M. Rémy Pointereau. Cela va être dur !

M. Jean-Pierre Raffarin. Il faut changer de groupe, madame ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Mme Hélène Lipietz. Je n’en ai vraiment pas envie, monsieur Raffarin, car chez les Verts, au moins, il y a plus de femmes que d’hommes.

M. Roger Karoutchi. Revenez à la région !

Mme Hélène Lipietz. Cette misogynie, entretenue sans doute par les représentations statufiées ou peintes qui nous entourent, nous empêche d’être les bons élèves de la parité.

Est-ce parce que nos citoyens et concitoyennes ne prennent pas part à notre élection que nous sommes si frileux, voire si frileuses ? L’enjeu de ce texte ne devrait pas être seulement celui d’une meilleure représentation de la moitié de notre population, mais bien celui de l’implication démocratique des citoyennes.

Nous vous proposons donc trois amendements visant à progresser un peu plus vite vers la parité et la diversité politique.

Mme Hélène Lipietz. Nous aurions pu, au regard de mes propos précédents, en proposer bien davantage, mais je ne souhaitais pas importuner encore plus notre assemblée.

Comme vous le constaterez, nous vous proposons de reprendre les dispositions adoptées dans le cadre de l’élection des conseillers départementaux, ce scrutin unique, que le monde nous envie. (Rires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

C’est un scrutin dont il nous a été martelé qu’il était le seul et l’unique moyen de parvenir à la parité. Je veux bien entendu parler du scrutin binominal paritaire ! Si cette affirmation, rabâchée contre nos arguments visant à intégrer plus de proportionnalité, correspond à l’opinion du Gouvernement, je suis persuadée que M. le ministre me suivra dans cette proposition de scrutin binominal appliqué aux départements où sont élus deux sénateurs. Cela ferait, enfin, progresser la parité !

M. François Rebsamen. Il faudrait savoir !

Mme Hélène Lipietz. Pour ma part, je propose de l’appliquer aux départements où sont élus deux sénateurs, qui sont au nombre de 42, ce qui entrainerait l’élection de 21 femmes au scrutin binominal paritaire. Le pourcentage de femmes au Sénat augmenterait de six points, ce qui n’est tout de même pas énorme.

Mme Hélène Lipietz. Il s'agit d’un effort modéré, mais indispensable. En effet, dans la rédaction actuelle du projet de loi, si tous les partis – j’insiste sur ce point – mettent en tête de liste des hommes, la progression du nombre de femmes au Sénat sera nulle. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

J’en viens à notre deuxième amendement, qui est bien plus complexe. Il vise la parité nationale des têtes de liste sur l’ensemble des départements où l’élection a lieu au scrutin de liste proportionnel. Il assurerait ainsi que, sur les trois élus, deux ne soient pas systématiquement des hommes, ou trois sur cinq pour les départements élisant cinq élus. En effet, finalement, la parité n’est réelle que pour les départements comportant un nombre pair de sénateurs.

Notre troisième amendement vise toujours à l’instauration du scrutin binominal, mais, cette fois, en ajoutant une dose de proportionnelle. S’il est adopté, dans les départements élisant trois sénateurs, deux d’entre eux seraient élus au scrutin binominal et le troisième serait désigné au scrutin de liste paritaire et proportionnel sur une liste nationale.

Ce système aurait le mérite de faire émerger une campagne sénatoriale nationale et, espérons-le, d’intéresser les citoyens non-élus à cette nouvelle élection particulière.

Pour finir, je tiens à saluer un amendement qui tend à mettre fin à un archaïsme ancien, qui voulait qu’un candidat puisse se présenter au second tour sans s’être présenté au premier. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Gisèle Printz applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, on peut appréhender ce projet de loi comme un verre à moitié vide ou comme un verre à moitié plein.

On pouvait s’inquiéter de la volonté de certains, qui souhaitaient bouleverser complètement l’organisation des élections sénatoriales ; il s’agit d’ailleurs d’une idée récurrente et peu marquée politiquement, puisque, sous la précédente législature, la majorité de l’époque avait déjà souhaité procéder à un tel bouleversement.

Aussi, l’impression qui domine à lecture de ce projet de loi, plutôt modeste, est que le bon sens a fini par prévaloir et que ceux qui souhaitaient ainsi bouleverser l’organisation des élections sénatoriales, soit n’ont pas eu gain de cause, soit sont revenus à la raison.

