Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, la commission des affaires sociales soumet à l’examen du Sénat le texte qu’elle a adopté le 29 janvier dernier.

Déposée par le groupe socialiste, le groupe écologiste et le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste de l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle vient parachever une longue réflexion des groupes de la majorité parlementaire, qui a débuté en février 2012 avec la proposition de loi tendant à garantir la poursuite de l’activité des établissements viables.

Certains ont pu s’interroger, parfois non sans humour, sur l’intitulé même de la proposition de loi.

Je leur répondrai simplement que reconquérir l’économie réelle ne signifie rien d’autre que lutter contre la financiarisation de l’économie, refuser la fatalité des fermetures abusives de sites rentables et favoriser, chaque fois que cela est possible, leur reprise pour préserver l’activité économique et l’emploi sur nos territoires.

Reconquérir l’économie, c’est aussi s’opposer aux stratégies court-termistes à l’origine de prises de risques excessifs et renforcer la stratégie à long terme de nos entreprises en les préservant des opérations financières prédatrices.

Cet objectif, j’en suis sûre, nous le partageons toutes et tous sur ces travées, quelles que soient nos orientations politiques, car si la proposition de loi répond en effet à un engagement du candidat Hollande, elle ne me paraît pas en opposition avec la volonté affirmée par son prédécesseur dans son premier discours de Toulon, quand il indiquait que « l’idée de la toute-puissance du marché qui ne devait être contrarié par aucune règle, par aucune intervention politique, était une idée folle ».

Comme vous le savez, le texte dont nous allons débattre comporte deux grands volets.

Le premier est consacré à la reprise d’entreprise, et plus particulièrement à la recherche d’un repreneur pour les entreprises employant plus de mille salariés qui envisagent de fermer un site rentable. C’est ce dispositif qui a justifié la compétence au fond de notre commission, car il découle directement de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, que nous avons examinée en mars dernier.

L’essentiel de ce premier volet vise à associer étroitement employeur, salariés et pouvoirs publics pour organiser un dialogue social permanent sur le devenir de l’établissement, avant et pendant toute la phase de recherche d’un repreneur.

Le second volet est dédié aux mesures en faveur de l’actionnariat de long terme. Il comporte essentiellement des mesures pour renforcer la législation sur les offres publiques d’acquisition. La création d’une procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise en cas d’OPA constitue une mesure importante, qui a conforté la légitimité de notre commission à traiter de ce texte.

Cela dit, compte tenu de la diversité et de la technicité des autres sujets qui y sont abordés, trois commissions se sont saisies pour avis. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour saluer le travail de nos collègues rapporteurs pour avis : Jean-Marc Todeschini, pour la commission des finances, Félix Desplan, pour la commission des lois, et Martial Bourquin, pour la commission des affaires économiques.

Je ne souhaite pas, à ce stade, entrer plus en détail dans la présentation des différents articles, mais je voudrais vous présenter les principales modifications apportées au texte en commission.

Nous avons veillé à conserver les grands équilibres du texte élaboré par les députés, sous la houlette du président François Brottes et de la rapporteur Clotilde Valter, tout en sécurisant juridiquement certains dispositifs, notamment au regard des normes constitutionnelles, et en rendant d’autres plus opérationnels.

L’essentiel de nos débats a naturellement porté sur l’article 1er. Afin d’éclairer la notion de site rentable, les entreprises soumises à une procédure de conciliation ou de sauvegarde ne seront pas concernées par cet article.

Désormais, ce seront donc toutes les entreprises visées au livre VI du code de commerce qui seront exclues du dispositif, et non plus seulement celles qui sont en redressement ou en liquidation judiciaires.

Un seuil de cinquante salariés, par référence au seuil d’obligation de mise en place d’un comité d’entreprise, a également été réintroduit pour les établissements dont la menace de fermeture impose la recherche d’un repreneur.

