M. Francis Delattre. Par un petit goulag ?

M. Pierre Laurent. … par la mise en place d’une véritable sécurité sociale de l’emploi et de la formation.

Mes chers collègues, l’heure est bien au choix, ce qu’il se passe jour après jour le démontre. Le pays attend un tournant. L’heure est à un choix qui soit la marque de fabrique d’une politique et d’un quinquennat.

Pour notre part, c’est dans la fidélité à nos engagements de gauche, de défense des salariés et de leurs conditions de vie, que nous abordons ce débat. En repoussant ce projet de régression, en faisant de très nombreuses propositions alternatives pour en changer la nature et le sens, nous voulons ouvrir des brèches avec tous ceux qui souhaitent rebattre les cartes à gauche et donner vraiment le coup d’envoi du changement.

Nous sommes en cela fidèles à l’avis de très nombreux syndicalistes de notre pays. Puisque vous les avez qualifiés de minoritaires, monsieur le ministre,…

M. Michel Sapin, ministre. Ce sont les élections qui en ont décidé ainsi !

M. Pierre Laurent. …, je rappelle simplement qu’il s’agit de deux des trois plus grandes organisations syndicales françaises, notamment de la première d’entre elles. On peut toujours les qualifier de minoritaires. Nous, nous considérons que leur voix doit être écoutée dans cet hémicycle, et nous la porterons ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je l’ai bien lu, ce projet de loi est un texte de mobilisation pour l’emploi et de lutte contre le chômage. Mobilisation pour l’emploi, soit, mais pas guerre… au chômage !

En effet, à regarder les choses d’un peu plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un projet de facture libérale standard : l’origine essentielle du chômage n’est pas la faiblesse de la demande mais la rigidité du marché du travail. Cela fait trente ans que, de gouvernement en gouvernement, on nous ressert le même plat, avec le succès que l’on sait : un taux de chômage de bientôt 11 %. Mais qu’importe !

Officiellement d’ailleurs, ce n’est pas un plan de relance de l’emploi, mais de « sécurisation » de l’emploi.

Attention toutefois, nous avertit l’exposé des motifs, ce projet de loi n’est pas la énième tentative de « flexisécurisation » - vous me passerez ce néologisme – des relations de travail en France : « Son sens n’est pas un “échange” entre “flexibilité pour les entreprises” et “sécurité pour les salariés” ou, à l’inverse, entre “flexibilité pour les salariés” et “sécurité pour les entreprises”, il est l’affirmation d’un nouvel équilibre où l’un et l’autre des acteurs gagnent en sécurité sans perdre en capacité d’adaptation et de mobilité. »

En un mot, l’accord qu’entend graver dans le marbre de la loi le présent texte est un accord « gagnant-gagnant ». Voyons cela.

Dans la colonne « travailleur gagnant », que trouve-t-on ?

Premièrement, la généralisation de l’assurance complémentaire à tous les travailleurs, sans que soit d’ailleurs défini le contenu exact de la couverture minimale soumise à négociation collective et/ou à un décret, employés et employeurs se partageant son coût. Il est à craindre un alignement sur la CMU-C, ce qui ne représenterait tout de même pas une avancée considérable...

Deuxièmement, l’introduction de « droits rechargeables » dans le cadre du régime d’assurance chômage et d’une aide financière aux bénéficiaires de contrats de sécurisation professionnelle, la définition des modalités de financement des dispositifs étant renvoyée à des négociations ultérieures.

Troisièmement, diverses mesures relatives au travail précaire ou à la sécurisation des parcours professionnels. Citons, en particulier, la possibilité de moduler les cotisations patronales pénalisant les contrats de travail les plus courts. Les cotisations patronales s’en trouveraient augmentées de 110 millions d’euros – ce chiffre relativise l’impact de la mesure ! –, à comparer aux 150 millions d’euros d’aide à l’embauche de jeunes âgés de moins de vingt-six ans en CDI.

Notons aussi l’amélioration de l’information, des capacités d’expertise et des modalités de consultation des instances représentatives du personnel. Dans les très grandes entreprises, leurs conseils seraient ouverts, selon leur taille, à un ou deux représentants du personnel.

Dans la colonne « employeur gagnant », on retrouve évidemment la flexibilité.

