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Saisine du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 mai 2013, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la sécurisation de l’emploi.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

M. le président. La séance est reprise.

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Questions cribles thématiques

POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME DANS NOTRE PAYS

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la politique de lutte contre le terrorisme dans notre pays.

L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct par Public Sénat, ainsi que par la chaîne France 3, et qu’il importe que chacun des orateurs respecte son temps de parole.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je pense que vous avez lu avec intérêt le rapport que vient de publier la délégation parlementaire au renseignement, que j’ai l’honneur de présider.

Dans ce rapport, nous avons fait un certain nombre de remarques et de préconisations concernant au premier chef la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI.

Il est apparu, notamment lors des auditions auxquelles nous avons procédé s’agissant de l’affaire Merah, que des dysfonctionnements très importants avaient été constatés entre l’échelon régional, local, et les instances nationales de la DCRI.

Quelles dispositions comptez-vous prendre, monsieur le ministre, pour mettre fin à ces dysfonctionnements et assurer la cohérence, donc l’efficacité de la DCRI ?

Si l’on compare les moyens de la DCRI à ceux de la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, par exemple, on constate une grande différence.

Monsieur le ministre, comptez-vous accroître les moyens de la DCRI ?

Par ailleurs, au-delà des moyens, il est une autre question importante : celle de l’autonomie de la DCRI.

En effet, pour être efficace, la Direction doit se doter de personnels très spécialisés. Qu’il s’agisse de linguistique ou de la maîtrise d’un certain nombre de techniques et technologies, la DCRI doit pouvoir recruter les personnels compétents, ce qui n’est pas forcément compatible avec le fonctionnement et les procédures actuels.

Quelles dispositions comptez-vous prendre à cet égard, monsieur le ministre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, je connais votre implication sur ces questions, ainsi que celle de tous les membres de la Haute Assemblée, comme je sais la conviction qui est la vôtre. Il est essentiel que nous nous retrouvions, à la fois pour tirer les enseignements de ce qui s’est malheureusement passé voilà un an et pour mettre en œuvre les décisions que nous avons annoncées, dont un certain nombre de réformes structurelles concernant la DCRI qui visent – je vous réponds très directement – à rendre plus cohérente et plus efficace l’articulation entre les échelons central et régional.

L’organigramme de la DCRI a intégré une structure chargée de la coordination opérationnelle entre ces deux niveaux.

Je précise en outre que des bureaux de liaison ont été créés afin de faciliter les échanges entre le Renseignement intérieur et l’Information générale qui, elle-même, doit faire l’objet de réformes au niveau tant central que régional.

Enfin, un service d’inspection interne à la DCRI a été créé.

Par ailleurs, cela a été souligné dans le cadre du Livre blanc, il faut des moyens supplémentaires, financiers, humains et techniques pour la Direction centrale du renseignement intérieur, dont je veux saluer l’engagement et le travail face à la menace terroriste : ses moyens, sa spécialisation sur un certain nombre de sujets, sont évidemment tout à fait indispensables.

Enfin, même si rien, à ce stade, n’est définitivement arbitré, la question de l’autonomie de gestion ne me semble pas être un enjeu principal. Il s’agit aujourd’hui de renforcer d’abord les moyens en effectifs et en investissement du renseignement intérieur.

Autonomiser la DCRI au sein d’un programme ad hoc risquerait de faire peser sur cette direction centrale une contrainte budgétaire plus forte. C’est la raison pour laquelle je suis sceptique sur le fait de mettre cette direction à part.

Le débat est ouvert. Je ne m’engage pas définitivement sur ce sujet, car, à mes yeux, le plus important est l’efficacité de la DCRI.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Sueur. Lors de notre visite récente à la DCRI, nous avons reçu un bon accueil. Nous savons l’implication de l’ensemble des personnels, que je veux à mon tour saluer.

Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos concernant l’accroissement des moyens que vous projetez pour la DCRI. C’est une nécessité !

Je voudrais ajouter une précision au sujet de l’autonomie de la Direction. Il ne s’agit pas du tout dans notre esprit de créer une sorte d’État dans l’État ; ce n’est pas votre souhait, ce n’est pas le nôtre. Il s’agit simplement de souplesse de procédure, compte tenu des dispositifs très précis, très formatés, qui existent dans la police nationale en matière de recrutement et de promotion. Nous respectons ces règles, mais nous savons que, pour être pleinement efficace, il faut pouvoir recruter des personnels disposant des compétences nécessaires, et ce dans des délais raisonnables.

C’est en ce sens que nous avons parlé d’autonomie, mais je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse et de votre implication.

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la lutte contre le terrorisme, les services de renseignement jouent évidemment un rôle majeur. C’est vrai sur le territoire national comme à l’étranger.

La connaissance du terrain, le renseignement sont déterminants pour notre sécurité. Dès lors, se pose inévitablement la question des moyens mis en œuvre dans la lutte contre le terrorisme.

Cette lutte nécessite d’abord que les services puissent agir dans un cadre juridique clair. Ils doivent pouvoir disposer des moyens judiciaires d’enquête et avoir recours à des moyens d’investigations adaptés. C’est le cas, par exemple, des données financières et bancaires, que les professionnels du renseignement devraient pouvoir obtenir concernant certains profils, afin de développer une action préventive.

Il y a lieu, me semble-t-il, de progresser sur ce point.

Peut-être faut-il s’interroger aussi, monsieur le ministre, sur la situation juridique des terroristes assignés à résidence dans notre pays et sur les moyens de contrainte dont nous disposons... Même si le cadre européen rend toute évolution complexe, la fuite récente du terroriste islamiste Saïd Arif, après d’autres, doit nous conduire à réexaminer ce sujet.

La lutte contre le terrorisme nécessite également, M. Sueur vient de l’évoquer, une bonne coordination entre les différents services de renseignement. La réforme de 2008, avec la création de la DCRI, est positive. Il faut poursuivre dans ce sens.

Le constat du manque de moyens, notamment humains, des services français doit être posé, car les effectifs et les moyens consacrés au renseignement restent, en dépit des efforts consentis, bien inférieurs à ceux que consacrent nos voisins européens. Ce constat, il est vrai, ne date pas d’aujourd’hui.

Sur le plan des moyens techniques, les programmes de renseignement électromagnétique, pourtant essentiels pour le recueil des données, ont pris du retard ou ont été reportés.

Compte tenu des évolutions technologiques et des mutations des menaces terroristes, les services du renseignement doivent pouvoir diversifier leur recrutement, renforcer leur expertise, en faisant appel à des profils spécifiques : linguistes, notamment arabophones, psychologues, analystes d’images...

Monsieur le ministre, pouvez-vous, sur ces différents points, nous dire quelles sont vos orientations pour renforcer et améliorer les outils de détection, de surveillance et d’enquête des services de renseignement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le sénateur, j’ai en partie répondu à votre question en répondant à M. Sueur.

L’évolution du terrorisme et de la menace en France tout comme les événements de Boston, qu’il faut analyser en les comparant avec ce qui s’est produit sur le territoire national, nous incitent à considérer que, en définitive, le principal frein à l’efficacité du renseignement dans la lutte contre le terrorisme réside dans les cloisonnements, d’une part, entre les niveaux central et local, et, d’autre part, entre services eux-mêmes.

C’est la raison pour laquelle il nous faut gagner évidemment en souplesse, notamment dans nos capacités de recrutement. En l’espèce, monsieur le sénateur, je souscris tout à fait à vos propos, comme à ceux de M. Sueur.

Quant à M. Saïd Arif, individu que j’ai effectivement qualifié de particulièrement dangereux, je rappelle qu’il était assigné à résidence mais n’a pas respecté cette obligation. Je crois en effet que, tout en respectant nos règles européennes et nationales, en un mot, la loi, il faut revoir ces dispositifs.

Un certain nombre de personnes sont aujourd’hui assignées à résidence. C’est pourquoi j’ai demandé aux services compétents d’examiner la question avec attention et de me transmettre leurs propositions, s’agissant notamment de l’expulsion.

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour la réplique.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.

Sur la question des moyens, je rappellerai juste un principe que chacun connaît : si le renseignement coûte cher, l’absence de renseignement coûte encore plus cher ! En ces temps de disette, chacun le sait, la question n’est pas simple, mais il faut accorder de véritables moyens à notre renseignement.

S’agissant des questions d’ordre juridique, monsieur le ministre, vous avez répondu sur le point particulier de l’assignation à résidence, et je vous en remercie.

Mon souci était d’insister sur l’importance de trouver un équilibre en la matière : certes, donner des moyens et clarifier parfois les règles, mais surtout ne pas alourdir les dispositifs existants, car, en cherchant à réformer les services, le risque est soit d’aboutir à une sorte de « réformite » dont il faut au contraire se garder soit à des systèmes notamment de contrôle tellement lourds qu’ils en deviendraient inutilisables ou inefficaces.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, nous savons tous que le terrorisme est l’anéantissement des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la démocratie. Face à cette menace, les pouvoirs publics et la société tout entière doivent faire bloc.

La lutte contre les menaces et les actes terroristes ne doit souffrir aucune indulgence. Cependant, et aussi pour lui donner plus de force, elle doit respecter les droits et les libertés fondamentales dont l’État est le garant.

Ces droits durement acquis, tels que la liberté d’aller et venir ou encore le respect de la vie privée, ne peuvent, même dans les moments difficiles, être sacrifiés sur l’autel de cette lutte sous peine que soit portée atteinte aux fondements même de notre démocratie, car nous considérons que ces droits, accompagnés aussi, bien sûr, de devoirs, sont le fondement d’une sécurité humaine durable et non un obstacle à celle-ci.

À l’automne dernier, lors du débat sur votre projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, monsieur le ministre, j’avais rappelé que, dans une loi du 23 janvier 2006, la droite alors au pouvoir avait fait adopter, à titre expérimental, une procédure de contrôle d’identité à bord des trains transnationaux.

L’ensemble de la gauche sénatoriale alors dans l’opposition – nous en étions –, avait souligné que « cette disposition ne saurait constituer une mesure destinée à lutter contre le terrorisme mais ouvertement une mesure destinée à favoriser les contrôles migratoires ».

Vous avez pourtant décidé de proroger cette disposition lors de l’examen du projet de loi adopté en octobre 2012, en contradiction avec la position de la gauche et alors que le gouvernement précédent n’a pas respecté l’obligation de déposer chaque année un rapport d’évaluation de ces dispositions, comme le prévoit l’article 32 de la loi de 2006.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous donner des éléments sur la réelle efficacité de cette disposition contre laquelle, je le redis une nouvelle fois, la gauche sénatoriale a voté à plusieurs reprises ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Madame la sénatrice, même si l’exercice n’est pas facile et qu’aucune obligation ne nous l’impose, nous devons tenter chaque fois de converger et de revenir à l’unité dans ce combat contre le terrorisme.

Pour répondre très concrètement à votre question, je dirai que l’utilisation avérée de certaines lignes ferroviaires par des réseaux d’immigration irrégulière, de criminalité organisée ou de terrorisme confère un intérêt évident à ces contrôles. Les réseaux ferrés dont il s’agit constituent, me semble-t-il, parce qu’ils sont des symboles forts de l’intégration européenne, des cibles privilégiées qui font l’objet de fréquentes alertes.

C’est l’un de ces contrôles, par exemple, qui avait permis l’arrestation en 2011, à Modane, par la police aux frontières, du numéro trois de l’organisation terroriste basque ETA.

La loi est d’une plus grande précision pour se conformer aux exigences de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sur la finalité de ces contrôles d’identité et sur le caractère non permanent et non systématique de ces contrôles.

Cette mesure de prévention du terrorisme a un caractère temporaire, vous l’avez signalé, et ce depuis son origine. Le Gouvernement est donc tenu d’en solliciter périodiquement la prorogation devant la représentation parlementaire. C’est ce qu’il a fait à l’automne dernier en présentant un projet de loi assorti d’une étude d’impact très détaillée. Il le fera de nouveau en présentant le rapport d’application de la loi six mois après sa promulgation, c’est-à-dire très prochainement, et au terme des trois années.

Le Parlement est donc souvent et complètement éclairé sur les conditions et le bilan de l’application de cette mesure.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Toutefois, j’insiste sur le fait que les contrôles d’identité n’ont malheureusement jamais joué un rôle déterminant en matière de lutte contre le terrorisme. (Exclamations sur certaines travées de l'UMP.) Nous considérons donc que cette disposition fait l’amalgame entre terrorisme et immigration, ce qui est bien sûr inadmissible.

De deux choses l’une : soit cette disposition expérimentale fonctionne, et elle doit alors être définitivement pérennisée ; soit elle n’atteint pas le but visé : elle est alors inutile et doit être abandonnée, afin que nous puissions nous concentrer sur les véritables solutions.

Telle est la préoccupation que je tenais à rappeler. J’ai bien entendu que nous serions appelés à débattre une nouvelle fois de ces questions. Nous serons dès lors évidemment disponibles pour revenir sur un certain nombre de sujets qui nous opposent en la matière, monsieur le ministre. Cependant, j’espère que nous pourrons aboutir à un consensus sur les aspects qui nous rassemblent !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, en octobre dernier, nous débattions dans cet hémicycle du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Aux yeux du groupe écologiste, ce texte, promulgué en décembre 2012, n’était pas sans soulever de nombreuses questions, notamment au regard du respect des libertés individuelles.

Si une législation antiterroriste efficace est nécessaire, elle ne peut à mon sens atteindre son objectif que si elle est accompagnée d’une politique volontariste de prévention pour endiguer l’émergence de ce fléau en France.

Cette prévention peut être multiforme et doit commencer dès l’école.

Par ailleurs, il convient d’imposer aux imams l’obligation de suivre un enseignement moderne dans un établissement spécialement dédié, comme ce fut le cas au XIXe siècle pour les rabbins avec l’École rabbinique de Metz, rapatriée ensuite à Paris et aujourd’hui établie rue Vauquelin.

On peut également envisager la nomination d’aumôniers des prisons ayant, eux aussi, suivi un enseignement ad hoc, pour éviter la propagation de l’islam radical dans ces lieux d’enfermement.

Ainsi, ma question est la suivante : parallèlement à l’élargissement de l’arsenal législatif et à la création de zones de sécurité prioritaires, quelles sont les mesures que vous envisagez pour prévenir efficacement toutes les formes de radicalisation qui touchent au premier chef des jeunes musulmans défavorisés dans nos fameux ghettos ?

Mme Gisèle Printz. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Madame la sénatrice, je souligne en premier lieu que la question du terrorisme dépasse largement la problématique de l’islam radical.

M. Alain Gournac. En effet !

M. Manuel Valls, ministre. De fait, nous devons faire face à d’autres formes de terrorisme, venant de l’ultra-gauche ou de l’ultra-droite, ou encore de régions spécifiques comme le Pays basque, que j’ai déjà évoqué.

Toutefois, dans ce cadre, l’islamisme radical constitue incontestablement un défi. Vous l’avez souligné avec raison.

La « contre-radicalisation », si elle ne figure pas dans notre vocabulaire, constitue un véritable sujet. Cette question est d’ailleurs traitée à l’échelle européenne. À cet égard, je salue la qualité des travaux engagés par le Coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove.

J’ai moi-même pris part à un séminaire consacré à ces enjeux. En effet, avec nos différents partenaires européens, nous nous efforçons de confronter nos analyses et de trouver, ensemble, des solutions.

L’école est évidemment un lieu au sein duquel nous pouvons agir.

Par ailleurs, la prévention de la radicalisation passe par un contrôle resserré des lieux de culte radicaux, qui va de pair avec la problématique de la formation des imams. Je constate à ce titre que vous saluez, de manière tout à fait exceptionnelle, l’action menée par l’empereur Napoléon Ier ! Je ne connaissais pas cette référence mais, en tout état de cause, des initiatives ont été engagées au XIXe siècle. Nous pourrions nous en inspirer pour ce qui nous concerne, en ce début de XXIe siècle.

En outre, le milieu carcéral constitue un foyer de radicalisation qu’il faut prendre en compte.

Enfin, il faut mener un travail de prévention à l’échelle des territoires défavorisés, et notamment au sein des quartiers populaires. Ce matin même, j’ai rencontré les représentants d’une association qui travaille beaucoup sur ces questions et que préside M. Denoix de Saint Marc. En effet, je suis persuadé que la société civile doit, elle aussi, s’impliquer sur ce dossier, notamment à travers les associations.

La répression est indispensable, le travail de renseignement l’est tout autant. La répression est indispensable, le travail de renseignement l’est tout autant. Toutefois, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer en présentant la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, nous devons également lutter contre tous ceux qui travaillent à changer les mentalités et qui constituent le ferment d’une véritable menace pour notre pays.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, je constate que vous semblez d’accord avec moi ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) Dans ce cas, mettons en œuvre sans tarder ces mesures de prévention !

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le ministre, la politique de lutte contre le terrorisme est un sujet essentiel que le RDSE a souhaité voir inscrit à l’ordre du jour du Sénat pour cette séance de questions cribles. Il l’est d’autant plus pour l’élu toulousain que je suis : un an après les sept assassinats de Toulouse et de Montauban, nous sommes encore sous le choc.

L’affaire Merah, comme d’autres survenues depuis – je pense aux arrestations de Marignane de ces dernières semaines –, a mis en lumière, s’il en était besoin, que le renseignement est un instrument essentiel de lutte contre le terrorisme, en coopération avec l’outil judiciaire, bien sûr.

La DCRI a été sévèrement critiquée à la suite de l’affaire Merah. Je ne reviendrai pas sur ce sujet sensible. Toutefois, les membres de mon groupe souhaitent savoir si les moyens dévolus au renseignement seront renforcés et adaptés pour répondre au développement du terrorisme. Il s’agit notamment de ceux que l’on appelle souvent les « loups solitaires » et dont les actes, quoiqu’isolés, emportent des conséquences dramatiques sur les populations civiles. Je précise que, sur ce sujet, je ne stigmatise personne : je songe à tous les extrêmes, de droite comme de gauche, ainsi qu’aux extrémistes religieux.

Ce terrorisme « fait maison » suppose une mobilisation de moyens humains et technologiques substantiels pour assurer la surveillance de jeunes gens « autoradicalisés », qui se forment bien souvent via internet.

Si l’architecture générale du renseignement a été repensée en 2008, les services concernés n’ont pas été épargnés par la RGPP, alors même que la stratégie de sécurité nationale recommandait un renforcement de leurs effectifs et de leurs capacités techniques.

C’est pourquoi je souhaite connaître vos intentions pour améliorer l’efficacité du renseignement. Il s’agit d’un volet parmi d’autres de la politique de lutte contre le terrorisme, mais un volet essentiel au maintien de l’ordre républicain, auquel nous sommes tous ici très attachés.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Plancade, en matière de lutte contre le terrorisme, la principale action mise en œuvre au cours des derniers mois a été adoptée par le Parlement : il s’agit de la loi antiterroriste, qui s’est appuyée sur les travaux engagés par le précédent gouvernement, puis a été enrichie par le gouvernement actuel et, évidemment, par la représentation nationale.

Ce texte nous permet aujourd’hui de poursuivre et de sanctionner les individus enrôlés dans les filières djihadistes à l’étranger, qu’il s’agisse de ressortissants français ou de personnes résidant en France. Des poursuites judiciaires ont ainsi pu être diligentées contre le Français Gilles Le Guen, qui vient d’être expulsé et rapatrié vers la France. Il est désormais pris en charge par la DCRI.

Globalement, un travail très attentif est mené sur les filières existant au Sahel ou en Syrie. Tous les services sont mobilisés, même si, j’en conviens, ils ne garantiront jamais un risque zéro.

À cet égard, vous avez raison de le souligner, il faut être sur tous les fronts, non seulement en milieu carcéral – nous venons d’évoquer ce sujet – mais aussi sur le cyberespace, où beaucoup de liens se nouent incontestablement. (M. Jacques Mézard acquiesce.)

Pour mener son travail de renseignement, la DCRI a besoin de mieux coordonner son action avec le niveau local, y compris avec l’Information générale, la DGSE et les services étrangers compétents. Elle a donc besoin de moyens financiers et humains supplémentaires, qu’elle obtiendra, afin d’assurer une capacité de recoupement plus large et, partant, de gagner en efficacité.

L’affaire Merah est évidemment toujours dans nos mémoires. Nous pensons aux victimes de ces meurtres ainsi qu’à leurs familles. De tels drames nous imposent à tous un très haut niveau de vigilance et d’implication.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le ministre, nous ne doutons pas de votre engagement déterminé dans la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, tous les orateurs qui se sont exprimés l’ont dit, et je l’affirme à mon tour : la prévention du terrorisme et la lutte contre ce fléau dépassent largement tous les clivages. Plusieurs textes, en 2006, en 2008, puis votre loi de 2012 reprennent et amplifient l’action conduite de longue date sur ce plan, et c’est très bien ainsi.

Toutefois, depuis quelque temps, à la suite de l’affaire Merah et à l’occasion d’autres drames, un certain nombre de critiques, parfois excessives, ont été émises au sujet des dysfonctionnements de nos services de renseignement.

Avant tout, la République doit rendre hommage à tous les agents de nos services intérieurs et extérieurs, qui risquent leur vie au quotidien sans toujours obtenir beaucoup de reconnaissance.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !

M. Roger Karoutchi. Néanmoins, un rapport rendu public la semaine dernière affirme, à la suite de différentes études, qu’un certain nombre de mesures doivent être prises. Ce document préconise, entre autres, la création d’une inspection des services ou d’une autorité indépendante permettant, par exemple, de juger de la proportionnalité des moyens de collecte d’informations utilisés pour obtenir des renseignements à l’intérieur comme à l’extérieur. En clair, ce rapport invite à favoriser l’accès à un certain nombre de sources, afin d’assurer un meilleur contrôle sur les services concernés.

Certes, la transparence a parfois du bon, mais elle peut également être un peu inquiétante. De fait, elle peut devenir un élément de doute et de danger pour les agents en mission sur le terrain.

Ma question est donc assez simple. Oui, vous l’avez dit, les services de renseignement doivent être coordonnés, notamment via le lien entre la DGSE et la DCRI. Oui, il faut renforcer les moyens de la DCRI. Mais quelles mesures envisagez-vous de prendre pour que la transparence, notamment à l’égard du Parlement, ne conduise pas à une remise en cause de la confidentialité, et donc à une mise en danger de l’ensemble de nos agents, à l’intérieur comme à l’extérieur ? Après tout, eux aussi défendent l’État et la République ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées du groupe socialiste.  M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur Karoutchi, sur le fond, j’adhère à ce que vous venez de dire, notamment en préambule. Le besoin de transparence existe et, au sein des grandes démocraties, les parlements doivent pouvoir traiter des questions de renseignement de manière sereine, dans le souci du respect de la loi. Parallèlement, nous devons protéger ces agents qui servent les intérêts fondamentaux de notre pays.

Le rapport de Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, vient d’être rendu public. Il faut encore un peu de temps pour en tirer toutes les conclusions.

Quoi qu’il en soit, pour aller dans le sens du rapport, je peux d’ores et déjà vous indiquer qu’il est nécessaire de renforcer les bases juridiques encadrant l’action des services de renseignement. La plupart des grandes démocraties ont engagé de semblables démarches pour se doter d’outils protecteurs. Force est de reconnaître que notre pays a encore du mal à concevoir de tels instruments. C’est bien sûr cet équilibre-là qu’il nous faut atteindre.

À cet égard, les conclusions de la mission Urvoas sont ambitieuses et, me semble-t-il, bienvenues, même si elles méritent encore d’être examinées dans le détail. Ces préconisations posent les jalons d’une réflexion qui pourra opportunément être menée sur ce sujet au cours des prochains mois. C’est d’ailleurs un travail que nous avons déjà engagé dans le cadre de la loi antiterroriste.

D’autres questions se posent concernant les bases juridiques de l’action des services de renseignement. Je songe notamment à l’opportunité de faire évoluer la loi de 1881, sujet que nous avons déjà évoqué dans cet hémicycle. Chacun conviendra que ce texte n’offre pas un cadre adapté aux réalités du monde contemporain. Je pense, par exemple, aux notions de prescription ou de publicité sur internet et sur les réseaux sociaux.

Les services de renseignement demandent des bases juridiques plus solides, à même de les prémunir. Or le Parlement et la société tout entière exigent plus de transparence, tandis que nous devons protéger les agents des services concernés et garantir l’efficacité de leur action, qui nécessite évidemment le secret.

Telle est la ligne de crête sur laquelle nous devons cheminer ensemble.