Surtout, la commission a élargi les cas de motifs légitimes de refus de cession par l’employeur. Il est en effet apparu que la rédaction issue de l’Assemblée nationale semblait beaucoup trop restrictive, en prévoyant un seul et unique motif légitime de refus d’une offre de cession, à savoir la mise en péril de l’ensemble de l’activité de l’entreprise. Dans les faits, cela pourrait s’apparenter à une obligation de cession.

Une telle disposition semblait peu compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de respect de la liberté d’entreprendre et de droit de propriété, d’autant que la procédure de recherche de repreneur s’applique à des entreprises in bonis.

C’est pourquoi la commission a souhaité ouvrir la liste des cas de motif légitime de refus, sous le contrôle du tribunal de commerce.

Ainsi, l’employeur pourra désormais se fonder sur la mise en péril d’une partie de l’activité de son entreprise pour refuser une offre sérieuse de reprise, ou décliner une offre présentée à un prix manifestement sous-évalué.

La commission a également relevé de quinze jours à un mois le délai fixé au tribunal de commerce pour statuer sur le respect des obligations de recherche d'un repreneur et éventuellement le sanctionner. Elle a aussi supprimé l’obligation faite à la DIRECCTE, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, de suspendre sa décision d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi, car cette procédure est en droit totalement indépendante de celle qui est menée devant le tribunal de commerce.

La commission a enfin prévu une application des nouvelles règles pour tous les plans de sauvegarde de l’emploi engagés à compter du 1er juillet prochain.

Nous n’avons pas souhaité modifier le contenu de l’article 3, qui vise à renforcer l’information des salariés sur la possibilité de reprendre leur entreprise en redressement judiciaire.

La commission n’a pas rétabli l’article 4, qui prévoyait d’abaisser le seuil de déclenchement d’une offre publique d’acquisition, ou OPA, de 30 % à 25 % du capital ou des droits de vote, compte tenu des nombreuses objections qu’a soulevées cette mesure.

À l’article 4 bis, sur proposition de notre collègue Jean-Marc Todeschini, elle a tempéré les conséquences de la caducité d’une offre publique d’acquisition pour les actionnaires qui détiennent moins de 30 % du capital ou des droits de vote.

Au travers du nouvel article 4 ter A, elle a aussi pris en compte la situation des actionnaires qui bénéficient de la clause transitoire instaurée par la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière, également appelée « clause de grand-père ».

Toujours sur proposition du rapporteur pour avis de la commission des finances, elle a aménagé la clause transitoire relative à l’abaissement du seuil de 2 % à 1 % du mécanisme dit de « l’excès de vitesse » prévu à l’article 4 ter .

Elle a instauré, à l’article 5, une clause de rendez-vous périodique pour les assemblées générales des sociétés cotées qui ont refusé de mettre en place des droits de vote double, afin qu’elles abordent cette question au moins une fois tous les deux ans.

À l’article 6, la commission a obligé le tribunal de grande instance, ou TGI, saisi par le comité d’une entreprise faisant l’objet d’une OPA, à demander des conclusions écrites de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF. Elle a en outre apporté divers aménagements à la procédure devant le tribunal pour éviter un allongement excessif du calendrier des offres. Par exemple, le TGI jugera en premier et dernier ressort, le comité d’entreprise ou l’employeur pouvant néanmoins se pourvoir en cassation.

Au final, le texte proposé apparaît comme un compromis entre le souci de donner de nouvelles prérogatives au comité d’entreprise et le souhait de ne pas allonger de manière excessive le calendrier des offres publiques.

À l’article 7, la commission a prévu que les PME non cotées pourront également, à l’instar des sociétés cotées, distribuer jusqu’à 30 % d’actions gratuites à l’ensemble des salariés.

