M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Cet amendement tend à faire bénéficier le salarié ayant suivi une formation grâce aux points acquis sur son compte personnel de prévention de la pénibilité d’une priorité de reclassement dans un poste non exposé à la pénibilité.

Les formations longues envisagées pour les titulaires d’un tel compte visent bien évidemment à leur permettre de quitter le poste de travail où ils subissaient une exposition aux facteurs de risques professionnels et à leur faire acquérir les compétences nécessaires pour réorienter leur parcours professionnel. La mesure proposée au travers de cet amendement constitue donc une incitation à se former.

On sait bien que les salariés qui bénéficient le plus de la formation professionnelle continue, désormais appelée « formation tout au long de la vie », sont ceux qui sont déjà les plus qualifiés : ils s’engagent d’autant plus volontiers dans des formations qu’ils en ont déjà suivi avec succès. Or, parmi les travailleurs exposés à des facteurs de risques professionnels, il y a aussi des personnes peu ou non qualifiées. Par conséquent, je suis favorable à cet amendement dans la mesure où il vise à inciter à la formation, tout en étant consciente des problèmes que posera la mise en œuvre de son dispositif.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Comme Mme la rapporteur vient de le dire, cet amendement présente un certain nombre de difficultés.

Madame Cukierman, j’entends parfaitement les préoccupations qui sont les vôtres ; le Gouvernement les partage.

Votre amendement tend à inciter les salariés à utiliser les points qu’ils auront acquis au titre du compte de prévention de la pénibilité pour suivre une formation, en vue de quitter un poste exposé à des facteurs de risques et de réorienter leur vie professionnelle. Néanmoins, comment ce dispositif de formation s'articulera-t-il avec la formation professionnelle au sens plus classique du terme ? Celle-ci fait actuellement l’objet d’une négociation : c'est dans ce cadre que des avancées pourront intervenir. Le Gouvernement estime donc nécessaire d'attendre les résultats de cette négociation avant de préciser les modalités de mise en œuvre du volet « formation » du compte de prévention de la pénibilité.

Je suis donc amenée à donner un avis défavorable sur votre amendement, bien que – j’y insiste – j’en comprenne parfaitement les motivations.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.

M. Gilbert Barbier. Je comprends la volonté des auteurs de l'amendement d’accorder une priorité de reclassement aux travailleurs ayant suivi une formation au titre du compte de prévention de la pénibilité, mais par rapport à qui s'exercera cette priorité ? Dans la mesure où ce point n’est pas suffisamment précisé, je vois mal comment le dispositif pourrait être appliqué. Pour une fois, je suis donc d'accord avec Mme le ministre…

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. J’entends bien, madame la ministre, qu’une négociation sur la formation professionnelle est en cours. On ne peut que s'en réjouir, puisqu'il est nécessaire de revoir notre système de formation professionnelle.

Cela étant, on ne voit pas pourquoi des salariés utiliseraient les points inscrits à leur compte de prévention de la pénibilité pour suivre une formation si, au bout du compte, cela ne leur donne pas une priorité de reclassement dans l'entreprise et n’aboutit pas à un changement de poste. J’ajoute que vingt points sont obligatoirement consacrés à la formation, sauf pour les salariés âgés de plus 52 ans.

Suivre une formation est toujours utile, mais si c'est pour retourner ensuite travailler sur le même poste, alors c’est tout de même un peu du temps perdu. Surtout, le salarié aura le sentiment d’avoir gaspillé des points qui auraient pu être utilisés pour passer à temps partiel ou partir plus tôt à la retraite.

Nous maintenons l’amendement.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Il me semble qu’une erreur est intervenue dans la rédaction de l’amendement n° 151 : ne faut-il pas lire « préalablement » au lieu de « probablement » ? (Mme Cécile Cukierman le confirme.)

Quant au fond, une fois n’est pas coutume, je serai en désaccord avec mon ami Gilbert Barbier. Selon moi, la priorité doit se comprendre, dans cet amendement, comme une priorité de reclassement par rapport à des salariés que leur emploi n’expose pas à des facteurs de pénibilité. C'est la raison pour laquelle je soutiens l’amendement n° 151.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Il convient en effet de rectifier l'amendement dans le sens indiqué par M. Longuet.

M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 151 rectifié, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et ainsi libellé :

Après l’alinéa 26

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« À l’issue de cette formation, le salarié bénéficie d’une priorité de reclassement dans un poste n’exposant plus le salarié aux facteurs de risques auxquels il était préalablement exposé.

