Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, peut-on encore parler d’aménagement du territoire à l’heure de la mondialisation ou, à tout le moins, de l’Union européenne ?

Peut-on encore appliquer des méthodes centralisées, qu’elles soient colbertistes, napoléoniennes ou républicaines, pour organiser le territoire ? D’ailleurs, l’organisation du territoire, est-ce régalien, comme l’a dit un intervenant tout à l’heure ? N’est-ce pas « ringard » ?

Surtout, les objets de l’aménagement sont-ils ceux dont s’occupaient le baron Haussmann, les plans quinquennaux ou le préfet Delouvrier, à l’heure où nous venons de recréer de véritables potentats métropolitains ?

Évidemment non, comme le prouvent la fusion et le changement de dénomination de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale – la DATAR –, du Secrétariat général du comité interministériel des villes et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances en un Commissariat général à l’égalité des territoires, sous votre tutelle, madame la ministre.

Voilà un thème passionnant dont les quelque treize sénateurs et sénatrices présents pourraient débattre pendant des heures, le sujet ne semblant pas susciter la présence de nos autres collègues en séance.

M. Jean-Claude Lenoir. Les meilleurs sont là !

Mme Hélène Lipietz. Heureusement, comme toujours !

En effet, l’aménagement du territoire est forcément une politique complexe, puisqu’il s’agit en réalité de la conjonction de plusieurs politiques – services publics, mobilité, développement économique – qui doivent être menées à tous les échelons territoriaux.

Beaucoup d’efforts ont été menés pour organiser le développement des territoires, entre rural et urbain – peut-être insuffisamment pour le rural – et également au sein même des territoires ruraux et au sein des territoires urbains.

Malgré tout, on constate des échecs, probablement dus, dans certains cas, à une vision à trop court terme. Je ne citerai qu’un exemple : le déséquilibre entre l’est et l’ouest de la région parisienne.

Ainsi, nos collègues Fichet et Mazars ont publié en février 2013 un rapport qui souligne l’influence des politiques d’aménagement du territoire sur le développement économique : « sans infrastructures de transports et de communication adéquates, il est difficile, voire impossible d’attirer nombre d’activités économiques sur le territoire. »

Jusqu’à une période récente, l’aménagement spatial s’est borné au développement des autoroutes ou des lignes à grande vitesse.

Cette conception est révolue, et le Grenelle de l’environnement a souligné la nécessité de mettre un coup d’arrêt au développement routier.

Le transport ferroviaire de proximité est à la peine, face aux lourds investissements de modernisation nécessaires actuellement.

Pourtant, les dessertes ferroviaires locales sont pour les territoires non centraux une nécessité alors que, si l’on observe les choix budgétaires actuels, la priorité est donnée aux lignes à grande vitesse.

L’aménagement du territoire implique un réseau ferroviaire en toile d’araignée, et non ces trains à grande vitesse et grande distance qui visent à relier la France et le reste du monde à Paris.

Il faut aussi penser à reconstruire le fret, disparu depuis une vingtaine d’années : mettre un camion sur un train sera toujours moins polluant et plus sûr pour les usagers de la route qu’un camion qui roule.

Il faut donc retrouver des marges de manœuvre budgétaires grâce à la taxe poids lourds dite « écotaxe », mais qui devrait s’appeler « pollutaxe ». Cette redevance est au service de l’activité locale des territoires, parce qu’elle incite les transporteurs et leurs clients à optimiser leurs transports, autrement dit à ne plus faire circuler de poids lourds à vide.

La crise de l’écotaxe nous oblige d’ailleurs à raisonner à l’échelle européenne en prenant en compte les territoires frontaliers. L’Alsace, à l’inverse de la Bretagne, demande sa mise en œuvre car les camions ont envahi ses routes. L’Allemagne a mis en place la taxe poids lourds il y a déjà presque dix ans...

Un autre enjeu réside dans l’aménagement numérique des territoires, qui est une façon de se déplacer virtuellement ! Le numérique permet de surmonter les problèmes de mobilité, d’isolement, ou encore de handicap grâce aux services en ligne et de gérer au plus près les besoins des citoyens.

C’est pourquoi je salue les départements pionniers, notamment les départements ruraux, ceux qui se sentent tellement abandonnés par le centralisme parisien, et le volontarisme du Gouvernement qui s’est fixé pour objectif que l’ensemble du territoire ait accès au très haut débit sous dix ans. Il s’agit d’un objectif décisif pour nos territoires comme pour la France dans ses rapports avec le monde.

