M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Robert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, si la volonté politique donne naissance au droit, c’est son contrôle et sa sanction qui le nourrissent.

Tel est l’objet du projet de loi n° 328 portant application du protocole additionnel à l’accord entre la France, la Communauté européenne de l’énergie atomique et l’Agence internationale de l’énergie atomique relatif à l’application de garanties en France, signé à Vienne le 22 septembre 1998, qui permet de renforcer notre engagement international pour lutter contre le développement de programmes nucléaires clandestins.

Mes chers collègues, je présenterai mes observations en deux temps, m’attachant à démontrer l’apport du protocole additionnel, puis celui du projet de loi, puis j’évoquerai les seize amendements déposés sur le texte qui nous est soumis.

En ce qui concerne le protocole, je rappelle, à titre liminaire, que celui-ci vient compléter le mécanisme de garanties international prévu par l’accord avec la Communauté européenne de l’énergie atomique, la CEEA, et l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, qui a été mis en œuvre dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, de 1968.

Ces garanties visent, au premier chef, les États non dotés de l’arme nucléaire, les fameux ENDAN, afin de s’assurer qu’ils ne détournent pas les matières ou les équipements nucléaires de leur usage pacifique.

La France, qui figure parmi les cinq États officiellement dotés de l’arme nucléaire – officieusement, il y en a d’autres, on le sait –, a souhaité conclure un tel accord sur une base volontaire pour participer à la démarche internationale de non-prolifération.

Elle a donc signé avec l’AIEA un protocole additionnel à l’accord en 1998, qui a été ratifié en 2003. Ce nouvel instrument permet de détecter de manière plus efficace d’éventuelles activités nucléaires militaires clandestines menées dans un État non doté de l’arme nucléaire.

Ainsi, il impose la transmission à l’AIEA de renseignements supplémentaires sur les activités menées avec les ENDAN et pas seulement la transmission d’informations sur la comptabilisation des matières nucléaires, prévue par l’accord de garanties et qui est déjà, vous le savez, dépassée.

En effet, le mécanisme déclaratif des matières nucléaires par les États a véritablement atteint ses limites. Il s’est révélé insuffisant pour détecter certains programmes militaires clandestins. Il importe de pouvoir croiser les informations provenant de différentes sources, dont la France, avec les renseignements fournis parallèlement par les ENDAN.

Cela permet non seulement de vérifier la sincérité des déclarations faites par ces États, mais également d’identifier la nature des technologies que ceux-ci cherchent à acquérir, ainsi que leur niveau de maturité. Pour ce faire, il faut déclarer plus que les matières nucléaires.

C’est pourquoi les nouvelles obligations imposées par le protocole sont de deux ordres.

La première obligation consiste à transmettre des informations à l’AIEA sur les activités menées en relation avec un État non doté de l’arme nucléaire, lorsque celles-ci interviennent en appui du cycle du combustible.

Je vous le rappelle, mes chers collègues, ce cycle concerne non seulement la transformation des matières nucléaires, la fabrication du combustible et le traitement des déchets, mais également les activités de fabrication et d’exploitation liée aux réacteurs. La production de boulons pour des centrifugeuses, par exemple, doit être vérifiée.

Le champ des opérations visées comprend, notamment, les activités de recherche et développement, publiques comme privées, liées au cycle du combustible nucléaire, celles de fabrication de certains équipements et matières non nucléaires, énumérées en annexe du protocole, les importations et exportations de certains déchets ou équipements lorsqu’elles sont réalisées en dehors de la Communauté, depuis ou vers un État non doté de l’arme nucléaire.

La seconde obligation consiste à accorder un droit d’accès dit « complémentaire » aux inspecteurs de l’AIEA. Ce droit, qui s’exerce dans le cadre des vérifications prévues par le protocole, est complémentaire, car il s’ajoute au droit d’inspecter, déjà inscrit dans l’accord de garanties.

D’une manière générale, les obligations inscrites dans le protocole couvrent donc un champ d’application plus large que celui de l’accord de garanties. Ainsi, les minerais, en amont du cycle du combustible, et les déchets, en aval de celui-ci, sont concernés par sa mise en œuvre.