Veuillez poursuivre, madame Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, il est indispensable de mener une réflexion sur la formation professionnelle, mais j’observe que ce n’est pas la première fois que l'on nous renvoie au dialogue social ou à une concertation… Ce n’est pas sur nos travées que l’on remettra en cause cette façon de travailler, mais elle ne peut être un frein à l’initiative et à l’action des parlementaires. Notre amendement constitue une contribution à la réflexion sur la formation professionnelle et son articulation avec le dispositif de prise en compte de la pénibilité dans la carrière des salariés que vous nous proposez de mettre en place.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 151 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 333 rectifié, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 31

Après les mots :

l’employeur

insérer les mots :

après avoir consulté les délégués du personnel,

La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.

Mme Kalliopi Ango Ela. Cet amendement vise à encadrer le dispositif permettant aux employeurs de refuser le passage à temps partiel d’un salarié ayant accumulé suffisamment de points sur son compte personnel de prévention de la pénibilité.

Cet alinéa a fait l’objet de discussions plutôt animées et de décisions surprenantes, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au sein de la commission des affaires sociales du Sénat.

Le dispositif actuel prévoit que l’employeur peut refuser la demande de passage à temps partiel d’un salarié au seul motif d’une impossibilité liée à l’activité économique de l’entreprise. En d’autres termes, l’employeur pourra limiter sans contrainte les passages à temps partiel, car l’impossibilité liée à l’activité économique peut très facilement être invoquée et elle est difficilement contestable.

La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a remplacé cette disposition discutable par une limitation dans le temps du refus de l’employeur. Cependant, cette dernière mesure a été supprimée à la suite de l'invocation a posteriori, par certains députés, de son irrecevabilité financière. Le résultat est catastrophique, puisque l’employeur peut de nouveau refuser d’accéder à la demande de son salarié sans aucune contrainte. Le Gouvernement a modifié à la marge le dispositif en imposant à l’employeur de « démontrer » que la réduction du temps de travail est contraire à l’intérêt économique de l’entreprise. Sous quelle forme devra se faire cette démonstration ? Cette question reste sans réponse.

Nous avons voulu poursuivre, en commission, le travail effectué par nos collègues de l’Assemblée nationale, et, là encore, on nous a opposé l'irrecevabilité financière de notre proposition, au motif qu’elle crée une charge nouvelle pour l’État, celui-ci alimentant le Fonds de solidarité vieillesse, qui financera les actions permises par le compte de prévention de la pénibilité.

Nous en prenons acte et présentons ici une solution de repli : les employeurs devront consulter les délégués du personnel pour démontrer l’impossibilité liée à l’activité économique. Cette mesure, si elle ne correspond pas totalement à notre intention initiale, permettra déjà de limiter les abus de manière significative, en ne laissant pas les chefs d’entreprise décider seuls du bien-fondé de demandes de passage à temps partiel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Ma chère collègue, vous proposez, au travers de cet amendement, d’instaurer une consultation obligatoire des délégués du personnel par l’employeur avant de refuser un passage à temps partiel au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité.

La rédaction actuelle du projet de loi précise qu’une demande de passage à temps partiel ne peut être refusée que si l’employeur peut démontrer que la réduction du temps de travail est impossible compte tenu de l’activité économique de l’entreprise. Je ne pense pas que la consultation préalable des délégués du personnel modifierait fondamentalement l’appréciation de ce facteur par l’employeur, mais elle a le mérite de faire entrer le dialogue social dans l'entreprise. Toutefois, il serait opportun de compléter la rédaction proposée par les mots : « s’il en existe, », pour tenir compte du fait que toutes les entreprises ne disposent pas de délégués du personnel.

M. Gérard Longuet. C'est exact.

Mme Christiane Demontès, rapporteur. La commission émet un avis favorable, sous réserve de cette rectification.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Madame la sénatrice, je comprends la préoccupation qui est la vôtre. Néanmoins, les conditions du passage à temps partiel au titre du compte de prévention de la pénibilité ont été déjà assez nettement encadrées lors de la discussion à l’Assemblée nationale, d'une manière plus stricte que ne l’avait initialement prévu le Gouvernement. Ainsi renforcées, les garanties offertes sont d'ores et déjà plus protectrices que le droit commun. Il semble au Gouvernement que nous avons atteint un point d'équilibre. Si vous mainteniez votre amendement, l’avis serait donc défavorable.

M. le président. Madame Kalliopi Ango Ela, que pensez-vous de la suggestion de Mme la rapporteur ?

Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, je rectifie mon amendement dans le sens indiqué par Mme la rapporteur.

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 333 rectifié bis, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste, et ainsi libellé :

Alinéa 31

Après les mots :

l’employeur

insérer les mots :

après avoir consulté les délégués du personnel, s'il en existe,

La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Une fois n’est pas coutume, je soutiens là encore Mme le ministre, dont le point de vue me semble raisonnable.