M. Jean Louis Masson. Ce projet de loi n’a donc pas une portée considérable, et je voudrais pour ma part m’exprimer sur les deux modifications principales qui en résulteraient : l’une à laquelle je suis radicalement hostile, l’autre à laquelle je suis très favorable.

Celle à laquelle je suis très hostile consiste à modifier le nombre de délégués en fonction du nombre d’habitants des communes. Nous avons déjà connu un certain nombre de reculs du principe de la représentation des territoires. Il s’agirait là d’une petite régression supplémentaire.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. D’un rééquilibrage !

M. Jean Louis Masson. Je précise bien que j’ai conscience que ce recul est limité : pour les communes les plus peuplées, on passe de la désignation d’un délégué par tranche de 1 000 habitants au-dessus de 30 000 habitants à un par tranche de 800 habitants. Toutefois, ses effets se cumuleraient avec le recul de la représentation des territoires ruraux qui est entraîné par le redécoupage des cantons, lequel aurait eu lieu également, il est vrai, si le conseiller territorial n’avait pas été abrogé.

M. Jean Louis Masson. Je crois que ce n’est pas la peine d’en rajouter, et c’est la raison pour laquelle je ne voterai pas l’article 1er.

En revanche, je trouve l’apport des autres dispositions tout à fait positif.

Je le rappelle, certains sénateurs, avant les élections de 2001, s’inquiétaient fortement de l’instauration de la parité et du système proportionnel dans les départements élisant trois sénateurs. On avait l’impression que c’était la fin du monde !

Or, pour avoir été élu en 2001, je sais que l’arrivée des sénatrices dans cet hémicycle s’est tout à fait bien passée et que personne ici ne peut regretter qu’il y ait des femmes dans l’hémicycle. (Exclamations.) Or, il faut reconnaître que s’il y a autant de femmes dans l’hémicycle,…

M. Jean Louis Masson. … c’est en raison de l’instauration de la parité.

Si l’on dresse le bilan des élections de 2001, comme je l’avais fait à l’époque, on constate que les femmes élues, en moyenne, avaient dix ans de moins que les hommes et cumulaient trois fois moins de mandats. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Or je pense que la diminution du cumul des mandats, qui favorise le présentéisme, est très positive. De plus, on ne peut pas dire que les femmes qui composent cette assemblée sont moins compétentes ou travaillent moins bien que les hommes. (Exclamations.)

M. Rémy Pointereau. Laissez donc votre place à une femme !

M. Jean Louis Masson. Je pense, pour ma part, que c’est une très bonne chose d’appliquer la parité dans les départements à trois sénateurs. De même, je considère comme très positive l’instauration de la proportionnelle dans ces départements. En effet, il n’est pas normal qu’un parti qui recueille 51 % des suffrages dans un département y obtienne les trois sièges de sénateur. Où est la démocratie ici ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Exactement !

M. Jean Louis Masson. Que l’on ne vienne pas nous dire, comme je l’ai entendu tout à l’heure, que c’est faire la place aux deux grands partis. C’est totalement faux ! Rien n’empêche le candidat indépendant d’être devant le candidat socialiste ou devant le candidat UMP,…

M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas le problème !

M. Jean Louis Masson. … comme je l’ai moi-même été aux précédentes élections.

M. François Trucy. Bravo ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Louis Masson. Je pense donc que non seulement la disposition en cause est positive, mais que l’expérience de 2001 montre qu’il en résulterait un pluralisme démocratique plus important. Ce type de dispositions empêche en effet le maire du chef-lieu de département de s’entendre avec le président du conseil régional, entrainant un blocage total de la respiration démocratique.

C’est la raison pour laquelle, à la différence du premier article que j’ai évoqué, je voterai bien volontiers les autres dispositions de ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Roger Karoutchi. Enfin une respiration démocratique !

M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes ravis de vous retrouver de nouveau sur ces bancs.

Nous sommes un peu gênés, pour vous et pour votre emploi du temps, que le Gouvernement vous envoie, semaine après semaine, défendre des réformes électorales dont personne ne veut réellement, y compris au sein de votre propre majorité.