De plus, le maillage numérique permet la délocalisation de nos institutions, par exemple l’École nationale d’administration, l’ENA, à Strasbourg, mais aussi l’INSEE. Toutes ces institutions n’ont finalement pas besoin d’être à Paris.

M. Jean-Claude Lenoir. Malakoff, ce n’est pas très loin !

Mme Hélène Lipietz. Il permet également de désengorger Paris et de donner du travail aux jeunes, là où ils ont étudié.

Si le territoire est fixe, tel n’est pas le cas des individus et des familles. Comme le souligne la mission commune d’information concernant l’avenir de l’organisation décentralisée de la République dans le rapport qu’elle a publié récemment, on ne vit plus toujours sa retraite à l’endroit où l’on a travaillé. Ce phénomène ira en s’accélérant avec le vieillissement croissant de la population. De même, hélas ! on ne travaille plus là où on a étudié.

Comment nous, politiques, pouvons-nous avoir une quelconque action sur cette mobilité individuelle ? Devons-nous avoir une action ?

Est-ce le rôle de l’État, des régions, des entreprises ou des individus de penser l’aménagement du territoire ?

L’aménagement du territoire est-il une nécessité ou l’intelligence des territoires ne saura-t-elle pas faire face aux problèmes rencontrés avec un minimum d’intervention ? Tel est l’enjeu de notre débat. (M. Aymeri de Montesquiou applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Masson-Maret.

Mme Hélène Masson-Maret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, l’aménagement du territoire est un domaine sensible. En effet, qu’il s’agisse de la politique de grands travaux, de la couverture numérique, du développement du ferroviaire, ou encore des pôles de compétitivité, toutes les actions liées à l’aménagement du territoire ont un coût, qu’il soit assuré par l’État, les collectivités ou des sociétés commerciales.

De plus, ces investissements, nous le savons également, sont peu valorisants pour les gouvernements, qui ne récoltent que trop tardivement les fruits de leurs arbitrages.

Pourtant, c’est bien à l’État qu’il convient de définir les grands axes de la politique d’aménagement du territoire.

Or, malgré les efforts des précédents gouvernements qui ont largement investi dans l’aménagement du territoire en mettant en place les pôles de compétitivité, le Grand Paris, la couverture numérique avec les réseaux d’initiative publique, le financement de lignes à haute vitesse, il est nécessaire aujourd’hui, madame la ministre, de prendre conscience du fossé qui se crée entre les hyper-centres connectés à la mondialisation et le reste de nos territoires plus démunis, meurtris, comme vous l’avez souvent dit.

Ce constat va à l’encontre même de l’esprit de la politique d’aménagement du territoire et de l’égalité des territoires. Il n’est donc pas supportable.

Il faut l’admettre, les gouvernements précédents n’ont sans doute pas réussi à répondre pleinement à la progression de l’inégalité des territoires. Mais, malheureusement, madame la ministre, en ce qui concerne le gouvernement actuel, malgré l’avancement du phénomène, il ne semble pas que vous proposiez de réponses plus ambitieuses, au contraire.

Je voudrais ici justifier mes propos. Si l’on établit une rapide comparaison entre les projets annuels de performance des programmes 112 et 162 pour les années 2012 et 2014, celle-ci montre une continuité, entre le gouvernement précédent et le gouvernement auquel vous appartenez, dans la plupart des objectifs assignés à la politique des territoires.

Cette continuité se traduit dans quelques objectifs incontournables, tels que la redynamisation des territoires ruraux, ou encore le soutien au développement des pôles de compétitivité.

Remarquons que l’on trouve en supplément, en 2014, de nombreux vœux pieux sur le développement solidaire des territoires. Cela est louable, madame la ministre, mais quels outils sont proposés par le Gouvernement pour réaliser ce développement ?

Pour étayer mes propos, prenons quelques exemples et quelques dates. Les pôles d’excellence ruraux, dont un rapport d’information sénatorial nous informe de la réussite, ont été créés en 2005. C’est lors du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, le CIADT, en 2010 qu’ont été prises l’ensemble des mesures afférentes à la valorisation du potentiel des territoires ruraux, comme les maisons de santé. C’est encore le 28 septembre 2010 que l’accord « + de services au public » a été signé par neuf opérateurs nationaux et l’État.

