M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le ministre, je suis très heureux de vous voir parmi nous ce matin, et j’ai eu comme toujours grand plaisir à vous entendre. J’ai l’impression toutefois que vous n’étiez pas du tout sur cette ligne lors des débats sur la loi de 2004. (M. le ministre délégué acquiesce.)

C’est bien la preuve que l’on peut évoluer. C’est le cas de certains d’entre nous qui ont participé par le passé à des débats sur le sujet. J’avais alors été impressionné par les diatribes extrêmement violentes contre la CRPC, qui allait nous livrer à l’abominable système américain ; je reconnais que celui-ci est abominable et qu’il ne faudrait pas qu’il remplace le système français ; mais tel n’est pas le cas.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à lire l’exposé des motifs de cette proposition de loi, qui recèle quelques contradictions, il y aurait lieu, sinon de supprimer la réforme de la CRPC, dont les auteurs de ce texte reconnaissent cependant l’utilité, tout du moins d’en limiter l’utilisation et d’en modifier substantiellement la procédure.

Bien entendu, la dénonciation du système anglo-saxon, contraire à nos principes de droit et de procédures pénaux, dont la CRPC serait une pâle copie, ne tient guère. Comme je viens de le souligner, personne ne souhaite ici instaurer la procédure du plea bargaining américain. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous avez remarqué que l’on notait une évolution de tous les pays européens vers une procédure comparable, et ce sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme.

La loi du 9 mars 2004, comme tous les textes modificatifs de 2009 à 2011, a été soumise au Conseil constitutionnel. Elle n’a pas été censurée, bien qu’il nous faille être attentifs aux réserves d’interprétation qui figurent dans les décisions du Conseil. C’est peut-être l’occasion d’apporter un certain nombre de précisions.

L’hostilité de certaines organisations professionnelles de magistrats – il serait plus juste de dire la totalité ! – lors de l’élaboration de la loi de 2004 semble, à la lumière des auditions conduites par M. le rapporteur, démontrer l’utilité et la pertinence de cette procédure, employée par les parquets avec mesure, comme étant très adaptée à certaines catégories de contentieux pénal.

Même la loi du 13 décembre 2011, qui suivait les recommandations du rapport Guinchard, a étendu la CRPC à tous les délits, sous réserve de ceux qui sont visés aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal punis d’une peine de plus de cinq ans d’emprisonnement. Cette restriction a d’ailleurs été apportée grâce à l’adoption d’un amendement d’Yves Détraigne et ne pose pas de problème particulier. Vous avez bien démontré que l’élément le plus important est la nature du contentieux, et non le quantum de la peine.

En outre, madame Klès, pour avoir participé, comme M. Alain Vidalies d’ailleurs alors qu’il était député, à l’ensemble de la réforme du code pénal, je précise que nous avions veillé à peser au trébuchet le quantum des peines. Le code pénal, lorsqu’il avait été adopté définitivement, était cohérent !

Mme Virginie Klès. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest. Telle avait été notre ambition. Depuis, non pas tous les gouvernements, mais toutes les assemblées ont décidé qu’il fallait être plus répressif. En effet, non seulement nous n’avons jamais baissé le quantum des peines, mais nous avons toujours rendu plus répressif l’arsenal à notre disposition, si bien que cela n’a plus aucun sens. Un jour, il faudra sans doute faire un peu le ménage. (Mme Hélène Lipietz acquiesce.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Un grand ménage !

M. Jean-Jacques Hyest. J’ignore le nombre exact de délits, mais on en compte sans doute plusieurs milliers : environnement, etc.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Environ 10 000 !

M. Jean-Jacques Hyest. Or on s’aperçoit que les tribunaux n’en utilisent que 300 ou 400. Là encore, on peut s’interroger sur l’efficacité du droit pénal, mais c’est une autre question.