Premièrement, accords de maintien dans l’emploi, mais en échange d’une baisse de salaire et/ou d’une augmentation du temps de travail. Le salarié qui refusera pourra être licencié sans contestation possible du licenciement, tenu pour économique. C’est la grande mesure de « modernisation », envisagée d’ailleurs par le précédent Président de la République. C’est peut-être cela, la continuité de l’État…

Deuxièmement, modification des règles du licenciement économique, permettant de déroger, sous certaines conditions, au droit du travail actuel.

Troisièmement, simplification des règles de réorganisation interne sans licenciement... à condition, toutefois, que le salarié accepte ce qui lui est proposé. Dans le cas contraire, il pourra être licencié pour motif personnel.

Quatrièmement, raccourcissement à deux ans des délais de prescription, actuellement de cinq ans, pour les contestations en justice portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail.

Bilan simplifié de ce « gagnant-gagnant » : les salariés bénéficient de la généralisation a minima de l’assurance complémentaire et des dispositions qui, sans remettre en cause le travail précaire, améliorent la condition de ceux qui le subissent. Les employeurs bénéficient du reste !

Certaines mesures, comme l’accompagnement de la mobilité, bénéficient aux deux partenaires, d’autres, comme les possibilités d’« accords de maintien dans l’emploi » à un seul : l’employeur.

Ainsi, dans les accords gagnant-gagnant, tout le monde gagne, mais certains perdent un peu plus que les autres !

En conclusion, ce projet de loi constitue un exercice de flexisécurité à prix cassé : il introduit plus de flexibilité que de sécurité. Je dis « à prix cassé », car la sécurité a un coût. Ainsi, en 2009, les Danois y ont consacré 3,2 % de leur PIB, alors que le taux de chômage s’élevait à 6 %. La même année, la France accordait à la sécurité 2,4 % de son PIB, alors que son taux de chômage atteignait 9,5 %.

Mes chers collègues, d’excellents objectifs ne suffisent pas à faire une bonne loi ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean Desessard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté porte un titre ambitieux : la sécurisation de l’emploi. Si nous nous arrêtions là, nous pourrions le voter de façon unanime. En effet, qui pourrait être opposé à la sécurisation de l’emploi ?

Cependant, je crains que, derrière cet objectif louable, les mesures censées permettre de l’atteindre ne soient pas à la hauteur des enjeux.

Le présent projet de loi aura des conséquences sur notre conception de l’emploi, la formation, l’accès à la santé. La complexité et la technicité de ce texte ne nous font pas oublier les valeurs fortes qu’il remet en cause.

Je parle de « projet de loi », mais peut-être serait-il plus juste d’employer le mot « accord ». Les parlementaires ne sont-ils pas censés ratifier « tout l’accord, rien que l’accord », pour paraphraser une haute voix politique de notre pays ?

Comme l’a très bien indiqué mon collègue Jean Desessard, qui s’est beaucoup investi sur ce texte – il m’est d’ailleurs bien difficile d’intervenir après lui, tant il a su capter l’attention de l’hémicycle ! –, les syndicats doivent prendre une plus grande place dans la gouvernance du monde du travail. Pour autant, le Sénat ne devrait pas être la chambre d’enregistrement des décisions prises par les partenaires sociaux, leur opinion à propos d’un texte fût-elle majoritaire.

Avant d’aborder le détail du présent projet de loi, je souhaiterais que l’on se demande quelle vision stratégique il reflète.

S’il s’agit d’accroître la flexibilité, bien que le mot ne figure pas dans le texte, pour pouvoir user des travailleurs afin de dégager de supposés gains de compétitivité, s’il s’agit d’individualiser le rapport du salarié avec son entreprise, s’il s’agit de remplacer peu à peu la sécurité sociale par des assurances privées, autant vous le dire : le groupe écologiste ne cautionne nullement ces objectifs.

M. Jean-Jacques Mirassou. Nous non plus !

M. Michel Sapin, ministre. Oh !

M. Jean-Vincent Placé. J’en conviens, monsieur le ministre, telle n’est pas votre intention, mais nous sommes là pour débattre et le débat permet à chacun de clarifier ses positions.

L’économie est au service de l’emploi, et non l’inverse. Certes, il existe un problème en matière d’emploi en France, personne ne peut le nier : le chômage atteint le pic record de 10,6 % et concerne 25,7 % des jeunes âgés de quinze à vingt-cinq ans. Mais qui peut croire que c’est en précarisant le marché du travail, en le rendant plus flexible, c’est-à-dire en rendant le licenciement plus facile et moins coûteux, que nous allons créer un seul emploi supplémentaire ?

