M. Ladislas Poniatowski. C’est bien vrai !

M. Alain Chatillon. L’appui d’Ubifrance et la restructuration en cours au ministère des affaires étrangères me paraissent opportuns, car c’est un meilleur accompagnement des entreprises qui est recherché.

Il est indispensable que les pôles de compétitivité, les régions et les chambres de commerce soutiennent les ETI dans les filières susceptibles d’apporter un nouveau dynamisme à nos exportations, afin que notre balance commerciale se redresse et que le made in France nous permette de reconquérir les parts de marché que nous détenions il y a bien des années.

Permettez-moi d’insister sur l’importance du secteur agroalimentaire. Si la France a perdu la première place européenne dans ce domaine, son industrie agroalimentaire demeure puissante. Au niveau national, contrairement à ce qu’on lit le plus souvent dans les journaux, l’agroalimentaire est le premier secteur industriel : il réalise 147 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 30 milliards d’euros de valeur ajoutée. Ce secteur est également le premier pourvoyeur d’emplois industriels, avec 415 000 salariés.

Ainsi, l’agroalimentaire est l’un des atouts majeurs de notre pays. Sachons donc nous appuyer sur lui pour rééquilibrer notre balance commerciale. Je vous signale que ce secteur a réalisé 9 milliards d’euros d’excédent commercial en 2011 et que, la même année, il a contribué pour 14 % aux exportations françaises.

Monsieur le ministre, je renouvelle auprès de vous ma demande – je l’avais formulée systématiquement auprès de vos prédécesseurs – de voir le salon international de l’alimentation, le SIAL, aider les entreprises françaises à conquérir de nouveaux marchés, notamment dans les pays émergents. Aujourd’hui, le SIAL de Paris est surtout un salon touristique qui sert de tremplin aux entreprises étrangères face à quatre distributeurs français qui représentent 80 % de notre chiffre d’affaires. Autrement dit, la France est le seul pays au monde qui finance la concurrence sur son propre sol ! (M. Jean-Claude Lenoir acquiesce.)

Enfin, que dire de la politique menée par la BCE, qui a soutenu pendant dix ans un euro fort au détriment des économies européennes, à l’exception de l’économie allemande ? Pour que nos entreprises puissent exporter, nous avons besoin d’un euro plus compétitif ! L’aéronautique a payé un lourd tribut à la politique monétaire de la BCE. Essayons d’améliorer la situation.

Nous devons également corriger les défauts chroniques de notre système éducatif, qui n’a jamais établi de réelles passerelles entre le monde éducatif et le monde du travail et des entreprises. (M. Jean-Claude Carle acquiesce.) Il ne faut pas oublier que la formation professionnelle, en ajustant l’offre et la demande de compétences, est une condition essentielle du développement de la compétitivité des entreprises.

Par ailleurs, je pense, comme beaucoup, que la flexibilité du temps de travail est une nécessité absolue.

La part de l’emploi total assurée par les PME de 20 à 499 salariés est restée stable en dix ans : 53 % en moyenne du total des emplois salariés. C’est donc que les PME, même en pleine crise, ont manifesté une réelle volonté de maintenir les emplois. Sachons le reconnaître et le souligner !

Afin de favoriser l’emploi en alternance, j’avais suggéré, il y a deux ans, d’imposer aux entreprises un contrat d’emploi en alternance par tranche de trente à cinquante emplois. Cette mesure aurait permis l’entrée dans le monde du travail de 60 000 à 80 000 jeunes chaque année. Or l’expérience prouve que 70 % des jeunes en alternance restent dans leur entreprise parce qu’ils y sont bien acceptés et qu’ils se la sont appropriée. De surcroît, ce système coûterait infiniment moins cher que les emplois d’avenir, dont la plupart sont, à mon sens, sans avenir. En effet, les collectivités territoriales susceptibles d’offrir ces emplois devront elles aussi réaliser des efforts de compétitivité et alléger leurs charges.

Je poursuivrai par quelques développements relatifs au secteur du BTP et à l’artisanat.