L’examen de la proposition de loi est néanmoins l’occasion – et c’est heureux – de faire le bilan d’application de la CRPC. Après tout, cela fait dix ans que la loi a été adoptée. Nous constatons qu’elle est très utilisée et représente environ 15 % des poursuites à partir de 2009, avec un taux d’homologation d’environ 12 % par le tribunal correctionnel. Je relève également, à la suite de nombreux intervenants, que le contentieux routier, pour lequel cette procédure est particulièrement adaptée, en constitue presque 60 % des procédures mises en œuvre.

Si l’on examine le taux d’échec de la CRPC, et bien que le ministère de la justice ait abandonné l’évaluation de ce dispositif depuis 2009 – comme je suis bienveillant, je précise que c’est sans doute en raison de son évolution positive ; il faut y voir la preuve que cet outil fonctionne –, il faut reconnaître qu’il est faible : les CRPC non homologuées ne représentent que 12 %. Encore faut-il indiquer que le refus d’homologation par le tribunal de grande instance ne concerne qu’un peu moins de 3 % des dossiers, le reste étant soit la non-comparution du prévenu, soit le refus de la peine par le prévenu.

Comme le rappelle le rapport de notre excellent collègue Pierre-Yves Collombat, la procédure de CRPC est entourée de garanties sérieuses tant sur le plan procédural que sur le fond, au rang desquelles figure la présence obligatoire de l’avocat, l’exclusion du champ de cette procédure de certains délits portant une atteinte sérieuse aux intérêts de la société et des victimes.

La publicité de l’audience d’homologation et l’examen réel par le président du tribunal de grande instance des éléments du dossier sont autant de garanties de l’équité du procès. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné le Conseil constitutionnel.

Pour toutes ces raisons qui militent en faveur du maintien de la CRPC, il eut été envisageable de déposer une motion tendant à poser la question préalable. Nous en avons eu l’intention, mais cela aurait été dommage, car cela nous aurait empêchés de débattre. En effet, il ne nous paraît pas souhaitable de restreindre le champ d’application de la CRPC, ni de limiter la peine proposée, ni de permettre une modification par le tribunal de grande instance de la proposition du procureur, qui n’a pas à être tenu d’assister à l’audience. Si la CRPC est refusée, il reprend le dossier.

En revanche – et c’est le sens du texte issu des travaux de la commission des lois –, il y a sans doute lieu, bien que ces règles soient déjà appliquées, d’inscrire dans le droit positif les réserves d’interprétation du Conseil Constitutionnel, notamment à l’égard des victimes.

Les autres dispositions qui correspondent à la pratique des parquets n’ont sans doute pas d’incidence réelle sur l’utilisation de la CRPC, mais demanderaient à notre avis à être approfondies. Par ailleurs, nous soutenons la disposition qui vise à permettre à la victime de faire parvenir ses observations au parquet dès les premiers stades de la procédure.

Nous n’aurions pas voté le texte initial de nos collègues, mais nous ne ferons pas obstacle aux modifications raisonnables qui ont été apportées par la commission des lois à cette procédure de la CRPC, qui permet en définitive à la justice d’être plus efficace. Vous avez raison, monsieur le ministre, cette efficacité n’est pas uniquement comptable ; mais il faut souligner que cette nouvelle procédure accélère le cours de la justice. Après tout, un procès équitable, c’est aussi un procès qui ne dure pas trop longtemps. C’est également l’un des moyens de résoudre un certain nombre de conflits.

On parle beaucoup du statut du parquet. Il existe une solution simple : si l’on veut éviter des problèmes avec la Cour européenne des droits de l’homme, notamment des problèmes d’interprétation, il suffit de scinder le projet de loi que vous nous aviez proposé et de ne plus parler du Conseil supérieur de la magistrature. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)

Vous savez très bien que beaucoup d’entre nous ont déjà voté à plusieurs reprises pour que, s’agissant des nominations des magistrats du parquet, l’avis du Conseil supérieur de la magistrature soit conforme. Cette disposition pourrait faire l’objet d’un large consensus du Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour votre présence. Nous avons toujours plaisir à dialoguer avec le ministre chargé des relations avec le Parlement. Néanmoins, une fois de plus, je constate que, quel que soit notre plaisir de vous voir siéger au banc du Gouvernement, aucun ministre directement en charge des dossiers n’est là pour discuter avec le groupe du RDSE.

