PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à souligner le grand mérite de Mme Archimbaud, grâce à qui ce débat a lieu aujourd'hui. Nous devons tous la remercier.

Un certain nombre d’entre nous étaient présents dans cet hémicycle lors de l’examen de la loi pénitentiaire et ont soutenu ce texte, sur l’ensemble de nos travées. Cette loi avait suscité chez nous beaucoup d’espérance et de nombreuses attentes, notamment parce qu’elle avait le grand mérite d’essayer de s’appuyer sur les règles pénitentiaires européennes, lesquelles sont des orientations fondamentales.

Trois ans et demi après le vote de la loi pénitentiaire, nous voici obligés aujourd'hui de nous pencher de nouveau sur la réalité carcérale. Et le constat n’est pas joyeux, comme le montrent le travail d’évaluation de Jean-René Lecerf et de Nicole Borvo-Cohen Seat, le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, l’excellent rapport de notre collègue député, Dominique Raimbourg, mais aussi les travaux de la Chancellerie, notamment la conférence de consensus pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive et la circulaire de politique pénale publiée en septembre dernier par Mme la garde des sceaux.

Tous ces documents vont dans le même sens. Ils mettent d’abord en lumière une évidence, qui a déjà été évoquée et dont je ne dirai donc qu’un mot : il convient, mes chers collègues, de ne jamais oublier le sens de la peine. Celui-ci n’est pas, évidemment, de priver les détenus de leurs droits. La peine doit avoir un sens pour la société, comme pour le détenu. Elle doit viser à prévenir les futures infractions, d’empêcher la récidive. Or on ne prévient pas cette dernière en retirant le droit des prisons, en supprimant les droits des détenus.

Ces documents soulignent un autre aspect, d’une portée considérable, que plusieurs orateurs, notamment Jean-René Lecerf, ont évoqué. On peut parler longuement des droits, mais si l’on ne veut pas qu’ils restent purement formels, il faut se pencher sur les conditions matérielles que connaissent les détenus.

Tous les rapports que je viens de mentionner, ainsi que les prises de position de Mme Taubira, nous le rappellent : l’aspect matériel de la question est essentiel. Tant que nous connaîtrons cet état de surpopulation pénale, les droits que la loi pourra conférer aux détenus ne seront pas véritablement exercés par eux.

Je rappellerai d’un mot la situation. La surpopulation pénale est un fait. Elle se traduit par la cohabitation de plusieurs détenus dans une même cellule, dans laquelle, parfois, des matelas sont mis à même le sol, par manque de lits.

J’aime reprendre une formule, certes un peu provocante, je le reconnais, pour illustrer ce point. Je ne comprends pas qu’un arrêté fixe la superficie des chenils et accorde à chaque chien cinq mètres carrés quand nous sommes incapables de rédiger un texte réglementant la superficie à laquelle chaque détenu a droit ! Tout ne se compare pas, bien sûr, mais ce point a pour moi quelque chose de choquant.

Si nous en sommes là, c’est que nous sortons d’une décennie d’inflation carcérale. Au cours de la période 2002-2012, le nombre des personnes placées sous écrou s’est accru de 52 % et celui des personnes détenues de 34 %. Naturellement, ces augmentations ont provoqué les plus grandes catastrophes : la promiscuité, donc, souvent, la perte du droit à la dignité, la violence, les suicides. Elles compromettent le respect des droits sociaux et sanitaires qui sont au cœur de notre discussion.

Je tiens à évoquer plus longuement trois de ces droits : le droit au travail, le droit au maintien des liens familiaux et le droit à l’intégrité physique.

En ce qui concerne le droit au travail, je rappellerai seulement que l’article 27 de la loi pénitentiaire reconnaissait déjà le principe d’une obligation d’activité. Or nous ne pouvons que regretter l’interprétation réglementaire qui en a été faite.

Dans notre esprit, le droit à l’activité signifiait essentiellement un droit à la formation, donc, évidemment, à la réinsertion. Toutefois, le décret a élargi cette interprétation. Il a considéré que les activités éducatives, certes importantes, et sportives, sans doute essentielles, entraient dans le champ du droit à l’occupation. Ce n’est pas exactement ce que le législateur avait entendu !