À l’article 8, sur proposition du rapporteur pour avis de la commission des finances, la commission a tiré les conséquences, s’agissant des mesures déléguées par l’assemblée générale, de la suppression du principe de neutralité des organes de gouvernance en période d’OPA. Ainsi, la suspension des mesures déléguées par l’assemblée générale d’une société qui est la cible d’une OPA ne s’appliquera pas si la société initiatrice de l’offre n’est pas elle-même soumise au principe de neutralité ou à des mesures équivalentes. La commission a également prévu les conditions dans lesquelles les statuts d’une entreprise cotée pouvaient réintroduire ce principe de neutralité.

Sur proposition du rapporteur pour avis de la commission des finances, la commission a inséré l’article 8 ter, qui prévoit que l’entrée en vigueur de l’article 4 ter sur l’abaissement du seuil de « l’excès de vitesse », de l’article 6 sur la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise en cas d’OPA ainsi que de l’article 8 sur le principe de neutralité des organes de gouvernance est fixée trois mois après la promulgation de la loi. Ce délai permettra à l’AMF de modifier en toute sérénité son règlement général.

Enfin, l’article 9, qui posait des règles strictes en matière d’urbanisme pour protéger les sites et installations industriels, a été supprimé,…

M. Daniel Raoul. Très bien !

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. … à la suite de l’adoption de deux amendements identiques présentés par la commission des lois et par la commission des affaires économiques.

Mme Anne Emery-Dumas, rapporteur. Le débat en commission a en effet montré que cet article était l’objet de nombreuses critiques. Sans lien direct avec l’objet de la proposition de loi, il introduisait des lourdeurs excessives qui allaient à rebours de la volonté des pouvoirs publics de desserrer les contraintes en matière d’urbanisme. Par ailleurs, il ne correspondait pas à la philosophie du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové que notre assemblée a examiné la semaine dernière.

Je voudrais dire un mot sur les amendements que nous proposera tout à l’heure notre collègue Félix Desplan, rapporteur pour avis de la commission des lois. La plupart d’entre eux visent à refonder la procédure de vérification et de sanction devant le tribunal de commerce prévue à l’article 1er et ont déjà été présentés lors de nos travaux en commission.

Nous n’avons malheureusement pas été en mesure de les adopter mercredi dernier, mais nous avons pu profiter du délai supplémentaire qui nous était imparti pour approfondir notre réflexion et éclaircir quelques points techniques. Le résultat final nous semble satisfaisant, puisque, au-delà d’évidentes améliorations rédactionnelles, les amendements de la commission des lois sécurisent la procédure devant le tribunal de commerce, en renforçant notamment les droits de la défense et le principe de légalité des peines. C’est pourquoi notre commission a émis un avis favorable sur ces amendements.

Avant de conclure, je tiens à dissiper quelques malentendus et critiques que j’estime infondées.

Tout d’abord, je ne considère pas que ce texte soit incompatible avec le pacte de responsabilité que vient de présenter le Président de la République. En effet, je le répète, l’article 1er ne poursuit qu’un seul but : sanctionner les fermetures manifestement abusives de sites rentables. La proposition de loi complète les dispositions de la loi relative à la sécurisation de l’emploi dans ce domaine et met ainsi en œuvre l’engagement n° 35 du candidat François Hollande de lutter contre les licenciements boursiers en renchérissant leur coût et en donnant la possibilité aux salariés de saisir le tribunal dans les cas à l’évidence contraires à l’intérêt de l’entreprise. Il n’y a pas là, à mes yeux, contradiction entre cet engagement et le pacte de responsabilité, dont M. le ministre vient de nous rappeler les termes, mais continuité et respect de la promesse qui a été faite devant les Français.

Ensuite, le dispositif proposé à l’article 1er ne me semble pas imposer de lourdeur injustifiée aux entreprises. Il permettra de sanctionner sévèrement les abus, mais avec discernement, sous le contrôle d’un juge impartial, sans créer de contraintes inutiles pour les autres entreprises.

