Mme Nathalie Goulet. Et des gouvernements !

M. Jeanny Lorgeoux. Naturellement, cette coopération militaire doit se fonder sur un bloc de principes immarcescibles.

Premièrement, toute intervention bilatérale doit se limiter à la sécurité de nos compatriotes ou répondre à la demande officielle d’un État africain, d’une organisation régionale ou internationale. C’est ce qui est advenu avec succès au Mali, où, sous votre égide, monsieur le ministre, nos armées ont impeccablement rempli leur mission.

Deuxièmement, notre pré-positionnement doit être permanent et évolutif pour être efficace.

Troisièmement, la multilatéralisation avec l’Europe et l’ONU doit être enrichie.

Quatrièmement, il faut appuyer les forces africaines de sécurité sur la base d’une architecture régionale et en liaison avec l’Organisation de l’unité africaine.

En attendant, notre dispositif doit évoluer vers des implantations légères et réactives, à la manière d’un collier de perles, d’ouest en est, à la lisière du Sahel jusqu’au centre du Niger et au golfe de Guinée, là où le djihad bat son plein, sur fond de misère. Cet assouplissement du dispositif doit aussi intégrer les OPEX, dont l’empreinte, du conjoncturel au structurel, modifie le canevas originel de notre maillage.

Enfin, donner un sens africain à notre présence et à notre coopération militaires implique un soutien à l’architecture de paix africaine. Car l’horizon ultime est que l’Afrique, continent d’avenir, puisse résoudre ses propres crises et devenir un jour un espace pacifié de coprospérité et de codéveloppement avec l’Europe ! Certes, nous en sommes loin, et les convulsions tragiques de l’État agonisant de Centrafrique nous le rappellent chaque jour.

Cependant, si nous abandonnons résolument l’ingérence ancienne manière – la politique du béret rouge – ou nouvelle manière, avec son lot de conditionnalités excessives et de toutes natures, nous ne renonçons ni à nos valeurs démocratiques, ni à notre expertise jusqu’alors inégalée en Afrique, ni à nos intérêts économiques. Poursuivons les efforts de clarification de notre doctrine africaine – qui pourrait d'ailleurs faire l’objet d’un Livre blanc à intervalle régulier –, de cohérence de notre action, qu’elle soit civile, diplomatique ou militaire, sur le terrain, ainsi que de loyauté dans nos partenariats, équilibrés ou rééquilibrés. Cela assurera le rang de la France, dans la sérénité historique retrouvée.

Parce qu’il vaut mieux agir que vaticiner, notre commission, sous l’impulsion du président Carrère, contribuera très prochainement à ce débat, en formulant soixante-dix propositions concrètes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi relatif à la programmation militaire appartient à ces moments forts qui participent à l’histoire de notre armée, et donc à l’histoire de notre pays, et à celle de notre présence dans le monde. Je dois dire que, sur ce point, je partage les propos de notre collègue Jean-Pierre Chevènement, à l’exception de sa conclusion de vote. (Sourires.)

La loi de programmation militaire est un moment à part dans le déroulement du quinquennat. C’est un moment où le dogme et la stratégie pour la sécurité et la défense de notre pays, qui sont une prérogative du pouvoir exécutif, et plus particulièrement du Président de la République, doivent trouver leur expression dans notre droit commun. Il faut bien comprendre qu’une loi de programmation militaire constitue l’un des trois piliers de la politique de défense. Mais ce pilier « législatif », sur lequel reposera l’avenir de notre défense, ne peut suffire à lui seul. Une loi de programmation militaire est indissociable d’un Livre blanc et irréalisable sans l’adoption de budgets annuels de la défense qui soient cohérents et à la hauteur des orientations et décisions affichées, puis arrêtées par la loi.

Cependant, en dépit des enjeux humains, économiques et industriels d’une loi de programmation militaire, son succès n’est en fait vérifiable et quantifiable qu’à la fin de la période qu’elle recouvre. Si nous faisons de mauvais choix aujourd’hui, c’est au fond irrémédiable. De ce fait, nous avons ce jour, me semble-t-il, les uns et les autres, une responsabilité particulière.

