilbert Barbier – porté un regard critique sur une réforme qui a été élaborée de manière trop précipitée, dans le flou et sans véritable concertation avec les élus locaux et les parlementaires.

D’ailleurs, le manque de clarté de cette réforme ainsi que de nombreuses erreurs et approximations avaient à l’époque conduit les rapporteurs généraux des deux chambres à récrire intégralement l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010. Le Sénat avait consacré plus de treize heures en séance publique aux 514 alinéas d’un amendement resté célèbre de notre excellent collègue Philippe Marini, alors rapporteur général du budget.

À l’époque, des parlementaires de tous les groupes avaient regretté, selon leur degré de solidarité ou de non-solidarité avec le Gouvernement, l’absence totale ou quasi totale de simulations, en particulier concernant les effets de la réforme pour les collectivités territoriales, mais également pour l’État et les entreprises.

Cette réforme, adoptée sans qu’en soit évalué suffisamment l’impact, méritait donc, comme cela était d'ailleurs prévu dans le texte, d’être observée avec la plus grande attention une fois mise en œuvre. Les travaux de la mission ont permis d’en dresser un bilan au moins partiel.

Aujourd’hui, plus de trois ans après, force est de constater que les travaux des parlementaires de la mission commune d’information ont été rendus plus difficiles du fait de la non-communication des éléments chiffrés qui avaient été demandés.

Hélas, monsieur le ministre, je crains que l’absence de simulations, qui entrave de fait le travail des parlementaires et leur capacité à élaborer le droit de façon éclairée, n’appartienne pas uniquement au passé. Lors de l’examen de la loi de finances pour 2013, nous nous rappelons le vif émoi causé dans cet hémicycle par l’adoption à l’Assemblée nationale, sans que le Sénat puisse se prononcer – mais la faute n’en incombe pas au Gouvernement –, d’un certain nombre de modifications substantielles concernant les finances des collectivités territoriales. Je pense au passage du texte – rapide, puisqu’il n’y eut pas de débat ! – à l’Assemblée nationale, le 14 décembre dernier.

Ces modifications, et ce n’est pas sans rapport avec le travail de notre mission, concernaient notamment les fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et des droits de mutation à titre onéreux. Là aussi, nous ne pouvons que regretter la persistance d’une certaine politique d’absence de communication des simulations nécessaires.

M. Jacques Mézard. J’ai l’habitude de dire les mêmes choses, quel que soit le gouvernement.

M. Alain Gournac. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Je souhaite, au nom de mon groupe, monsieur le ministre, que le Gouvernement soit très vigilant sur ce point et ne reproduise pas des errements que ses propres membres avaient dénoncés par le passé, lorsqu’ils étaient parlementaires de l’opposition. Ce doit aussi être cela, le changement ; sinon, c’est la continuité aujourd’hui !

Lors du débat sur la réforme de la taxe professionnelle, le président du groupe socialiste de l’époque, M. Jean-Marc Ayrault, aujourd’hui Premier ministre, déclarait devant l’Assemblée nationale à l’attention de l’ancien gouvernement : « C’est donc une décision extrêmement lourde de conséquences que vous voulez prendre, et ce sans avoir réalisé les simulations nécessaires ». Il est donc permis d’espérer, monsieur le ministre, que l’alternance puisse s’accompagner de nouvelles pratiques. Mais, pour l’instant, nous attendons toujours un certain nombre de chiffres et de tableaux. Ce n’est pourtant pas faute de les réclamer !

À la lecture du travail très complet de la mission, on constate que la suppression de la taxe professionnelle avait un premier objectif : renforcer l’attractivité et la compétitivité de la France en allégeant la pression fiscale des entreprises.

La taxe professionnelle, je le rappelle, était un impôt considéré par certains comme « anti-économique », d’aucuns l’ayant même qualifié « d’imbécile ». Réformé soixante-huit fois en trente-trois ans, cet impôt était, certes, à bout de souffle et il était nécessaire de le faire évoluer vers un impôt plus lisible, plus juste et sans effet négatif sur l’économie. Cet objectif n’a malheureusement pas été atteint, bien au contraire.

Ne serait-ce qu’en termes de simplicité, il est délicat d’expliquer à nos concitoyens que nous avons remplacé une ligne de ressources par sept lignes différentes, dans nombre de collectivités. Il est donc difficile d’exposer les règles de fonctionnement sur le terrain.

