Mme Laurence Cohen. Nous considérons que la sécurité sociale, comme le Gouvernement l’affirme dans l’étude d’impact jointe au projet de loi, constitue la base de notre système de protection sociale. Une base dont nous regrettons la réduction, projet de loi après projet de loi !

Monsieur le ministre, vous avez sans doute involontairement participé à cet affaiblissement en invitant les organisations syndicales et patronales à négocier, ou en acceptant qu’elles puissent le faire, sur une mesure tendant à augmenter la couverture complémentaire santé des salariés.

Que l’on ne s’y méprenne pas : nous ne sommes pas opposés à ce que les partenaires sociaux et le Gouvernement réfléchissent aux mesures à mettre en œuvre pour que les salariés, y compris les plus précaires, puissent accéder aux soins. Il devrait s’agir d’un objectif permanent et prioritaire de tous les gouvernements ; du reste, il nous semblait que c’était la mission confiée au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Par contre, nous nous opposons à la réponse qui a été trouvée, car elle ne tend pas à renforcer la sécurité sociale comme pilier de notre système, mais à renforcer les mécanismes de couverture complémentaire.

Nous partageons le constat dont vous partez : la sécurité sociale ne couvre pas toutes les dépenses de santé et ne répond pas à tous les besoins. Seulement, au lieu de chercher à renforcer son financement pour faire en sorte qu’elle redevienne le cœur de notre système, vous faites le choix de renforcer les complémentaires.

La couverture complémentaire repose, vous le savez, sur un financement radicalement différent de celui qui existe pour le régime obligatoire de base. Alors que la sécurité sociale est financée par les cotisations des patrons et des salariés, les assurances complémentaires sont, quant à elles, financées par une contribution volontaire des employeurs, qui bénéficient d’ailleurs à ce titre d’exonérations de cotisations sociales. En clair, la loi permet aux employeurs qui offrent une assurance complémentaire à leurs salariés de se soustraire en partie au financement de la sécurité sociale.

Cet appauvrissement organisé et volontaire de la sécurité sociale n’est pas le seul de ces mécanismes. Il est la conséquence d’une politique qui se traduit notamment par la multiplication des exonérations de cotisations patronales. C’est cette même logique, monsieur le ministre, qui a vu le gouvernement auquel vous appartenez refuser les amendements que notre groupe a portés lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale visant à soumettre à cotisations sociales les revenus financiers du capital qui y échappent aujourd’hui.

Si le MEDEF accepte, voire prône le choix des complémentaires, c’est parce qu’il est doublement gagnant.

Tout d’abord, il fragilise encore un peu plus la sécurité sociale en l’attaquant sur ce qui fait sa force : son universalité.

Ensuite, il est financièrement gagnant dans la mesure où, toutes les études le prouvent, les contrats obligatoires d’entreprise ne sont que très rarement des contrats mutualistes. Dans l’immense majorité des cas, ils sont proposés par des sociétés privées d’assurance, des assurances commerciales, à l’image de ce groupe d’assurance qui gère la sécurité sociale des agriculteurs et des paysans.

Le pactole généré par l’article 1er, car c’est bien de cela qu’il s’agit et non pas de droits nouveaux, est d’ores et déjà estimé par le MEDEF à plus de 4 milliards d’euros. Ces 4 milliards de recettes se cumuleront avec les 2,5 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales déjà consenties aux employeurs mettant en œuvre des contrats complémentaires d’entreprise, dont je vous rappelle qu’ils sont mécaniquement appelés à croître avec l’extension du nombre de salariés qu’ils concernent.

Le seul droit nouveau créé par l’article 1er est en réalité celui offert au MEDEF et aux sociétés d’assurance privées de disposer d’un nouveau marché, d’autant plus intéressant que l’adhésion y est obligatoire.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l'article.

M. Jean Desessard. La complémentaire santé pour tous les salariés, c’est incontestablement une avancée. C’est pourquoi nous voterons cet article. Toutefois, je voudrais moi aussi alerter sur un point crucial : la défense de la sécurité sociale. J’ai d’ailleurs déjà évoqué cette question lors de la discussion générale.