Pour le débat qui aura lieu tout à l’heure, on nous a répondu que nous avions averti trop tard. En ce qui concerne cette proposition de loi, en revanche, cela fait plusieurs mois qu’elle est inscrite à l’ordre du jour de nos travaux.

Mais nous avons pris l’habitude de cette absence de considération envers notre groupe.

Plusieurs orateurs sont déjà intervenus ce matin sur la CRPC, et nous constatons que certains d’entre eux n’ont pas changé d’avis depuis dix ans.

Notre collègue Jean-Jacques Hyest vient d’illustrer cette position. Mes convictions, opposées aux siennes, sont également restées inchangées depuis dix ans, car je maintiens, à titre personnel, un certain nombre de réserves sur cette procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Je note d’ailleurs, monsieur le ministre, que sur le dossier de la CRPC, comme hier sur celui du non-cumul, vous faites partie des nouveaux convertis…

Si cette procédure pose certaines difficultés, elle présente des avantages que nous ne méconnaissons pas, en particulier la rapidité dans le traitement des dossiers. Les données chiffrées que vous avez fournies, monsieur le ministre, sont intéressantes, car elles montrent que cette procédure permet d’« évacuer » – le mot n’est peut-être pas très beau, mais il correspond à la volonté du ministère – le maximum de dossiers, en allant trois, quatre ou cinq fois plus vite.

Dès lors, pourquoi exprimons-nous depuis longtemps des réserves sur la CRPC ?

Je ferai tout d’abord observer que nous sommes un pays de droit romain. Or, depuis de nombreuses années, on nous explique que le droit anglo-saxon a des vertus uniques en matière de respect des droits de la défense, et dans bien d’autres domaines encore. D’ailleurs, depuis l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, nous constatons que le poids de la procédure anglo-saxonne à l’échelon européen est de plus en plus lourd, ce qui constitue un réel problème. Non pas qu’il ne faille pas s’intéresser à ce qui se fait ailleurs, mais notre tradition juridique et celle des pays anglo-saxons sont très différentes.

Ce qui nous inquiète dans la CRPC, monsieur le ministre, c’est la distribution de la peine.

Mme Cécile Cukierman. C’est clair !

M. Jacques Mézard. Je caricature un peu – comme à mon habitude, direz-vous, donc je vais au-devant de vos critiques –, mais les justiciables ont bien compris le problème. En bref, on vous dit : « Monsieur, vous avez commis tel délit. Vous le reconnaissez. Si vous acceptez la CRPC, cela se passera bien. Sinon, vous irez à l’audience et votre peine risque d’être beaucoup plus lourde. » Telle est la réalité, je l’ai vécue comme professionnel. Il faut donc prendre garde à cette dérive.

Certes, la plupart des professionnels, des syndicats et des auxiliaires de justice affirment que, sur le terrain, cette procédure fonctionne plutôt bien, parce que ne sont dirigés vers la CRPC que des dossiers posant peu de problèmes. C’est certainement vrai. Voilà qui explique l’excellent travail réalisé par notre rapporteur pour rogner les ailes à ma proposition de loi (Sourires.), à juste titre du reste, car l’efficacité est toujours une chose appréciable.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Le RDSE est pluraliste !

M. Jacques Mézard. Tout à fait, monsieur le président de la commission. C’est ce qui le distingue d’autres groupes, que je ne nommerai pas ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non, nous ne les nommerons pas !

M. Jacques Mézard. Cela étant, il suffit qu’apparaisse une volonté politique d’utiliser différemment la CRPC pour que cette dernière constitue un véritable danger pour le respect des droits de la défense. Ce n’est pas le cas aujourd’hui ; dont acte. Cela n’a pas non plus été le cas hier ; dont acte également. Au reste, la plupart de nos magistrats sont démocrates et respectueux des lois de la République et des droits de la défense.