Je rappelle d’ailleurs que seules sont concernées les entreprises qui emploient plus de mille salariés, et que dans l’immense majorité des cas les employeurs cherchent à céder leurs sites plutôt que de les fermer et de les laisser à l’abandon. La sanction ne devrait sans doute concerner qu’un petit nombre de cas par an, même s’il est difficile de faire des estimations en ce domaine.

L’objectif de ce texte est précisément de lutter contre ces quelques cas de fermetures abusives, qui, si elles sont peu nombreuses, n’en sont pas moins lourdes de conséquences sur l’emploi et le devenir économique de nos territoires et de nos bassins d’emploi. Face à ces situations inadmissibles, les responsables politiques ont le devoir de refuser le fatalisme en matière économique.

Par ailleurs, certains craignent que la sanction prévue ne soit pas suffisamment dissuasive lorsqu’il s’agit de fermetures d’établissement qui dépendent de grandes multinationales. Certes, quand on sait qu’une entreprise est prête à accorder des indemnités de licenciement de plus de 200 000 euros à certains salariés dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi – PSE –, une sanction plafonnée à 20 SMIC – soit 28 907 euros bruts – par emploi supprimé peut paraître bien modeste.

Cependant, il n’est pas possible de relever ce plafond sans remettre frontalement en cause le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. C’est pourquoi le choix de nos collègues députés, qui s’est fixé sur une pénalité équivalant au doublement du coût moyen d’un plan de sauvegarde de l’emploi, nous a semblé raisonnable.

Les marges de manœuvre sont étroites, car nous devons en permanence trouver un équilibre entre, d’une part, l’impératif de préserver l’emploi et, d’autre part, le respect du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre. Je forme le vœu que le texte que nous vous proposons y soit parvenu.

Enfin, j’estime que les deux volets du texte, loin d’être indépendants l’un de l’autre, sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Certaines mesures auront des conséquences à court terme, d’autres à moyen et à long terme.

On ne peut pas lutter contre les fermetures injustifiées de sites rentables sans se pencher sur les règles de gouvernance de nos entreprises cotées. L’automaticité du droit de vote double est riche de promesses, à la fois pour insuffler une nouvelle dynamique dans les assemblées générales de nos entreprises, mais également pour offrir de nouvelles marges de manœuvre à l’État actionnaire.

Bien entendu, la présente proposition de loi n’a pas vocation, à elle seule, à mettre un terme aux excès de la financiarisation de l’économie, nul n’oserait le prétendre aujourd’hui, mais elle marquera une étape importante dans le renforcement de notre législation.

En conclusion, je souhaite que cette proposition de loi puisse être adoptée par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean Desessard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires économiques s’est saisie pour avis de l’ensemble des dispositions de la proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle.

Concernant la première partie du texte, qui définit les obligations de l’entreprise en matière de recherche d’un repreneur pour les sites menacés de fermeture, je formulerai les remarques suivantes.

Tout d’abord, l’association étroite des salariés à la procédure de recherche d’un repreneur va dans le bon sens, car une entreprise n’est pas seulement la chose de ses actionnaires. Il faut adopter une vision beaucoup plus moderne de l’entreprise et en changer profondément les rapports sociaux afin d’y introduire davantage de coopération, notamment dans la prise de décision.

À cet égard, orienter la gouvernance vers une implication plus forte des salariés dans les décisions stratégiques des entreprises est une tendance de fond que nous devons développer lors de l’examen de chaque texte relatif aux entreprises.

Nous devons trouver un consensus sur ces questions pour continuer à produire sur notre territoire, pour y créer de la valeur, de la richesse et de l’emploi !

Concernant la question de savoir si cette procédure permettra effectivement des reprises qui n’auraient pas eu lieu, il aurait été utile de disposer d’une étude d’impact pour étayer toute conclusion dans un sens ou dans l’autre. Je remarquerai simplement qu’une entreprise qui possède un site de production viable cherche généralement à le vendre sans que la loi l’y oblige. Elle ne le fait pas lorsque cette cession risque de conduire à la détérioration de sa position concurrentielle, ce qui est le cas en particulier dans un marché en surcapacité. Je pense notamment, à l’heure actuelle, au cas de l’acier ou de l’automobile.