Et a-t-on réellement renforcé la compétitivité des entreprises françaises,…

M. Claude Bérit-Débat. Ce n’est pas sûr du tout !

M. Jacques Mézard. … mis un frein à la désindustrialisation et aux délocalisations, depuis l’adoption de cette réforme ? Je crains que la fréquence avec laquelle ces sujets reviennent devant notre hémicycle ne démontre que la situation, loin de s’être améliorée, pourrait même avoir en partie empiré ces dernières années.

Trois ans plus tard, nous nous posons toujours les mêmes questions : comment renforcer la compétitivité et retrouver une croissance durable ? Dans son excellent rapport, remis en novembre dernier, Louis Gallois a d’ailleurs formulé des propositions fort intéressantes à ce sujet. Le Parlement s’est au demeurant prononcé sur certaines d’entre elles, positivement en ce qui nous concerne, monsieur le ministre. Je n’y reviens pas.

En tout cas, la réforme de la taxe professionnelle telle qu’elle a été conduite par la précédente majorité n’était certainement pas, pour la majorité d’entre nous, la panacée. Personne ne croyait d’ailleurs à l’époque, pas même les chefs d’entreprises, qu’en supprimant d’un « coup de baguette magique » la taxe professionnelle nous trouverions le remède miracle aux difficultés de notre économie et à notre déficit de compétitivité.

Comme on le souligne dans le rapport, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale n’ont jamais compté au nombre des préoccupations centrales des entreprises. Les conclusions du rapport sénatorial sont tout à fait claires de ce point de vue : « Il apparaît clairement que la fiscalité, notamment locale, n’est pas déterminante pour les décisions d’implantation, à l’exception de cas bien spécifiques ».

Nous faisons toujours face aux mêmes défis, de manière amplifiée. La réforme a eu des effets positifs, en tout cas reconnus comme tels par les entreprises, mais ceux-ci sont contrastés, comme le souligne très objectivement le rapport de la mission commune d’information, selon les secteurs d’activité. Les entreprises de production semblent être les principales bénéficiaires, même si elles ne sont pas les seules.

Cependant, les allégements résultant du remplacement de la TP par la CET, elle-même composée de la cotisation foncière des entreprises, la CFE, et de la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, sont contrebalancés par les impositions nouvelles qui ont été mises en place et par l’augmentation « mécanique » de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés du fait de la suppression de la TP qui réduisait l’assiette de ces impôts acquittés par les entreprises.

Enfin, et nous étions nombreux à le dire à l’époque, les auteurs du rapport ont constaté qu’il est « difficile d’affirmer que la réforme de la taxe professionnelle a davantage favorisé les entreprises soumises au risque de la délocalisation ».

Quelles ont été les conséquences pour l’État de cette réforme ? Tout d’abord, son coût, évalué à 4,5 milliards d’euros en rythme de croisière, serait, selon les auteurs du rapport, « conforme aux prévisions » et « comparable à celui des précédentes réformes ».

Cela ne les empêche pas de déplorer les possibilités très limitées de suivre les effets de la réforme, et de parvenir à des propositions qui constituent un aveu inquiétant sur les faiblesses de notre démocratie parlementaire, puisqu’ils demandent au Gouvernement de « fournir régulièrement au Parlement une série d’indicateurs précis permettant d’apprécier objectivement les effets de la réforme »…

Enfin, outre le renforcement de la compétitivité des entreprises, l’autre objectif principal de la réforme de la taxe professionnelle était de simplifier la fiscalité locale. Est-elle plus simple aujourd’hui ? Poser la question, c’est déjà malheureusement y répondre.

Les collectivités locales, et cela nous inquiète chaque jour davantage, monsieur le ministre, sont dans le plus grand flou quant aux conséquences de cette réforme, dont les différents éléments prennent effet progressivement. Il s’agit, pour nos collectivités locales, d’une véritable bombe à retardement.

Un exemple récent illustre le flou dans lequel les collectivités doivent prendre des décisions : il s’agit de la fixation de la cotisation minimale de CFE, la contribution foncière des entreprises. La mission d’information préconisait déjà dans son rapport que « l’État place au rang de priorité l’assistance des communes sur ce sujet difficile ». Cela a donné lieu à bien des errements, suscité des difficultés et obligé les collectivités à procéder à des votes successifs et contradictoires.

Les conseils municipaux et les instances délibérantes des établissements publics de coopération intercommunale ne disposaient d’aucune simulation lorsqu’ils ont délibéré pour fixer cette cotisation minimale au titre de 2012. Les montants ainsi adoptés ont pu conduire à des augmentations brutales d’imposition pour de nombreuses entreprises, TPE et PME.

Ce qui est certain, c’est que le principe de l’autonomie fiscale des collectivités a été très fortement dégradé par la réforme de la taxe professionnelle. Cette dégradation a pris des proportions différentes d’une collectivité à l’autre.

Outre l’atteinte portée à l’autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales, cette réforme a aussi conduit à une « re-centralisation » de fait, à travers un renforcement de la dépendance des collectivités à l’égard des dotations de l’État.

La principale conséquence pour les collectivités territoriales, monsieur le ministre, a été une très grande incertitude sur leurs ressources et une exposition plus importante aux aléas de la conjoncture. À titre d’exemple, selon le rapport, 87 % des ressources des régions évolueraient « selon une dynamique incertaine », car, d’une part, le produit de la CVAE risquait de stagner dans le contexte économique actuel – nous l’avions dit, nous le constatons – et, d’autre part, le produit des IFER, les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux, était assis sur des assiettes non indexées sur l’inflation.

Cette indexation a été adoptée voilà moins d’un mois, en particulier grâce à la détermination de notre rapporteur général, François Marc.

Ces conséquences nous inquiètent particulièrement en tant que représentants des collectivités locales, monsieur le ministre, car la réforme de la taxe professionnelle a renforcé les inégalités entre les collectivités territoriales, sans être pour autant l’occasion de la mise en place de dispositifs de péréquation véritablement justes et efficaces pour compenser les effets qui se font aujourd’hui pleinement sentir.

Monsieur le ministre, les effets du mode de péréquation sur les inégalités territoriales sont décrits en page 83 du rapport. La constatation qui y est faite ne peut que nous inquiéter. Il apparaît que « la CVAE est concentrée, à hauteur de 32,8 % au sein de la région Île-de-France, alors que cette région représentait "seulement" 13,3 % de l’ancienne taxe professionnelle ».

« À compter de l’année 2011, la région Île-de-France bénéficiera pleinement de la croissance de 100 % du produit de CVAE présent sur son territoire. »

Un tel constat ne laisse pas de nous inquiéter, surtout en termes de péréquation.

Pour conclure, monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur les propositions faites par le rapporteur et par la mission commune d’information, en particulier sur les objectifs en matière de péréquation ?

La suppression de la taxe professionnelle a amplifié la demande de nos collectivités locales. À cet égard, mais il est inutile d’insister, les annonces récentes et les votes intervenus à l’Assemblée nationale nous inquiètent particulièrement.

J’aimerais donc connaître votre opinion, monsieur le ministre, sur le problème particulièrement prégnant soulevé à juste titre par le rapporteur et les membres de la mission commune d’information. Nos questions appellent des réponses de votre part. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Charles Guené, rapporteur de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de la taxe professionnelle n’est pas plus un épiphénomène qu’elle n’est anodine.

Je pense que, avant de s’interroger sur ses conséquences, il est primordial d’examiner sa genèse et de mesurer le cadre dans lequel elle s’inscrit, pour voir ensuite le bouleversement qu’elle entraîne, dans nos modes de pensée comme dans la réalité de la gestion de nos collectivités.

Dans un second temps, nous jugerons de ses conséquences immédiates, des insuffisances qu’elle porte, comme des ajustements et des corrections qu’il conviendrait d’apporter, pour apprécier ensuite ce qui a été fait et ce qu’il reste à faire.

En même temps, en tant que fiscaliste, j’aimerais vous convaincre, comme me l’a appris mon maître, Maurice Cozian, que la matière fiscale n’est pas qu’un outil technique et qu’elle reflète aussi les exigences de son temps.

Tout d’abord, je rappellerai le cadre de cette réforme majeure, qui visait à supprimer la taxe professionnelle instituée en 1975. Chacun se souvient du contexte de cette suppression, ou plutôt du « remplacement » d’un « impôt insensé et imbécile » qui pénalisait l’outil industriel, un impôt devenu illisible et dont la prise en charge par l’État devenait insupportable.

Pour mémoire, cette taxe avait déjà été sévèrement « impactée » par la suppression de la part salaires, intervenue en deux temps, en 1987 puis en 1999, pour le malheur des finances de l’État, puis par la réforme et la prise en compte de la valeur ajoutée lors de deux modifications, en 1979 puis en 2006. Ces mesures introduisaient les germes de la réforme.

Portée par les seuls investissements, la taxe, ainsi que l’avait déjà révélé le rapport Fouquet, était condamnée. Elle fut, au nom de la compétitivité industrielle, sacrifiée au profit de la cotisation économique territoriale par la loi de finances de 2010, qui s’appuyait notamment sur les travaux et les consultations de la mission Durieux -Subremon.

Elle a également fait l’objet, en 2010, d’un rapport au Premier ministre de l’époque, François Fillon, dans le cadre de la mission confiée à nos collègues sénateurs François-Noël Buffet, Alain Chatillon et Charles Guené ainsi qu’à trois de nos collègues députés, et, bien sûr, du rapport sénatorial que j’ai commis sous la présidence avisée d’Anne-Marie Escoffier, alors sénatrice et aujourd'hui ministre, avec le concours de plusieurs de nos collègues, dans le cadre d’une mission sénatoriale remarquée, et peut-être remarquable. (M. le ministre sourit.)

La loi a tout d’abord eu des conséquences sur les entreprises, qui en étaient la cible privilégiée et avouée : si le tableau des entreprises gagnantes et perdantes s’est révélé plus contrasté qu’attendu, il est indéniable que l’objectif de leur rendre de la marge et, par là même, de la compétitivité, a été largement atteint. Le gain pour elles fut de l’ordre de 8 milliards d’euros.

Si 20 % des entreprises furent perdantes et si 20 % ont connu une stabilité, 60 % ont été gagnantes, avec des réductions de 30 % à 80 % pour le secteur industriel, au détriment, certes, du secteur des services, et au prix de quelques désagréments pour l’intérim.

Une analyse plus fine montrerait les imperfections du ciblage des entreprises, mais, globalement, le MEDEF lui-même admet une réduction de cinq points du poids du seul impôt économique dans le total des prélèvements.

Je pense pouvoir affirmer que, indéniablement, l’effet réel comme le ressenti des entreprises font pencher pour une réussite de la réforme, malgré certains défauts d’adéquation.

La réforme a sans doute, lors de la première année de mise en œuvre, un peu désorienté les entreprises dans leurs formalités administratives, mais l’ancien praticien que je suis pense que, avec le recul, les comptables doivent se réjouir aujourd’hui des simplifications apportées par rapport à la taxe professionnelle, laquelle était devenue une véritable usine à gaz.

La mise en place du système progressif et l’abattement à la base imaginé par le Sénat ont effectivement permis d’adapter ce projet et de lui donner la souplesse et la pertinence nécessaires, même si cela n’en a pas accru la lisibilité, je le reconnais.

À cette époque, nous avions néanmoins attiré l’attention – c’était notre proposition n° 7, comme l’a rappelé Jacques Mézard – sur la nécessité d’expliciter par voie de circulaire le dispositif de la base minimum de CFE, dispositif dont nous relevions les carences, et de renforcer les possibilités de modulation pour la rendre utilisable.

Il est parfois dommage que les bons auteurs ne soient ni entendus ni lus ! Nous en reparlerons un peu plus loin.

Nous avons en outre souligné la difficulté de mesurer, en cette période d’atonie économique, les effets du système et de sa progressivité en régime de croisière.

Si les entreprises sont toujours très friandes d’optimisation fiscale, il semble que le législateur a pu, pour l’heure, verrouiller efficacement le système.

Au total, et pour conclure sur ce volet, nous pouvons dire que le monde économique se félicite globalement de cette réforme et se réjouit tout particulièrement d’être soumis désormais à un taux national sur les bases d’une assiette plus clairement définie, qui a amélioré sa compétitivité, même si beaucoup ont avoué, et encore à l’instant Jacques Mézard, que les facteurs essentiels étaient souvent ailleurs, comme le prix de l’énergie, l’existence du crédit d’impôt recherche, la présence de logements pour les salariés, ou une position stratégique dans l’Hexagone au regard des flux d’approvisionnement et du commerce international.

J’en viens maintenant aux effets et aux conséquences de cette réforme pour l’État, suivant en cela les distinctions opérées dans le rapport.

Il est incontestable que cette réforme a eu un coût pour l’État, et l’on peut le chiffrer aux alentours de 4,5 milliards d’euros en régime de croisière. Ce coût correspond au différentiel entre les charges supplémentaires de l’État, résultant du principe de compensation, et aux diverses compensations d’équilibre mises en place – compensation relais, dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle, DCRTP.

En revanche, l’État a bénéficié de la refonte des allégements liés à la taxe professionnelle et d’un surplus d’impôt sur les sociétés. Ce différentiel eût sans doute été moindre si le Conseil constitutionnel n’avait pas annulé le dispositif des bénéfices non commerciaux, les BNC. Pour mémoire, précisons que, lors de l’année de transition, en 2010, le surcoût fut environ du double.

En outre, l’État a stoppé l’hémorragie que lui imposaient les contreparties aux collectivités locales, et c’est là son gain essentiel. Il a payé pour solde de tout compte !

À cet instant, et avant d’aborder l’impact de la réforme sur les collectivités locales elles-mêmes, il est important d’analyser comment elle a affecté la relation entre les collectivités et l’État, et en quoi ce moment constitue l’aboutissement d’une transformation beaucoup plus profonde de la fiscalité locale, en gestation depuis plusieurs décennies.

Si nous ne prenons pas la mesure du phénomène, nous risquons d’entretenir les uns et les autres un quiproquo majeur entre les acteurs publics, ainsi que s’évertuent à nous en convaincre les universitaires et les chercheurs qui s’intéressent aux finances publiques et qui nous expliquent comment la crise actuelle pourrait bien accélérer un processus allant vers « une plus grande intégration des acteurs publics locaux, nationaux et européens ».

En réalité, nous avons déjà vécu une première crise des finances publiques.

Après la Première Guerre mondiale, nos gouvernants ont eu l’idée de transférer aux collectivités locales du pouvoir fiscal afin de leur permettre de faire face à leurs besoins de développement et de reconstruction et à ceux de nos concitoyens.

Dans un premier temps, l’État a dédié des parts de fiscalité, mais ce n’est qu’avec l’ordonnance de 1959 du général de Gaulle, durant les trente glorieuses, que naît l’idée de transférer aux collectivités le levier fiscal, dans le contexte d’une perspective d’opulence.

Les textes de mise en œuvre vont s’étaler de 1975 à 1983 pour aboutir aux lois de décentralisation Defferre, alors que nous venions tout juste de changer d’époque.

En effet, en 1974-1975, c’est le premier choc pétrolier et la fin des budgets en équilibre pour la nation. Alors que les collectivités se réjouissent de la liberté fiscale acquise, ailleurs, on réfléchit déjà à de nouvelles étapes.

L’État est déjà en période de contrainte et on va assister à un chassé-croisé de mesures contradictoires, donnant l’illusion d’une autonomie fiscale, mais de plus en plus financée par l’État, à travers des dégrèvements croissants.

Il faudra toutefois attendre la charnière 2002-2004, et l’inscription de l’article 72-2 dans la Constitution, pour que l’horizon bascule. Cependant, à ce moment, le monde élu n’a pas perçu la portée de la disposition : le Gouvernement et l’administration venaient d’imposer définitivement la norme de référence. Exit l’autonomie fiscale, l’autonomie financière était née !

La réforme de la taxe professionnelle, a priori à destination des entreprises, vient porter le coup de grâce en diminuant le poids de l’économie dans la ressource locale, en figeant les taux et en réaffectant les impôts par niveaux, et souvent sous forme de part d’impôt national.

Elle exige un second pilier, la péréquation horizontale, car, si la réforme de la taxe professionnelle a réduit le poids de la richesse économique dans la ressource, elle n’en a pas moins laissé subsister les inégalités territoriales accumulées.

En même temps, la réforme permet à l’État de substituer la péréquation horizontale à la péréquation verticale, dont il était comptable, dernier verrou posé sur le dispositif, avant que ne vienne s’ajouter la rationalisation des compétences. Mais ce sera une autre histoire !

J’en ai terminé pour cet aspect. Il était important, je crois, de souligner ce double mouvement contradictoire où les élus se sont heurtés, dans leur cheminement, à la radicalisation de l’administration et des gouvernements, et où ils ont accusé un temps de retard sur l’évolution et le mouvement de l’histoire fiscale. Cela ne signifie pas que ce mouvement soit inéluctable et ne puisse être inversé. Seulement, les circonstances l’imposent pour quelques décennies. Il importe d’en prendre acte, comme l’ont déjà fait nos collègues européens.

J’aborderai maintenant les aspects pratiques de la réforme pour les collectivités locales. Mon analyse sera volontairement brève parce que, d’une part, le rapport que nous avons remis reste tout à fait d’actualité – les angoisses en moins, car nous sommes maintenant dans la vraie vie –, et que, d’autre part, c’est le volet qui a été le plus particulièrement détaillé dans les interventions aujourd’hui.

Je crois que nous pouvons réduire à leur juste mesure les craintes relatives au bouleversement matériel et à l’exactitude de la compensation à l’euro près, car les seules variations que nous subissons résultent, en réalité, des modifications législatives que nous nous imposons au fil du temps. On peut s’accorder à dire que la conséquence majeure de la réforme est le « rebasage » de la ressource sur les ménages, notamment pour le bloc communal, et sur une part d’impôt économique considérablement diminuée, qui évolue désormais en fonction de l’évolution de la richesse nationale.

Cela induit une dynamique nouvelle, corrélée à l’évolution économique et aux capacités contributives des habitants.

Nous avons dû, à cet égard, considérablement affiner les critères pour parvenir à une plus grande adéquation avec les besoins réels des territoires, pour corriger les anomalies et tenir compte du poids de l’histoire. Je ne reviendrai pas sur ce travail fastidieux, mais je listerai simplement les résultats obtenus et les axes à poursuivre sur le plan des principes et des grands aspects techniques.

Les ajustements opérés par les deux dernières lois de finances ont permis de mieux prendre en compte les établissements industriels et leur spécificité, comme leurs effectifs, et d’adopter certaines mesures préconisées dans notre rapport, comme l’indexation des IFER.

La question reste posée de la poursuite de la mise en œuvre de la péréquation, corollaire essentiel du nouveau système mis en place, car le fondement de la ressource nouvelle des collectivités et son dynamisme asymétrique exigent une appréciation de la richesse en stock, mais aussi rapportée aux charges des collectivités. Ces ajustements de correction sont l’un des chantiers essentiels du Parlement.

La prise en compte de la richesse et des besoins sur des « territoires agrégés », en même temps que l’achèvement de l’intercommunalité, est une innovation majeure en matière de solidarité.

Il importe que la montée en puissance suive les étapes fixées, mais en prenant garde au contexte contraint que nous traversons et en mesurant la part de l’effort que permettent les flux annuels.

En cela, pour ce qui concerne le bloc communal, nous pouvons apprécier que le Gouvernement ait maintenu le cap en matière de progression du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC.

Comme la répartition sur la base du coefficient d’intégration fiscale à l’échelon intercommunal, l’introduction du revenu des habitants, qui vient modifier à hauteur de 20 % le prélèvement, constitue une correction utile, apportée par la loi de finances pour 2013 au profit de certains territoires urbains.

Le champ d’appréciation des charges de centralité reste aussi ouvert. Il convient sans doute d’introduire des correctifs, en déplafonnant progressivement le prélèvement du FPIC et du Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, le FSRIF. Les spécialistes que vous êtes, mes chers collègues, excuseront, j’en suis sûr, ce jargon !

Nous devons aussi attendre que l’Île-de-France puisse ajuster son propre système, en tenant compte des besoins spécifiques et différenciés de son territoire, qui n’a pas encore, rappelons-le, opéré sa mutation territoriale.

Il reste beaucoup plus de travail sur les mécanismes de solidarité des régions et des départements, qui y ont apporté beaucoup moins d’attention que le bloc communal. Même si nous devons convenir que les parts d’impôts affectées aux départements sont sans doute insuffisantes au regard des compétences exercées, tout particulièrement en temps de crise, où les recettes sont moins dynamiques, ces collectivités auraient sans doute intérêt à faire des propositions plus concrètes à cet égard.

Sur le plan technique, je veux insister, monsieur le ministre, sur les trois pierres d’achoppement qui subsistent, qu’il importe de surmonter au plus vite.

Je pense, tout d’abord, au dossier de la CFE minimale, dont j’ai parlé plus haut, que le Gouvernement n’a pas souhaité régler définitivement dans la dernière loi de finances. Nous avons proposé un plafonnement sur la valeur ajoutée, à l’instar de ce qui existe pour les autres contribuables. Il est indispensable de le décider pour 2014, en temps utile.

Outre les corrections ponctuelles effectuées, il faut permettre à ce marqueur de retrouver une utilisation plus effective, tout en restant dans le cadre constitutionnel. Le Premier ministre vient d’adresser un courrier allant en ce sens à Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, en date du 21 janvier, dont je trouve le contenu encourageant mais insuffisamment opérationnel.

Nous devrons ensuite impérativement adapter la répartition de la CVAE, aux caractéristiques des groupes.

En effet, à l’heure actuelle, les décisions d’organisation juridique des groupes permettent de déterminer largement les lieux de répartition de la valeur ajoutée. Je ne reviendrai pas sur ce qu’a dit Jacques Mézard il y a un instant, à propos de la concentration de la CVAE sur un certain territoire...

Tant Valérie Pécresse que vous-même, monsieur le ministre, avez prétexté le besoin de simulations pour envisager d’en modifier l’approche. Je ne vois toujours rien venir, alors que nous avons parfaitement identifié le problème.

Enfin, il restera à se pencher sur la mesure des incidences de la revalorisation des valeurs locatives, dont le calendrier est désormais programmé.

Cette dernière révolution fiscale produira de nouvelles modifications sur la géographie fiscale locale. Il s’agit d’une réforme d’autant plus importante que la perte du levier fiscal impose la revalorisation permanente de la matière fiscale, de manière différenciée.

Outre les points en cours que je viens d’évoquer, je voudrais également indiquer que la mise en place d’une nouvelle fiscalité locale, qui ne s’appuie plus pour l’essentiel sur le levier fiscal, doit pouvoir bénéficier de renseignements, d’une expertise et de rapports permanents, qui ne soient pas soumis à la seule discrétion du Gouvernement.

Sans exiger d’être doté en moyens et en personnel comme le sénateur du Texas, je crois qu’il convient que le Parlement puisse disposer en permanence des simulations et des états nécessaires. À l’heure actuelle, nous devons nous en remettre à l’expertise de nos associations d’élus, qui nous fournissent des rapports de prospective. Ce n’est pas digne d’une démocratie de notre niveau, et je le dis sans remettre en cause la valeur des services administratifs du Sénat, qui réalisent un excellent travail.

Je terminerai mon intervention, moi aussi, par un peu de prospective. J’ai essayé de vous le démontrer, mes chers collègues, la réforme de la taxe professionnelle ne correspond pas seulement à une grande réforme fiscale technique. Elle doit aussi être comprise, selon la formule de Jean Bouvier, comme « le basculement tangible d’un monde quasi révolu, fondé sur une régulation par des États nationaux maîtres de leurs choix financiers, à un autre fondé sur des espaces supranationaux, intégrant des espaces territoriaux et fonctionnels à autonomie financière limitée ».

La crise que nous traversons accélère cette évolution, en poussant à une plus forte intégration des acteurs publics locaux, nationaux et européens, et à la mise en place d’outils nouveaux, comme le conseil des exécutifs hier, ou le haut conseil des territoires demain, auxquels nous devons donner force opérationnelle.

C’est l’équilibre de la société et du lien social qui est en jeu, avec une nouvelle forme de gouvernance qui intégrera démocratie, solidarité et liberté. Le seul risque que comporte l’exercice, c’est que cette intégration ne prenne la voie d’une recentralisation.

Aussi, ne nous contentons pas de considérer ce débat comme celui d’une réforme réalisée à la hâte ou souffrant d’improvisation, au prétexte que les uns ou les autres auraient failli, car, alors, le Sénat passerait à côté de l’histoire fiscale de nos collectivités.