Nous, écologistes, refusons une privatisation rampante de la santé et souhaitons préserver le modèle français de sécurité sociale. Depuis sa création, en 1945, il a fait ses preuves.

Rappelons le triple objectif des bâtisseurs de notre système actuel : l’unité de la sécurité sociale, la généralisation quant aux personnes et l’extension des risques couverts sous la double influence du rapport Beveridge de 1942 et du système bismarckien. On a voulu, en 1945, non seulement soutenir la solidarité et l’accès gratuit à la santé, mais aussi créer une unité administrative.

Afin de remettre les choses en perspective, je veux citer l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 : « La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain » et des aléas de la vie.

Il ne s’agit pas aujourd’hui, en 2013, sous un gouvernement de gauche et j’ajouterai écologiste,…

M. Philippe Dallier. Voilà qui change tout ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. … de revenir en arrière, de multiplier les organismes et de privatiser l’accès à la santé.

La rigueur budgétaire ne doit pas être un prétexte pour privatiser peu à peu notre modèle de santé. Nous ne voulons pas d’une France à deux vitesses avec, d’un côté, ceux qui peuvent s’offrir le luxe de se payer une bonne couverture santé et, de l’autre, ceux qui devront se résigner à ne pas se soigner faute de moyens. La santé relève d’un véritable service public qu’il s’agit de sauvegarder et je dirai même, si ce n’est pas grossier, d’améliorer.

La sécurité sociale n’a pas forcément vocation à prendre en charge 100 % des dépenses de santé, et peut-être n’en a-t-elle pas aujourd’hui les moyens. Bien sûr, je peux entendre ces arguments. C’est pourquoi la généralisation de la complémentaire santé, financée à 50 % au minimum par l’entreprise, est aujourd’hui une avancée. Cependant soyons vigilants, mes chers collègues : respectons la place de la sécurité sociale par rapport aux complémentaires santé et méfions-nous de toute évolution vers une privatisation de notre système de santé ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Je ne suis pas intervenu au début de la présentation de cet article, car je souhaitais entendre chaque orateur au préalable. Je serai donc peut-être un petit peu long dans ma réponse, ce qui me permettra de m’économiser lors de la série d’amendements à venir. Je ne voudrais pas aboutir à une certaine répétition dans mon argumentation…

Le principe de base, c’est la sécurité sociale. Je le dis clairement pour ceux qui auraient un doute sincère. Je comprends d’ailleurs ce doute, car il existe dans le débat politique ou social des propositions qui tendent à faire diminuer la part de la solidarité de la sécurité sociale en matière de santé, au profit d’une forme d’individualisation de cette garantie. Ce n’est évidemment pas la vision du Gouvernement.

Nous, nous souhaitons solidifier la sécurité sociale, ce qui nécessite parfois de prendre un certain nombre de décisions pour assurer sa pérennité. Voilà le principe de base, que nous le fondions sur les valeurs issues de la Résistance ou sur celles d’aujourd’hui. Ce sont d’ailleurs peut être les mêmes valeurs qui ont poussé nos prédécesseurs à mettre en place ce dispositif et qui nous conduisent aujourd’hui à être convaincus qu’il faut le maintenir.

Au regard de la situation actuelle, l’existence d’une complémentaire santé est une avancée : elle permet une meilleure protection. Chacun le sait, ceux qui ne peuvent pas se payer cette complémentaire, qu’ils soient étudiants, retraités, chômeurs ou salariés, se trouvent souvent dans une situation extrêmement délicate. Songez également qu’à chaque fois le passage du statut de salarié au statut, si je puis dire, de chômeur, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, fait perdre la complémentaire santé, parce qu’elle était attachée à l’entreprise. C’est un drame qui s’ajoute à celui que constitue déjà le chômage.

Cela explique les deux grandes propositions qui figurent dans cet article. La première est la portabilité, qui permet de conserver pendant douze mois la complémentaire santé dont on disposait au titre de son salariat. La seconde est l’extension à l’ensemble des salariés d’une complémentaire santé obligatoire. Je crois que chacun partagera le point de vue que ces dispositions représentent un progrès considérable pour les salariés : un progrès social, un progrès en termes de protection sanitaire et, au bout du compte, un progrès pour l’ensemble de notre société.

Si nous partageons le principe de la sécurité sociale comme base et d’une complémentaire pour tous comme progrès, un certain nombre de questions se posent.

Ce que nous proposons de faire pour les salariés ne risque-t-il pas d’être un obstacle à l’extension à tous de cette complémentaire santé ? La question a été fréquemment posée, ce que je comprends parfaitement, tout comme je comprends qu’on rappelle que l’objectif est la complémentaire universelle, quel que soit le statut de la personne. Oui, c’est toujours notre objectif, et le Président de la République a dit clairement au congrès de la mutualité qu’il fallait une complémentaire santé pour tous !

Cette avancée est un premier pas vers l’extension à tous de la complémentaire santé et ne constitue en rien un obstacle à celle-ci. Qui a voulu ce premier pas ? Les partenaires sociaux ! Et qui sont-ils ? Précisément ceux qui vivent l’entreprise et la relation au sein du salariat. Il était donc légitime que les partenaires sociaux qui parlent du contrat de travail appliquent au contrat de travail le progrès que représente la complémentaire santé. Reste que ce n’était pas à eux de traiter des autres aspects, des autres secteurs, des autres publics qui doivent pouvoir bénéficier à l’avenir de la complémentaire santé.

Sachez-le, les questions de financement ne seront pas un obstacle à l’extension de la complémentaire santé à toutes les catégories de la population.

Si l’on va jusque-là – je crois qu’au fond on est tous d’accord pour aller jusque-là –, se pose la question du dispositif. Quelle liberté laissons-nous aux partenaires sociaux ? Ce sont eux en effet qui vont, comme c’est déjà le cas dans les secteurs où elle existe, négocier la complémentaire santé. Ils vont en négocier le contenu – la loi ne contient que le panier minimum –, les modalités et, éventuellement, discuter de la question des organismes qui vont pouvoir apporter cette assurance aux entreprises et donc aux salariés. C’est tout le débat de la clause de désignation qui pèse sur votre assemblée.

À cet égard, je veux vous indiquer clairement la position du Gouvernement.

Je ne vais pas le répéter à l’envi : l’accord lui-même n’est pas clair et net. Il a d’ailleurs été écrit par les partenaires du côté patronal pour ne pas l’être. C’est parce qu’il n’est pas clair et net que les trois organismes patronaux, qui avaient une vision opposée, l’ont malgré tout signé. Tant ceux qui ne voulaient pas d’une clause de désignation que ceux qui en voulaient une disaient retrouver cette réalité dans l’accord. (M. Jean Desessard marque son étonnement.) Voilà l’explication de ce fameux paragraphe qui comprend trois phrases, dont l’une précise qu’il n’y a pas de clause de désignation alors que la dernière indique qu’il est possible d’avoir une clause de désignation.

Au fond, qu’ont voulu les partenaires sociaux ? Par le caractère nébuleux du texte, ils nous ont adressé un message clair : « À vous de faire ! » À nous, donc, au Gouvernement et au Parlement, de faire.

Je ne vous demande donc pas ce qui est conforme à la lettre de l’accord, puisqu’on s’accordera tous à dire qu’il a été écrit avec des ambiguïtés qui ont permis des différences d’appréciation du côté patronal. Je vous demande quel est le meilleur dispositif pour permettre aux entreprises, aux branches, aux partenaires sociaux de mettre en place ces complémentaires santé.

Certains proposent la liberté totale pour toutes les entreprises de choisir l’organisme. Pourquoi pas ! Bien entendu, le texte ne l’interdit pas ; il l’autorise totalement.

D’autres mettent en garde sur les différences de situation des entreprises.

Prenons un exemple simple : considérons deux entreprises d’une même branche et de la même taille. Dans la première, la pyramide des âges présente une moyenne basse. Autrement dit, son personnel est jeune.

M. Jean Desessard. Vous parlez du Sénat ? (Rires.)

M. Michel Sapin, ministre. Voulez-vous que je vous parle de la complémentaire santé des sénateurs ? Je pense que beaucoup souhaiteraient avoir la même ! (Sourires.)

L’entreprise dont la moyenne d’âge est très jeune présente très peu de risques. Elle sera donc extrêmement intéressante pour celui qui voudra garantir ces risques. D’ailleurs, la garantie se fera à un prix très faible. En revanche, pour la seconde entreprise, où la moyenne d’âge est plus élevée, la compagnie ou la mutuelle va analyser le risque comme étant plus élevé et donc lui appliquer un tarif plus cher.

On pourrait donc de se retrouver dans une situation où les entreprises seront soumises à des prix différents en fonction de ces risques « naturels », et non de leur manière de fonctionner. Une telle situation serait préoccupante, non seulement pour l’entreprise qui aurait à en assumer le coût, mais aussi pour les salariés, une partie restant à leur charge.

Il peut donc être intéressant, dans certaines branches, de mutualiser les risques. Jusqu’où ? On peut le faire sur un secteur géographique. On peut le faire entre deux, trois ou quatre organismes, en lançant un appel à mutualisation. On peut aussi aller jusqu’au bout de la mutualisation et envisager qu’un seul organisme garantisse toutes les entreprises de la branche.

Que vont faire les partenaires sociaux ? S’ils ont le sentiment que les risques ne sont pas trop différents d’une entreprise à l’autre, ils vont opter pour une grande liberté. Si les risques leur paraissent au contraire très différents, ils vont rechercher la mutualisation maximale.

Il faut donc leur laisser la liberté de négocier et de choisir le système le plus adapté à la situation, depuis la possibilité, pour chaque entreprise, de s’adresser à l’organisme de son choix jusqu’au choix d’un seul organisme pour l’ensemble de la branche. Tel est le premier principe que le Gouvernement vous propose.

Je ne veux pas entrer dans un débat juridique, je souhaite simplement rappeler que, dans l’avis qui lui a été opportunément demandé, l’Autorité de la concurrence, qui a succédé au Conseil de la concurrence, ne considère pas cette liberté comme illégale. D'ailleurs, comment pourrait-il en être autrement puisque, selon la jurisprudence tant du Conseil d’État, de la Cour de cassation que de la Cour de justice de l’Union européenne, ce dispositif est parfaitement légal ?

J’entrevois bien les arguments qui pourront m’être opposés : cette liberté totale ne risque-t-elle pas d’être contrainte, d’une certaine manière, par les liens pouvant exister entre telle ou telle branche et tel ou tel organisme – institut de prévoyance, compagnie d’assurance ou même mutuelle ? Le dispositif actuel permet-il que des organismes soient choisis, en toute transparence en fonction de leur meilleure offre ? Je vous rappelle que la meilleure offre, ce n’est pas simplement le prix !

Mme Catherine Procaccia. Il vaut mieux aussi regarder le contenu !

M. Michel Sapin, ministre. C’est aussi le contenu, la qualité de la garantie ! Et quand on apprécie une offre, ce n’est pas simplement au « moins-disant » – pour reprendre la terminologie des marchés publics – que l’on s’attache, c’est aussi au « mieux-disant » (Mme Maryvonne Blondin opine.), à celui qui apporte le plus de garanties pour le prix le plus faible, pour l’entreprise comme pour le salarié.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous partagez tous cette préoccupation.

M. Michel Sapin, ministre. Il faut non seulement laisser la plus grande liberté, mais aussi instituer la plus grande transparence et la plus grande concurrence, au bon sens du terme, pour permettre à tous les organismes capables de le faire – et pas seulement aux plus gros, qui recherchent le plus grand nombre de contrats possible – de présenter des offres qui soient examinées avec toute l’égalité de traitement nécessaire. Cette disposition est d'ailleurs prévue à l’alinéa 30 du présent article, qui vise à instituer la véritable transparence et la véritable concurrence qui n’existent pas encore dans ce domaine, mais qui sont conformes à la recommandation de l’Autorité de la concurrence.

Je me souviens de périodes anciennes dont Marie-Noëlle Lienemann doit se souvenir elle aussi, car nous les avons traversées ensemble. Nous avions alors mis en place un dispositif pour la transparence dans le domaine économique et contre la corruption. Des mesures concernaient en particulier le logement et la construction, et pas seulement du côté de La Défense…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’était la loi Sapin !

M. Michel Sapin, ministre. Il se trouve que, par les hasards de l’histoire, ce texte a en effet été appelé la « loi Sapin ».

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés que je tiens profondément à cette concurrence et à cette transparence. La sécurité sociale comme socle, la complémentaire pour tous les salariés – c’est une avancée considérable ! –, une mise en œuvre du dispositif laissant la liberté aux partenaires sociaux, qui ont quand même le droit d’user de leur intelligence pour choisir ce qu’il y a de plus adapté à leur situation propre, un principe de transparence et de concurrence : telle est la manière dont le Gouvernement a conçu l’ensemble du dispositif et l’a formalisé dans le projet de loi, conformément, du reste, à mes convictions. Cette proposition peut, par définition, être discutée, mais je sais qu’elle permet que l’équilibre global de l’accord soit respecté.

M. le président. L'amendement n° 217 rectifié, présenté par Mme Lienemann et MM. Leconte et Povinelli, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il s’agit d’un amendement d’appel, un peu provocateur puisqu’il tend à supprimer l’article 1er.

Bien évidemment, monsieur le ministre, je suis totalement favorable au progrès que constitue l’élargissement de l’accès aux soins à l’ensemble des salariés, à travers une première étape, celle de la complémentaire santé pour tous. Permettez-moi toutefois de faire deux remarques.

Premièrement, je vous ai bien entendu nous expliquer que le socle de la sécurité sociale est consolidé et qu’il va falloir aller vers la complémentaire santé pour tous. Certes, on peut, dans un premier temps, étendre l’accès aux complémentaires santé, mais la finalité doit être l’élargissement du socle de la sécurité sociale à des dépenses de santé devenues normales dans le monde contemporain. On pourrait parler des soins dentaires ; d’autres exemples sont possibles.

Deuxièmement, vous nous dites que la garantie sera la transparence. Comme vous, je crois aux vertus de la transparence, mais je crois aussi aux vertus de la régulation, voire de l’encadrement du marché.

En effet, le raisonnement que vous avez à fort juste titre développé sur la concurrence à l’intérieur d’une branche selon le nombre de personnes à risque dans l’entreprise est transposable aux branches entre elles. Dès lors, il me semble que la moindre des choses, dans cette phase transitoire, serait que l’on définisse un taux moyen de cotisation, des contrats standards et des mécanismes de compensation pour éviter que vous bénéficiiez ou non d’une optimisation, selon que vous serez puissants ou misérables dans une branche ou dans un secteur.

Une question me paraît encore plus importante : qui va payer ? J’ai bien entendu votre prise de position sur l’équilibre de cet accord général. Vous savez que, pour ma part, je ne le trouve pas équilibré. Vous affirmez en particulier que le projet de loi marque un progrès. C’est vrai, la mutuelle complémentaire pour tous est un progrès. Cependant, ce texte constitue-t-il un donnant-donnant compte tenu de ses mesures qui fragilisent le monde du travail ?

Non, car ce n’est pas un vrai « donnant » de la part du patronat ! En effet, la mutuelle santé est aujourd'hui financée à 50 % par les salariés et à 50 % par le patronat – en réalité, 57 % en moyenne pour les complémentaires santé payées par l’entreprise. Pour ma part, j’aurais aimé que l’on fixe un taux un peu supérieur… Les 50 % à la charge de l’entreprise vont être largement financés par l’État : les mutuelles ont calculé que, sur les 4 milliards d’euros devant être financés par les entreprises, seuls 2,7 milliards le seront effectivement, tandis qu’1,3 milliard d’allégements fiscaux grèveront le budget de l’État. Autrement dit, les entreprises n’assumeront qu’un peu plus d’un tiers de la charge globale. Où est le « donnant » ? Certainement pas du côté de l’entreprise ! Surtout si l’on considère que les 20 milliards d’euros de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi allégeront de 6 % la masse salariale, alors que la participation de l’employeur atteindra 0,8 % de celle-ci pour la complémentaire santé.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si je salue le progrès, j’estime que la méthode n’est pas la meilleure. C’est pourquoi j’avais déposé cet amendement de suppression. Pour l’heure, je le retire, mais je garde mes réserves pour le reste du débat.

M. le président. L'amendement n° 217 rectifié est retiré.

M. Dominique Watrin. J’en reprends le texte, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 217 rectifié bis, présenté par M. Watrin, et dont le libellé est strictement identique à celui de l’amendement n° 217 rectifié.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Jeannerot, rapporteur de la commission des affaires sociales. Comme l’a indiqué notre collègue Marie-Noëlle Lienemann, il s’agit d’un amendement d’appel, qui vise à ouvrir plus largement le débat sur la prise en charge des frais de santé.

M. le ministre nous a apporté à l’instant une réponse longue, argumentée et, selon moi, convaincante. C'est la raison pour laquelle j’allais, madame Lienemann, au nom de la commission, vous inviter à retirer votre amendement. Vous avez spontanément devancé mon appel.

Bien évidemment, j’adresse la même invitation à nos collègues du groupe CRC. Je considère en effet que l’ensemble des réponses aux questions ont été apportées. En outre, supprimer l’article 1er reviendrait finalement à supprimer la complémentaire santé dont chacun dans cet hémicycle a salué l’arrivée. Ce serait donc délibérément faire disparaître un avantage reconnu par tous.

À défaut de retrait, l’avis de la commission sera défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. Je crois avoir fait comprendre que j’étais favorable à l’article… (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.

M. Dominique Watrin. Nous trouvons l’amendement de Mme Lienemann judicieux, un grand débat sur le socle que constitue la sécurité sociale étant effectivement nécessaire. Nous pensons d’ailleurs que ce débat de fond ne fait que commencer.

L’article 1er est présenté par le Gouvernement comme une avancée pour les salariés. C’est une avancée relative, qui s’inscrit, en réalité, dans la continuité des politiques, menées depuis des années, qui vont dans le sens de la déstabilisation et de la fragilisation de notre système de sécurité sociale.

Alors que l’article 1er organise, selon l’exposé des motifs du projet de loi, « la généralisation de la couverture complémentaire collective “santé” », force est de constater que le champ de la prise en charge de la sécurité sociale ne cesse de reculer, livrant au marché ce secteur tant convoité par les assurances ou les institutions de prévoyance. Ce processus accroît in fine les inégalités et désarticule le système de protection sociale, ouvrant la voie à la privatisation du système.

Les contrats collectifs obligatoires ont largement contribué à masquer les désengagements de la sécurité sociale dans la prise en charge des dépenses de santé, notamment pour les soins courants. Ils ont, de la même manière, facilité l’inflation des dépassements d’honoraires médicaux ou des frais de santé mal remboursés par la sécurité sociale, tout simplement en solvabilisant ces dépenses.

Enfin, cela a déjà été dit, nous savons que lier l’accès d’une complémentaire santé au contrat de travail revient aussi à fabriquer de l’exclusion. Alors même que l’accès aux soins se dégrade et qu’il est de plus en plus inégalitaire, cet accord va accroître la rupture de solidarité entre les salariés et les autres catégories de la population. Je pense aux retraités, aux chômeurs et aux précaires, aux personnes en rupture familiale, en situation de handicap ou bien encore aux fonctionnaires.

Marie-Noëlle Lienemann s’est exprimée pertinemment sur la question du financement. Je partage le même point de vue, que j’ai eu l’occasion de développer lors d’une intervention précédente. Sur le fond, nous sommes donc d’accord.

En conclusion, les mutuelles et encore moins les assurances privées ne peuvent remplacer la sécurité sociale. Celle-ci est au cœur de notre système de protection sociale et, malgré les désengagements successifs, elle reste le dernier rempart, un « socle », pour reprendre un terme utilisé précédemment, contre les effets ravageurs de la crise, des inégalités et des injustices sociales.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRC a repris cet amendement et qu’il vous demande, mes chers collègues, de l’adopter.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. En écoutant Mme Lienemann, je me demandais si une complémentaire santé pour tous n’était pas, tout simplement, une extension du champ du régime général de la sécurité sociale.

Puisque nous sommes en plein « choc de simplification », profitons-en : simplifions ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. Jean Desessard. Ça veut dire qu’il est en accord avec l’amendement ! (Sourires.)