Face à ces stratégies de restructuration industrielle lourde, stratégies dont les enjeux économiques et financiers se chiffrent en centaines de millions d’euros, on peut se demander si les contraintes et les sanctions financières envisagées par le présent texte seront suffisantes pour infléchir les décisions dictées par le seul calcul économique.

S’agissant de la procédure judiciaire, elle est susceptible d’être engagée à l’issue de la phase de recherche d’un repreneur, elle est en partie calquée sur les procédures applicables aux entreprises en difficulté. Qu’un tribunal se prononce sur les offres de reprise d’une entreprise en difficulté, cela ne pose pas de difficultés particulières sur le plan des principes. Faire intervenir le tribunal de commerce dans le cours de l’existence d’une entreprise en bonne santé, en lui donnant le pouvoir de se prononcer sur le caractère sérieux des offres et, le cas échéant, d’imposer une sanction financière, constitue en revanche une innovation juridique.

Certes, le tribunal de commerce n’obligera pas les entreprises à céder les sites, ce qui serait manifestement inconstitutionnel, mais on sait que la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de liberté d’entreprise et de gestion forme un cadre assez strict, par rapport auquel le législateur dispose de marges de manœuvre limitées.

J’en viens maintenant rapidement à la deuxième partie du texte. Elle vise à mettre en place des règles tendant à éviter les pratiques actionnariales opportunistes, voire prédatrices.

À cette fin, elle crée les conditions favorables à la formation de blocs actionnariaux stables en privilégiant les actionnaires accompagnant dans la durée le projet économique de l’entreprise, un projet bien sûr vertueux.

Elle contient pour cela de nombreuses modifications du droit des offres publiques d’acquisition. La mesure la plus structurante pour l’organisation du tissu productif national est la généralisation de la règle du vote double pour les actionnaires stables. L’article 5 de la proposition de loi inverse le principe de l’attribution des droits de vote double en prévoyant que les droits de vote double sont désormais de droit, sauf clause contraire des statuts ou opposition d’une assemblée générale extraordinaire.

C’est une mesure demandée depuis longtemps par plusieurs grands industriels nationaux. Cette proposition a notamment été portée par Jean-Louis Beffa et par Louis Gallois. C’est à mon sens une très bonne mesure, qui peut permettre de garder sous contrôle national des groupes d’intérêt stratégique.

Mais il est un autre avantage que je voudrais signaler, un avantage considérable et qui est pourtant peut-être passé inaperçu : c’est celui que pourrait retirer l’État actionnaire de cette disposition.

M. Gérard Longuet. Il peut vendre ses parts !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Concrètement, l’État, qui est un actionnaire stable dans plusieurs grandes entreprises, va bénéficier presque systématiquement de votes doubles, ce qui va lui permettre de garder un niveau de contrôle identique sur ces sociétés tout en utilisant une quantité beaucoup plus faible de capital.

M. Jean Desessard. C’est astucieux !

M. Gérard Longuet. A contrario, ce serait une nationalisation !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Ne soyons pas des fétichistes de la détention du capital : ce qui compte, pour un actionnaire stratégique comme l’État, c’est le pouvoir de contrôle et d’orientation par la quantité de capital détenu.

Imaginez donc la formidable opportunité qui s’ouvre pour l’État stratège…

M. Gérard Longuet. Impécunieux !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. … en ces temps de rareté des ressources financières publiques ! Potentiellement, en optimisant ses participations sans rien perdre en pouvoir de contrôle, l’État, selon les données fournies par l’Agence des participations de l’État, pourrait dégager de l’ordre de 10 milliards à 12 milliards d’euros de capacité d’investissement. C’est plus de la moitié du capital public injecté dans la Banque publique d’investissement ! Nous aurions là une innovation stratégique majeure.