Le chiffre a déjà été donné – vous m’excuserez, mes chers collègues, de le rappeler –, seuls 39 % des détenus exercent aujourd'hui une activité au sein d’une prison. C’est un drame pour la réinsertion, car c’est par le travail en prison que l’on apprend à travailler en dehors de celle-ci.

C’est un drame, également, au cœur même des prisons. Dans ces lieux, l’indigence est une misère effroyable. En prison, un indigent devient l’esclave des autres prisonniers, d’une multitude de façons, que je ne décrirai pas ici. En prison, l’indigence est source d’un esclavage moderne – et encore, ce dernier adjectif semble inapproprié.

M. Alain Anziani. Pourtant, nous le savons, un tiers des détenus ne perçoivent que 50 euros par mois. Une façon d’améliorer leur lot, pour pouvoir cantiner, par exemple, est d’exercer une activité. Sans cela, un détenu n’a pas de revenus, il est à la merci des autres.

Il faut donc revoir le volume de travail, ainsi que le montant de la rémunération. François Fortassin l’a très justement indiqué, la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, issue du conseil des prud’hommes de Paris, est de la plus grande importance. Elle pose cette question simple : le droit du travail s’applique-t-il en prison ? La réponse semble contenue dans la question !

Si la décision rendue tendait à imposer l’application du droit du travail en prison, il pourrait en résulter un effet pervers extraordinaire : la fin du travail en prison. Il faut tenir compte de cette conséquence éventuelle, comme l’a justement indiqué Jean-René Lecerf.

Je voudrais maintenant évoquer devant vous, mes chers collègues, l’importance des liens familiaux pour les détenus. L’article 35 de la loi pénitentiaire affirmait le droit au maintien des droits familiaux en prison. C’est heureux, puisque la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales souligne, dans son article 8, que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ».

Une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’est pas si ancienne, puisqu’elle date de 2010, va encore plus loin. Je voudrais, d’ailleurs, que les établissements pénitentiaires l’entendent bien. La Cour européenne indique, en effet, que l’administration pénitentiaire doit aider – j’insiste sur ce verbe – au maintien des liens familiaux. Il ne s’agit pas seulement de les tolérer, dans le sens où la loi actuelle le prévoit. Or c’est loin d’être le cas aujourd’hui.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne dit pas autre chose. Il dresse sur ce point un bilan alarmant. Dans les premiers mois, en général avant la condamnation, les visites sont assez fréquentes. Un point m’a beaucoup frappé d'ailleurs : les visites sont plus importantes pour les hommes que pour les femmes. (Mmes Esther Benbassa et Corinne Bouchoux acquiescent.)

D’une façon générale, je suis d’accord pour dire que la situation des femmes en prison est pire que celle des hommes.

Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait !

M. Alain Anziani. Ensuite, plus la peine est longue, moins les visites sont fréquentes. Un tiers des visites sont ponctuelles, les visites régulières étant donc encore moins nombreuses.

Cette situation s’explique par l’éloignement des centres de détention. À cet égard, les chiffres sont très significatifs. Ils nous apprennent, en effet, que 16 % des détenus d’un centre de détention sont issus du département où celui-ci se trouve. Seulement 16 % des familles, donc, en sont proches. Pour les maisons centrales, lieu où les détenus purgent leur peine, le chiffre tombe à 6 %.

Les familles sont donc très éloignées du détenu. Le lien familial s’en trouve, évidemment, compromis. Il l’est également parce que les visites sont trop souvent limitées au week-end, parce qu’elles sont de courte durée – trente minutes pour la plupart d’entre elles –, et parce que le retard des familles à un rendez-vous est parfois puni. S’il y a retard, il n’y a pas de visite ! Tout cela, sans doute, n’incite pas les familles à faire tous les efforts nécessaires pour voir leurs proches, car ils sont, pour elles, trop difficiles à accomplir.

J’irai plus vite sur mon dernier point, qui est relatif au droit à l’intégrité des détenus.

Le droit à l’intégrité, ce n’est pas rien ! Il se décline, tout d’abord, dans le droit à ne pas faire l’objet de violences. Or la prison est le théâtre des plus grandes violences. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)

Il comprend, ensuite, le droit à ne pas se suicider. Or la France est un des pays européens où l’on se suicide le plus en prison.