M. le président. Mon cher collègue, il vous faut conclure.

M. Alain Chatillon. Monsieur le président, puis-je terminer mon intervention ?

M. le président. Faites-le très vite, alors, car vous avez déjà dépassé votre temps de parole de près de 50 % !

M. Jean-Louis Carrère. Vous savez peut-être gérer les entreprises, mais sûrement pas votre temps de parole !

M. Alain Chatillon. La TVA dans le bâtiment a doublé en deux ans, ce qui fait peser une menace importante sur le secteur. Songez, mes chers collègues, que 40 000 emplois vont être supprimés en deux ans !

Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, je vous rappelle que Dexia n’a toujours pas été remplacée. Les 19 milliards d’euros de financements assurés autrefois par cette banque manquent aujourd’hui aux collectivités territoriales, qui ne peuvent plus financer les emplois de proximité, notamment dans le domaine de l’artisanat et dans les petites entreprises.

Pour finir, j’abordai la question de la Banque publique d’investissement. La parité entre l’État et les collectivités territoriales, c’est très bien. Seulement, un problème se pose sur lequel j’avais déjà attiré l’attention de M. Jouyet lors de son audition, en novembre dernier, par la commission des affaires économiques : intégrer OSEO et le FSI nécessitera une assemblée générale et un audit d’évaluation. Je crois qu’on aurait pu procéder à cette fusion en deux temps.

En outre, la question du partage des responsabilités entre le ministère des finances et les régions n’est pas tranchée. La plupart des régions étant engagées aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations dans des sociétés de financement régionales, elles auront des arbitrages à faire.

Monsieur le président, mes chers collègues, je n’en dirai pas plus, car j’ai dépassé mon temps de parole. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Vous l’avez dépassé de beaucoup !

M. Alain Chatillon. Permettez-moi simplement de souligner que nous avons des décisions importantes à prendre. Monsieur le ministre, le monde de l’entreprise et les salariés attendent ces décisions ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie européenne représente un potentiel impressionnant de savoir-faire : 2,3 millions d’entreprises emploient 35 millions de salariés, qui produisent plus de 1 600 milliards d’euros de valeur ajoutée par an.

Pourtant, la crise mais aussi la mondialisation ont fortement mis à mal notre industrie. En effet, celle-ci connaît un recul qui se manifeste par des signaux particulièrement inquiétants : pertes d’emplois, stagnation de l’effort d’innovation, déséquilibres commerciaux. À titre d’exemple, au cours des dix dernières années, l’Europe a accumulé près de 1 200 milliards d’euros de déficit commercial dans ses échanges de produits manufacturés avec la Chine.

En France, nous subissons ce recul de plein fouet ; les conséquences en sont extrêmement préoccupantes pour notre économie. Heureusement, ayant pris la mesure du problème, le Gouvernement a déjà commencé de mettre en place un arsenal complet de mesures, combinant des actions d’urgence avec des actions à plus long terme. Des efforts particuliers sont réalisés en direction des PME et PMI.

La France compte 2 550 000 PME, qui représentent plus de 97 % de ses entreprises et emploient près de 7 millions de salariés. Pour ces entreprises, l’une des mesures les plus importantes prises par le Gouvernement est la création de la Banque publique d’investissement, qui permettra notamment de diminuer les conséquences des délais de paiement.

Le fait est qu’en 2011 la réduction des délais de paiement engagée depuis 2008 a malheureusement marqué le pas. C’est ainsi qu’un tiers des entreprises françaises voient toutes leurs factures réglées au-delà de soixante jours, ce qui fragilise leur situation financière.

Cependant, depuis le début de l’année, un fonds spécifique créé au sein de la BPI permet de garantir des crédits accordés par les banques privées ; les décisions sont prises totalement au niveau local, avec un délai de réponse de quelques jours. Cette décentralisation de l’action de la BPI est indispensable et particulièrement utile à nos entreprises.

Une autre piste pour aider les PME et PMI consiste à améliorer le fonctionnement du marché de l’assurance-crédit. L’assurance-crédit, qui permet aux entreprises de se garantir contre le risque de non-paiement d’une créance, peut constituer un outil efficace de protection contre les aléas économiques. Seulement, il apparaît que l’organisation de ce marché ne permet pas à l’ensemble des entreprises d’y avoir accès. Un travail doit donc être mené dans ce domaine. Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez annoncé une consultation de l’ensemble des acteurs en vue de favoriser le développement de l’assurance-crédit par le biais de contrats de filière.