Ne croyez pas que nous serions lassés de ces rendez-vous quasi hebdomadaires avec vous. Toutefois, les sujets dont nous avons à débattre sont vraiment répétitifs. En un an, nous avons eu droit au changement de seuil pour la proportionnelle aux élections municipales, à la modification des règles d’élection des conseillers intercommunaux, à la suppression des conseillers territoriaux, au rétablissement de la proportionnelle pour les conseillers régionaux, à la création baroque et sans équivalent au monde de binômes de conseillers départementaux « siamois » sur de très grands cantons.

J’ajouterai qu’il fallait beaucoup d’audace pour présenter au Parlement un projet de loi sexualisant les candidatures aux élections cantonales au moment même où vous défendiez un texte désexualisant le mariage ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Sur l’initiative de votre majorité, l’Assemblée nationale a également eu à débattre du changement de mode de scrutin pour les élections européennes. N’en doutons pas, sous peu, vous reviendrez nous voir avec la proportionnelle pour les élections législatives.

Cet inventaire me fait penser à Marcel Pagnol qui, dans La Gloire de mon père, se souvenait des vieilleries que son père ramenait de chez les brocanteurs lorsqu’il revenait de « toucher son mandat » à la mairie. Il écrivait : « Un compas diviseur épointé (1 fr 50), […] une scie de chirurgien (2 fr), une longue-vue de marine où l’on voyait tout à l’envers (1 fr), un couteau à scalper (2 fr) ». Si Marcel Pagnol ne savait pas ce que son père pouvait faire d’une scie de chirurgien et d’un couteau à scalper, nous, monsieur le ministre, nous n’avons aucun doute de l’usage que vous en ferez ! (Sourires et applaudissements sur les mêmes travées.)

Nous avons plaisir à vous voir, monsieur le ministre. Toutefois, quitte à nous rencontrer toutes les semaines, ne pourrions-nous pas plutôt discuter de sujets qui relèvent de votre responsabilité et pour lesquels nos concitoyens éprouvent des inquiétudes de plus en plus fortes ?

Il y a dans nos quartiers – et pas seulement dans les quartiers – des Français qui n’ont pas la même échelle de priorité que le gouvernement auquel vous appartenez. Il y a des Français qui ont du mal à percevoir l’urgence nationale qu’il y a à légiférer pour offrir aux élus socialistes des modes de scrutin sur mesure afin de contourner l’inévitable sanction des urnes ! (M. Roger Karoutchi opine.)

Ces Français, monsieur le ministre, comment voulez-vous qu’ils admettent que l’imagination de vos services ait été dévolue à changer les modes de scrutin plutôt qu’à trouver des solutions à la délinquance, qui a repris de plus belle ?

M. Manuel Valls, ministre. C’est faux.

M. Jean-Claude Gaudin. Il est vrai que l’imagination du Gouvernement est sans borne en matière électorale : pendant les élections, votre slogan, c’est « l’imagination au pouvoir » ; une fois élus, ce serait plutôt « l’imagination pour garder le pouvoir » ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) Nous aurions aimé que vous fassiez preuve d’autant d’imagination pour lutter en faveur de l’emploi.

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Et les contrats d’avenir ? Et les contrats de génération ?

M. Jean-Claude Gaudin. Malheureusement, une fois rangés la scie de chirurgien et le couteau à scalper, il n’y a plus de place dans votre fameuse « boîte à outils » pour d’autres ustensiles ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Il est vrai, monsieur le ministre, qu’en matière d’inventivité électorale, vous avez de glorieux prédécesseurs, place Beauvau. Je pense, notamment, à celui que nous avons eu en commun, M. Gaston Defferre.

Mme Éliane Assassi. Et M. Pasqua ?

M. Jean-Claude Gaudin. Quelle ingéniosité ! C’est l’homme qui a inventé la loi dite « PLM », c'est-à-dire Paris, Lyon, Marseille, dont l’originalité a été de séparer les arrondissements parisiens, pour que les conseillers de Paris soient élus dans chacun des vingt arrondissements, et, dans le même temps, de regrouper par quatre, par trois, par deux les arrondissements marseillais – même si quelquefois il n’y en a qu’un seul –, sans aucune logique territoriale, afin de « noyer » les îlots de droite dans des secteurs de gauche.