Il recouvre, enfin, un autre droit, qui m’a été signalé par Maryvonne Blondin. Un vrai problème se pose, en effet, pour les transsexuels en prison. Ceux-ci sont peu nombreux, vivent dans la misère en dehors de la prison et dans une misère encore plus grande à l’intérieur de ses murs. On ne sait pas dans quelle prison les placer. Le choix se fait sans doute sur des critères qui n’ont rien à voir avec leur situation. Il se fait probablement sur la base de leur état civil, qui est erroné. Le traitement hormonal n’est, en outre, pas administré en prison.

Le droit à l’intégrité enveloppe également le droit de se faire soigner en prison. L’article 46 de la loi pénitentiaire insiste sur « la qualité et la continuité des soins » donnés aux personnes détenues. On connaît les disparités existant entre les territoires et selon les types de soins. J’insisterai sur la question des handicapés en prison. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.) Leur situation requerrait une adaptation des règles de sécurité. C’est un vaste chantier qui, certainement, attend Mme la garde des sceaux.

Enfin, un détenu n’a pas le droit de voir sa maladie mentale reconnue. (Mmes Esther Benbassa et Corinne Bouchoux acquiescent.) Sur ce sujet, les chiffres diffèrent. Selon la commission des lois et la commission des affaires sociales, quelque 10 % des détenus ont besoin d’une assistance psychiatrique. L’Observatoire international des prisons, l’OIP, donne un chiffre plus important, autour de 20 %. Pour la Cour des comptes, qui a publié un rapport sur ce sujet, pas moins d’un tiers des prisonniers auraient besoin de cette assistance.

Le paradoxe, c’est que, d’un côté, nous connaissons une surpopulation pénale, et, de l’autre, certains détenus n’ont rien à faire en prison ! Un des moyens d’éviter la surpopulation serait de retirer ces personnes de prison. Il faudra, évidemment, aménager des lieux qui leur conviendront mieux. En tout cas, cela me semble tout à fait nécessaire.

Sur ce point, comme souvent, d’ailleurs, la justice – le tribunal administratif, d’un côté, le juge judiciaire, de l’autre – est le moteur des droits des prisonniers. Dans une décision intéressante de janvier 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Douai a accordé une provision à un jeune schizophrène, car ce dernier n’avait pas pu bénéficier des soins adaptés à son état. Le juge des référés a donc estimé qu’il y avait une provision à allouer au titre de son préjudice. Même si nous connaissons la portée limitée de ce type de décision, un tel jugement me paraît intéressant. Il faudra voir le sort qui lui sera réservé par la suite.

Pour terminer, je voudrais reprendre mes propos liminaires. On peut toujours parler des droits. Il le faut, d’ailleurs, et il est heureux que cette question ait été posée. Cependant, il est nécessaire d’aller au-delà. M. le ministre le sait bien, il faudra sans doute lancer le chantier d’une nouvelle loi pénitentiaire, qui tienne compte des exigences de la société – ne soyons pas naïfs – comme de celles de la réinsertion, à savoir l’application de véritables droits en prison. Il faudra également moderniser les prisons. Non pas forcément en construire plus – c’est un vaste débat ! –, mais faire en sorte que les centres de détention existants permettent d’assurer le maintien des liens sociaux, un travail et l’accès à la santé.

Il faut, surtout, selon moi, une politique pénale différente de celle que nous avons connue ces dernières années. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame Archimbaud, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme la garde des sceaux, actuellement retenue à Matignon, vous prie de bien vouloir excuser son absence. Celle-ci m’aura permis de représenter le Gouvernement et de participer à un débat de qualité, qui fut particulièrement intéressant. Je tiens, d’ailleurs, à saluer l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés.

Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme la garde des sceaux partage la conviction selon laquelle la mise en œuvre des droits sanitaires ou autres des personnes détenues, ainsi que l’accès à une activité, sont une absolue nécessité pour garantir la réinsertion des personnes, prévenir la récidive et, par conséquent, éviter de nouvelles victimes.

Il s’agit de l’un des axes forts de la politique qu’elle mène depuis sa nomination au Gouvernement. Elle aura, d’ailleurs, l’occasion de discuter de l’application de la loi pénitentiaire et des sujets liés à l’administration pénitentiaire lors du débat organisé par le Sénat le 25 avril prochain, auquel elle m’a indiqué qu’elle participerait personnellement.

Toutefois, elle m’a d’ores et déjà chargé d’apporter un certain nombre de réponses et d’orientations aux questions que vous avez pu lui poser.