Force est de constater que vous utilisez les outils mis en place par le gouvernement précédent. Je constate que lorsqu’il s’agit des objectifs, entre 2012 et 2014, les trois quarts des indicateurs sont restés identiques. Je ne peux que vous en féliciter, madame la ministre !

Malheureusement, les politiques des territoires du gouvernement précédent et du gouvernement actuel se distinguent lorsqu’il s’agit d’évoquer les dépenses.

C’est notamment ce qu’indique l’analyse des crédits de la mission « Politique des territoires » du projet de loi de finances pour 2014. L’examen de ce texte dans quelques jours m’oblige à m’attarder un instant sur des considérations budgétaires. Pardonnez-moi d’anticiper sur l’analyse détaillée des objectifs et des crédits afférents à cette mission, mais elle constitue, madame la ministre, le point cardinal de la politique de l’État en faveur de l’aménagement du territoire.

Première constatation : la mission « Politique des territoires » est dotée de 281 millions d’euros ; sa dotation baisse donc pour la deuxième année consécutive, puisque la loi de finances pour 2013 prévoyait 310 millions d’euros et la loi de finances pour 2012, 340 millions d’euros.

Deuxième constatation, plus grave encore : plus de la moitié des 30 millions d’euros d’économies sont réalisés sur l’action 2 du programme 112, intitulée « Développement solidaire et équilibré des territoires ». Les autorisations d’engagement passent ainsi de 133 millions d’euros pour 2013 à 110 millions d’euros pour 2014. Or, madame la ministre, c’est précisément cette action qui finance l’égalité d’accès des usagers aux services publics, notamment – mes collègues l’ont déjà souligné – dans les zones rurales, ainsi que l’amélioration de l’accès à l’offre des soins par l’achèvement du financement des 300 maisons de santé pluridisciplinaires. Où en est-on ?

À l’évidence, ces restrictions budgétaires mettent en danger la continuité des engagements pris dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire. Aussi souhaiterais-je, madame la ministre, que vous nous éclairiez sur la façon dont vous allez pouvoir tenir ces engagements. Cela me paraît capital.

Je me suis également demandé si les baisses de crédits résultaient uniquement d’économies sur les dépenses de fonctionnement. Il n’en est rien. Malgré la création du Commissariat général à l’égalité des territoires, en remplacement – on ne sait pas très bien pourquoi – de la DATAR, du secrétariat général du comité interministériel des villes et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, les dépenses de fonctionnement augmentent par rapport aux autorisations d’engagement ouvertes en 2013, passant de 10,3 millions d’euros à 10,4 millions d’euros. Ce sont donc les dépenses d’intervention qui vont baisser : les autorisations d’engagement passent de 235,7 millions d’euros pour 2013 à 219,6 millions d’euros pour 2014.

Afin de ne pas anticiper davantage sur l’examen du projet de loi de finances, je reviendrai maintenant sur un exemple précis, déterminant pour l’égalité des territoires. Cet exemple, qui concerne particulièrement l’aménagement de mon département, les Alpes-Maritimes, mais pas seulement, témoigne à l’évidence du désengagement de l’État. Il s’agit du rapport de la commission « Mobilité 21 » sur la mobilité durable, présenté en juin dernier ; il s’agit surtout – c’est ce point que je veux souligner – de la réaction du Gouvernement, qui a salué un rapport prônant l’arrêt des constructions de lignes à haute vitesse. Madame la ministre, je souhaiterais savoir si le Gouvernement va ainsi bloquer le progrès économique, social et environnemental, au détriment du développement durable.

Les constructions de lignes à haute vitesse sont en effet indispensables pour redynamiser une aire géographique et préserver la qualité environnementale des territoires concernés. Le rapport prône notamment le développement des transports périurbains. Bien sûr, le développement de l’offre de transports périurbains est essentiel au regard des évolutions démographiques, mais elle trouvera à s’appliquer avec une intervention moindre de l’État – c’est cela qu’il importe de souligner –, ce qui n’est pas le cas de la construction des grands axes et du désenclavement de certaines régions, où l’État est et doit être le principal acteur.

Je pose donc la question au Gouvernement : quel sort compte-t-il réserver aux lignes à grande vitesse Montpellier-Perpignan et Paris-Nice ? Madame la ministre, ces deux projets ont en commun d’être essentiels pour l’économie de régions frontalières. Je dirai rapidement quelques mots sur la ligne Montpellier-Perpignan. La construction de cette ligne a été retardée à de nombreuses reprises depuis vingt ans. La situation est telle que le président socialiste du conseil général de l’Aude, André Viola, a annoncé qu’il ne recevrait plus de ministre en visite dans son département tant que le Gouvernement resterait désespérément muet sur le sujet.

J’en viens maintenant à la ligne à grande vitesse Paris-Nice, qui est essentielle pour le développement de mon département des Alpes-Maritimes. Je rappelle pour mémoire – c’est important – les trois objectifs du grand projet ferroviaire Sud Europe Méditerranée : désenclaver l’est de la région, faciliter les déplacements à l’intérieur de la région et constituer le chaînon manquant de l’arc méditerranéen Barcelone-Marseille-Gênes. Au vu de ces trois objectifs, il est évident que la construction de la ligne Paris-Nice permettrait de rationaliser l’offre de transport pour toute la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et accentuerait l’attractivité des départements de cette région.

Soulignons également que, à l’instar de la ligne Paris-Perpignan, cette liaison est essentielle pour des raisons de souveraineté, je dis bien « pour des raisons de souveraineté ». Madame la ministre, vis-à-vis de nos voisins européens, nous devons nous occuper du désenclavement de nos périphéries.

La situation est d’autant plus gênante pour la France que ces régions frontalières luttent sur le terrain de l’attractivité économique avec des régions européennes mondialement connues ; je pense notamment à la Catalogne, côté espagnol, et à la Lombardie, côté italien.

Je demande donc au Gouvernement, en raison des inquiétudes des élus et des populations, de définir les grands axes de sa politique d’infrastructure ferroviaire dans la perspective de l’examen du projet de loi relatif au ferroviaire et de l’adoption du quatrième paquet ferroviaire européen.

En conclusion – puisqu’il est temps de conclure ce bilan alarmant –, le groupe UMP manifeste de vives inquiétudes à l’endroit de la politique d’aménagement du territoire du Gouvernement. La politique d’aménagement du territoire est en danger, et le mal est profond et insidieux.

Prenons un dernier exemple. Si nous accueillons favorablement le nouveau modèle de convention visant à faciliter le déploiement de la fibre optique en France, nous considérons que la fracture numérique ou technologique n’est en fait – je veux insister sur ce point – que le résultat malheureux d’un décrochage programmé – par le gouvernement actuel – des communes classées en zone de montagne, des communes rurales et des villes moyennes, qui ne semblent pas trouver leur place dans l’égalité des territoires ni dans la mondialisation. Or, madame la ministre, le travail de fond sur l’attractivité des territoires, indépendamment de l’offre technologique, n’a toujours pas été réalisé par le Gouvernement. Nous attendons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame le ministre, vous avez pleinement raison quand vous affirmez que la politique de l’égalité des territoires a l’obligation de réussir. En effet, la disparité qui subsiste entre les territoires ruraux et les territoires urbains est contraire à l’efficacité économique dans notre pays.

Nos 30 000 communes rurales sont l’avenir de la France. Ce n’est pas un langage convenu, c’est l’affirmation que notre vaste territoire, le plus grand de l’Union européenne, doit exploiter sa taille. C’est un atout considérable. Il faut rééquilibrer notre territoire et faire en sorte que les communes rurales soient elles aussi reliées aux centres économiques mondiaux. C’est à travers la généralisation de l’accès au très haut débit que l’on parviendra à exploiter les talents, attirer les investisseurs et améliorer la qualité de vie de tous, jusque dans les zones les plus isolées.

La France se situe seulement au vingt-troisième rang européen en matière de déploiement du très haut débit, et au trente-huitième rang mondial en matière de vitesse de connexion moyenne. C’est très médiocre. La France doit produire un effort considérable de mise à niveau. La quasi-totalité des petites communes subissent la fracture numérique, du fait de débits insuffisants et même, très souvent, de l’absence totale de service ADSL. Notre taux de pénétration de la fibre optique est de 8 % seulement, contre 17,7 % en moyenne européenne.

Aujourd’hui, madame le ministre, bien que 98 % des entreprises de plus de dix salariés soient connectées à Internet, la grande majorité d’entre elles n’ont pas accès à des services de très haut débit et doivent se contenter du même niveau d’offre que les particuliers. Je rappelle que le Japon et la Corée du Sud ont fait le choix stratégique d’investir massivement dans les réseaux de fibre optique pour atteindre 1 gigabit et intensifier ainsi leur compétitivité.

Le numérique est essentiel au développement des entreprises. Il est vital pour les petites et moyennes entreprises, les PME, qui représentent 60 % des emplois de notre économie et sont très souvent implantées en zone rurale. De manière plus inquiétante, les tarifs pratiqués sont absurdes, car antiéconomiques : les PME qui disposent d’une connexion à très haut débit paient 200 euros hors taxe par mois pour 2 mégabits et 1 000 euros pour 10 mégabits. C’est contraire à tout bon sens ! C’est une entrave au développement de leur compétitivité et à leur installation en zone rurale.

Les modalités de déploiement proposées inquiètent les collectivités. Par exemple, le Schéma directeur territorial d’aménagement numérique, le SDTAN, du Gers, qui définit les actions et moyens à mettre en œuvre dans le département, prévoit que le déploiement du réseau très haut débit en fibre optique ne concernera qu’une faible partie du territoire : celle où l’habitat est le plus dense.

Certaines communes équipées d’infrastructures téléphoniques, à savoir un nœud de raccordement ou un sous-répartiteur desservant plus de quatre-vingts abonnés, bénéficieront certes d’une montée en débit, mais elles n’auront pas accès au très haut débit. Les communes qui se situent à plus de cinq kilomètres de ces installations ne bénéficieront que d’un renforcement de leur débit via des antennes paraboliques et des antennes Wifi, procédés peu fiables, limités en débit et dont la durée de vie n’excédera pas quinze ans. L’ensemble des communautés de communes devront pourtant contribuer au financement de l’aménagement numérique.

Ce recours au « mix technologique », qui doit être transitoire, creuse les inégalités d’une commune à l’autre et ne répond pas aux besoins réels de la population. Il serait plus efficace d’installer la fibre optique selon un calendrier d’échéance précis, réaliste et ambitieux. Nous devons aussi anticiper l’accroissement considérable des applications du très haut débit et avoir le courage et l’ambition de prévoir un suréquipement au départ ou de mettre en place des infrastructures évolutives.

L’objectif de couvrir la France entière en 2025 représente un investissement global important, estimé à 23,5 milliards d’euros. Il faut trouver un moyen de financement juste, pérenne, équilibré, entre toutes les collectivités. Notre collègue Hervé Maurey a proposé voilà quelques instants un financement mutualisé, au travers d’une contribution des abonnements d’accès Internet fixe, de la téléphonie mobile et d’une taxe sur les produits électroniques grand public. Il a raison : il faut mettre en place un dispositif spécifique d’alimentation durable du Fonds d’aménagement numérique du territoire. Quel sera-t-il, madame le ministre ?

Pour planifier la montée en débit dans les territoires ruraux, une action coordonnée et une mutualisation des coûts entre les opérateurs privés, les collectivités territoriales et l’État sont indispensables. Les opérateurs investissent dans les territoires les plus denses, car, pour eux, les zones rurales ne sont pas rentables. Les projets réalisés en milieu urbain devront donc, dans un souci d’équité, financer les infrastructures numériques des zones rurales.

La définition d’un programme réaliste de couverture des zones blanches est attendue des élus, qui sont exaspérés d’entendre parler de l’essor de la téléphonie mobile 4G, alors que de nombreuses communes n’ont toujours pas de couverture mobile 2G et 3G ! Il est inadmissible qu’en 2013 on ne puisse pas joindre un médecin d’urgence de n’importe quel point de notre territoire.

Je cite cet exemple du domaine médical, car l’accès au très haut débit est aussi un outil indispensable de gestion de santé publique. En effet, le numérique a le potentiel pour améliorer l’efficacité de notre système de soins et de gestion de la dépendance. L’e-santé constitue l’une des solutions aux problèmes d’organisation de la couverture médicale des communes rurales. La télésanté permettra aux médecins de surveiller leurs patients à distance et d’échanger des données médicalisées avec leurs collègues par l’Internet. Mais la télétransmission des actes de soin, la gestion du dossier médical informatisé et le suivi des patients à distance ne seront possibles que si l’accès au très haut débit est une réalité sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, le télétravail est une activité en pleine croissance. Inspirons-nous des Pays-Bas, où il existe une centaine de Smart Work Centers, des télécentres comportant des espaces de travail, de réunion et des salles de téléprésence. Ces structures permettent à des territoires de moindre densité urbaine d’implanter dans les zones rurales des unités économiques très variées qui sont pour l’instant implantées dans les métropoles où se concentrent les crèches, les services publics, les banques ou les micro-entreprises. Ces télécentres peuvent devenir des bases essentielles du télétravail, lequel peut être un outil de développement des territoires ruraux. À titre d’exemple, le programme novateur Soho-Solo mis en place par la CCI du Gers s’est concrétisé par la création de huit télécentres et l’inscription de plus de 300 télétravailleurs, ce qui est appréciable à l’échelle de la population active du département.

Pourtant, malgré son potentiel, le télétravail ne concerne que 7 % de la population en France, contre en moyenne 13 % en Europe et 25 % en Amérique du Nord.

Le numérique constitue notre nouvelle frontière, qui est très attendue. Il donne un sens à l’expression « égalité des chances », qui n’est que trop souvent un simple slogan. Il est un moyen de donner une réalité au désir d’entreprendre, qui a déserté notre pays, en privant des territoires de l’économie moderne.

Francis Bacon nous exhorte à « reculer les bornes de l’Empire humain en vue de réaliser toutes les choses possibles ». Dans cet esprit, le numérique révolutionne notre société en générant de nouvelles inventions. La croissance repose aujourd’hui sur les nouvelles technologies et leurs applications. Si nous ne parvenons pas à résoudre le problème de l’accès au très haut débit dans les territoires ruraux, nous pénaliserons toute la France. En créant un écosystème favorable à la créativité et au progrès sur l’ensemble de notre territoire, nous entrerons ainsi tous ensemble dans la modernité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, régulièrement, le Sénat débat sur le thème de l’aménagement du territoire pour dire combien il est important de permettre un aménagement équilibré de notre pays, listant tous les domaines où l’intervention publique est nécessaire pour garantir l’égalité partout sur l’ensemble du territoire.

Je dois bien avouer que plutôt que de débattre entre nous, sans que cela puisse déboucher sur une mesure concrète, nous aurions préféré examiner le projet de loi sur les territoires qui nous a été annoncé voilà maintenant plusieurs mois. Madame la ministre, vous nous direz sans doute dans votre réponse quand celui-ci nous sera enfin soumis.

Nous aurions également aimé que le Sénat adopte, le 10 octobre dernier, comme il en avait la possibilité, la proposition de loi, présentée par mon collègue Le Cam, opérant un rééquilibrage dans la répartition de la dotation globale de fonctionnement aujourd’hui trop défavorable aux petites communes.

Nous partageons, semble-t-il, sur toutes les travées, ou presque, de cet hémicycle, le diagnostic préoccupant de l’abandon progressif des territoires, du creusement des inégalités sociales et spatiales depuis de trop nombreuses années. Les sénateurs Renée Nicoux et Gérard Bailly ont d’ailleurs produit, il y a peu, un rapport dressant un constat sans appel sur le sujet.

La France a longtemps été un pays au fort pouvoir central, mais le mouvement engagé depuis les années quatre-vingt a amorcé une décentralisation donnant plus de pouvoirs aux territoires. Cette démarche a jusqu’à présent toujours été accompagnée d’une forte déconcentration permettant l’accompagnement et le soutien de l’État au plus près des territoires, ce qui a permis des avancées majeures pour la population.

Aujourd’hui, avec l’acte III de la décentralisation, le Gouvernement rompt avec cette tradition : tout en se voyant confier plus de responsabilités et de compétences, les collectivités sont privées du soutien de l’État et sont très contraintes financièrement. L’État lance même des politiques sans prévoir les ressources nécessaires pour les mener en confiant simplement leur réalisation aux collectivités selon le principe : « je décide, tu paies ! »

La réforme des rythmes scolaires constitue à ce titre un bel exemple. Ce sont les collectivités qui assument une politique décidée nationalement, sans les ressources nécessaires, créant de fortes disparités sur le territoire et une insatisfaction justifiée.

Ainsi, dans le cadre des lois de finances, non seulement les dotations des collectivités baissent de 3 milliards d’euros sur deux ans – et nous pensons que cette baisse va continuer –, mais, en plus, l’ingénierie d’État continue d’être démantelée, notamment dans le cadre du ministère de l’égalité des territoires. Comment agir dans ces conditions ? Comment œuvrer pour l’égalité des territoires lorsque la présence humaine au sein des préfectures est toujours rognée, avec des effectifs en baisse de 3 000 emplois entre 2009 et 2013 ? Ce désengagement de l’État bat en brèche, à nos yeux, la notion même d’égalité des territoires.

Alors se dessine une France à deux vitesses distinguant les territoires relevant de la métropole, qui aspirent les pouvoirs et les ressources, et les autres territoires, laissés sinon à l’abandon, du moins dans de grandes difficultés.

Une telle réorganisation de l’architecture institutionnelle porte atteinte à toute idée d’aménagement équilibré des territoires, et comporte deux écueils. Tout d’abord, elle met à mal la démocratie, parce que, nous le savons tous, la proximité des élus avec la population, et le contrôle réel que celle-ci peut opérer, est le gage d’une meilleure adéquation entre les besoins et les projets portés par et pour les territoires.

En outre, la marche forcée organisée vers l’intercommunalité, comme modèle et réponse unique aux enjeux d’aménagement du territoire, ainsi que nous l’avons vu lors du débat sur le transfert automatique de la compétence PLU, semble être une impasse ou, du moins, apparaît déconnectée des réalités locales concrètes.

Alors que l’État, depuis de nombreuses années, a laissé les territoires à l’abandon faute d’y consacrer les moyens nécessaires, ceux-ci ont dû s’organiser eux-mêmes. Aujourd’hui, les lois successives tendent vers la définition d’un cadre normatif et législatif extrêmement contraignant laissant entendre que les élus locaux, principalement les maires, seraient responsables de tous les maux, et notamment de l’étalement urbain, de l’artificialisation de sols, de la gabegie des finances. Quelle caricature !

En donnant le sentiment d’une impuissance, voire d’une incompétence des élus locaux, alors même que ce sont les collectivités qui sont à l’origine de plus de 70 % de l’investissement public, on nourrit désillusion et colère, on renforce, au fond, le sentiment de l’abandon et de la fatalité, ce qui, dans un contexte économique tendu, a des conséquences politiques graves pouvant mener à des comportements antirépublicains.

Aborder efficacement l’enjeu de l’aménagement du territoire devrait ainsi se traduire prioritairement par l’octroi de moyens financiers et humains en appui aux collectivités, car force est de constater qu’elles sont les maillons essentiels de la cohésion nationale.

L’État, par sa politique en termes de service public, a également renoncé à garantir à tous l’accès aux services principaux. Nous regrettons à cet égard que la présente majorité n’ait pas mis un point d’honneur à revenir sur les lois successives de privatisation, que ce soit de la Poste, d’EDF ou de GDF. Le démantèlement de la présence des hôpitaux publics se poursuit, au nom de la rationalisation de l’action publique. Le rail souffre toujours de sous-investissement, comme en témoigne l’accroissement de sa dette. Le fret est progressivement abandonné dans sa mission de proximité, alors que le wagon isolé est l’un des éléments déterminants de la transition écologique. Des villages continuent de dépérir, alors même que, selon des études récentes, de plus en plus de nos concitoyens aspirent à partir des zones urbaines, espérant ainsi gagner en qualité de vie. Mais ils ne le font pas, faute d’infrastructures suffisantes et de garantie d’emploi.

Car, au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit : la redynamisation de nos territoires et la nécessaire réindustrialisation ne peuvent être réussies en dehors de la présence et du maillage fin du territoire par les services publics.

Dans ce cadre, nous regrettons que les engagements financiers pour la couverture numérique ne soient pas à la hauteur des enjeux de cette révolution, pourvoyeuse de développement et source d’emplois, notamment pour les territoires les plus enclavés. L’enjeu numérique est du même ordre que la construction du rail hier : c’est fondamental !

À ce propos, j’ai entendu avec plaisir notre collègue Hervé Maurey fustiger l’attitude du privé, qui investit seulement là où c’est rentable. Mon cher collègue, vous me voyez ravie de constater que vous rejoignez nos positions !