Mes chers collègues, vous constaterez que l’approche du protocole est également beaucoup plus dynamique et qualitative que celle de l’accord de garanties. Il s’agit de permettre à l’AIEA d’avoir une vision d’ensemble du cycle du combustible nucléaire, pour avoir connaissance non seulement de la détention par un État non doté de l’arme nucléaire de ces matières nucléaires brutes, mais également de la production et de la transformation de ces matières pour des applications nucléaires et non nucléaires, aux différents stades du cycle.

J’en viens au second point relatif à l’apport de ce projet de loi.

Le protocole est entré en vigueur en 2004. Depuis cette date, la France fournit à l’AIEA les renseignements requis par ce texte. Le comité technique Euratom, chargé de son application, recueille auprès des différentes personnes concernées les renseignements prescrits par l’accord.

Deux raisons conduisent aujourd’hui le Gouvernement à traduire ses engagements internationaux au niveau interne. Elles tiennent toutes deux en un mot : la sécurité, aussi bien juridique qu’internationale.

Le premier motif, celui de la sécurité juridique, réside dans la nature et la portée particulièrement large de l’obligation déclarative et du droit d’accès complémentaire. Ces obligations ont été créées à l’échelle internationale entre la France et l’AIEA. Elles doivent donc logiquement être complétées en droit interne.

Au-delà des exploitants nucléaires, toute personne, publique ou privée, est susceptible d’être concernée et de devoir procéder à ces déclarations ou d’accorder un droit d’accès aux inspecteurs.

À titre d’illustration, une entreprise qui exporterait vers un État non doté de l’arme nucléaire des éléments nécessaires à la construction d’une centrifugeuse – j’en reviens à mon exemple des boulons – et pouvant servir à enrichir l’uranium doit en informer les autorités françaises, afin que celles-ci puissent communiquer ce renseignement à l’AIEA.

Un directeur de laboratoire de recherche et développement travaillant en coopération avec un tel État doit autoriser l’accès des inspecteurs de l’AIEA à ses locaux, afin qu’ils vérifient la nature de ces recherches. En effet, il ne sait pas si des éléments de recherche sont transmis à des ENDAN.

Ce droit n’a, d’ailleurs, pas encore été mis en œuvre. C’est pourquoi il est souhaitable de l’inscrire expressément dans notre dispositif législatif et d’en préciser les modalités. Le projet de loi vise ainsi à compléter les stipulations du protocole, en prévoyant une autorisation du président du tribunal de grande instance en cas d’opposition totale ou partielle à la vérification.

La commission a étendu cette autorisation judiciaire en cas de refus d’accès aux représentants de l’AIEA dans le cadre d’une inspection.

En outre, toute obligation n’a de portée effective que lorsqu’elle est sanctionnée. Le projet de loi a également pour objet de prévoir une sanction pénale pour prévenir ou condamner tant le refus de transmettre les informations que celui d’accorder l’accès aux inspecteurs de l’AIEA, dans les conditions fixées par le juge judiciaire. Refuser l’accès des inspecteurs aux locaux signifie qu’on leur cache quelque chose. Quand on ne cache rien, il n’y a pas de raisons de le leur refuser !

D’autres pays, comme les États-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni, la Belgique ou l’Espagne ont d’ailleurs prévu de telles sanctions.

La seconde raison qui me conduit à vous proposer d’adopter le présent projet de loi, mes chers collègues, tient au contexte international. La lutte contre le détournement de l’usage pacifique de la technologie nucléaire constitue, en effet, une priorité.

Les incertitudes relatives à l’état d’avancement dans la maîtrise de ces technologies et de leur utilisation par l’Iran et la Corée du Nord, par exemple, conduisent les puissances occidentales, dont la France, à vouloir renforcer la capacité de l’AIEA à disposer d’informations supplémentaires de nature à lui permettre de lutter contre les activités clandestines en ce domaine.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la traduction en droit interne de notre engagement international est essentielle, d’autant qu’elle aura également, nous l’espérons, valeur d’exemple.