Le délégué du personnel défend les intérêts de ce dernier, mais il n’est pas, dans le droit français, cogestionnaire. On peut le regretter : c’est d'ailleurs un débat passionnant. Le syndicalisme français a toujours considéré qu’il devait être extérieur à la gestion de l’entreprise, que son rôle était exclusivement de défendre les salariés face à l’employeur. S’il cogérait l’entreprise, il devrait assumer des décisions qui ne seraient pas nécessairement les siennes. Cela ne correspond pas à la tradition syndicale française.

Cet amendement prévoit une simple consultation des délégués du personnel : nous ne sommes donc pas dans l’esprit de la cogestion à l’allemande. Dans les sociétés allemandes, à partir d’une certaine taille, des représentants du personnel siègent au conseil d'administration.

Nous sommes ici dans une logique différente. C'est la raison pour laquelle Mme le ministre a raison de défendre la rédaction du texte issue de l’Assemblée nationale, car elle est déjà exigeante : dès lors que le refus devra être motivé, il existe une base juridique pour engager une éventuelle contestation. En outre, que se passerait-il si les délégués du personnel se prononçaient contre la demande du salarié ? Dans l’hypothèse d’une contestation, la position de ce salarié s’en trouverait affaiblie.

Il convient donc, me semble-t-il, d’en rester à la rédaction élaborée par l’Assemblée nationale, la cogestion n’étant pas encore entrée dans notre culture.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je profite de cette explication de vote pour remercier M. Longuet de sa vigilance, qui nous a permis de rectifier notre amendement n° 151.

M. Gérard Longuet. Je suis toujours très attentif à vos propos !

Mme Annie David. Cela étant, nous soutenons, pour notre part, l’amendement présenté par Mme Ango Ela. S’il ne revient pas, en effet, aux délégués du personnel de juger de la situation économique de l’entreprise, il est normal qu’un salarié puisse s’adresser à eux en cas de rejet de sa demande. Les délégués du personnel peuvent ensuite se tourner vers le comité d’entreprise, s’il en existe un, celui-ci étant informé de la situation économique de l’entreprise.

M. Gérard Longuet. Vous avez raison pour le comité d’entreprise, madame David.

Mme Annie David. Je rappelle que, dans les petites entreprises, les délégués du personnel peuvent faire office de comité d’entreprise.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 333 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 334 rectifié bis, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 31

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Pour justifier de cette impossibilité, l’employeur réunit, informe et consulte les délégués du personnel.

II. – En conséquence, après l’alinéa 31

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de contestation du refus de passage à temps partiel, le salarié peut saisir la caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés dans des conditions précisées à l’article L. 4162-13.

La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.

Mme Kalliopi Ango Ela. Cet amendement, qui se situe dans la droite ligne du précédent, vise à encadrer le refus par les employeurs des passages à temps partiel.

Nous proposons de renforcer le rôle des délégués du personnel en prévoyant que les employeurs devront les consulter dès lors qu’ils invoquent une impossibilité liée à l’activité économique. La nouveauté, par rapport à l’amendement précédent, réside dans les moyens de contestation de la décision de l’employeur par le salarié. Nous proposons ici de prévoir une possibilité de recours devant la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV.

À l’Assemblée nationale, les écologistes avaient déposé un amendement similaire, sous-amendé par le rapporteur, afin d’inscrire dans le texte des possibilités de recours devant les prud’hommes. Nous nous félicitons de cette avancée, qui offre des moyens juridiques de défense des salariés.

Cependant, nous considérons que le dispositif que nous présentons peut parfaitement s’insérer dans le texte. En effet, le recours devant les prud’hommes implique une action en justice, et beaucoup de salariés n’auront pas la force ou la volonté d’attaquer leur employeur, surtout en l’état actuel du marché du travail.

Le recours auprès de la CNAV ouvre la voie à une solution non judiciaire au problème, donc beaucoup plus souple, à la fois pour le salarié et pour l’employeur. Par ailleurs, la CNAV peut mobiliser des moyens humains et techniques, notamment une commission dédiée, pour expertiser correctement la situation. Ainsi, en cas de rejet injustifié de sa demande de passage à temps partiel, le salarié sera triplement protégé : il pourra faire appel aux délégués du personnel, à la CNAV ou au conseil des prud’hommes, selon la nature de sa contestation.

Le dispositif de cet amendement aura également le mérite d’éviter un encombrement des tribunaux par des contentieux liés à la prise en compte de la pénibilité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Madame la sénatrice, cet amendement me semble satisfait.