La loi pénitentiaire a été votée sous l’ancienne majorité, mais avec le soutien de l’opposition de l’époque, qui s’y était ralliée en raison d’un certain nombre d’avancées significatives dans la prise en charge des personnes détenues.

Force est toutefois aujourd’hui de constater que cette loi a été en partie vidée de son sens par la mise en place de mécanismes d’incarcération automatiques et par l’absence totale de prise en compte des publics sous main de justice, de manière spécifique dans les politiques publiques, durant des années, suscitant l’exclusion des personnes suivies par la justice d’un certain nombre de dispositifs liés à l’emploi, à la formation, au logement ou à la santé.

Le processus législatif n’a d’ailleurs pas été mené jusqu’à son terme, puisque la précédente majorité, en près de trois ans, n’a pu publier les trois derniers décrets d’application, qui portent sur des sujets particulièrement complexes, il faut le reconnaître, et sur lesquels le ministère de la justice travaille aujourd’hui activement.

Je répondrai maintenant plus précisément à vos interrogations.

Vous avez questionné le Gouvernement sur la formation professionnelle. L’accès à la formation est un droit et une nécessité pour une prison digne de la République. Quoi de plus gratifiant pour une personne condamnée que de montrer qu’elle est capable d’obtenir un diplôme et d’être davantage utile à la société dans laquelle elle va retourner, surtout quand on sait que la majorité des personnes détenues ont un niveau de formation très faible ?

Environ 700 actions de formation professionnelle sont aujourd’hui offertes aux personnes détenues, et plus de 28 000 personnes en ont bénéficié en 2012, soit une augmentation de 9,6 % par rapport à 2011.

La première des pistes nouvelles est l’expérimentation de la décentralisation en matière de formation menée dans deux régions – Aquitaine et Pays de la Loire –, sur la base de l’article 9 de la loi pénitentiaire. Les premiers éléments qui nous ont été communiqués tendent à dresser un bilan très positif de l’expérience. Il semble toutefois important à Christiane Taubira de disposer une analyse plus fine des premiers résultats.

Une inspection commune de l’Inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ, et de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, devrait donc être ordonnée dans les semaines qui viennent.

Au-delà de cet axe fort, qui permettra une amélioration de l’offre et de la formation, il importe d’inciter les personnes à s’inscrire à une activité de formation professionnelle adaptée à leur parcours d’exécution de peine. L’administration pénitentiaire développe en ce sens des procédures d’accueil-information, puis de bilan, d’évaluation et d’orientation dès l’arrivée de la personne en détention. Une information continue et l’accès à l’information tout au long de la période d’incarcération sont également accessibles au public incarcéré.

S’agissant du travail, certes, de plus en plus de Français connaissent le chômage. Néanmoins, le droit à travailler et à pouvoir contribuer à la marche de la société, la possibilité de gagner de l’argent, de rembourser les victimes et de faire des cadeaux à ses enfants malgré sa condition de condamné devant assumer sa dette vis-à-vis de la société sont essentiels. Ils sont primordiaux pour demeurer un citoyen, pour devenir ou pour rester autonome, pour se réinsérer en sortant de prison et pour ne pas récidiver.

En moyenne, chaque mois, plus de 25 000 personnes détenues exercent une activité rémunérée en 2012. Les chiffres sont encore en légère augmentation par rapport à 2011. Le taux d’activité global des personnes écrouées s’est élevé à 37,7 %, variant selon le type d’établissement : 28,4 % en moyenne en maison d’arrêt et 52,6 % en moyenne en établissement pour peine.

La question du travail en détention est complexe, comme le prouvent à la fois l’actualité et les décisions parfois contradictoires rendues par les différentes juridictions saisies. Ce dernier point a été rappelé par beaucoup d’entre vous.

La Cour de cassation vient, en tout état de cause, de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel pour s’assurer de la constitutionnalité des dispositions relatives au travail en détention contenues dans la loi pénitentiaire.

La loi pénitentiaire a modifié sensiblement les conditions du déroulement de l’activité de travail, en particulier en ce qui concerne l’engagement des personnes détenues et les modalités de leur rémunération. Elle prévoit, notamment, la formalisation de la relation de travail entre l’établissement et la personne détenue par l’intermédiaire d’un acte d’engagement, ainsi que la rémunération horaire.