En tant qu’exercice législatif, le projet de loi de programmation militaire a été le fruit d’une préparation de longue haleine, à laquelle le président de la commission nous a largement associés. À cet égard, je voudrais saluer nos collègues sur toutes les travées, en particulier ceux de mon groupe avec qui j’ai eu de nombreux échanges : Jacques Gautier, Xavier Pintat, André Dulait, André Trillard, Marcel-Pierre Cléach, auxquels j’associe Jean-Marie Bockel. Ce fut un travail collectif ! Je tiens également à saluer votre implication, monsieur le ministre, non seulement dans la préparation de ce texte, mais aussi, je dois le dire publiquement, au cours de l’opération Serval ainsi que lors de la mission que nous avons conduite, Jean-Pierre Chevènement et moi-même.

M. Gérard Larcher. Moi qui continue à croire au rôle du Sénat, je souhaite que cette plus-value de la Haute Assemblée permette d’améliorer le projet de loi et que le Gouvernement y soit attentif jusqu’à la fin du processus législatif dans les deux chambres.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Nous sommes d’accord !

M. Gérard Larcher. Je concentrerai mon propos sur quelques points.

Tout d’abord, le projet de loi de programmation militaire réaffirme le maintien des deux composantes de notre dissuasion nucléaire. C’était capital ! La dissuasion nucléaire, dans son intégralité, est la clé de voute de notre indépendance. Notre rapport sur l’avenir des forces nucléaires françaises semble donc avoir été lu. Je vous le dis très gentiment, madame Bouchoux, le débat a eu lieu et a été tranché !

Ensuite, je veux m’attarder sur un autre point qui est pour moi primordial.

La défense, c’est toute une communauté : une communauté d’hommes et de femmes qui servent ou ont servi la France, une communauté aussi de groupes industriels, d’entreprises, petites et moyennes ; l’avenir de près de 165 000 emplois directs et autant d’emplois indirects, de centaines de PME dépend de commandes de programmes. Le respect de l’agenda de ces commandes est donc essentiel.

La survie de ce secteur dépend également de l’exportation, si indispensable à notre économie. Cependant, pour exporter des matériels, encore faut-il qu’ils aient été développés et acquis pour nos propres forces ; c’est une évidence ! Chaque euro dédié à l’équipement de nos armées constitue en fait un gage à la fois d’accroissement de nos exportations et de dynamique pour la recherche et toute notre industrie, au-delà même de la seule industrie militaire. Il importe donc de résister à la tentation persistante – réflexe classique en temps de difficultés financières et économiques – qui imposerait que la défense soit une variable d’ajustement et que les crédits d’équipements soient « ajustés », dira-t-on pudiquement. Sur ce point, il me paraît qu’il ne faut pas transiger.

Le maintien de notre effort de défense à 1,5 % du PIB est la limite plancher, j’y insiste, en dessous de laquelle il y aura des décrochages capacitaires, technologiques et stratégiques. C’est aussi une garantie minimale contre le décrochage à l’export.

La « clause de retour à meilleure fortune » introduite par notre commission est importante, mais elle ne doit pas faire oublier, si la croissance et les recettes demeuraient modestes, que la défense ne peut alors être une nouvelle « variable ». Il faudra examiner les propositions de nos commissaires en matière notamment de cession de capital, sujet développé précédemment par Jacques Gautier.

Je ne reviendrai pas sur les trajectoires budgétaires. Celles-ci reposent sur des déflations d’effectifs de statut militaire, j’insiste sur ce point, très – trop – sensibles, notamment pour l’armée de terre – c’est ce qui m’inquiète –, ainsi que sur des recettes exceptionnelles, que nous espérons tous non aléatoires.

À propos des effectifs et de leur évolution entre militaires, civils et sous-traitants, les propos tenus au début de l’après-midi par notre collègue Dominique de Legge me paraissent très importants. Il a défini, autour de quelques principes incontournables, l’indépendance et l’autonomie, les situations, notamment en OPEX, où nous avons besoin de militaires.