Pour ce qui concerne les amendements, j’exposerai dans le cours du débat la position de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je profite de l’examen en séance publique de l’accord passé entre notre pays, Euratom et l’Agence internationale de l’énergie atomique pour souligner le travail essentiel, réalisé à l’échelon international, en matière de lutte contre les risques de prolifération nucléaire. Je sais que nous comptons parmi nous des collègues, fort respectables au demeurant, dont la sensibilité sur ce point est grande. Aussi, je veux tenter, si cela est possible, de les rassurer, en leur disant que les efforts de l’AIEA dans ce domaine reçoivent tout notre soutien.

Le texte dont nous allons aborder la discussion porte, en effet, sur l’application de garanties qui permettent de fournir des informations sur la détention de matières nucléaires contrôlées dans le cadre d’une inspection internationale. Ces obligations ont pour objet de renforcer l’efficience du système et d’accroître la capacité de l’AIEA à détecter d’éventuelles activités nucléaires clandestines menées dans un État non doté de l’arme nucléaire.

Sans aborder ici la question de la Corée du Nord, qui est un sujet de préoccupation majeure, je veux dire quelques mots sur l’Iran, après la diffusion, le 22 mai dernier, du rapport trimestriel du directeur général de l’AIEA sur la mise en œuvre – en l’occurrence, il s’agirait plutôt de l’absence de mise en œuvre – par ce pays de son accord de garanties.

Nous ne pouvons qu’être extrêmement préoccupés par les faibles avancées que connaissent les négociations avec l’Iran. La récente élection présidentielle a fait naître un léger espoir de progrès, dont seul l’avenir nous dira s’il était fondé.

Pour l’instant, je ne peux que constater que l’Iran poursuit avec détermination le développement de son programme nucléaire et que ce pays continue à refuser la coopération avec l’AIEA sur les aspects militaires. Le rapport du directeur général souligne que les activités de l’Iran sont en contradiction flagrante avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et du Conseil des gouverneurs de l’AIEA.

Les blocages persistants qu’oppose l’Iran aux discussions empêchent l’AIEA de mener à bien sa mission. Les informations, l’accès aux sites, aux personnes et aux documents, absolument nécessaires à son contrôle, lui sont, en effet, refusés. Ces manœuvres ont clairement pour objet de diminuer la capacité de vérification de l’AIEA, alors même que le développement du programme nucléaire iranien rend les contrôles plus nécessaires que jamais.

L’Iran devrait prendre conscience que son manque de transparence et sa volonté d’obstruction jouent contre son intérêt et ne peuvent que tendre au renforcement, cela a été décidé encore récemment, des sanctions prises par l’ONU comme par l’Union européenne.

Cette évidence n’est cependant pas partagée par les autorités iraniennes. En effet, le rapport du directeur général de l’AIEA souligne à la fois la progression extrêmement préoccupante du chantier du réacteur à eau lourde d’Arak, qui pourrait permettre à l’Iran de produire du plutonium, et l’accroissement continu de ses stocks d’uranium enrichi à 3,5 % et à 20 %, grâce à l’installation de nouvelles batteries de centrifugeuses.

Dans les zones plus que jamais fragiles que sont le Moyen-Orient et le Proche-Orient, l’accession de l’Iran à la puissance nucléaire militaire ne peut être tolérée. Outre le fait qu’elle se traduirait immédiatement par la mise en place de programmes de prolifération dans d’autres États de la région, elle risquerait de conduire à un embrasement généralisé.

Ce simple exemple, que souligne, du reste, l’excellent rapport de notre collègue Robert del Picchia, montre l’importance des garanties et des possibilités de vérification et d’inspection accordées à l’AIEA.

Je tenais donc, mes chers collègues, à souligner cet aspect très positif du texte qui vous est proposé. Aussi, je vous demande de lui réserver le meilleur accueil possible. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi est destiné à adapter notre législation pour préciser les modalités d’application d’un protocole visant à renforcer les moyens mis à la disposition de l’Agence internationale de l’énergie atomique pour lutter contre la prolifération nucléaire.