Néanmoins, avec l’accumulation des dossiers, la volonté de les évacuer au plus vite est de plus en plus forte. Ce type de procédure présente donc un risque, c’est une réalité. En outre, Jean-Jacques Hyest et d’autres l’ont mentionné, se pose évidemment le problème des droits de la défense, auquel on ne peut pas être sourd. Pour notre part, nous considérons que l’évolution de ce type de procédure peut être dangereuse, et on ne peut pas ne pas parler de la question de l’échelle des peines.

Cela pose un véritable problème aujourd’hui, car, eu égard aux faits commis, mais aussi à l’évolution de la société, nos concitoyens ne peuvent pas comprendre la nature des peines prononcées et les différences qui existent entre elles. Quand un avocat explique à son client que, pour telle infraction, il risque sept ans ou dix ans de prison – c’est vrai, c’est inscrit dans le Code pénal –, il nous répond que le système est complètement fou ! C’est ce que les avocats entendent tous.

En revanche, certaines infractions ont connu des évolutions dans le sens contraire. Comme d’autres avant moi, monsieur le ministre, je constate que, depuis quelques d’années, il existe une volonté d’écarter des audiences un certain nombre d’infractions économiques. Pour certaines d’entre elles, cela se comprend parfaitement, mais pour d’autres, je ne pense pas que cette évolution ait constitué un progrès pour la démocratie.

Je tenais donc à dire que nous sommes nous tout à fait dans la continuité de nos convictions profondes et que nous acceptons bien volontiers le travail accompli par la commission et son rapporteur, parce qu’il constitue un progrès.

Je me doute que, avec les textes qui sont annoncés en matière de droit pénal, tous ces sujets seront revus à l’aune des grands projets de Mme le garde des sceaux... Nous aurons donc l’occasion d’en débattre de nouveau et de faire connaître à cette dernière, si nous la voyons au Sénat, la position de notre groupe. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est une procédure qui, lors de son introduction dans notre droit en 2004, soulevait beaucoup de doutes et d’interrogations, voire d’oppositions, qui ont parfois été vives.

Ces doutes émanaient aussi bien des magistrats et des avocats que de nombreux parlementaires. En effet, dans l’esprit de bien des personnes, cette procédure s’éloignait fortement de la conception qui est la nôtre d’un procès pénal équitable.

Néanmoins, au gré des différentes modifications législatives et, surtout, de la pratique des magistrats, force est de reconnaître que cette procédure a finalement convaincu très largement. Ce n’est pas encore entièrement le cas de notre collègue Jacques Mézard, semble-t-il, mais beaucoup ont su faire évoluer leur position.

Il est vrai que la CRPC s’est révélée utile pour juger les nombreux contentieux où la culpabilité du prévenu ne saurait souffrir de contestation, dans la mesure où il la reconnaît d’emblée lui-même. Les chiffres sont connus : la CRPC représente désormais plus d’un contentieux sur dix au pénal. En 2012, cela correspondait à un volume de 65 000 affaires. Le rôle qui lui a été confié afin de permettre un désengorgement des juridictions semble donc relativement réussi.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui introduit de nouveaux aménagements. En la déposant, notre collègue Jacques Mézard et son groupe ont remis cette procédure sur le devant de la scène parlementaire et nous ont permis d’en débattre. Je salue également M. le rapporteur, Pierre-Yves Collombat, coauteur du texte, qui, au fil des auditions, a su faire évoluer sa position.

Les modifications qui nous ont été proposées en commission ont permis de répondre aux différentes critiques sans remettre en cause l’essentiel de cette procédure de CRPC. Comme tous les orateurs l’ont souligné, nous ne pouvons qu’en être satisfaits, car il s’agit bien d’un travail d’amélioration, et non de remise en cause de la proposition de la loi.

Le rapporteur propose ainsi de mieux encadrer la CRPC. Ayant beaucoup travaillé sur la question des victimes, je me réjouis de l’amendement qu’il a proposé tendant à permettre à la victime de faire parvenir ses observations au procureur de la République avant que celui-ci ne s’entretienne avec la personne mise en cause au cours de la première phase de la CRPC.