Le budget des OPEX est déjà largement sous-doté, à 450 millions d’euros par an. C’est trop peu face à la nouvelle géopolitique maritime, alors que nous devons lutter efficacement, notamment avec nos partenaires européens, contre la piraterie et ces flibustiers modernes ; c’est trop peu pour nos hommes qui sont envoyés très souvent en opérations extérieures.

Pour 2013, les surcoûts des OPEX s’élèveraient à 610 millions d’euros. L’opération Serval au Mali et le dispositif Sabre seraient évaluées à 647 millions d’euros. Le coût des OPEX de cette année peut donc être estimé à 1,257 milliard d’euros. Il faut savoir que c’est seulement depuis 2003 que les dotations pour les OPEX sont inscrites en loi de finances, « le reste à payer » relevant d’un financement interministériel. Mais comment allons-nous absorber un tel dépassement ? Le président Carrère comme la commission se sont exprimés sur ce point, et nous ne pouvons nous contenter des réponses de Bercy sur ce sujet majeur, monsieur le ministre.

Les législateurs que nous sommes ne sont ni prestidigitateurs ni schizophrènes. Nous ne pouvons pas ignorer la réalité des finances publiques. Elle nous sera d'ailleurs rappelée à chaque vote du budget de la défense, et c’est là le premier danger pour la loi de programmation militaire. Nous devrons donc être intraitables.

Je voudrais intervenir sur un autre point, celui du renseignement.

Le projet de loi prévoit un accroissement des pouvoirs des parlementaires. Dans un premier réflexe, ici, au Sénat, comme dans toute assemblée parlementaire, nous pourrions nous en satisfaire. La révision constitutionnelle de 2008, je le rappelle, allait d'ailleurs en ce sens. Qui se plaint aujourd’hui du vote sur l’autorisation de prolongation des OPEX ? Mais gardons-nous de tout mélange des genres. Nous devons laisser travailler les services dans la sérénité. Je le dis au président Sueur, avec l’expérience qui est la mienne comme membre de la commission consultative du secret de la défense nationale, je ne partage pas les analyses qu’il a développées ce matin.

M. Alain Gournac. Pas du tout !

M. Gérard Larcher. Les modifications de l’ordonnance de 1958 doivent être faites d’une « main tremblante ». Il y va de l’équilibre des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif, dans la conception de la VRépublique qui est la mienne !

Au moment d’achever mon propos, je voudrais rappeler à mon tour que, face à la multiplication des menaces, des risques de conflits sur de nombreux continents – je n’oublie pas l’Afrique, cher Jeanny Lorgeoux, sur laquelle nous avons travaillé ensemble –, la France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, doit tenir sa place. C’est pourquoi les moyens affectés à la défense sont une priorité nationale et non pas une priorité sectorielle. Cela ne sera pas possible si cette loi de programmation militaire n’est pas exécutée à l’euro près. Ainsi, prévoir 1,3 % du PIB en 2019 est inacceptable, car nous décrocherions définitivement de notre place en Europe et dans le monde.

Enfin, la France se doit de créer les meilleures conditions afin que ses soldats puissent exercer leurs missions en sécurité. J’ai bien entendu vos propos, monsieur le ministre, ce matin, mais cette responsabilité incombe aussi aux élus que nous sommes.

Mes chers collègues, il n’est point de défense sans hommes et femmes, et c’est à eux que nous pensons. Sachons les honorer en dehors des cérémonies du souvenir de leur sacrifice en leur donnant les moyens d’assurer leurs engagements avec efficacité, c'est-à-dire en prévoyant des effectifs militaires suffisants, des matériels adaptés et des moyens d’entraînement et de maintenance. Il faut que nos soldats sentent que le pays tout entier les soutient et que, au fond, c’est la nation qu’ils représentent en la servant. Les valeurs de nos armées sont celles de la République ; les hommes et les femmes de la défense les concrétisent chaque jour de façon remarquable, au service de notre pays.