Je voudrais maintenant aborder la dimension européenne de la politique industrielle, notamment les obligations légales qui pèsent sur nos entreprises par comparaison avec celles qui pèsent sur les entreprises des pays extérieurs à l’Union européenne.

Indispensable au bon fonctionnement du marché intérieur, la politique européenne de la concurrence est l’une des plus exigeantes au monde. Rares, en effet, sont les pays qui disposent d’une législation aussi restrictive en matière d’aides d’État.

Or, face au recul de l’industrie européenne, le succès du géant chinois est tout à fait impressionnant : au cours des cinq dernières années, la Chine a augmenté de 7,7 % sa part dans la production manufacturière mondiale ; cette part s’établit aujourd’hui à 21,7 %, ce qui place la Chine devant les États-Unis et l’Europe. Le fait est que les aides d’État substantielles dont bénéficient les entreprises chinoises jouent un rôle non négligeable dans ces bons résultats, tandis que la Commission européenne les encadre très strictement, et même parfois de manière obsessionnelle. La concurrence déloyale à laquelle les pays de l’Union européenne sont ainsi confrontés est incontestablement un frein pour notre économie.

Il faut exiger des pays qui adhèrent à l’Organisation mondiale du commerce qu’ils respectent les normes édictées par l’Organisation internationale du travail, voire renforcer ces exigences pour contrecarrer le dumping social.

En dépit de cette situation d’inégalité face à ses concurrents, l’Europe tente quelques réactions. Ainsi la Commission européenne s’est-elle saisie du problème de la baisse de la production industrielle en se fixant comme objectif de porter la part de l’industrie dans le PIB européen de 15,6 % aujourd’hui à 20 % en 2020. Pour atteindre cet objectif, les efforts en direction de la recherche sont absolument essentiels, car nous savons bien qu’il faut toujours avoir un temps d’avance sur ses concurrents.

Le programme Galileo, par exemple, est une formidable initiative. Ce projet de navigation par satellite présente de multiples intérêts : il met à contribution le meilleur de la recherche et de la technologie européennes dans le domaine spatial et il assurera à l’Europe l’autonomie qui lui manque pour identifier les lieux où il convient d’intervenir. Ce système aura des applications pour le sauvetage de vies après les catastrophes, la couverture de missions de la paix, la sécurité des transactions financières et, de manière massive, pour les transports en tous genres.

Galileo participe à la compétitivité internationale de l’industrie européenne dans le secteur, en pleine croissance, des services et des applications de la navigation par satellite : le marché mondial est évalué à plus de 240 milliards d’euros en 2020. Félicitons-nous donc de la réalisation de ce projet emblématique, dont les quatre premiers satellites seront lancés cette année depuis la base de Kourou. Galileo, c’est l’exemple type de ce qu’il convient de faire !

Tous les espoirs peuvent être permis à l’industrie européenne et française, mais il faut que plusieurs conditions soient réunies.

D’abord, une vraie volonté politique est nécessaire ; je pense que notre Gouvernement en fait preuve. Ensuite, il faut une détermination sans faille à mettre la finance européenne et française au service de notre économie, particulièrement de notre industrie, en condamnant fermement toute dérive spéculative. Il faut aussi une vigilance dans le soutien que nous apportons à notre tissu de PME et PMI, pour encourager les relations gagnant-gagnant avec les grosses entreprises. Enfin, il ne faut pas avoir la naïveté de soutenir la concurrence libre et non faussée sans surveiller, avec la même rigueur, le respect des droits sociaux chez nos partenaires commerciaux.

Le Gouvernement et vous-même, monsieur le ministre, ne manquez pas de volonté. Cette attitude nous convient, raison pour laquelle nous vous soutenons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg, ministre. Merci, monsieur le sénateur !

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la brièveté du temps qui m’est imparti m’obligera à être schématique ; j’espère toutefois ne pas être trop simpliste.

Mon intervention portera essentiellement sur un sujet rarement évoqué : l’intensité capitalistique croissante exigée par l’emploi industriel. Monsieur le ministre, ce phénomène couvre une période de dix à vingt années ; trois Présidents de la République, cinq Premiers ministres et quatre politiques différentes n’ont pas réussi à y faire face. Je n’ai donc contre vous aucun grief personnel. Je veux seulement attirer votre attention sur l’absolue nécessité de répondre aux besoins liés à l’augmentation de l’intensité capitalistique des activités industrielles.