Cette disposition, voulue par M. le rapporteur, permettra une meilleure appréciation des faits, et c’est positif. Lors de nos débats en commission, elle a été préférée à celle que je défendais avec mon collègue de l’UMP, Christophe Béchu, avec lequel j’ai écrit un récent rapport visant à mieux prendre en compte l’indemnisation des victimes d’infractions pénales. Dans les trente et une propositions que comptait ce document, nous souhaitions permettre aux victimes d’être mieux prises en compte dans toutes les procédures rapides qui ont été mises en œuvre ces dernières années.

Dans le cas de la CRPC, l’amendement que je vous proposerai, mes chers collègues, vise à permettre à la victime, si elle le demande, d’être entendue par le procureur de la République.

J’ai été surpris de l’interprétation tout à fait caricaturale de cet amendement qui a été faite par notre collègue Hélène Lipietz. Il ne s’agit en aucun cas de revenir à je ne sais quelle loi du talion ! Au cours des auditions que nous avons menées, Christophe Béchu et moi-même, nous avons pu constater que les procédures rapides de jugement, si elles permettent d’accélérer les délais de traitement des affaires pénales et de désengorger les juridictions, présentaient toutefois le risque d’écarter la victime du procès pénal. Dans le cas de la CRPC, la victime n’est invitée à faire valoir ses droits qu’au moment de l’audience d’homologation.

Grâce à l’amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat, la victime aura donc la faculté d’écrire en amont au procureur. C’est positif, mais nous considérons que cette possibilité n’est pas suffisante. C’est pourquoi, malgré le vote défavorable en commission, j’ai redéposé l’amendement que j’avais présenté alors, afin de permettre à la victime, si elle en fait la demande, d’être entendue lors de la première phase de la procédure par le procureur de la République, avant que ce dernier ne prenne sa décision sur la ou les peines qu’il prononcera à l’encontre de l’auteur de l’infraction.

Ce n’est pas contradictoire avec la possibilité d’écrire au procureur, bien sûr, mais c’est une faculté supplémentaire qui doit être proposée aux victimes. Trop souvent, celles-ci sont affectées par les faits commis à leur encontre, et elles éprouvent le besoin de s’exprimer. De surcroît, elles pourraient apporter des éléments que l’enquête de police n’aurait pas mis au jour. Pour toutes ces raisons, ma conviction est que la victime doit avoir toute sa place.

J’ajoute que les magistrats ne sont pas opposés à l’ouverture aux victimes de ce droit à être entendues et que, vu le type d’affaires traitées en CRPC, on peut prévoir que son exercice resterait marginal. Pourquoi donc se priver, pour quelques cas, de cette possibilité pour la victime d’être entendue, d’être reconnue et d’être considérée, voire d’apporter au procureur des éléments objectifs ?

Dans les débats qui vont suivre, nous aurons donc la possibilité d’améliorer la prise en compte de la victime dans le procès pénal. Certes, depuis trente ans, en France, beaucoup a été fait pour que la victime soit davantage considérée, reconnue et associée, mais il y a encore des progrès à faire ; en l’occurrence, nous pouvons aller plus loin que ne le propose M. le rapporteur. C’est le sens de l’amendement que je défendrai.

Quoi qu’il soit, le groupe socialiste votera le texte qui nous est proposé, car, sans remettre en question une procédure qui a montré son utilité, nous avons su faire œuvre utile en travaillant à l’améliorer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Je remercie tous nos collègues qui sont intervenus dans ce débat. Je ne le cache pas, m’entendre dire que je suis « modéré » me remplit de joie… (Sourires.)

Sur le fond, je me contenterai de formuler deux remarques susceptibles d’ouvrir des champs de réflexion pour l’avenir.

Premièrement – je serai bref sur ce point, qui a déjà été amplement abordé –, il est vrai que l’échelle des peines ne permet plus vraiment de s’y retrouver. C’est pourquoi, même si l’intention était bonne, nous avons renoncé à tenter de limiter l’usage de la CRPC au moyen du quantum de peine, ce qui n’aurait abouti à rien.

À n’en pas douter, si la CRPC a réussi, c’est parce que son usage a été cantonné à certaines catégories de délits. Notre système s’est autorégulé, ce qui est plutôt un signe de bonne santé. Il a su faire le meilleur usage possible d’une procédure atypique, qui ne s’inscrivait pas dans sa logique profonde.

Deuxièmement, la judiciarisation de la vie sociale fait que nous sommes confrontés aujourd’hui à deux types de délits au moins : d’une part, les délits ou les crimes classiques, qui portent atteinte à ce que la pensée chinoise appelle « l’ordre du ciel », et pour lesquels les questions de culpabilité et d’intention restent décisives ; d’autre part, un ensemble de délits pour lesquels la culpabilité ne fait pas débat, notamment lorsqu’ils reposent sur un fait matériel incontestable – par exemple, si vous êtes contrôlé avec deux grammes d’alcool dans le sang, vos aveux ou vos dénégations ne changeront strictement rien à l’affaire.

N’oublions pas en effet que l’appareil judiciaire joue de plus en plus un rôle de régulateur de la vie sociale, et qu’il devient ainsi un service annexe du ministère des affaires sociales.

Ces disparités expliquent que l’on puisse à la fois vouloir continuer à utiliser la CRPC dans certains cas et penser que son extension à d’autres domaines serait une calamité. Toutefois, la frontière restant assez floue, il me semblerait utile de poursuivre la réflexion sur ce point.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Léon Blum disait que, en politique, on a le choix entre se répéter ou se contredire… (M. le président de la commission acquiesce.) Ce n’est pas toujours exact : on peut aussi évoluer !

Si notre débat de ce matin rappelle que l’instauration d’une procédure nouvelle soulève légitimement des questions de principe, il montre aussi que ces questions peuvent rester pertinentes après plusieurs années de pratique, comme l’a rappelé M. Jacques Mézard. Toutefois, on voit aussi que, parallèlement, une forme de réalisme judiciaire s’est imposée.

Pour ma part, il ne me semble nullement contradictoire de rester vigilants sur les principes – c’est le devoir des parlementaires et du Gouvernement – et de constater dans le même temps les apports de cette procédure, qui, pour l’instant, a été plutôt bien utilisée, notamment grâce aux politiques mises en œuvre par les parquets.

Si les objections qui avaient été soulevées à l’origine par les uns et les autres n’ont pas été confirmées par les faits, il n’en demeure pas moins que le même texte, placé entre des mains mal intentionnées, pourrait conduire à des résultats très différents. Toutefois, le droit ne peut pas être formulé seulement pour assurer une protection contre d’éventuelles intentions malveillantes ! Au final, il me semble que ce débat est légitime et qu’il honore plutôt notre démocratie, que ce soit lors de la création de cette procédure ou aujourd’hui.

Je voudrais ensuite rassurer Jacques Mézard sur la présence de Mme la garde des sceaux au Sénat. Si j’en crois son agenda des derniers jours, c’est plutôt l’overdose que vous risquiez ! (Sourires.) En effet, Mme Taubira a passé à la Haute Assemblée son lundi pour débattre de la géolocalisation et son mardi pour parler du contrôleur général des lieux de privation de liberté et de la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. Enfin, elle sera présente parmi vous ce jeudi après-midi, mesdames, messieurs les sénateurs.

En réalité, ce texte devait être examiné à l’occasion d’une autre séance, à laquelle Mme la garde des sceaux ne pouvait absolument pas assister en raison d’un impératif extérieur. J’avais donc été chargé de représenter le Gouvernement, et nous avions préparé ce texte ensemble. Sa date d’examen ayant finalement été modifiée, et faute pour Mme Taubira de disposer d’un ministre délégué, nous en sommes restés à l’organisation qui avait été initialement prévue.

Ne voyez dans cette absence aucun ostracisme à l’égard du Sénat, monsieur Mézard. D’ailleurs, compte tenu de l’ordre du jour prévisible des travaux parlementaires, qui a déjà été assez largement exposé en conférence des présidents, vous aurez de nombreuses occasions de revoir Mme la garde des sceaux, en particulier à partir du mois d’avril prochain.

Sur le fond, le Gouvernement et la garde des sceaux se félicitent du travail de la commission, dont M. Hyest a fourni une bonne synthèse. Il subsiste une divergence d’appréciation importante sur l’amendement n° 12 du Gouvernement, qui vise à communiquer la proposition de peine à la personne concernée au moins dix jours avant sa comparution. Je précise que cette question ne concerne pas seulement le rapport entre la proposition de peine et la personne ayant reconnu sa culpabilité ; elle implique aussi les victimes, dont on a voulu qu’elles soient présentes dans la CRPC comme elles le sont dans l’ensemble des procédures pénales.

Nous discuterons de cette différence d’appréciation lors de l’examen des amendements. Le Gouvernement entend se situer à l’intérieur du cadre juridique qui a été rappelé ce matin, c’est-à-dire respecter les principes historiques et les décisions du Conseil constitutionnel, mais aussi prendre en compte la pratique et l’évolution positive des opinions à l’égard de la CRPC.

Si les craintes initiales ne se sont pas réalisées, rien ne dit qu’elles ne se réaliseront jamais. On peut toutefois compter sur la vigilance du contrôle parlementaire, qui peut d’ores et déjà s’exercer sur la base des chiffres que l’on vous a communiqués. Quelles infractions sont concernées ? Comment cette procédure est-elle mise en œuvre ? Ces sujets sont importants.

La question de la répartition géographique de l’usage de la CRPC mérite également d’être étudiée attentivement. En effet, en matière de droit et de procédure pénale, ce ne peut pas être – passez-moi l’expression, mesdames, messieurs les sénateurs – au petit bonheur la chance. Les chiffres dont nous disposons, s’ils montrent des disparités que l’on ne saurait nier, ne sont pas non plus alarmants. La vigilance doit toutefois rester permanente afin de préserver cet acquis.

Cette procédure constitue aussi un progrès en termes de management de la justice. Il serait hypocrite de prétendre que ce point est totalement absent de nos préoccupations. Nous essayons de réaliser des efforts de maîtrise des dépenses en ce qui concerne le fonctionnement de la justice, mais aussi d’améliorer la rapidité de celle-ci, comme certains d’entre vous l’ont souligné. En effet, la longueur des débats et des procédures est l’une des spécificités de notre système judiciaire, et les justiciables eux-mêmes souhaitent bien souvent des décisions plus rapides.

M. Jacques Mézard soulignait qu’il était facile de convaincre une personne de choisir cette procédure. C’est une réalité que plusieurs d’entre nous ont vécue – j’ai, en effet, comme certains parmi vous, exercé la profession d’avocat. Néanmoins, on a pu voir aussi que les réactions des personnes concernées étaient différentes, de même que leurs motivations.

Vient aussi un moment où il faut sanctionner, et il est alors préférable que la sanction ne tourne pas à l’opprobre public. À cet égard, la CRPC permet aussi, dans certains contextes, une forme d’humanité. Dans la pratique, elle est donc vécue non pas comme une échappatoire, mais comme une réponse juste à une situation pénale donnée, l’essentiel restant tout de même la reconnaissance de culpabilité, dont le cadre juridique a été imposé par la pratique. Aujourd’hui, en faisant le bilan de cette procédure et en voulant encore améliorer son cadre juridique, vous en consacrez, d’une certaine façon, l’existence dans notre périmètre institutionnel.

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le Gouvernement est favorable à ce texte, et il souhaite même aller plus loin que la commission avec l’amendement que je présenterai dans un instant sur le délai de dix jours.

Nous sommes attachés à cette proposition de loi et à sa vie parlementaire future. Elle fera donc partie des textes qui seront réinscrits à l’ordre du jour, soit sur l’initiative du groupe qui en est à l’origine, soit sur celle du Gouvernement. Nous sommes parties prenantes à la discussion et souhaitons parvenir à un texte qui soit conforme à la volonté conjointe du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Gouvernement.