Au sein de l’État, la défense est le corps social qui s’est le plus réformé et resserré durant ces trente dernières années. Aucun corps social n’a autant été sollicité que le corps militaire.

M. Gérard Larcher. Les militaires l’ont accepté au prix de lourds sacrifices personnels et collectifs. Nous devons leur en savoir gré, mais nous devons aussi empêcher toute rupture de nos capacités militaires.

Souvenons-nous que si nos militaires ne sont pas, et c’est heureux, défendus par des organisations professionnelles ou syndicales, c’est parce qu’il nous incombe à nous, élus de la nation, d’être à leur écoute, à celle de leurs chefs, et de leur garantir, dans une confiance qui doit être réciproque, les moyens d’assurer les missions régaliennes que la France leur confie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sous l’œil avisé de mon complice André Dulait, il n’est pas inutile de rappeler que l’entraînement fonde la valeur opérationnelle des forces armées, comme nous le savons tous.

Depuis plusieurs années, nous nous alarmons de l’effritement continu et préoccupant des crédits dévolus à la préparation opérationnelle et des conditions d’entraînement des militaires. Le fossé semble d’ailleurs se creuser de plus en plus entre les unités projetées en OPEX et les autres.

Dans un contexte de rareté budgétaire et d’engagements nombreux, la mobilisation d’un maximum de ressources en faveur des interventions extérieures – Afghanistan, Libye, Mali,... – a été privilégiée, ce qui a logiquement provoqué la diminution des moyens disponibles pour les missions d’entraînement sur le territoire national. Par le passé, nous avons ainsi vu fondre comme neige au soleil les jours d’entraînement de l’armée de terre : en dépit de l’objectif de 150 jours d’entraînement par an fixé dans la loi de programmation militaire de 2009, seules 83 journées de préparation opérationnelle ont été effectivement réalisées en 2013.

La priorité donnée aux opérations s’est également ressentie pour les matériels et équipements utilisés pour l’entraînement, dont la disponibilité opérationnelle s’est trouvée particulièrement contrainte, et ce d’autant plus que les dotations budgétaires consacrées à l’« entretien programmé des matériels » se sont progressivement éloignées des trajectoires de la programmation.

On se trouve aujourd’hui face un effet de ciseaux : le vieillissement du parc d’équipements et son caractère hétérogène rendent la maintenance plus difficile et plus coûteuse, tandis que l’arrivée de nouveaux matériels renchérit également le coût d’entretien, insuffisamment couvert par les dotations budgétaires. Au total, le coût du maintien en condition opérationnelle, ou MCO, augmente aux deux extrémités du spectre.

Puiser dans le stock de pièces de rechange a permis – un temps seulement – de pallier la rareté des ressources et a fini par affecter directement la disponibilité des matériels dont les véritables « points noirs » sont bien connus : transport stratégique et tactique de l’armée de l’air, patrouille maritime de la marine, AMX 10 de l’armée de terre,... La prévision de disponibilité est tombée à seulement 40 % pour les véhicules de l’avant blindé – VAB –, à 50 % pour les frégates et à 60% pour les avions de combat de l’armée de l’air.

L’inversion de cette tendance est une priorité forte du projet de loi de programmation qui nous est soumis. Les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels progresseront en moyenne de 4,3 % par an en valeur pour s’établir à un niveau moyen de 3,4 milliards d’euros courants sur la période.

Les facteurs d’inertie expliquent, malgré les efforts significatifs consentis, qu’il faille agir en deux temps : d’abord, inverser la tendance à la dégradation par le biais d’une restauration de la disponibilité des matériels et d’une réorganisation du soutien ; ensuite, restaurer les indicateurs d’activité. Les années 2014 et 2015 seront consacrées à la reconstitution des stocks et à la stabilisation de l’activité au niveau, déjà trop « juste », de 2013. Ce n’est qu’à compter de 2016 qu’est prévu le redressement des indicateurs d’entraînement.