La mise en œuvre de ces nouvelles dispositions, tout à fait légitimes, est cependant délicate, car elle est susceptible d’avoir un impact important sur le coût du travail pénitentiaire pour les entreprises qui interviennent dans les établissements, ce qui pourrait se traduire par un désengagement de leur part dans un contexte de crise économique particulièrement aiguë.

Aussi est-il important de concilier les changements qui vont s’imposer avec la préservation du développement du travail pénitentiaire.

La garde des sceaux a donc demandé à l’administration pénitentiaire d’engager une réflexion approfondie sur ces points avec les partenaires traditionnels que sont les prestataires des établissements en gestion déléguée et les concessionnaires, notamment, mais aussi de dégager de nouveaux axes d’intervention.

De premières pistes apparaissent. Tout d’abord, la loi pénitentiaire a déjà prévu l’intervention des structures par l’insertion économique. Ce système n’avait pu être mis en place jusqu’ici, en particulier pour des raisons liées au montant de l’aide au poste. Le Gouvernement a réaffirmé sa volonté de concrétiser ce dispositif dans les meilleurs délais à l’occasion du plan de lutte contre les exclusions ; Christiane Taubira y travaille avec Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Une autre piste est la recherche de nouveaux partenaires dans le monde de l’entreprise. Plusieurs propositions sont actuellement à l’étude.

Enfin, dernière piste, les mutations sectorielles de l’économie conduisent l’administration pénitentiaire à développer le travail en secteur tertiaire au sein des établissements.

Comme vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas question pour la ministre de la justice de rester inactive sur ce sujet majeur et d’attendre de voir comment les choses évoluent. C’est au Gouvernement de prendre des initiatives et de faire preuve d’imagination. Nous savons pouvoir compter sur les propositions des parlementaires pour nous aider à avancer.

En ce qui concerne la production d’un rapport sur les droits à la retraite du public détenu prévu par l’article 94 de la loi portant réforme des retraites du 9 novembre 2010, la garde des sceaux n’a pas encore été destinataire du résultat du travail mené par le ministère des affaires sociales et de la santé sur les bases des informations que le ministère de la justice a pu lui transmettre.

Néanmoins, il est évident que ce travail sera poursuivi. C’est d’ailleurs ce que fait d'ores et déjà l’administration pénitentiaire, en lien avec la Caisse nationale d’assurance vieillesse.

S’agissant des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, Christiane Taubira veut leur permettre d’assumer leurs fonctions auprès des personnes détenues dans les meilleures conditions. Cela passe par la préparation des procédures d’aménagement de peine, bien sûr, mais aussi par l’accompagnement des personnes détenues, en lien avec le personnel de surveillance, vers les activités, c'est-à-dire, en premier lieu, du travail, de la formation et de l’enseignement, mais aussi de la culture et du sport.

Quelque 3 820 personnels d’insertion et de probation étaient en exercice pour accomplir toutes ces missions, ainsi que celles de suivi en milieu ouvert, en 2012. Vous le savez, dans un contexte budgétaire pourtant contraint, la garde des sceaux a décidé de recruter dans ce secteur. 63 nouveaux emplois de conseillers d’insertion et de probation ont été inscrits dans la loi de finances pour 2013.

Il convient d’ajouter à ce chiffre le recrutement en 2013 de 88 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation placés, de 20 psychologues et de 18 assistantes sociales de secteur, aux fins d’assurer un meilleur accompagnement et suivi des personnes détenues et de faire de l’emprisonnement une période utile, tournée vers la préparation de la sortie.

Je dirai un mot des structures de santé. Depuis la loi de 1994, le ministère des affaires sociales et de la santé a compétence en matière d’organisation, de crédits et d’affectation des personnels soignants au sein des établissements pénitentiaires.

L’inégalité entre les régions que vous dénoncez est cependant une réalité, qui peut avoir pour origine, notamment, l’installation d’établissements pénitentiaires dans des zones géographiques où les installations médicales et sanitaires sont peu nombreuses. C’est particulièrement vrai outre-mer.

La ministre de la santé a déjà lancé un vaste programme pour faire venir les médecins dans des zones jusqu’ici désertées au travers du « Pacte territoire-santé ». La ministre de la justice poursuivra ce travail avec Marisol Touraine, par exemple lors des comités santé-justice.