Ce protocole additionnel vise à rendre plus efficaces les contrôles dans ce domaine en fournissant à l’AIEA des informations supplémentaires. Pour que celles-ci puissent être recueillies, le protocole impose aux États signataires, dont la France, de nouvelles obligations assorties de sanctions pénales. Ces obligations consistent pour l’essentiel à transmettre des données particulières sur les opérations menées en matière nucléaire et à accorder aux inspecteurs de l’AIEA un droit d’accès dit « complémentaire » ; pour que la France puisse y satisfaire, il est nécessaire de compléter notre droit interne.

Qu’il s’agisse de la capacité à identifier la nature et la localisation des activités liées au cycle du combustible nucléaire, des conditions d’accès aux sites accordées aux inspecteurs ou encore de la volonté politique de sanctionner la violation des engagements d’un État, les mesures prévues par ce protocole contribueront incontestablement à améliorer le fonctionnement de l’AIEA.

J’ajoute que cette adaptation législative est opérée dans le cadre des règles d’un État de droit comme la France, et avec toutes les garanties de respect des libertés publiques. En outre, le travail de notre rapporteur et de notre commission a permis d’apporter au projet de loi des précisions nécessaires.

Enfin, dans un contexte international où des risques très réels existent que certains pays utilisent les technologies nucléaires à des fins militaires, je conçois tout à fait qu’il faille renforcer la capacité de l’AIEA à disposer d’informations lui permettant de lutter contre les activités clandestines.

Cette volonté de traduire en droit interne notre engagement international dans le domaine de la lutte contre la prolifération nucléaire montre la détermination de notre pays.

À cet égard, toutefois, je regrette que, dans la lutte contre la prolifération et pour le désarmement nucléaires, le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, sous l’impulsion du Président de la République, ne mette pas en œuvre de nouvelles orientations qui trancheraient nettement avec les politiques précédentes.

De fait, le principal obstacle à la non-prolifération réside dans le sentiment légitime des pays émergents et des pays du Sud non dotés de l’arme nucléaire que les grandes puissances ne tiennent pas leurs engagements en matière de désarmement. Certains de ces pays continuent même de s’opposer au renforcement des instruments de vérification du nucléaire civil par l’extension du protocole additionnel que nous avons signé.

La lutte contre la prolifération, sur laquelle insistent beaucoup les grandes puissances nucléaires, et notre pays tout particulièrement, ne peut être crédible et légitime que si elle s’accompagne d’un réel effort de ces puissances pour mettre en œuvre l’article VI du Traité de non-prolifération, qui stipule que celles-ci s’engagent à « poursuivre de bonne foi des négociations [de] désarmement nucléaire ». En effet, le TNP établit un lien indissociable entre le régime de non-prolifération et le mouvement vers le désarmement nucléaire.

Aujourd’hui, à l’approche de la neuvième conférence d’examen du TNP, prévue en 2015, notre pays devrait jouer, dans le désarmement nucléaire multilatéral, un rôle dynamique et déterminant à la hauteur de sa place dans le monde.

En particulier, il est impératif de préserver le TNP des dangers qui le menacent car il est le seul instrument juridique international propre à garantir aux États qui renoncent à l’acquisition de l’arme nucléaire la possibilité d’accéder en toute sécurité au nucléaire civil. Pour cela, nous devons être porteurs de propositions ambitieuses et constructives. En effet, c’est d’abord aux pays dotés de l’arme nucléaire de donner l’exemple, en montrant concrètement que le régime de non-prolifération et le mouvement vers le désarmement nucléaire vont de pair.

De même, il est nécessaire de parvenir à un accord d’ensemble sur le désarmement nucléaire, tout en empêchant, comme le visent les États-Unis et la Russie, une compensation sous la forme d’armements conventionnels, chimiques et biologiques.

Or, si l’on doit reconnaître que le président Obama a consenti certains efforts dans cette direction, encore qu’ils soient ambigus, il faut mesurer avec lucidité que les États-Unis restent, avec la Russie, la principale puissance nucléaire pour ce qui est des stocks ; sur ce plan, ils se placent très loin devant la France, la Chine et le Royaume-Uni.

Cessons pourtant de nous satisfaire de la position exemplaire qu’aurait notre pays en matière de réduction de son arsenal nucléaire ; cessons aussi de reprendre à notre compte l’idée que notre force de dissuasion serait l’assurance vie de la Nation.

Nous devons changer d’orientation et prendre des initiatives fortes pour que les États s’engagent à mettre fin à la modernisation de leurs armes et de leurs vecteurs.

Ainsi, nous pourrions à nouveau montrer l’exemple en interrompant notre programme de missile stratégique M51, qui est davantage un héritage de la guerre froide qu’un instrument de défense adapté aux menaces d’aujourd’hui.

En somme, nous souhaitons que, d’ici à la prochaine conférence d’examen du TNP, notre pays participe plus activement aux efforts de désarmement en proposant d’entrer dans un processus de négociation sur son armement nucléaire, avec un calendrier contraignant. Ainsi, la France donnerait un nouveau signe concret de bonne volonté et montrerait aux pays sceptiques que nous n’en restons pas aux seules réductions de notre potentiel nucléaire militaire.

Madame la ministre, je pense que vous êtes globalement d’accord avec ces orientations ; je souhaite qu’elles se traduisent désormais en actes. Quant au projet de loi que vous présentez, dans la mesure où il est un nouvel exemple de la volonté de notre pays de consolider le régime de non-prolifération nucléaire, le groupe communiste, républicain et citoyen le votera avec enthousiasme. (M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Jean-Marie Bockel applaudissent.)

M. Robert del Picchia, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, depuis plus d’un demi-siècle, la société internationale cherche à encadrer le risque particulier que les armes nucléaires entraînent par nature.

Durant ce demi-siècle, ce risque a profondément changé. Le danger ne réside plus dans une escalade militaire désordonnée et disproportionnée entre des États rivaux, avec pour seul mot d’ordre la « destruction mutuelle assurée » – pour reprendre une expression qui fait froid dans le dos ! Pourtant, comme l’histoire nous l’a prouvé à plusieurs reprises, la menace n’a pas disparu, même si le désarmement fait progressivement son œuvre ; elle a simplement changé de forme : le risque contemporain du nucléaire militaire, c’est d’abord le risque de prolifération.

L’armement nucléaire demeure, aujourd’hui encore, un outil de sanctuarisation des territoires, de prestige et de leadership politique ; il est officiellement réservé aux membres du Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi qu’à quelques autres États.

En dépit de sa faible portée opérationnelle, si l’on peut dire, au regard des dégâts irréparables provoqués par sa mise en œuvre, le feu nucléaire demeure un objectif cardinal pour de très nombreux États, qui n’ont de cesse de chercher à en maîtriser le processus de développement. Les cas iranien et nord-coréen nous le rappellent régulièrement ; mais combien d’autres États cherchent aussi les moyens de se doter de l’arme nucléaire ?

Le problème se complique dès lors qu’entre en jeu le nucléaire civil. La question de la prolifération se pose alors en ces termes : comment aider un État à se développer sur le plan économique grâce à l’énergie nucléaire civile, s’il peut ensuite la détourner pour développer un programme d’armement militaire ? En d’autres termes, il s’agit de savoir comment assurer la coexistence des deux piliers essentiels d’un régime de contrôle des armements : la lutte contre la prolifération et la coopération internationale.

Ce dilemme se pose à toutes les puissances nucléaires, y compris, bien évidemment, à la France ; il comporte aussi des enjeux économiques qu’il ne faut pas sous-estimer.

Notre position de puissance nucléaire civile et militaire nous expose à notre propre responsabilité quant aux outils que nous avons à notre disposition pour lutter contre la prolifération. Fort heureusement, comme tous les orateurs précédents l’ont souligné, l’ordre juridique international ne laisse pas les puissances nucléaires seules face à leurs responsabilités morales, politiques et historiques. Il prévoit un régime de lutte contre la prolifération dont le Traité de non-prolifération est la clef de voûte et l’Agence internationale de l’énergie atomique la cheville ouvrière.

Pourtant, du fait même de la transformation du risque nucléaire, il est périodiquement nécessaire de compléter le TNP par des protocoles permettant aux États d’adapter leurs moyens d’action aux nouveaux visages de la prolifération.

Ce régime de lutte contre la prolifération a connu des succès manifestes. Alors qu’en 1960 le président Kennedy prévoyait qu’il y aurait près d’une vingtaine de puissances nucléaires en 1970, elles ne sont aujourd’hui que huit ! De fait, de nombreux pays ont abandonné leur programme nucléaire ; je pense notamment au Brésil et à l’Argentine, sans oublier l’Afrique du sud qui a démantelé l’ensemble de ses installations après la fin de l’apartheid.

Sans doute ces succès étaient-ils symptomatiques d’une confiance renouvelée dans la sécurité collective et dans la volonté unanime de maintenir la paix dans un contexte de sortie de la guerre froide. Or il me semble que nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’un deuxième âge nucléaire, dans lequel certains États à la marge – je ne dis pas marginaux – entretiennent des relations avec des groupes terroristes ou autres. D’aucuns vont même jusqu’à évoquer la possibilité d’un détournement de matière fissile par des acteurs non étatiques ; on peut imaginer tous les scénarios catastrophes car, souvent, la réalité dépasse la fiction.

Un tel phénomène laisse craindre le pire ; il impose aux États dotés de l’arme nucléaire et aux États dotés d’un programme nucléaire civil de faire preuve d’une attention renouvelée.

Le protocole dont ce projet de loi vise à assurer le respect par la France complète le mécanisme de garanties internationales prévu par l’accord avec l’ex-Euratom et l’AIEA et mis en œuvre dans le cadre du traité de non-prolifération de 1968.

Comme Mme la ministre, M. le président de la commission et les autres orateurs l’ont déjà signalé, il cible en premier lieu les États non dotés de l’arme nucléaire, afin qu’ils ne détournent pas les matériaux à usage civil à des fins militaires ; il impose notamment la transmission à l’AIEA de renseignements supplémentaires et prévoit un élargissement du champ des contrôles, ainsi que du droit d’accès des inspecteurs de l’AIEA aux installations.

Ce dernier aspect me paraît spécialement important, compte tenu de ce qui s’est passé ces dernières années dans certains pays : de fait, le rôle des inspecteurs a souvent été au cœur d’interprétations polémiques, certains États cherchant à le restreindre. Le diable étant toujours dans les détails, fixer de manière plus précise et plus prescriptive le rôle des inspecteurs marquera assurément un progrès. En particulier, ils pourront procéder à des contrôles à tous les stades du cycle nucléaire ; cette mesure qui est un « plus » vient combler un vide juridique correspondant au cas dans lequel un État s’oppose à une vérification ou à une inspection.

Une entreprise, pas plus qu’un chercheur, ne saurait se livrer à des activités clandestines ou manquer de surveillance et de vigilance sans craindre d’être rappelée à l’ordre et sanctionnée par le juge judiciaire.

À ce stade, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer à mon tour le travail accompli par notre collègue Robert del Picchia – remarquable travail d’amélioration du texte – et par notre commission, monsieur le président Carrère, qui a permis de préciser la rédaction de ce projet de loi sans en dénaturer l’esprit.

Je ne doute pas que ce texte sera utile dans la préparation de la prochaine révision du traité de non-prolifération, qui aura lieu en 2015, et que Mme Demessine a évoquée il y a quelques instants.

Madame le ministre, mes chers collègues, c’est seulement en permettant à l’AIEA de devenir un véritable gardien du nucléaire civil en même temps qu’une véritable police de la prolifération que nous parviendrons à dépasser le conflit lancinant entre les puissances nucléaires et celles qui cherchent à développer leurs programmes civils ; c’est la condition de toute politique partagée et assumée de réduction du nucléaire militaire dans le monde.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC accorde un soutien plein et entier au projet de loi dans sa rédaction issue des travaux de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Alain Dufaut applaudit également.)

M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis qu’elle a ratifié le traité de non-prolifération, en 1992, la France s’est toujours engagée dans une démarche volontariste en matière de désarmement nucléaire.

C’est ainsi que notre pays a démantelé son centre d’expérimentation dans le Pacifique, ainsi que son site de lancement du plateau d’Albion. Je rappelle aussi que notre arsenal, constamment réduit, a été plafonné à 300 têtes nucléaires ; aucun autre État doté de l’arme nucléaire n’a fixé un tel plafond.

Nous avons fait le choix de la stricte suffisance, ce principe garantissant toutefois notre doctrine de dissuasion.

Contrairement à ce que l’on entend parfois, on est loin du mythe de la France surarmée ! Si nous avons en effet les moyens de notre sécurité collective, notre arsenal nucléaire est calibré pour respecter nos engagements internationaux en matière de lutte contre la prolifération nucléaire.

Les États-Unis et la Russie ne peuvent pas en dire autant, avec respectivement 9 400 et 13 000 armes nucléaires. Dans ces conditions, l’appel du Président Obama, lancé il y a quelques jours, à Berlin, en faveur d’une réduction d’un tiers des arsenaux nucléaires dans le monde, n’a pas eu l’effet d’une bombe, si j’ose dire.

Le Gouvernement a d’ailleurs indiqué en retour, madame la ministre, que la France ne se sentait pas concernée par cette proposition. Sachez que je partage, avec mon groupe, cette position.

C’est avec la même bienveillance que j’aborde l’examen du projet de loi portant application du protocole tripartite relatif à l’application de garanties en France, qui nous intéresse aujourd’hui. Les orateurs précédents l’ont rappelé : ce protocole, qui complète les mesures déjà appliquées dans le cadre des accords de garanties généralisées, vise in fine à mieux contrôler l’usage des matières ou des équipements nucléaires. On ne peut que souscrire à une telle ambition, motivée par des enjeux de sécurité internationale évidents. Le transfert de technologie nucléaire à des fins civiles dans les États non dotés de l’arme nucléaire doit s’accompagner d’un régime de garanties de non-prolifération le plus complet possible.

Or, comme vous le savez, mes chers collègues, l’AIEA a besoin de davantage de latitude pour remplir la mission que lui confie l’article III du TNP : il s’agit de vérifier que l’énergie nucléaire n’est pas détournée de ses applications pacifiques vers un usage militaire. Les cas iranien et nord-coréen, souvent cités, ont illustré les limites du contrôle de l’AIEA, s’agissant des activités clandestines d’enrichissement d’uranium.

Le système de garanties renforcées, proposé dans le protocole additionnel, permet à l’Agence de dépasser le simple contrôle comptable des matières nucléaires déclarées. En s’intéressant à tous les aspects du cycle du combustible, de la production et des stocks de matières nucléaires, des activités de retraitement et des éléments d’infrastructure appuyant ce cycle, l’AIEA peut surveiller la nature des activités nucléaires engagées dans le cadre des coopérations entre les États parties au TNP. C’est un progrès décisif auquel la France s’est ralliée en 1998.

Il est temps aujourd’hui de compléter notre droit interne, car notre pays s’est conformé dans les faits au protocole additionnel que le Parlement a ratifié en 2003 à l’unanimité, sans avoir depuis lors sécurisé le cadre juridique de son application.

Dans cette perspective, la commission a adopté le projet de loi élaboré sous l’ancienne majorité, après l’avoir amendé. Sans bouleverser les dispositions du texte initial, monsieur le rapporteur, vous avez fait adopter, sous la haute autorité du président Carrère, quelques modifications, à mon sens pertinentes.

Je pense notamment aux modalités d’intervention du juge dans le cas d’une opposition totale ou partielle à la vérification, ou encore à la distinction, pour l’application de sanctions pénales, entre le défaut de déclaration et l’obstacle à l’inspection.

Mes chers collègues, l’approbation de ce texte apportera la sécurité juridique dont notre pays a besoin pour exporter, dans la transparence, sa grande expertise en matière de production thermonucléaire.

Au-delà de la nécessité interne d’application du protocole additionnel, le texte a une portée symbolique en ce qu’il confirme l’attitude responsable de la France à l’égard de la non-prolifération.

On peut toujours estimer que ce n’est pas suffisant, surtout si l’on est sensible au discours « abolitionniste », certes bien intentionné, mais empreint d’utopie.