Afin d’assurer le maintien en condition opérationnelle, un grand programme de révision de la chaîne logistique, ou supply chain, a été lancé pour tout rationaliser, qu’il s’agisse du nombre de pièces de rechange ou des lieux de stockage et d’entreposage. Il devrait voir le jour en 2015, pour une mise en œuvre en 2016.

Lorsqu’il s’agit de domaines en difficulté tels que l’entraînement et le MCO, c’est dans le moyen terme que les efforts paient. Je crois qu’il nous faut être lucide : les améliorations ne se feront pas d’un coup de baguette magique, mais avec de la ténacité, dans la durée. Nous soutenons bien sûr l’effort résolu du Gouvernement en la matière, et je voterai, avec le groupe socialiste, le projet de loi relatif à la programmation militaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je voudrais avant toute chose saluer la qualité des interventions, qualité que j’avais déjà pu constater lors des différentes réunions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées auxquelles j’ai participé en vue de la préparation de ce texte.

Je suis d’accord avec vous, monsieur Larcher, pour dire que tout projet de loi de programmation militaire constitue non seulement un moment particulier de la vie parlementaire, mais aussi un moment fort pour la République : la France indique comment elle conçoit sa politique de défense pour les six ans à venir, quels moyens elle compte y affecter et quelles sont ses priorités. Ce moment s’inscrit – je crois que ce sentiment est largement partagé dans cet hémicycle – dans la continuité républicaine et fait moins l’objet de polémiques que de compréhension. Comme vous l’avez relevé, il s’agit d’une priorité nationale et non pas d’une priorité sectorielle. (M. Gérard Larcher opine.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous remercier de vos encouragements. Certains ont dit que cette loi de programmation était la moins mauvaise possible. Oui ! D’autres ont parlé de quadrature du cercle. Également oui ! Le projet de loi de programmation est effectivement un texte d’équilibre. Or, par définition, un équilibre, c’est fragile. Cet équilibre ne sera donc maintenu que s’il est garanti à l’euro près. C’est ce à quoi je dois m’employer, avec le soutien des commissions compétentes, en particulier de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Je suis conscient du fait que l’espèce de tour de force auquel nous avons pu aboutir n’aura de sens que si les engagements financiers sont intégralement respectés, comme l’a bien précisé M. Reiner. Mais derrière le risque qui existe, c’est vrai, se trouve une volonté. Vous avez bien voulu souligner la mienne, qui demeurera constante tant que j’exercerai cette responsabilité – peut-être pas jusqu’en 2019. (Sourires.)

Vous avez bien voulu souligner également que le projet de loi de programmation est cohérent : nous avons réussi à maintenir la plus grande partie de nos capacités et l’ensemble des grands programmes initialement prévus. Nous avons voulu non seulement assurer nos missions fondamentales, mais aussi les compléter et les enrichir par des décisions nouvelles. Je pense en particulier au renseignement, à la nécessité d’acquérir des capacités en drones, aux avions ravitailleurs, au maintien de l’effort en matière de recherche et d’innovation, qui avait tendance à diminuer. Comme je l’ai indiqué ce matin, il était aussi nécessaire de dégager des marges de manœuvre pour la préparation opérationnelle – M Roger vient d’en parler –, dont le niveau s’était progressivement réduit, alors qu’il s’agit de la variable d’ajustement la plus perverse qui soit.

Toutes ces mesures, il a fallu les prendre dans un cadre contraint. Je me suis donc appliqué avec une précision et une vigilance extrêmes à ce que ce texte conserve sa sincérité, en sachant qu’il fallait veiller en permanence à maintenir cet équilibre. À cet égard, j’ai pris un engagement, et j’essaierai de m’y tenir dans la durée.

Pour ce faire, nous pourrons nous appuyer sur l’arbitrage du Président de la République en faveur d’une trajectoire financière qui prévoit une remontée en volume à partir de 2016 pour atteindre un montant de 190 milliards d’euros. Oui, monsieur Chevènement, il s’agit bien d’euros en valeur 2013 ! Nous devons garantir ce chiffre sans aucun renoncement. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutiendra les propositions de votre commission de faire passer du rapport annexé au texte de loi lui-même la garantie des ressources exceptionnelles.

J’ai entendu beaucoup d’interrogations et de doutes sur ces ressources exceptionnelles. Moi, j’ai confiance. À partir du moment où le montant global de 190 milliards d’euros a été arbitré au plus haut niveau de l’État, que la trajectoire financière a été fixée, que le montant annuel des ressources exceptionnelles a été indiqué et que, dès 2014, la mobilisation du type de ressources exceptionnelles est assurée, il n’y a pas d’inquiétudes majeures à avoir pour l’avenir, même s’il appartiendra à chacun, à commencer par moi-même, de faire preuve d’une grande vigilance pour que la loi de programmation soit respectée.

Monsieur de Legge, sachez que nous avons intégré le dispositif Duflot dans le calcul des 600 millions d’euros de ressources immobilières. Nous avons fait preuve de la plus grande transparence !

Il y va de même de la mobilisation des ressources liées aux fréquences hertziennes. S’il peut y avoir des interrogations sur le calendrier, il n’y en a aucune sur la destination ou le montant de ces ressources.

C’est vrai aussi, monsieur Gautier, des cessions d’actifs ayant déjà contribué au programme d’investissements d’avenir pour le budget 2014. Il ne s’agit pas uniquement de cessions d’actifs liées aux industries de défense ; d’autres provenances sont envisageables. Ces cessions sont inscrites dans l’ensemble de la panoplie des ressources potentielles et si d’aventure – je réponds là aux interrogations formulées par Mme Demessine et M. Chevènement – certaines de ces cessions d’actifs concernant directement la défense devaient être envisagées, cela ne pourrait se faire en catimini.

Je voudrais revenir sur les surcoûts des OPEX, évoqués en particulier par M. Larcher. Nous pensons pouvoir ramener au plus vite les crédits des OPEX à 450 millions d’euros, ce qui serait plutôt une bonne chose pour le budget de la défense. En effet, au-delà de ce seuil, un partage interministériel s’opérera, comme antérieurement. Il ne faut donc pas fixer un niveau de financement trop important, sinon nous risquons d’amputer d’autres lignes budgétaires. Chacun comprendra donc l’intérêt de ce dispositif pour le budget de la défense, mais je tenais à préciser ce point pour éviter toute interprétation négative.

MM. Bockel, Lorgeoux et Chevènement m’ont interrogé sur l’articulation entre forces pré-positionnées et forces en OPEX. Nous sommes en train de redéfinir ce dispositif, singulièrement en Afrique.

Nous le faisons d’abord pour atteindre un objectif stratégique et opérationnel : concentrer nos moyens sur deux zones d’intérêt prioritaire, qui sont également les plus sensibles, à savoir le golfe et, surtout, le Sahel, qui a été évoqué à plusieurs reprises au cours de la discussion générale.

Nous le faisons ensuite pour atteindre un objectif politique : adapter les modalités de notre présence en Afrique au besoin de sécurité du continent et à la nécessité, aussi bien politique que militaire, d’être à la fois souple et réactif dans notre capacité d’intervention.

Nous réfléchissons donc aux évolutions de notre dispositif : concentration sur les menaces prioritaires, en particulier au Sahel ; flexibilité et réactivité ; appui aux Africains et soutien aux dispositifs que l’Union africaine elle-même pourrait initier, dans le cadre de la nécessaire défense des Africains par les Africains, même s’il est souvent fait appel à notre appui. Je pense en particulier à ce qui risque de se produire en République centrafricaine. Le Sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, qui aura lieu à l’Élysée au début du mois de décembre, devrait permettre une avancée dans l’appréciation des risques et dans l’évaluation de la manière dont la France peut contribuer à les juguler, si d’aventure ils se font trop violents, comme cela a pu se passer récemment au Mali, et comme on peut imaginer que cela se produise en République centrafricaine.