Tout d’abord, la consultation des délégués du personnel est prévue par l’amendement que nous venons d’adopter.

Ensuite, l’Assemblée nationale a déjà prévu une voie de recours spécifique devant les prud’hommes. Le conseil des prud’hommes est plus à même que la CNAV d’apprécier l’impossibilité liée à l’activité économique de l’entreprise. Vous dites que le recours devant la CNAV permettra de mieux protéger le salarié. Pour ma part, je n’en suis pas sûre, car celle-ci n’a aucun moyen de peser sur l’employeur.

Il me paraît donc raisonnable d’en rester au texte de l’Assemblée nationale. Je vous invite à retirer votre amendement, madame la sénatrice ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Même avis, monsieur le président.

Madame la sénatrice, la CNAV n’a aucune compétence pour apprécier la réalité de l’impossibilité liée à l’activité économique de l’entreprise. Elle n’a pas les moyens de procéder à une telle vérification.

M. le président. Madame Ango Ela, l'amendement n° 334 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Kalliopi Ango Ela. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 334 rectifié bis est retiré.

L'amendement n° 148, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 31

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Le comité d’entreprise et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi vérifient le caractère réel et sérieux des motifs de l’employeur.

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le passage à temps partiel fait partie, avec le suivi d’une formation professionnelle et le départ anticipé à la retraite, des trois possibilités ouvertes par le compte de prévention de la pénibilité. Nous pensons que c’est une disposition intéressante et le verbe « choisir » est important, puisqu’il renvoie à la philosophie même de ce compte : une fois la pénibilité de son travail reconnue, le salarié doit pouvoir choisir, s’il le souhaite, le passage à temps partiel pour limiter son exposition aux facteurs de pénibilité.

Notre amendement a pour objet de garantir l’effectivité de ce droit. La rédaction actuelle de l’alinéa 31 ne nous satisfait pas de ce point de vue, puisque l’employeur peut refuser le passage à temps partiel s’il démontre que cette réduction du temps de travail est impossible compte tenu de l’activité économique de l’entreprise.

Sans douter de la bonne foi des employeurs, nous préférerions que le texte soit plus précis, plus équilibré : le dernier mot ne doit pas forcément revenir à l’employeur s'agissant d’une décision qui concerne très directement son salarié.

C’est pourquoi nous proposons que ce soit à la fois le comité d’entreprise et la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE, qui vérifient le caractère réel et sérieux du motif invoqué par l’employeur. Le diagnostic doit selon nous être établi de façon indépendante, l’employeur étant nécessairement juge et partie.

L’article 6 est censé ouvrir des droits nouveaux pour les salariés travaillant dans des conditions difficiles. Si les nécessités de l’activité économique de l’entreprise doivent certes être prises en compte, elles ne doivent pas être utilisées directement comme argument par l’employeur pour refuser ce droit au salarié. Nous connaissons, comme vous, le monde des entreprises, et nous savons que la relation employeur-employé induit une subordination. Aussi nous semble-t-il indispensable que ce soit un tiers qui établisse si, oui ou non, le passage à temps partiel est impossible compte tenu de l’activité économique de l’entreprise.

Ce point nous paraît relever du simple bon sens. Si notre amendement devait ne pas être adopté, nous serions très inquiets pour l’effectivité du compte de prévention de la pénibilité, mesure fortement mise en avant par le Gouvernement dans ce projet de loi.

Rien n’est dit, par exemple, sur le maintien ou non du salaire à temps plein… Les 300 000 personnes qui devraient, à terme, utiliser chaque année des points accumulés sur leur compte de prévention de la pénibilité doivent pouvoir connaître précisément leurs droits et les obligations de l’employeur.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Le comité d’entreprise, qui est une instance consultative, n’a pas de droit de regard sur une décision de l’employeur prise dans le cadre d’une relation individuelle de travail. Quant à la DIRECCTE, elle a d’autres missions d’importance, qui l’occupent beaucoup.

Je rappelle que, en cas de refus manifestement infondé de la part de l’employeur, le salarié pourra porter sa contestation devant les prud’hommes. La commission émet donc un avis défavorable. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin s’exclame.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Même avis, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Nous sommes de l’avis du rapporteur et du ministre dans cette affaire. Chacun doit rester dans son rôle, il reviendra au conseil des prud’hommes de jouer le sien.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 148.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 371 rectifié bis, présenté par Mmes Deroche, Procaccia et Bruguière, MM. Milon et Husson, Mme Debré et MM. Cardoux et Gilles, est ainsi libellé :

Alinéa 42, première phrase

Après les mots :

sur pièces et sur place

Supprimer la fin de cette phrase.

La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. L’effectivité du contrôle prévu par le texte implique que l’employeur se soumette à des investigations poussées, portant notamment sur les processus de fabrication et les conditions de travail de ses salariés.

Si la nécessité de pouvoir procéder à de telles investigations n’est pas contestée dans son principe, l’intervention d’organismes habilités telle qu’elle est prévue par le texte soulève à nos yeux de nombreuses difficultés.

D’une part, les caractéristiques juridiques de ces organismes habilités ne sont aucunement définies.

D’autre part, le législateur envisage de confier à des organismes habilités non définis des prérogatives de contrôle nécessairement très importantes, sans connaître précisément les modalités de ce contrôle, puisque le pouvoir réglementaire aura le soin de les définir, et sans s’être assuré que ces prérogatives peuvent bien être exercées par des personnes autres que les « organismes gestionnaires mentionnés à l’article L. 4162-10 ».

Il résulte de ces deux premières observations que la constitutionnalité de cette disposition est incertaine. Par ailleurs, ni les modalités de désignation ni la rémunération de ces organismes habilités ne sont envisagées. Dans ces conditions, nous proposons la suppression des dispositions relatives à ces derniers.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Christiane Demontès, rapporteur. Le champ d’application du compte personnel de prévention de la pénibilité étant très vaste, il est compréhensible que les CARSAT, les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, ne disposent pas, à elles seules, des moyens nécessaires pour assurer un contrôle ciblé et efficace qui permettrait de mettre en lumière rapidement les fraudes et les situations de contournement de la loi. Il est donc nécessaire qu’elles puissent s’appuyer sur d’autres organismes, qui pourront sans doute être publics ou privés.

Je sollicite l’avis du Gouvernement sur cette question importante.

M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Comme vient de le dire Mme la rapporteur, il est compréhensible que les CARSAT ne disposent pas forcément de l’expertise nécessaire pour répondre à l’ensemble des questions qui leur sont adressées.

C’est pourquoi il est indispensable, aux yeux du Gouvernement, que les CARSAT puissent s’appuyer sur l’appréciation d’un tiers. Or il est bien du ressort de la loi de prévoir quels seront les liens de ce tiers avec la puissance publique.

En l’occurrence, il s’agira d’une habilitation décidée par les pouvoirs publics, dont les contours seront déterminés par décret. Il nous paraît nécessaire que les CARSAT puissent s’en remettre à une expertise technique relevant d’un tiers.

Je veux attirer votre attention, madame la sénatrice, sur le fait que ce dispositif ne constitue pas une innovation de ce projet de loi. L’article L. 4722-2 du code du travail prévoit déjà, par exemple, qu’un inspecteur du travail peut demander à l’employeur de faire procéder à des vérifications ou à des mesures des expositions par des organismes ou des personnes désignés dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. Il s’agit donc simplement ici d’appliquer ces dispositions à la mise en place du compte de prévention de la pénibilité.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Cet amendement, dont je ne suis pas signataire, soulève un vrai sujet.

Certes, l’État a toujours la faculté, comme d’ailleurs les magistrats, de s’appuyer sur des expertises. Il est toutefois important de s’interroger sur la liberté, l’indépendance, la compétence des organismes habilités, ainsi que sur leur faculté à utiliser des prérogatives de puissance publique pour procéder à des contrôles sur pièces et sur place. Pareille inquisition à l’intérieur de l’entreprise peut aller fort loin s’il s’agit par exemple d’évaluer les caractéristiques économiques de l’exposition à la pénibilité.

Je pense que vous avez eu raison, madame Deroche, de présenter cet amendement, ne serait-ce que pour attirer l’attention du Gouvernement sur la gravité de la décision consistant à donner à des « organismes habilités » des facultés relevant de l’autorité publique, et donc de prérogatives tout à fait exceptionnelles.

Imagine-t-on un seul instant que ces organismes habilités puissent être des agences privées, telles que l’Apave, ou des émanations d’organisations syndicales patronales ou de salariés ? Nous savons, par exemple, que les comités d’entreprise, qui peuvent aborder les sujets économiques, font très souvent appel à des bureaux d’études ou d’audit connus pour être rattachés à telle ou telle grande fédération ouvrière. Pourquoi pas, dans la mesure où il s’agit de comités d’entreprise, mais lorsqu’il est question de l’autorité publique intervenant au nom d’un projet national, j’estime que l’habilitation doit faire l’objet d’un examen tout particulier, selon des critères parfaitement transparents.

Si cet amendement n’est pas adopté, nous aurons à étudier avec attention les conditions d’application de cet article.