M. Michel Sapin, ministre. Nous faisons le contraire !

M. Jean-Vincent Placé. Quelle philosophie peut conduire à le penser ? Qui peut m’affirmer qu’un salarié seul face à son employeur sera gagnant lors de la négociation de ses droits ?

Il a fallu beaucoup de temps aux syndicats pour obtenir des acquis sociaux protecteurs. Aujourd’hui, nous sommes en train de détricoter ces avancées une à une, et je le regrette profondément.

Je crois que, pour relancer l’emploi, il serait plus judicieux de développer les filières d’avenir dans le secteur du développement durable,…

Mme Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Mais ce texte ne l’empêche en rien !

M. Jean-Vincent Placé. … d’adapter l’offre de formation, de simplifier les démarches administratives lors de la création d’une entreprise, de faire confiance aux jeunes et aux formes alternatives d’économie, telle que l’économie circulaire, au lieu de renier les droits des salariés.

Le dogme de la flexibilité à tout prix : très peu pour nous !

Mes chers collègues, ne vous méprenez pas : les membres du groupe écologiste ne rejettent pas abruptement le projet de loi en bloc. Certaines mesures visant à améliorer la situation des salariés peuvent aller dans le bon sens, à condition, bien sûr, qu’elles soient opérationnelles.

À cet égard, je citerai la lutte contre le temps partiel subi et l’éclatement des horaires au cours de la semaine, la taxation des CDD et l’incitation à la conclusion de CDI pour les jeunes âgés de moins de vingt-six ans, les droits rechargeables à l’assurance chômage, même si cette mesure semble fragile, par manque de financement, ainsi que les acteurs patronaux le reconnaissent eux-mêmes.

Je pense aussi à la complémentaire santé pour tous, prise en charge à 50 % au minimum par l’employeur. Toutefois, sur ce point, comme l’a rappelé Jean Desessard, les écologistes seront très vigilants, car nous ne souhaitons pas voir le modèle de la sécurité sociale se désagréger au profit d’un système privé de la santé.

Mme Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. C’est un autre débat !

M. Michel Sapin, ministre. C’est justement ce que nous voulons éviter !

M. Jean-Vincent Placé. Je sais, monsieur le ministre, que telle n’est pas l’intention du Gouvernement.

Globalement, j’observe un déséquilibre entre les avancées et les reculs. C’est d’ailleurs pour cela que les écologistes ont qualifié le présent texte de « déséquilibré ».

Je vois des reculs dans la mobilité contrainte, dans les licenciements facilités, dans la réduction des délais de prescription des actions en justice – ce point est loin d’être secondaire –, dans le changement des clauses du contrat imposé au salarié, dans la diminution des marges de manœuvre des comités d’entreprise, avec des délais plus contraignants et des coûts supplémentaires... C’est une réalité soulignée par l’ensemble des cabinets d’experts, même si nous ne sommes pas spécialement à l’écoute de ce lobby. En tout cas, il est important que les salariés puissent faire part de leur sentiment à l’égard des différents plans que leur présente le patronat.

Même si je sais que cela ne vous fait plaisir, monsieur le ministre, je veux rappeler ceci : le fait que M. Borloo et les centristes, comme le MEDEF, qui fait en sorte que l’approbation du texte qui nous est soumis se déroule dans les meilleures conditions possible, se soient autant réjouis des termes de l’accord, le qualifiant d’ailleurs non pas de « bon » mais de « très bon », voilà qui donne tout de même une certaine connotation à ce projet de loi !

En l’état actuel de sa rédaction, ce texte ne nous semble pas du tout satisfaisant ; il nous paraît même inquiétant. C’est pourquoi nous avons tenu à déposer des amendements, dans une démarche que nous voulons constructive. Puisque nous siégeons au Parlement, notre fonction est bien de légiférer.

Tout d’abord, il nous a semblé essentiel de sécuriser les droits individuels des salariés. À cet égard, nous souhaitons améliorer l’accès à la prévoyance dans le cas de CDD successifs, supprimer le licenciement économique individuel, supprimer ou mieux encadrer les avenants aux contrats de travail à temps partiel, qui plongent le salarié dans une réelle insécurité juridique. Nous voulons également prendre en compte la situation des stagiaires quant à la complémentaire santé.

Il importe aussi de conforter les institutions représentatives du personnel. Nous proposons donc de revoir les délais imposés aux comités d’entreprise et de supprimer la discrimination entre les grands et les petits comités d’entreprise, qui disposent de peu de moyens. Nous proposons en outre de créer, pour le comité d’entreprise, un droit de veto suspensif en ce qui concerne les modalités d’accompagnement dans le cadre des licenciements collectifs.

Par ailleurs, nous souhaitons mieux informer les sous-traitants dans le cadre des accords de gestion prévisionnelle de l’emploi et de compétences – GPEC, dans le jargon –, promouvoir le dialogue territorial entre les partenaires sociaux et intégrer la dimension environnementale dans l’entreprise, via la base de données prévue à l’article 4, relatif aux nouveaux droits collectifs en faveur de la participation des salariés. Vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues, que ce dernier point fasse partie des préoccupations des écologistes !

Je ne détaillerai pas en cet instant les mesures que comportent nos soixante amendements. Jean Desessard et moi-même aurons l’occasion de le faire lors de l’examen des articles. Mais, vous l’aurez compris, nous souhaitons que le projet de loi soit rééquilibré en faveur du salarié, faute de quoi les écologistes ne pourront pas le voter.

Les salariés ne sont pas la variable d’ajustement de la compétitivité des entreprises. Derrière le mot « salariés » se trouvent des femmes et des hommes qui ont une vie, des contraintes et des droits inaliénables. Il est avant tout de notre responsabilité, à nous élus de gauche, dans ces moments difficiles que traverse notre pays, de les respecter et de les protéger. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi », loin de diminuer le chômage, va l’augmenter considérablement. Loin de renforcer les conditions nécessaires au développement de l’emploi, il va paralyser les entreprises, qui délocaliseront.

D’ailleurs, depuis le début du débat, je n’ai jamais entendu prononcer le mot « entreprise ». Pour vous, l’entreprise n’existe pas ! Or c’est bien elle qui embauche !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Mais c’est le salarié qui assure la production !

M. Serge Dassault. C’est elle qui décide de recruter ou de licencier en fonction de la charge de travail. Ou alors elle est conduite à la faillite !

L’entreprise est confrontée en permanence à des problèmes d’embauche pour honorer les commandes, mais aussi de licenciement quand il n’y a plus de demande.

Si vous multipliez les contraintes en matière de licenciement et si vous obligez les entreprises à conserver du personnel surabondant à la demande des syndicats, elles n’embaucheront plus, s’expatrieront, et le chômage croîtra ! Jamais elles ne pourront garder du personnel surabondant sans recettes, sauf à jouer leur survie.

En d’autres termes, la sécurisation de l’emploi est impossible à réaliser, hormis dans l’administration.

Or de nombreuses entreprises, surtout les petites, pourraient embaucher immédiatement, car elles ont des commandes, mais l’incertitude de l’avenir, si ces commandes ne se renouvellent pas, les dissuadent d’embaucher en CDI. À en demander partout, on aboutira à ce qu’il n’y est plus ni CDI ni embauches !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vive le retour de l’esclavagisme !

M. Serge Dassault. En revanche, ces entreprises pourront embaucher en CDD renouvelables, en fonction des éventuelles commandes futures, ou sous forme de contrats de projet – je vous proposerai un amendement sur ce point – liés à l’exécution d’un contrat de travail. Une fois le travail terminé, ou la commande se renouvelle et le contrat se poursuit, ou elle ne se renouvelle pas et le contrat est arrêté.

Monsieur le ministre, je sais que le Gouvernement est opposé à la précarité. Mais ne vaut-il pas mieux occuper un emploi précaire, qui peut se renouveler, que rester au chômage ? Si vous refusez à l’admettre, vous serez responsable d’une augmentation considérable du chômage.

Aux États-Unis et dans de nombreux autres pays, la flexibilité est de règle, et le taux de chômage moins élevé. La sécurisation de l’emploi est appliquée avec beaucoup de flexibilité et non imposée par la contrainte, comme vous entendez le faire.

De toute façon, ce sont les entreprises qui décideront. Mais elles ne pourront embaucher que si elles proposent des produits compétitifs en termes de prix et de qualité ; c’est un autre problème dont vous ne parlez pas. Or, les prix de nos fabrications étant trop élevés par rapport à ceux qu’affichent nos concurrents européens et mondiaux, elles ont du mal à exporter.

Il faudra abaisser les coûts de production, les charges sur salaire et surtout, mes chers amis, travailler plus,…

Mme Éliane Assassi. Et gagner moins !

M. Serge Dassault. … c’est-à-dire supprimer les 35 heures, et revenir à 39 heures, comme avant Mme Aubry.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. À 40 heures, c’est mieux !

M. Michel Sapin, ministre. Pourquoi pas 54 heures ?

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

M. Serge Dassault. Il est à noter que la remise en place des 39 heures permettrait de supprimer immédiatement 21 milliards d'euros d’allégement de charges payés par l’État à la sécurité sociale à la place des entreprises, ce qui ferait certainement très plaisir à notre ministre des finances.

Je voudrais aussi signaler que les difficultés d’embauche proviennent de l’absence de formation professionnelle de nos jeunes et des difficultés rencontrées par nos entreprises pour trouver le personnel dont elles ont besoin Il y a actuellement des emplois disponibles mais personne pour les occuper !

Chaque année, depuis plus de quinze ans, l’éducation nationale nous gratifie de 150 000 jeunes qui deviennent chômeurs parce qu’ils ne sont pas formés. On a oublié la formation professionnelle, dont aucun ministre de l’éducation nationale ne s’est préoccupé.

C’est pourquoi une formation professionnelle à partir de quatorze ans…

Mme Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Pourquoi pas douze ans pendant qu’on y est !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. À quatorze ans, ils ont déjà trop d’esprit critique ! N’est-ce pas un peu tard pour entrer dans le monde de l’emploi ?...

M. Serge Dassault. … et poursuivie obligatoirement jusqu’à dix-huit ans est de plus en plus indispensable pour tous les enfants qui ne souhaitent pas faire des études supérieures. On veut que les enfants suivent les mêmes enseignements mais, si certains sont disposés à apprendre, d’autres ne le sont pas. Actuellement, les études obligatoires se terminent à seize ans, et personne ne s’occupe de ceux qui n’ont intégré aucun emploi.

Permettez-moi de vous rappeler que j’ai assumé des présidences de société industrielles pendant plus de trente ans. J’y ai été maintes fois confronté à des problèmes de sous- charge de travail conduisant à des obligations de licenciements. J’ai pu les résoudre par des négociations avec les syndicats et, surtout, par une large concertation avec l’ensemble du personnel.

Il ne faut pas oublier en effet que le dialogue social dont vous parlez, qui est important, ne doit pas être uniquement engagé avec les syndicats ; il doit l’être aussi avec les salariés, qui sont les plus directement intéressés puisqu’il s’agit de leur emploi. Rappelons que grâce à la formation économique sur la gestion des entreprises les salariés comprennent mieux les problèmes.

Voilà, monsieur le ministre, chers collègues, les moyens efficaces de réduire le chômage que je voulais vous proposer. Nous sommes tous solidaires, nous voulons tous que le chômage recule, que les activités en France se développent. Mais n’oubliez jamais que tous les problèmes de l’emploi dépendent des entreprises et non du dialogue social : vous pouvez toujours tenter de les empêcher de licencier, mais vous ne les obligerez jamais à embaucher.

Je ne reviendrai pas, monsieur le ministre, sur les mesures que vous proposez dans ce projet de loi : certaines pourraient être efficaces, mais d’autres sont tout à fait contraires à l’objectif de réduction du chômage que vous vous êtes fixé. Vous allez – et je le déplore – considérablement augmenter le chômage.

Je voterai donc contre ce projet de loi, sur lequel j’ai toutefois déposé plusieurs amendements. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.

M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte, que nous examinons cet après-midi, est l’aboutissement d’une méthode.

La conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012 proposait aux partenaires sociaux une grande négociation portant sur l’amélioration de la sécurisation de l’emploi.

Après plusieurs mois de discussion ou, si j’en crois Jean Desessard, de « navigation », un accord majoritaire est intervenu le 11 janvier 2013.

Ce projet de loi vise à le transposer dans la loi.

Il traduit la complémentarité souhaitée par le Président de la République entre la démocratie sociale et la démocratie politique. Cette méthode doit être saluée et encouragée, car elle est exemplaire et porteuse d’avenir ! J’oserai dire qu’avec cet accord elle est devenue une exigence. Comme l’a souligné Catherine Génisson dans son intervention, elle doit être aussi, me semble-t-il, un facteur pour encourager la syndicalisation.

Désormais, il existe une autre voie entre le « tout État » et le « tout marché ». L’objectif était bien de trouver un équilibre entre la sécurité nécessaire pour les salariés et les possibilités d’adaptation indispensables aux entreprises pour maintenir l’activité et l’emploi.

Cet accord s’inscrit dans un contexte difficile, avec 5 millions de chômeurs et autant de précaires, plus de 17 % des salariés à temps partiel et 9 % en contrat court, ainsi que Christiane Demontès l’a démontré dans son propos.

M. Ronan Kerdraon. C’est en priorité à cette réalité que les partenaires sociaux ont voulu s’attaquer lors de la négociation ; je dirai même que c’était leur boussole.

L’urgence qui s’attache à ce projet de loi est évidente, et personne dans cet hémicycle ne peut contester qu’il s’agisse d’une priorité. Dès son adoption, il sera, je le souhaite, un outil clé de notre bataille pour l’emploi.

Je tiens à saluer le travail réalisé par notre rapporteur Claude Jeannerot, qui a su mobiliser pleinement les membres de la commission des affaires sociales, animée par sa présidente, Annie David.

Le Gouvernement a déclaré l’urgence sur ce texte, et je partage sa volonté d’agir vite, mais il nous faut aussi prendre le temps d’apporter les améliorations et les précisions nécessaires tout en répondant aux inquiétudes exprimées par les organisations non signataires.

Ces dernières ont dénoncé un texte de « précarisation de l’emploi ». Les débats et l’étude attentive du texte démontreront, j’en suis convaincu, que tel n’est pas le cas.

L’Accord national interprofessionnel, l’ANI, ouvre très concrètement des droits qui n’existent pas sous cette forme aujourd’hui ; je pense en particulier aux droits rechargeables à l’assurance, à la généralisation de la couverture complémentaire santé, qui profitera à plusieurs millions de salariés, notamment ceux des petites entreprises, qui en sont dépourvus aujourd’hui, ou encore au droit personnel à formation.

Ces mesures font entrer la protection des salariés dans une logique de droits attachés à la personne. Je salue, pour ma part, cette portabilité des droits qui permet que ces derniers soient conservés malgré les aléas professionnels tels que la perte d’emploi ou le changement d’entreprise.

Beaucoup des dispositions contenues dans ce texte concernent le cœur même du fonctionnement de nos entreprises. Il est donc fondamental pour la représentation nationale de prendre en compte ce que proposent ceux qui en sont les premiers acteurs, à savoir les représentants des salariés et des employeurs.

Comme le dit souvent mon collègue Jean-Jacques Mirassou, avancer, c’est comprendre et respecter : respecter les signataires dans leur choix de signer cet accord ; respecter les non-signataires dans leur choix de ne pas le faire.

L’intelligence doit être collective !

L’enjeu est de construire des mécanismes d’anticipation, d’adaptation et de formation tout au long de la vie pour mieux gérer les transitions professionnelles et les mutations des territoires.

Mais il s’agit aussi d’encadrer le recours au temps partiel et d’enrayer l’explosion des CDD de courte durée.

Dans un contexte de multiplication de ces contrats depuis dix ans, synonyme de grande précarité des salariés en CDD, dont 90 % sont de moins d’un mois, l’objectif premier de la majoration de cotisation est de responsabiliser les employeurs dans leur politique de recrutement.

Le texte qui nous est proposé – bon nombre des intervenants précédents l’ont parfaitement montré – répond à plusieurs défis, notamment celui de la sécurisation, terme qui ne me pose aucun problème.

Pour la complémentaire santé, l’ouverture des négociations de branche est fixée au 1er juin 2013 pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2016.

En ce qui concerne l’assurance chômage, la négociation nationale qui aura lieu à la fin de 2013 intégrera le principe des droits rechargeables.

Mes chers collègues, le principe du « tout, tout de suite » a peu à voir avec les avancées sociales, qui nécessitent toujours un temps de construction.

Condamner des avancées au motif qu’elles ne sont pas immédiates, cela revient à conserver l’existant, à savoir pas ou peu de droits.

Lors des rencontres avec les organisations non signataires que j’ai pu faire dans mon département, la crainte d’une mobilité forcée dans l’entreprise, sans aucune garantie pour le salarié, a été souvent exprimée.

Il me semble que cette crainte est infondée.

En effet, là où, aujourd’hui, la mobilité d’un salarié peut être décidée unilatéralement par l’employeur, un accord viendra au contraire l’encadrer.

Alors que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC, n’était soumise qu’à une négociation facultative, l’ANI impose qu’elle soit désormais négociée dans le cadre de mesures collectives sans projet de licenciement.