À cet égard, je vous rappelle que, lorsque M. le ministre de l’économie et des finances a agi avec le Gouvernement pour que la banque PSA continue à fonctionner, il a fallu avancer 7 milliards d’euros de possibilités de financement. (M. Gérard Longuet opine.) Là, nous en avons 10 à 12 milliards d’euros. Peut-être faut-il réfléchir (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.) – nous avons eu une très longue discussion au sein de la commission des affaires économiques – pour que ces votes doubles soient beaucoup plus utilisés et, surtout, pour que cette capacité d’investissement soit mise au service de la réindustrialisation de notre pays ? (M. Jean Desessard s’exclame.)

Monsieur le ministre de l’économie et des finances, cet argent tiré des participations actuellement détenues par l’État, si la France décide de le mobiliser, ne devra pas être utilisé pour des dépenses courantes, ni même pour le désendettement. Il faudra l’injecter dans le soutien au redressement productif en investissant de manière encore plus massive dans les PME, les entreprises de taille intermédiaire, voire, si la situation l’exige, dans certaines grandes entreprises françaises, comme vous l’avez fait voilà peu de temps.

Je terminerai cette intervention en abordant brièvement la troisième partie du texte relative à la question des friches industrielles.

Mes chers collègues, sur cette partie conçue pour favoriser le maintien des activités industrielles sur les sites qu’elles occupent, il n’y a pas grand-chose à dire sinon qu’elle devait être supprimée d’urgence ! Faisons attention – l’intervention de Mme la rapporteur a été précise sur ce point – entre les capacités industrielles et les friches industrielles.

M. Gérard Longuet. Très bien !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Ça n’a rien à voir !

M. Gérard Longuet. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest. Là, nous sommes d’accord !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Les friches industrielles que je détenais en tant que maire en plein cœur de ville ont été résorbées. C’est la meilleure des choses !

M. Gérard Longuet. Évidemment !

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. En revanche, il faut conserver les capacités industrielles.

M. Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. En l’occurrence, le texte introduit à l’Assemblée par voie d’amendement prend complètement à rebours le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dit « projet de loi ALUR ». À l’heure où on donne la possibilité aux élus, aux collectivités locales et territoriales de maîtriser le sol, de mettre en œuvre des politiques de restructuration des friches industrielles vers du logement et d’autres domaines de capacité productive, faisons en sorte de ne pas aller à l’inverse du projet de loi ALUR.

Sur ma proposition, la commission a donc adopté un amendement de suppression de l’article 9, qui a été repris ensuite par la commission des affaires sociales. Je m’en réjouis.

Au total, malgré quelques questions sur le risque juridique de certaines dispositions proposées pour le titre Ier bis du livre VI du code de commerce, la commission des affaires économiques estime que ce texte est un bon texte.

Pour conclure, je voudrais dire que, en ces temps de crise économique, la pire des choses, face à la désindustrialisation, serait de ne rien faire et de se laisser gagner par le fatalisme. Il faut un volontarisme industriel. La création de richesses est le préalable à toute distribution de richesses. La France doit redevenir une France industrielle.

Avec ce texte, qui s’ajoute au travail du Conseil national de l’industrie, nous nous trouvons face à une volonté politique majeure du Gouvernement en vue de drainer l’argent de l’épargne afin de réinvestir dans l’industrie et de tenter de gagner cette politique de réindustrialisation de la France. Cette politique est le préalable requis pour gagner la politique de l’emploi. Nous comptons plusieurs millions de demandeurs d’emploi ; si nous créons de la richesse, de la valeur ajoutée, nous donnerons de l’emploi à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour avis.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, comme vous pouvez l’imaginer, un sénateur mosellan aborde la proposition de loi dite « Florange » avec une certaine attention.

Je souhaite tout d’abord profiter de cette tribune pour vous dire que le site ArcelorMittal de Florange produit encore aujourd’hui l’un des meilleurs aciers au monde pour les automobiles.