En ce qui concerne l’action spécifique du ministère de la justice, il convient de noter que l’administration pénitentiaire et la direction générale de l’offre de soins travaillent conjointement à la mise en œuvre et à l’optimisation d’une série de dispositifs permettant une meilleure prise en charge sanitaire des publics sous main de justice : hospitalisations dans les établissements hospitaliers de rattachement, mais aussi dans les unités hospitalières sécurisées interrégionales ; soins psychiatriques dispensés dans les centres hospitaliers spécialisés et dans des unités hospitalières spécialement aménagées dont le déploiement se poursuit sur le territoire ; restructurations et extensions des locaux des UCSA, les unités de consultation et de soins ambulatoires, chaque fois que l’architecture des bâtiments le permet et, dans tous les cas, sur les nouveaux établissements pénitentiaires.

Le plan de lutte contre les exclusions présenté par le Premier ministre a enfin permis d’inscrire des mesures concrètes en faveur des publics suivis par la justice, que ce soit par la mise en place de permanences en addictologie dans les établissements pénitentiaires, par exemple, ou encore par la désignation de référents justice dans les structures de soins ou médico-sociales, pour faciliter les admissions dans ces établissements et permettre ainsi une continuité des suivis.

J’en viens enfin aux difficultés particulières que rencontrent les personnes détenues handicapées ou malades.

L’accueil des personnes handicapées en milieu carcéral fait bien évidemment l’objet d’une attention particulière des services du ministère de la justice. Celle-ci se manifeste notamment sur le plan immobilier, avec la mise en service de cellules plus grandes et plus adaptées pour les personnes handicapées dans les établissements déjà sortis de terre, par exemple pour la rénovation de Fleury-Mérogis, et dans tous les programmes en préparation : entre 2 % et 3 % de cellules aménagées selon la taille des établissements.

Néanmoins, au-delà de l’aspect immobilier, Christiane Taubira souhaite également améliorer l’accompagnement humain des personnes malades ou souffrant de handicap. Tel est d’ailleurs l’enjeu du comité interministériel sur le handicap que M. le Premier ministre a mis en place et sur lequel les services du ministère de la justice travaillent déjà.

Ainsi, l’administration pénitentiaire veille par exemple à ce que les personnes détenues souffrant de handicap aient accès à des activités adaptées, en partenariat avec les fédérations sportives, mais aussi avec des structures proposant des activités d’ergothérapie, de musicothérapie, entre autres.

L’accompagnement, ce sont aussi les conventions qui sont signées avec une quarantaine d’associations et d’entreprises de services d’aide à domicile et de services de soins infirmiers à domicile pour permettre leur intervention en détention. À ce titre, Mme la garde des sceaux a demandé à l’administration pénitentiaire de lancer une vaste enquête dans les 191 établissements pénitentiaires pour disposer d’un état des lieux, jusqu’ici inexistant.

Et quand l’état de santé d’une personne n’est plus compatible avec son maintien en détention ou quand son pronostic vital est engagé, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de lui permettre de se soigner dans des conditions dignes ou de terminer ses jours près de ses proches. Or, on le constate, la procédure d’aménagement de peine ou de suspension de peine pour motif médical est complexe et longue. S’il est indispensable de s’assurer que la personne concernée ne commettra pas de nouveaux faits, une telle prudence ne doit pas aboutir à laisser des gens mourir en détention.

C’est la raison pour laquelle Christiane Taubira et Marisol Touraine ont mis en place deux groupes de travail sur la thématique « santé-justice », le premier portant sur la réduction des risques en milieu carcéral et le second sur les suspensions et aménagements de peine pour motif médical. Les premières conclusions de ces groupes de travail seront remises à la mi-avril 2013 et les deux ministres présideront un comité « santé-justice » à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai prochain pour présenter leurs premières orientations sur ces sujets.

Encore une fois, vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est mobilisé sur ces problématiques complexes, qui touchent à la fois au respect de la dignité, à la citoyenneté, à la réinsertion et, au final, à la place que la société fait aux personnes ayant commis des fautes.

À la société de clivages et d’exclusion qu’on a voulu nous imposer au cours de la dernière décennie, nous voulons répondre par une société de l’inclusion, qui punit ceux qui le méritent, mais qui aide ceux qui le veulent à se réintégrer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Jean-René Lecerf applaudit également.)