M. Bruno Sido. Voilà !

M. Jean-Claude Gaudin. Il a fallu attendre 2001 pour que la loi Defferre profite aux socialistes à Paris. En effet, avec moins de 49 % des suffrages, Bertrand Delanoë a été élu maire de la capitale. Grâce à cette incongruité électorale, avec moins de voix que la droite, la gauche a obtenu vingt et un sièges d’avance au conseil de Paris. (Sourires sur les travées de l'UMP.)

En revanche, à Marseille, Gaston Defferre n’a pas eu à attendre vingt ans les bénéfices de cette entourloupe électorale. Grâce au scrutin de secteur, il a été réélu en 1983, bien que votre serviteur ait obtenu plus de suffrages que lui sur l’ensemble de Marseille !

M. Gérard Longuet. Eh oui ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Jean-Claude Gaudin. Tout avait été bien pensé ! Dans les secteurs de gauche, le nombre des élus était impair, ce qui permettait d’arrondir à l’entier supérieur. Dans les secteurs de droite, le nombre des élus était pair, et l’on n’arrondissait « que dalle » ! (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Il y a prescription !

M. Jean-Claude Gaudin. J’ai vécu cette période, monsieur le rapporteur, ce qui m’autorise à faire ce rappel !

Cette parenthèse close, nous voilà donc de nouveau réunis avec vous, monsieur le ministre.

Le dépeçage des cantons n’est pas terminé – nous le savons tous –, que l’« équarrissage » du Sénat va débuter. (Sourires sur les mêmes travées.)

Il est vrai que le Sénat de la République est le trublion quotidien de votre majorité depuis un an. Il ne pouvait pas braver le Gouvernement plus longtemps sans encourir de sanction. Le Sénat, « enfin de gauche », symbole à vos yeux en 2011 de l’irrésistible marche vers le pouvoir du parti socialiste, se trouve être aujourd’hui votre premier opposant !

Tous les textes importants sont rejetés les uns après les autres : loi de finances pour 2013 ; loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 ; loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes ; loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral. Plus rarement, certains textes ont été adoptés,…

M. Philippe Dallier. Par hasard !

M. Jean-Claude Gaudin. … mais parce que le groupe UMP est venu à votre secours ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Claude Bérit-Débat. Parce que ce sont de bons textes !

M. Jean-Claude Gaudin. Je pense à la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, pour laquelle votre propre majorité vous faisait une fois de plus défaut.

Finalement, vous constaterez avec moi qu’il faut que les textes viennent de l’opposition pour qu’ils soient adoptés à l’unanimité par le Sénat ! (Sourires sur les mêmes travées.) Je pense au référendum d’initiative partagée ou à notre proposition de résolution relative au respect des droits et libertés des collectivités territoriales.

Il fallait donc punir le Sénat : pour cela, vous avez fait appel au plus irréductible adversaire de la Haute Assemblée sous la Ve République, M. Lionel Jospin !

Lionel Jospin n’a jamais admis qu’une assemblée de la République puisse représenter les territoires. Seule la stricte démographie comptait à ses yeux. Quatorze ans après avoir qualifié le Sénat d’« anomalie démocratique », l’ancien Premier ministre poursuit son acharnement contre le Sénat et la ruralité.

En 2000, sa réforme du Sénat, qui visait à affaiblir la représentation des communes rurales, avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Qu’à cela ne tienne ! Avec la même obsession, il reformule à l’automne les mêmes propositions au nom d’une commission ne comptant aucun élu : proportionnelle à partir de trois sièges et affaiblissement du poids des communes rurales dans le collège électoral sénatorial, en augmentant celui des départements et des régions.

À rebours de tous les principes constitutionnels, Lionel Jospin va jusqu’à proposer le vote plural. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de donner des bulletins de vote de différentes valeurs – comme des jetons de casino ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) – aux grands électeurs, afin d’écraser la représentation de la ruralité.

Ici, tel maire rural aura une voix, et là, tel conseiller municipal en aura quinze ! Dieu merci, il n’y a pas eu un seul constitutionnaliste sérieux pour aller dans ce sens. Vous avez donc dû privilégier d’autres pistes pour façonner le Sénat à votre main. Ce fut l’extension de la proportionnelle à partir de trois sièges.

Quel impératif vous a-t-il animé ? La parité ? J’en doute ! (Sourires sur les mêmes travées.) Le pluralisme ? Si tel était le cas, vous auriez également préconisé ce système pour les cantonales. Or pour ces élections vous avez justement privilégié une variante du mode de scrutin sénatorial actuel.

Poursuivons. Si vous êtes réellement convaincu que ce mode de scrutin est le plus juste pour le Sénat, pourquoi n’êtes-vous pas allé jusqu’à appliquer la proportionnelle aux départements élisant deux sénateurs ? Pourquoi vous arrêter à trois sièges ?

M. François Patriat. C’est vrai !

M. Jean-Claude Gaudin. Tout simplement pour gagner sur le tapis vert un scrutin qui s’annonce d’ores et déjà difficile dans les urnes.

La proportionnelle à partir de deux sièges aurait défavorisé le parti socialiste, voilà pourquoi vous n’en voulez pas ! Car c’est dans cette strate de départements que vous réalisez vos meilleurs résultats. Faut-il que je cite les quinze départements où la majorité aurait tout à y perdre ?

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Jean-Claude Gaudin. Tenez, la Corrèze, par exemple !

M. Gérard Longuet. Ou l’Ariège !

M. Jean-Claude Gaudin. Dans ces départements, je doute fort que vos élus auraient accepté, comme cela a été dit, d’offrir l’un des deux sièges à l’opposition. Dans ces départements, le pluralisme et la parité deviennent curieusement des objectifs moins immédiats... (Sourires sur les travées de l'UMP.)

En revanche, examinons les départements élisant trois sénateurs. Quelque 27 départements seront concernés par ce basculement vers la proportionnelle, dont 17 dès 2014. Or ce sont principalement des sénateurs de l’opposition qui seront affectés. En effet, sur les 51 sénateurs sortants concernés, on dénombre 27 UMP, 7 UDI-UC et un non-inscrit, soit 35 sénateurs de l’opposition, pour seulement 16 sénateurs de la majorité.

Ainsi, sur la seule série renouvelable en 2014, à collège électoral constant, la gauche gagnera mécaniquement 9 sièges et n’en perdra que 2.

M. Jean-Claude Gaudin. Cela fait 7 sièges de plus pour la majorité et 7 sièges de moins pour l’opposition. Outre les 6 sièges de retard actuel, l’opposition entamera les élections sénatoriales avec un handicap mécanique de 14 sièges supplémentaires.

M. Roger Karoutchi. Tout à fait !

M. Jean-Claude Gaudin. Avec la proportionnelle à partir de trois sièges, la majorité sénatoriale s’offre donc une marge de 20 sièges. Cela mérite d’être souligné !

M. Henri de Raincourt. Quelle magouille !

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. À vous écouter, ce n’est plus la peine de voter !

M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le ministre, ce seuil n’a aucun sens. Je vais vous en apporter la preuve.

Jusqu’au renouvellement de 1998, la proportionnelle ne s’appliquait qu’à partir de cinq sièges. Un tiers des sièges était donc renouvelé à la proportionnelle. La loi Jospin de 2000 a abaissé le seuil de la proportionnelle à partir de trois sièges. Seule la série B de 2001 fut renouvelée selon cette règle. Le rapport fut alors inversé. Trois quarts des sièges furent donc renouvelés à la proportionnelle.

Revenue au pouvoir en 2002, notre majorité aurait pu rétablir la proportionnelle à partir de cinq sièges.

M. Henri de Raincourt. Elle aurait dû…

M. Jean-Claude Gaudin. Nous n’avons pas souhaité le faire, car il nous semblait qu’il fallait cesser cette bataille de modes de scrutin.

Nous avions donc proposé une loi de compromis, qui devait nous permettre de nous retrouver à mi-chemin des aspirations des deux camps.

En fixant le seuil de la proportionnelle à quatre sièges, nous avons atteint un juste équilibre, puisque la moitié des sénateurs – 52 % – sont élus à la proportionnelle et l’autre moitié – 48 % – au scrutin majoritaire. Ce compromis s’est appliqué aux renouvellements de 2004, 2008 et 2011. Ce seuil avait vocation à durer. Vous voulez aujourd’hui le briser sur l’autel de vos intérêts.

L’autre mesure de votre projet de loi est tout aussi insidieuse. Il s’agit de l’augmentation du nombre de délégués dans les communes de plus de 30 000 habitants.

La tentation de la gauche a toujours été de restreindre la part des communes rurales dans le collège électoral sénatorial.

M. Jean-Claude Gaudin. La loi Jospin de 2000, censurée par le Conseil constitutionnel, proposait déjà une représentation purement démographique des communes. Chaque commune aurait désigné un grand électeur par tranche de 300 habitants. Ce système ubuesque aurait conduit à faire élire les sénateurs par un collège électoral majoritairement composé de délégués non élus,…

M. Bruno Sido. Un comble !

M. Jean-Claude Gaudin. … jusqu’à 71 % du collège électoral dans certains départements d’Île-de-France.

M. Jean-Claude Gaudin. La décision du Conseil constitutionnel s’était révélée protectrice pour la représentation de la ruralité, puisqu’elle a affirmé que le Sénat devait rester élu « par un corps électoral essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ».

C’est cette décision que vous essayez de contourner, aujourd’hui, en proposant qu’un délégué supplémentaire soit désigné par tranche de 800 habitants dans les communes de plus de 30 000 habitants.

En tant que premier bénéficiaire – comme vous me l’avez fait remarquer, monsieur Kaltenbach –, le maire de Marseille ne devrait pas s’en plaindre. Sauf qu'il faudra compter aussi les élus du Front national…

Cela me donne, au contraire, plus de force pour vous dire que cette règle est injuste et pénalisante pour nos territoires ruraux. En procédant ainsi, vous augmenterez le collège électoral sénatorial de plus de 3 000 délégués supplémentaires, au bénéfice des 260 communes les plus peuplées.

Je vous le dis solennellement, dans la situation d’équilibre politique que connaît le Sénat aujourd’hui, il me semble hasardeux de modifier cette règle de compromis sans risquer d’entacher la sincérité du prochain scrutin sénatorial.

Le texte que vous proposez a été rejeté par la commission des lois de la Haute Assemblée. Passer en force ne serait pas acceptable.

S’agissant de l’élection des conseillers départementaux, il était choquant que le Gouvernement donne le dernier mot à l’Assemblée nationale sur un texte relatif aux collectivités territoriales, alors que le Sénat l’avait rejeté. Toutefois, passer en force à l’Assemblée nationale un projet de loi relatif au Sénat, contre l’avis de ce dernier, serait encore beaucoup plus grave.

Avant de conclure, monsieur le ministre, je voudrais faire appel au sens du dialogue qui a su jusqu’à présent être le vôtre dans de nombreuses circonstances. Comme Yves Détraigne, j’aimerais savoir si vous allez prendre l’engagement d’arrêter la navette au cas où le Sénat rejetterait ce texte en première lecture, comme l’a fait la commission des lois.

Enfin, en persistant à passer ce projet de loi, vous ne vous rendez pas service. Vous le savez, les électeurs sanctionnent toujours durement ceux qui manipulent les modes de scrutin. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Mme Éliane Assassi. Et Pasqua ?

M. Philippe Kaltenbach, rapporteur. Et Marleix ? Vous êtes des experts en la matière !

M. Jean-Claude Gaudin. Vous en avez fait l’amère expérience par le passé. Nous aussi !

Par ailleurs, en y réfléchissant bien, vous ne servez pas vos intérêts en tentant de maintenir, coûte que coûte et contre le sens du courant, le Sénat à gauche.

Le Gouvernement est battu sur tous les textes par sa propre majorité, sous le regard attentif de la presse qui ne manque pas de souligner les échecs que le Sénat vous inflige. Vous vous rendriez service à laisser le Sénat revenir à droite et au centre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Bien entendu, les textes continueraient d’être rejetés avec le même entrain ! Mais vous pourriez vous retrancher derrière le fait que le Sénat est dorénavant dans l’opposition. (Rires sur les mêmes travées.)

Si vous ne le faites pas par souci d’équité électorale, faites-le pour vous-même ! Renoncez à ce projet de loi, au nom de la solidarité gouvernementale, qui, à vous entendre, existe réellement, pour simplifier la vie de vos collègues au Parlement ! (Sourires sur les mêmes travées.)

Les sénatrices et sénateurs du groupe UMP ne sont pas du tout favorables à un changement de mode de scrutin. Ils seront unanimes pour vous le dire ! (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.