Le diagnostic, très simple, a été rappelé avec beaucoup de brio par nos collègues Vincent Capo-Canellas et Alain Chatillon : l’industrie française est en recul. J’insiste sur le fait que ce recul s’observe, en termes de parts de marché, non seulement par rapport aux pays industriels, mais aussi par rapport aux seuls pays de la zone euro. Autrement dit, nous régressons alors que d’autres pays de la zone euro réussissent. Qu’on ne vienne donc pas nous dire que l’euro serait la seule explication des difficultés industrielles de notre pays !

Sur la période 1990-2012, on observe une quasi-stagnation de la productivité globale des facteurs, c'est-à-dire celle qui résulte de la combinaison du travail, du capital et de ce facteur résiduel qu’est la liberté d’initiative, la libre entreprise, avec la réglementation la plus adaptée.

On constate également un trop faible niveau des marges des entreprises industrielles françaises. Il faut le répéter inlassablement : dans la zone euro, il est de 10 points inférieur à la moyenne européenne. En effet, celle-ci est de 38 %, alors que nous sommes à 28 %, en légère régression depuis douze ans puisque nous étions à 31 %. Quand vous faites moins de marges, vous avez évidemment moins de facultés pour investir !

La part qui est consacrée en France à la recherche et développement, en pourcentage du PIB, est en apparence plus faible que, notamment, chez nos voisins allemands, auxquels nous nous comparons souvent. Cependant, en pourcentage des marges, nous sommes au même niveau que les Allemands. C’est donc bien le problème de la rentabilité des entreprises françaises qui est posé. Lorsqu’elles ont des marges suffisantes, elles peuvent investir dans la recherche. Malheureusement, leurs marges sont beaucoup plus faibles que celles des entreprises allemandes.

Enfin, toujours en ce qui concerne le diagnostic, nous avons une forte croissance de l’intensité capitalistique, c’est-à-dire le capital nécessaire pour créer de la richesse ou soutenir un emploi. Je pense profondément que cette intensité capitalistique est une chance pour notre pays, à condition, naturellement, d’y faire face et de répondre aux besoins en capitaux.

Au fond, trois lectures de cette augmentation de l’intensité capitalistique sont possibles.

Si vous me permettez de m’amuser un peu, je dirai qu’il y a d’abord la lecture marxiste classique, qui consiste à dire qu’il s’agit du rendement décroissant du capital : c’est la faillite du système capitaliste ! Je dirai simplement qu’une génération de mode de production connaît une productivité asymptotique. À un certain moment, il est nécessaire de changer de système de production, à condition, naturellement, d’avoir des partenaires politiques. Je pense, par exemple, à la production de l’énergie, qui accepte des changements de production sans s’arc-bouter sur des systèmes hors des réalités économiques.

On peut avoir une deuxième lecture, parfaitement libérale, celle qui est ancrée dans notre pays. Nous avons une intensité capitalistique plus forte en France en raison d’une réglementation de l’utilisation de l’outil de travail qui est beaucoup plus stricte et rigide, et qui demande plus de capitaux pour moins d’emplois, et cela pour une raison très simple : l’absence de flexibilité dans l’utilisation de l’outil de travail.

Quant à la troisième lecture que l’on peut faire de l’intensité capitalistique, elle relève d’une analyse à laquelle je crois profondément : le triangle vertueux dans lequel la production résulte à la fois du travail, du capital et de la libre initiative, c'est-à-dire la possibilité d’entreprendre, d’imaginer, de créer, sans être en permanence paralysé par le principe de précaution. Dans cette configuration-là, il faut accepter d’équilibrer nos atouts.