M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour avis de la commission des finances. L’usine de Florange n’a pas fermé ses portes, comme la France entière pourrait le croire, à la suite de la fermeture des hauts-fourneaux. Quelque 2 000 salariés travaillent sur le site, alors qu’ils étaient un peu plus de 2 600 avant la fermeture des hauts-fourneaux.

L’accord conclu entre le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault et le groupe Mittal, au-delà des investissements pour beaucoup déjà réalisés depuis, a permis d’éviter tout licenciement, et les 600 personnes concernées par la fermeture de ces hauts-fourneaux sont à présent, à quelques unités près, reclassées sur le site même.

M. Gérard Longuet. C’est Gandrange ! Même chose !

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur pour avis de la commission des finances. Mais d’autres promesses ont été faites là-bas, n’est-ce pas, monsieur Longuet ? (Mme Catherine Deroche s’exclame.)

Je ne referai pas l’historique du texte que nous examinons aujourd’hui, retracé par les précédents orateurs, mais il va de soi que cet engagement du Président de la République doit être tenu, même si nous nous sommes éloignés quelque peu de la proposition de loi initiale.

Notre économie et nos territoires font face à la désindustrialisation et aux délocalisations. Il n’est pas acceptable que des sites rentables puissent être fermés alors que leurs propriétaires refusent de les céder.

Certains nous diront que nous légiférons pour quelques cas par an. C’est vrai, mais la bataille pour l’emploi, engagée par le Gouvernement et soutenue par la majorité, se gagne entreprise par entreprise, site après site, emploi après emploi. Nous devons disposer de tous les instruments pour mettre le maximum de chance du côté de l’emploi.

L’article 1er de cette proposition de loi est le complément indispensable des mesures prises depuis le début du quinquennat, dans le cadre des accords nationaux interprofessionnels, de la loi relative à la sécurisation de l’emploi ou encore du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire.

Je partage donc entièrement les objectifs visés, mais également les modalités mises en œuvre à cette fin. Je voudrais saluer le travail de la rapporteur, Mme Emery-Dumas, pour améliorer le texte.

Je vais maintenant m’attarder plus longuement sur le titre III, comportant des mesures en faveur de l’actionnariat de long terme, sur lequel la commission des finances s’est saisie pour avis.

Ce titre comprend dix articles, portant principalement sur le régime des OPA.

Le souci des députés auteurs de la présente proposition de loi était d’assurer que le poids des actionnaires purement financier et à vision « court-termiste » ne vienne pas déformer les choix stratégiques d’une entreprise au détriment de son développement industriel.

Pour cela, il convient d’abord d’éviter toute prise de contrôle rampante des sociétés françaises, et ensuite d’assurer la constitution de blocs d’actionnaires stables dans la durée.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre ou lire, ce texte ne jette pas l’opprobre sur les OPA ; il serait faux de les considérer comme nocives par nature. Bien au contraire, nous savons que de nombreuses OPA amicales sont déclarées chaque année. Nous savons également que les entreprises françaises bénéficient des règles sur les OPA, en France ou à l’étranger, pour doper leur croissance ou conquérir de nouveaux marchés. La technique n’est donc en rien condamnable.

Mais, cela étant dit, les pouvoirs publics doivent rester attentifs au régime des OPA pour deux raisons.

La première, c’est bien sûr l’emploi. Les études économiques sont insuffisamment documentées sur les effets des OPA sur l’emploi. À court terme, elles seraient plutôt destructrices d’emplois, mais les données à moyen terme manquent.

En tout état de cause, une OPA est bien souvent suivie d’une réorganisation ou de mouvements de personnels. C’est pourquoi elle suscite chez les salariés une légitime inquiétude : elle est source d’insécurité. Je me réjouis par conséquent que la proposition de loi, au travers de son article 6, permette une véritable procédure d’information-consultation du comité d’entreprise en cas d’OPA.