Il y a là une vraie évolution ! La distinction entre les forces pré-positionnées et les OPEX de longue durée commençait à devenir assez floue. L’examen de cet aménagement est donc en cours. Je serai appelé à vous faire des propositions en la matière dès que le Président de la République aura rendu son arbitrage sur ces questions, suffisamment lourdes pour le requérir.

J’en viens désormais à la question de la dissuasion nucléaire.

À ceux qui y sont favorables, comme à ceux qui ne le sont pas, je voudrais dire que le débat a eu lieu, y compris ici, au Sénat, lors de la préparation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et qu’il a été tranché.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Pour le Gouvernement, comme pour le Président de la République, la dissuasion nucléaire est un élément central de notre stratégie pour faire face aux risques d’aujourd’hui et de demain. Certes, la menace qui pèse sur nos intérêts vitaux est différente de celle qui s’exerçait pendant la guerre froide, mais, on le voit bien, certaines puissances peuvent être tentées de nous empêcher d’agir, d’autres peuvent vouloir exercer un chantage contre la France, contre les démocraties, contre l’Europe. Nous devons donc conserver la dissuasion pour préserver l’essentiel : la protection ultime du pays et notre liberté de décision et d’action. C’est pourquoi il vous est proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, de sanctuariser les crédits nécessaires au renouvellement des deux composantes et les crédits nécessaires à la simulation, puisque l’année 2014 verra la mise en service du laser Mégajoule. Tout cela est indispensable pour garantir notre sécurité !

Cela vaut aussi pour une autre nécessité : préparer la prochaine génération, celle des années 2030. Je réponds, ce faisant, à l’interrogation exprimée par Jean-Pierre Chevènement et Jean-Marie Bockel. La loi de programmation militaire prévoit les crédits nécessaires pour les programmes d’études amont, les travaux de recherche pour la troisième génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins et la modernisation de l’ASMP-A, c’est-à-dire la composante aéroportée de la dissuasion.

Je fais le lien, de manière un peu acrobatique, avec les observations faites avec raison par Mme Bouchoux sur la place des femmes dans l’armée, en particulier – c’était l’objet d’une partie de son intervention – dans les sous-marins nucléaires. Dans les bâtiments de nouvelle génération, cette lacune sera comblée. Dès la première génération de sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda, la présence de femmes sera prévue.

Je suis extrêmement attaché à la place des femmes dans l’armée – j’ai d’ailleurs désigné une femme haut fonctionnaire à l’égalité des droits au sein du ministère de la défense –, et je ne manque pas d’être vigilant sur cette question. Pour ma part, je ne crains pas le plafond de verre : la volonté de l’ensemble des responsables de la défense et des chefs d’état-major est réelle de voir progresser les responsabilités des femmes dans l’armée et que leur itinéraire de carrière puisse aller jusqu’à leur terme. En outre, j’ai nommé deux femmes officiers généraux en seize mois. Ce n’est pas beaucoup, mais un vivier est en phase de constitution, qui devrait permettre d’aboutir à des solutions favorables.

J’en viens, madame la sénatrice, aux critiques sur le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, dispositif issu de la loi Morin. J’ai lu le rapport du Sénat, auquel vous avez largement contribué, et qui ouvre des perspectives intéressantes. Sachez que je me prononcerai tout à l’heure en faveur de la transformation du CIVEN en autorité administrative indépendante, comme vous le proposerez dans un amendement. C’est une orientation nouvelle, un signal que je veux lancer.

Une difficulté se pose néanmoins : l’application de la loi Morin a donné lieu à une confusion entre reconnaissance et indemnisation. Vous soulignez vous-même cette contradiction. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.) La demande des associations a plus trait à la reconnaissance des victimes. L’indemnisation, elle, est liée au préjudice réel constaté.

Il y a sans doute des progrès à faire en la matière. J’ai essayé d’y contribuer lors de la dernière réunion de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires. Je suis ouvert à d’autres évolutions, sous réserve que l’indemnisation reste liée à un préjudice réel.