Après tout, tant pis si nous n’avons pas l’atout du coût salarial. Ce n’est pas grave ! Forçons l’atout du capital, c’est-à-dire de la très forte valeur ajoutée. Cela nécessite de lourds investissements à la fois en formation de notre main-d’œuvre – Alain Chatillon l’a évoqué – et en outils de travail. Naturellement, cela suppose que les entreprises aient un objectif de rentabilité et dégagent des marges ! En effet, monsieur le ministre, il n’y aura pas d’industrie sans capitaux, ni de réussite sans profits. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

M. Jean-Claude Lenoir. Analyse brillante et pertinente !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ce qui me concerne, j’évoquerai un secteur industriel qui, s’il n’est pas sinistré, soulève néanmoins un certain nombre de questions, je veux parler de l’industrie pharmaceutique.

Au préalable, je relève qu’au même titre que l’aéronautique, le spatial, voire l’agroalimentaire, le secteur de l’industrie pharmaceutique, en dégageant des excédents, permet de limiter en quelque sorte la « casse » quant à notre commerce extérieur.

Mais l’actualité nous rattrape ! En effet, Sanofi-Aventis, quatrième laboratoire mondial, réalise un chiffre d’affaires évoluant entre 35 milliards et 40 milliards d’euros, pour des bénéfices qui se situent entre 5 milliards et 9 milliards d’euros par an. Cette bonne santé se traduit par son placement au sein du CAC 40, où il est lancé avec Total dans une course-poursuite pour détenir la première place, que l’un et l’autre occupent alternativement.

Pourtant, on annonce une réorganisation de ce laboratoire qui serait finalisée en 2015, l’objectif avancé étant de muscler la recherche et développement, en y injectant d’ailleurs 2 milliards d’euros par an.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes si ce constat correspondait au diagnostic réalisé par les salariés de Sanofi. Or tel n’est pas le cas, c’est le moins que l’on puisse dire !

Dans le cadre de cette réorganisation annoncée, en effet, il est envisagé de supprimer 1 000 postes. Vous avez d’ailleurs, monsieur le ministre, avez fait en sorte de diminuer l’étiage en la matière puisqu’il était initialement question de supprimer 1 000 à 2 000 postes. Bien entendu, ces suppressions de postes s’accompagnent de la disparition de sites. Je note que huit ont déjà disparu en cinq ans et que, sur les neuf centres de recherche existants, quatre seulement doivent être conservés, deux d’entre eux dans la région parisienne, les autres à Lyon et à Strasbourg.

Une telle perspective, on le comprendra, ne fait l’affaire ni du site de Toulouse ni de celui de Montpellier, où seraient respectivement remis en cause 600 et 300 postes. Depuis près de huit mois, on assiste donc à une mobilisation très importante, qui du reste ne mollit pas, des employés de ces deux sites. Ils font valoir un certain nombre d’arguments très pertinents, que je ne suis pas le seul à partager.

Ils constatent d’abord que la masse des dividendes distribués aux actionnaires a enregistré une augmentation pour le moins spectaculaire puisqu’elle a doublé en dix ans ! On est fondé à se demander si, mécaniquement, ce qui va aux actionnaires est autant qui ne va pas à la recherche et développement. Mes chers collègues, cela s’appelle tout simplement la financiarisation de l’activité !

Dans le même temps, s’agissant de l’ensemble de l’industrie pharmaceutique, on observe que de plus en plus de molécules tombent dans le régime des génériques et rapportent donc moins d’argent aux laboratoires. Il arrivera même un moment où ces derniers seront en situation difficile s’ils ne se donnent pas les moyens d’avoir deux ou trois molécules d’avance. Par conséquent, de mon point de vue et de celui de nombreux observateurs, ce n’est vraiment pas le moment de baisser la garde en matière de recherche !

Notons aussi que le même laboratoire n’hésite pas à externaliser sa recherche du côté soit des laboratoires publics, soit des start-up considérées, de manière lapidaire, comme des prestataires de services, le tout, bien sûr, pour diminuer les frais fixes de recherche qui sont situés jusqu’à présent en interne. On est en droit de se demander à partir de quel moment il y aura effectivement une rupture.

Parallèlement, même s’il existe encore, au niveau de ces laboratoires, des produits phares – je pense notamment à Lantus –, on semble mettre un peu plus l’accent sur les vaccins – c’est un moindre mal ! –, les médicaments délivrés sans ordonnance, la santé animale, voire ce qu’on appelle des alicaments ; eu égard au rapprochement avec Coca-Cola, ce sont surtout des inquiétudes que ces alicaments nous permettent de nourrir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Ces inquiétudes sont d’ailleurs partagées par l’immense majorité des salariés de Sanofi. En effet, ils sont conscients non seulement des répercussions sur la stratégie industrielle de leur laboratoire, mais aussi du fait que l’on va ainsi les faire sortir de leur cœur de métier, un métier qu’ils aiment, qu’ils pratiquent avec talent, et qui consiste tout simplement à rechercher des médicaments destinés à soigner les gens.

Monsieur le ministre, quel est votre sentiment à ce sujet et, surtout, quelles sont vos intentions ? En vous posant ces questions, je n’ignore pas que, depuis maintenant huit mois, vous observez cette situation et que vous ne vous interdisez pas, il s’en faut, d’intervenir.

Il faut savoir que les laboratoires pharmaceutiques ont un sort particulier. En effet, par le biais des autorisations de mise sur le marché, les AMM, ils voient mécaniquement les produits qu’ils fabriquent remboursés par la sécurité sociale que les Français s’échinent à financer au jour le jour !

Par ailleurs, ils ont bénéficié et continuent de bénéficier du crédit d’impôt recherche. À cela s’ajoutent, s’agissant du site de Toulouse, les efforts consentis par les collectivités locales pour aménager l’Oncopôle dans les meilleures conditions. À mon sens, cela signifie très clairement que, dans ce dossier, les pouvoirs publics ont un droit, j’allais dire un devoir d’ingérence.

Monsieur le ministre, vous imaginez bien que vos réponses sont très attendues sur le site de Toulouse, qui est le plus exposé et où la colère sociale pourrait très rapidement éclater ! Les salariés ont d’autant plus raison de formuler des exigences et de demander des éclaircissements que, dans ce qui est finalement une partie de poker menteur face à la direction de Sanofi, la seule réponse qui leur est faite est qu’il n’y a pas urgence et qu’ils verront bien ce qui se passera d’ici à 2015 !

C’est dire, monsieur le ministre, avec quelle impatience nous attendons les conclusions du chargé de mission que vous avez bien voulu nommer et qui devra poser un diagnostic afin d’envisager un traitement.

Pour sa part, le groupe socialiste du Sénat a demandé la nomination d’un médiateur, afin de tenter, dans le cadre du traitement qui sera envisagé par le chargé de mission, de rassembler les points de vue des uns et des autres, le dialogue social étant aboli sur le site de Toulouse depuis maintenant huit mois !

Monsieur le ministre, je ne doute pas que vos réponses seront satisfaisantes. On a compris qu’il s’agissait, à travers cet exemple bien précis, d’un combat à moyen et à long terme concernant un problème de nature industrielle et aussi de santé publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’industrie est au cœur des débats actuels et je m’en réjouis. Le leurre d’une transition vers une économie de services semble aujourd’hui ne plus avoir cours et l’industrie est de nouveau perçue comme une source essentielle de la croissance économique, pourvoyeuse d’emplois pérennes.

En effet, le constat est sans appel : les pays qui se portent le mieux sur le plan économique sont ceux qui bénéficient d’un tissu industriel fort ; c’est vrai en Europe comme dans les pays émergents. Par là même, ce sont aussi ceux qui ont les taux de chômage les plus bas.

Force est de constater que la France n’est plus dans le peloton de tête. Pour ma part, j’identifierai quatre raisons à la fois culturelles et structurelles qui expliquent cette situation.

Premièrement, nous n’avons pas su anticiper l’évolution du capitalisme. M. Gérard Longuet a abordé ce point tout à l’heure. Au capitalisme de production, des années de croissance à deux chiffres, qui a permis l’expansion de notre économie et le plein-emploi, a succédé, depuis la fin du XXe siècle, un capitalisme de spéculation, qui est souvent générateur d’exclusion et de délocalisations. Nous avons ainsi perdu des pans entiers de notre outil de production. Il est donc urgent de déplacer le curseur de la fiscalité au profit du secteur productif.

Deuxièmement, notre société n’aime pas beaucoup l’entreprise et l’entrepreneur. La France, peut-être davantage que d’autres pays, notamment l’Allemagne, n’a pas une bonne image de l’entreprise et de l’entrepreneur. En effet, si ce dernier réussit, il est souvent objet de suspicion et de contrôles en tout genre.

De plus, notre société n’a d’yeux que pour les cols blancs, rejetant très souvent les cols bleus. De ce fait, notre système éducatif hiérarchise les voies de formation, réservant essentiellement les voies professionnelles et l’apprentissage aux jeunes en situation d’échec.

Comment s’étonner que le taux de chômage des jeunes dépasse depuis des décennies les 20 %, alors qu’il est, si j’ose dire, de seulement 7 % en Allemagne et que des entreprises du secteur industriel ne trouvent pas le personnel qualifié dont elles ont besoin ?

Troisièmement, on observe, si l’on considère le profil de notre tissu industriel, un trop petit nombre d’entreprises de taille intermédiaire et un manque d’investissements en recherche et développement.

Notre tissu industriel est composé, d’un côté, de grands groupes, dont la situation est contrastée – certains enregistrent des résultats positifs, alors que d’autres, en particulier dans le secteur automobile, rencontrent de grandes difficultés –, et, d’un autre côté, de nombreuses PME et TPE.

Mon département, par exemple, concentre plus de 800 entreprises du secteur de la mécanique et d’activités connexes. Ces PME et TPE remplissent parfaitement leur fonction de production, mais, du fait de leur structure, elles n’ont pas les moyens nécessaires pour investir dans la recherche et développement et dans la commercialisation.

Par ailleurs, lorsqu’elles sont confrontées à des problèmes de transmission, elles sont reprises par des groupes étrangers. C’est non pas l’étranger en tant que tel qui m’inquiète, mais bien l’étranger à la culture de l’entreprise. En effet, les repreneurs se comportent le plus souvent en financiers plus qu’en chefs d’entreprise, ne se souciant que du haut de bilan.

Parallèlement, nous accusons un déficit important pour ce qui concerne les entreprises de taille intermédiaire, notamment par rapport à l’Allemagne. Pourtant, les ETI conjuguent à la fois réactivité, capacité à conquérir des marchés extérieurs et innovation.

Or l’innovation est incontestablement l’un des facteurs les plus importants de la compétitivité industrielle sur le marché mondial. Force est de constater les faiblesses françaises en la matière. Tous secteurs confondus, la France ne dépose que 304 brevets par an et par million d’habitants, contre 579 pour l’Allemagne, soit 48 % de moins.

Les entreprises allemandes investissent beaucoup plus dans la recherche et le développement : 38,7 milliards d’euros, contre 14,1 milliards d’euros en France.

Quatrièmement, le coût du travail est trop élevé. Chacun le sait, c’est l’un des principaux handicaps de l’économie française. De fait, les charges sociales pèsent lourdement sur les emplois français : elles représentent un coût de 15,3 milliards d’euros. Ainsi une PME française, dans la concurrence mondiale, part avec un handicap de 14 points par rapport à ses homologues allemands.

Pourtant, la France dispose d’atouts non négligeables : une compétitivité comparable à celle qui est observée outre-Rhin, une bonne productivité du travail et des performances encore remarquables dans certaines niches à l’export.

Face à cette situation, nous devons, si nous voulons développer notre tissu industriel, privilégier quatre axes.

D’abord, il faut redonner à nos compatriotes l’esprit d’entreprendre, et faire confiance aux entrepreneurs plutôt que les suspecter.

Ensuite, nous devons adapter notre système éducatif au projet du jeune, certes, mais surtout aux besoins de notre tissu industriel.

Par ailleurs, il est nécessaire de réduire les charges fiscales et sociales pesant sur nos entreprises. (Mme Christiane Demontès s’exclame.)

Enfin, il convient de modifier le profil de notre tissu productif, en favorisant l’émergence d’entreprises de taille intermédiaire.

Monsieur le ministre, votre gouvernement doit tout mettre en œuvre pour corriger les faiblesses que j’ai décrites, dans le cadre d’une politique industrielle agressive et efficace.

Cette politique doit être fortement soutenue par l’Europe. N’oublions pas, en effet, mes chers collègues, que c’est à partir de deux secteurs industriels stratégiques – le charbon et l’acier – que de Gaulle et Adenauer ont jeté les bases de l’Europe que nous connaissons.