La seconde raison pour laquelle les pouvoirs publics ne peuvent rester indifférents tient bien évidemment à des enjeux de souveraineté nationale. Dans une économie mondialisée, la concurrence entre États est rude, et nous ne devons pas être naïfs. La Chine ou les États-Unis ont adapté leur régime juridique pour protéger plus efficacement leurs entreprises face à des rivaux étrangers.

La proposition de loi tend à poursuivre et à approfondir un travail juridique fin, amorcé par l’Union européenne, avec la directive de 2004 concernant les offres publiques d’acquisition, puis la France, avec la loi de 2006 relative aux offres publiques d’acquisition.

C’est ainsi que l’article 5, qui introduit le principe d’un droit de vote double à compter de deux ans de détention des actions, ou encore l’article 8, supprimant le principe de neutralité des organes dirigeants en cas d’offre publique, participent de cet équilibre en faveur du maintien de l’industrie sur le territoire national.

Oui, il faut favoriser les actionnaires de long terme, ceux qui veulent s’engager dans la durée pour le développement d’une entreprise.

Oui, il faut mettre fin, comme le disait le président de la commission des finances lors de l’examen du texte, à l’hypocrisie selon laquelle les conseils d’administration sont censés rester les bras croisés lors d’une OPA hostile.

Oui, il faut veiller à ce qu’aucun actionnaire ne puisse acquérir une position de contrôle rampant, c’est-à-dire qu’il exerce le contrôle de l’entreprise tout en ne possédant qu’une part minoritaire du capital.

À cet égard, les articles 4 bis et 4 ter, en particulier, peuvent paraître d’un abord technique, mais leurs effets sont réels, comme le démontrent d’ailleurs les commentaires abondants de la part des organisations professionnelles ou de la doctrine juridique.

Sur l’ensemble de ces dispositions, la commission des finances a adopté neuf amendements qui ont tous été acceptés par la commission des affaires sociales et intégrés au texte que nous examinons aujourd’hui.

Sur le fond, tout en conservant l’esprit des dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, j’ai souhaité en gommer certaines imperfections ou incohérences. Ce travail a été mené en concertation avec de nombreux représentants des entreprises, mais aussi avec le Gouvernement et les députés auteurs de la proposition de loi.

Au total, je crois que nous aboutissons à un texte équilibré qui introduit des innovations auxquelles nos entreprises devront certes s’adapter mais sans que l’on puisse craindre de bouleversements néfastes.

J’ai bon espoir que le Sénat puisse trouver un terrain d’accord avec l’Assemblée nationale, et que cette loi soit promulguée au plus vite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE. – M. Jean Desessard applaudit également)

M. le président. La parole est à M. Félix Desplan, rapporteur pour avis.

M. Félix Desplan, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, il me revient de clore les interventions des rapporteurs pour avis sur cette proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle ; aussi serai-je bref.

Bien sûr, notre commission partage entièrement les objectifs généraux de cette proposition de loi, à savoir la préservation de l’activité industrielle et des emplois sur notre territoire.

Plus spécialement, notre commission s’est saisie pour avis des articles 1er, 3, 5, 7, 8 et 9 au titre de ses compétences en matière d’organisation et de procédure juridictionnelles, de droit des sociétés et de droit des collectivités territoriales.

Je commencerai par la fin, pour me réjouir que la commission des affaires sociales ait accepté, sur notre proposition, la suppression de l’article 9.

En effet, outre qu’il posait une réelle difficulté au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales, cet article aurait eu pour effet de geler un certain nombre de friches industrielles, en particulier au cœur des agglomérations, au détriment de l’évolution de l’urbanisation, des projets locaux de reconversion et de la maîtrise de leur développement par les communes et les intercommunalités. Celles-ci sont pourtant les mieux à même d’apprécier l’implantation des activités économiques sur leur territoire.

Au demeurant, on ne décrète pas la reconquête de l’économie industrielle par des documents d’urbanisme.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !