M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, voilà maintenant plus de sept ans, au mois de février 2007, je présentais dans cet hémicycle la proposition de loi visant à organiser le recours aux stages que j’avais déposée, avec mes collègues du groupe socialiste de l’époque, au mois de mai 2006. Le fait que nous abordions ce sujet aujourd’hui est un indice, pour ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui ne siégeaient pas encore parmi nous, sur le sort qui fut réservé à ce texte ! Je garde en mémoire le débat que celui-ci avait suscité et les interrogations qu’il avait soulevées sur toutes les travées.

En effet, la problématique de l’encadrement des stages était alors nouvelle. Elle était liée à la prise de conscience, partagée par tous, de la nécessité de définir un statut du stagiaire pour mettre un terme aux abus dont les médias se faisaient alors l’écho. Le collectif Génération précaire, qui s’est fait connaître par ses actions coup-de-poing contre les structures recourant manifestement de façon abusive aux stagiaires et par son engagement contre la précarité de ces derniers, est ainsi né au mois de septembre 2005, suivi par la mise en place d’autres organisations associatives. C’est ensuite au mois de mars 2006, à l’occasion de l’examen du projet de loi pour l’égalité des chances, que les premières règles furent posées, en particulier l’obligation de gratification des stages de plus de trois mois.

La reconnaissance de ce phénomène donna lieu à une succession de mesures législatives et réglementaires dont la sédimentation, au fil des années, a abouti certes à conférer des droits nouveaux aux stagiaires, mais également à créer de la confusion parmi les acteurs concernés. Avec l’adoption de pas moins de dix textes apportant des modifications au régime juridique des stages entre 2006 et 2013, il n’est pas étonnant que certains aient eu des difficultés à appréhender le droit en vigueur.

L’un des objets de la présente proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale le 14 janvier dernier par la députée Chaynesse Khirouni, est de rassembler ces dispositions dans une partie dédiée du code de l’éducation, afin d’améliorer leur clarté et leur intelligibilité. Ce texte ne remet aucunement en cause l’avancée majeure qu’a constituée l’accord national interprofessionnel du 7 juin 2011 sur l’accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise, signé par les partenaires sociaux à l’unanimité, dont la loi Cherpion du 28 juillet 2011 a réalisé la transposition législative, confirmant, notamment, le principe d’une durée maximale de six mois d’un stage.

Comme un stage est toujours inscrit dans un cursus scolaire ou universitaire, il est construit autour d’une relation tripartite entre le stagiaire, l’établissement d’enseignement et la structure d’accueil. Cette relation se matérialise par la convention de stage. Cela peut sembler évident, mais il s’agit là de l’un des atouts du système français. En effet, une récente enquête a montré que, dans l’Union européenne, 35 % des stages ne font pas l’objet d’une telle formalisation juridique.

Par ailleurs, la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche a, pour la première fois, fixé une définition du stage, à savoir « une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l’étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en œuvre les acquis de sa formation en vue de l’obtention d’un diplôme ou d’une certification. » Elle a également étendu l’obligation de gratification, restreinte en 2009 aux stages de plus de deux mois, à tous les employeurs publics, collectivités territoriales comprises.

La proposition de loi que nous examinons ce jour poursuit le travail engagé l’an dernier par le biais de la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, et concrétise l’engagement de campagne n° 39 du Président de la République. Elle est le reflet de l’évolution des stages depuis le milieu des années 2000, conséquence de la réforme de l’enseignement supérieur et de la professionnalisation croissante des enseignements.

En 2007, lorsque j’ai présenté ma proposition de loi, le nombre de stagiaires était évalué à 600 000. En 2012, le Conseil économique, social et environnemental donnait le chiffre de 1,6 million. La précision de ces estimations n’est pas absolue, car la multiplicité des situations dans lesquelles un stage peut être réalisé rend leur recensement très complexe. Elles mettent néanmoins en lumière un phénomène indéniable, que chacun de nous a pu constater : la très forte croissance du nombre de stagiaires. Celle-ci appelle une réponse législative globale, qui consiste à mettre en place un cadre juridique stable des stages permettant la poursuite de leur développement, au bénéfice des jeunes comme des entreprises, sans que ce soit au détriment de l’emploi salarié. Je note d’ailleurs, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, que les évolutions, notamment concernant la gratification, n’ont pas empêché les stages de croître et d’embellir ! C’est peut-être une réponse à ceux qui s’inquiètent, selon moi à tort…

Je ne serai pas redondant avec votre présentation, aussi je traiterai des aspects du texte qui me semblent essentiels et qui ont justifié, la semaine dernière, son adoption par la commission des affaires sociales. Cette proposition de loi repose sur un double processus de responsabilisation : premièrement, des établissements d’enseignement ; deuxièmement, des organismes d’accueil des stagiaires.

J’évoquerai d’abord la responsabilisation des établissements d’enseignement dans l’accompagnement du stagiaire et le suivi du déroulement pédagogique du stage.

Trop souvent, l’implication des établissements d’enseignement supérieur dans ce processus se limite à la signature d’une convention-type, sans autre forme de suivi. Ce n’est pas le cas dans le secondaire, où les lycées professionnels travaillent en parfaite collaboration avec les entreprises de leur bassin économique et leurs élèves pour garantir la cohérence des périodes passées en milieu professionnel.

Pour la première fois, les missions de l’établissement d’enseignement envers le stagiaire sont clairement énoncées, afin de réaffirmer le caractère pédagogique du stage. En complément, la désignation, pour chaque stage, d’un enseignant référent est rendue obligatoire, afin d’en assurer l’encadrement pédagogique. L’idée est qu’un enseignant soit à même de jouer le rôle de médiateur en cas de difficultés entre le stagiaire et son organisme d’accueil.

Le présent texte confirme, par ailleurs, l’obligation d’accompagner un stage, avant ou après sa réalisation, d’un volume pédagogique minimal de formation en établissement durant l’année scolaire. Madame la secrétaire d’État, vous avez répondu par anticipation à l’interrogation qui avait été émise à ce sujet, ce dont je vous remercie !

Cette proposition de loi prévoit également l’extinction des dérogations à la durée maximale de six mois pour un stage. Alors que, aujourd’hui, faute de décret d’application, les contournements de cette règle sont nombreux, la future loi reprendra le pas. Il est difficile de concevoir les apports pédagogiques d’un stage de huit mois par rapport à ceux d’un stage de six mois. En revanche, il est très facile d’imaginer qu’un stage d’un an peut permettre d’éviter d’embaucher un salarié.

Ce texte s’attaque également à la situation des stagiaires dans leur organisme d’accueil et aux pratiques de ces derniers en matière de recours aux stages. Il doit permettre de faire évoluer des comportements inacceptables auxquels, par fatalité ou résignation, notre société s’est malheureusement accoutumée.

Est-il vraiment tolérable qu’une entreprise puisse avoir autant de stagiaires que de salariés ou que certaines entreprises du CAC 40 comptent près de 30 % de stagiaires ? Voilà pourquoi un nombre maximal de stagiaires par entreprise sera institué par décret. Envoyer ainsi un signal fort à la jeunesse, mais aussi aux secteurs d’activité dont le recours aux stages est abusif est, à l’heure du pacte de responsabilité et de solidarité, un geste indispensable.

La désignation d’un tuteur au sein de l’organisme d’accueil contribue également à la responsabilisation de l’entreprise en garantissant la transmission des savoirs et des compétences, ainsi que le respect de la convention de stage.

L’accent mis sur les droits du stagiaire dans son organisme d’accueil répond à cette même philosophie. Droit à congés, bénéfice des titres-restaurant, protection contre les discriminations et le harcèlement : voilà des avancées extrêmement importantes. De même, la définition de règles relatives aux conditions et à la durée de travail, conduisant à les aligner sur celles des salariés, met un terme au flou juridique qui existait en la matière.

Il est vain de fixer un cadre juridique construit autour de plusieurs obligations s’il n’est accompagné d’aucun mécanisme de contrôle. C’est pourquoi le fait de confier à l’inspection du travail les missions de lutter contre les abus et de s’assurer du respect des dispositions relatives au nombre maximal de stagiaires par entreprise ainsi que des conditions de travail ne me choque pas. Au contraire, il me semble que tous ceux qui ont un comportement vertueux envers leurs stagiaires devraient se réjouir de la mise en œuvre de telles mesures. Seuls ceux qui ne voient les stagiaires que comme représentant un avantage compétitif seront, enfin, mis face à leurs responsabilités.

Comme le diable se niche dans les détails, sur certains points, bien sûr, des éclaircissements de la part du Gouvernement seraient souhaitables. Cette proposition de loi renvoie à plusieurs reprises au pouvoir réglementaire pour ce qui concerne la détermination des modalités de sa mise en œuvre. Une telle procédure n’est pas en soi illégitime, car il n’est pas souhaitable de figer dans la loi des règles d’application ne relevant pas de son domaine. Il ne faut toutefois pas qu’elle aboutisse à un résultat qui soit contraire à l’esprit de cette proposition de loi.

Je pense tout d’abord au nombre de stagiaires qu’un même enseignant référent pourra suivre et au contenu précis de cette nouvelle tâche. Il semble nécessaire de faire des distinctions selon les niveaux d’études et l’objet du stage : les besoins ne sont pas les mêmes lors d’une période de formation en milieu professionnel dans le cadre de la préparation d’un baccalauréat professionnel ou au cours d’un stage long de master. De plus, le volume pédagogique minimal de formation en établissement avant un stage ne devra pas se résumer à un cours symbolique.

Il en va de même pour la question du nombre maximal de stagiaires par organisme d’accueil. Une fois encore, certains regretteront ce renvoi au pouvoir réglementaire, mais la souplesse requise pour appliquer une telle mesure plaide en ce sens. Il semble d’ores et déjà évident qu’il faudra traiter différemment les plus petites entreprises et les grands groupes. Une règle uniforme risquerait d’être inopérante, alors que le recours aux stagiaires varie grandement selon la taille de l’entreprise et le secteur d’activité. Vous avez évoqué ce point, madame la secrétaire d’État.

J’aimerais enfin attirer l’attention du Gouvernement sur la situation de certains établissements de l’enseignement agricole. Les maisons familiales rurales offrent des formations à des jeunes en difficulté selon un rythme spécifique, et les résultats obtenus sont indéniables. Dans certains cas, les élèves, qui sont bien souvent âgés de moins de dix-huit ans, peuvent accomplir plus de deux mois de stage par année scolaire. Si la présente proposition de loi est adoptée, ces organismes craignent que leurs élèves ne trouvent pas d’employeur prêt à leur offrir une période de formation en milieu professionnel gratifiée. Sont en l’occurrence en cause le plus souvent de petites entreprises agricoles ou artisanales. Quelle réponse pouvons-nous leur apporter ? Je note néanmoins que l’amendement de notre collègue député Gérard Cherpion, adopté par l’Assemblée nationale, constitue une première solution.

Cela étant, lors de sa réunion du 16 avril dernier, la commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi qui lui était soumise, modifiée par quinze amendements que je lui avais présentés. Elle a souhaité confier au conseil d’administration de chaque établissement d’enseignement la mission de fixer le nombre de stagiaires dont un même enseignant référent peut assurer le suivi. En fonction des moyens et, surtout, des formations dispensées, l’organe de direction de l’établissement est bien le mieux à même de déterminer la manière d’organiser ce suivi. C’est le corollaire de l’autonomie pédagogique qui lui est reconnue.

La commission a également limité la durée de travail des stagiaires à la durée légale hebdomadaire, soit 35 heures. Rappelons que les stagiaires ne sont pas des salariés à part entière – vous l’avez indiqué, madame la secrétaire d’État – et qu’ils n’occupent pas un emploi permanent dans l’entreprise. Quelle est donc la nécessité de les faire travailler parfois plus de 40 heures sans qu’ils puissent bénéficier, comme les salariés, de contreparties sous la forme d’une rémunération complémentaire – ils perçoivent simplement une gratification a minima de 436 euros – ou de temps de repos ?

Ces constats posés, la présente proposition de loi recentre les stages sur leur principe fondamental, à savoir un outil de formation ancré dans un cursus dont il est une composante à part entière. Je vous rejoins pleinement, madame la secrétaire d’État, je ne crois pas au discours selon lequel l’adoption de ce texte aboutira à un tarissement de l’offre de stages. Au contraire, c’est bien le phénomène inverse qui a été observé depuis 2006 et qui a accompagné la construction progressive du statut de stagiaire.

À l’heure où certains se demandent justement si les stages ne sont pas trop nombreux, il faut surtout se donner les moyens de garantir des stages de qualité. Cette proposition de loi constitue un réel progrès en la matière en impliquant les établissements d’enseignement dès la définition du projet de stage.

Récemment, le Président de la République déclarait que le pacte de responsabilité allait être accompagné d’un pacte de solidarité. J’ai le sentiment que cette initiative parlementaire correspond parfaitement à l’esprit de cette annonce. En effet, la précarité est le lot commun de la très grande majorité des stagiaires. Le témoignage récent d’une jeune femme – il a fait l’objet d’une couverture médiatique notable – sur cette génération d’« affamés » qui n’a connu que la crise économique et enchaîne les stages faute de perspectives d’embauche confirme ce diagnostic.

J’en viens maintenant à un regret personnel : ce texte ne fait pas évoluer le régime de la gratification des stagiaires. Au moment où la jeunesse doute et ressent un déclassement par rapport à la génération de ses parents, un débat sur la revalorisation de cette gratification mérite d’avoir lieu, car, eu égard à son faible montant, cette dernière symbolise, aux yeux de nombreux jeunes, leur relégation dans un état de précarité qui se prolonge d’année en année. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé, en ma qualité de rapporteur, deux amendements – je sais qu’ils feront l’objet de discussions : l’un vise à relever le montant de la gratification et à le porter de 12,5 % à 15 % du plafond de la sécurité sociale – soit 530 euros –, l’autre tend à rendre cette gratification obligatoire pour tous les stages de l’enseignement supérieur de plus d’un mois. Je considère en effet que les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur sont tout de suite opérationnels compte tenu de leur qualification.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sept ans après avoir présenté ma proposition de loi, je regrette que les termes du débat aient si peu évolué, mais je suis heureux que, par le biais du présent texte, notre société prenne enfin ses responsabilités envers tous ces jeunes en garantissant l’effectivité de leurs droits.

À d’autres maintenant, que ce soient les entreprises ou les établissements d’enseignement, de prendre les leurs.

Pour y parvenir, il est très important que le Parlement adopte cette proposition de loi dans les meilleurs délais, afin que ses premières mesures puissent être appliquées, autant que faire se peut, dès la rentrée prochaine. Je vous invite donc, mes chers collègues, à lui apporter vos voix. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, face à l’enthousiasme déclenché par la présente proposition de loi sur certains bancs, plus particulièrement à l’Assemblée nationale, au nom du groupe UMP, je veux dire que nous avons un peu du mal à comprendre les avancées que ce texte est supposé apporter.

Vous l’avez rappelé opportunément, madame la secrétaire d’État, toutes les améliorations adoptées afin de sécuriser la situation des stagiaires l’ont été depuis 2006. Autrement dit, ce sont un gouvernement de droite et des ministres de droite qui les ont proposées et fait voter.

Ainsi, la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a mis en place l’interdiction de faire accomplir les tâches d’un salarié par un stagiaire, a imposé la convention tripartite et, surtout, le principe d’une gratification obligatoire.

La concertation avec les partenaires sociaux, menée dans le cadre des travaux préparatoires à la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, a précisé le dispositif de la gratification, la rendant obligatoire dès deux mois de stage, et a étendu par décret des obligations quasi identiques aux administrations et établissements publics de l’État qui s’en exonéraient.

Pour ma part, je suis fière d’avoir fait inscrire dans la loi de 2009 l’extension des stages et de leur gratification aux assemblées parlementaires, qui refusaient d’accueillir des stagiaires, estimant que ces derniers pourraient faire concurrence au personnel. Telle fut, je vous l’assure, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la réponse qui me fut apportée dans cet hémicycle même !

J’apprécie que, depuis peu, une page consacrée aux offres de stages proposées par le Sénat soit disponible sur son site.

Enfin, la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi Cherpion », a renforcé ce cadre, en prévoyant notamment l’information du comité d’entreprise, la création d’un délai de carence entre deux stages et la limitation de leur durée à six mois, sauf exceptions, auxquelles nous tenons.

Vous-même, madame la secrétaire d’État, vous avez maintenu ces dispositions dans la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche et les avez même étendues à tous les organismes d’accueil de stagiaires.

Selon moi, comme selon nombre de personnes que nous avons auditionnées, le cadre juridique en vigueur était déjà protecteur, tout en présentant l’avantage d’être issu du dialogue social.

Alors, pourquoi ce nouveau texte ?

Certes, on peut encore relever des abus, mais ils restent isolés. Le cas le plus fréquent est le recours aux stagiaires pour effectuer des tâches habituellement dévolues à des salariés. Des sanctions lourdes existent. Elles sont prononcées par les tribunaux, qui savent faire la part des choses entre un véritable stage et un emploi permanent et requalifier le contrat de travail. Mais la démarche est compliquée pour le stagiaire. J’avais donc dans cette enceinte même interrogé le précédent gouvernement, sollicitant l’instauration d’une procédure simplifiée pour que le stagiaire puisse saisir les inspecteurs du travail.

Alors que votre ministère vient de lancer la première plate-forme d’open data sur l’enseignement supérieur et la recherche, j’ai déposé un amendement qui s’inscrit aussi dans une perspective numérique visant à créer un portail internet par lequel stagiaires et établissements pourraient faire remonter des informations à l’inspection du travail.

Cette solution, simple à mettre en place, compléterait utilement les contrôles de l’administration du travail qui ne peuvent être exercés dans chaque entreprise.

J’en profite pour souligner qu’il faudrait prévoir la modernisation des publications ministérielles. Madame la secrétaire d’État, il serait bien de ne pas oublier le guide des stages du portail étudiant : il date de 2012 et cite un montant de gratification datant, lui, de 2010. Il n’est pas sûr que des informations obsolètes soient utiles aux futurs stagiaires… J’espère au moins que mon intervention sera utile de ce point de vue. (Sourires.)

Autre abus : les stages conclus hors convention ou accordés sans réel suivi pédagogique. Ils sont susceptibles de poursuites, mais ils sont exceptionnels.

Quant à la conformité du stage avec l’objectif de formation fixé par la convention tripartite, elle peut – elle doit – être vérifiée par les établissements d’enseignement, afin d’éviter ce que vous appeliez vous-même les « stages photocopies ». L’implication de l’université ne devrait pas se limiter à une signature administrative de la convention. Jean-Pierre Godefroy l’a rappelé tout à l’heure.

La conférence des présidents d’université, lors d’une audition à laquelle M. le rapporteur m’avait conviée, a reconnu que les situations étaient très variables et estimé que les universités devaient davantage s’investir dans le déroulement du stage et son contrôle, même pendant les mois d’été. J’ai déposé des amendements directement issus de cette demande.

Cela étant, nous disposons déjà d’un arsenal juridique susceptible d’empêcher les abus. En réalité, il convient plutôt d’intensifier les contrôles, de centraliser les signalements des dérives et non de créer encore des obligations complémentaires qui, je le crois, risquent de tarir les offres de stages respectueux, alors que les vilains petits canards trouveront toujours un moyen de détourner la législation.

Les membres du groupe UMP reprochent à la proposition de loi la création d’un cadre encore plus rigide pour les entreprises, particulièrement pour les TPE et PME. Pour nous, la solution devrait être non pas une thérapie généralisée, y compris destinée aux biens portants, mais des mesures au cas par cas pour les malades.

Ce qui me gêne dans ce texte, c’est l’absence de recul. Son initiatrice semble ne pas avoir compris que la priorité était de préserver et de développer l’offre de stages.

C’est l’unique préoccupation qui a guidé mes collègues et moi-même lors du dépôt d’une trentaine d’amendements. Je pense que M. le rapporteur l’a bien compris.

Le meilleur service que l’on puisse rendre à nos jeunes n’est pas de les assimiler à des salariés ; le stage est pour eux avant tout un moment privilégié de formation nécessaire au cours de leur cursus et pour leur insertion professionnelle.

Outre leur dimension pédagogique essentielle et de mise en œuvre pratique des connaissances acquises, les stages doivent permettre aux jeunes de faire valoir une expérience lorsqu’ils rechercheront un emploi. Parfois, vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, il arrive que le jeune soit embauché dans l’entreprise où il a effectué son stage.

Selon l’Association pour l’emploi des cadres, 20 % des diplômés de niveau bac+4 qui ont décroché un emploi dans l’année suivant la fin de leurs études l’ont trouvé sur leur lieu de stage.

Certes, par le présent texte, on cherche à protéger encore plus les stagiaires, ce qui est louable. Mais in fine l’effet obtenu risque d’être exactement inverse à l’objectif poursuivi. Sur ce point, je ne partage pas l’avis de M. le rapporteur.

Eu égard à mon expérience passée, je puis dire que le mieux est l’ennemi du bien.

Faisons un retour en 2009, lorsque je présidais la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Nous avions alors rendu obligatoire l’inscription du stage dans un cursus universitaire. Résultat : des milliers d’étudiants ont vu leur stage annulé parce que certaines universités, dans l’attente du décret prévu neuf mois plus tard, ont refusé de délivrer des conventions.

Je peux mettre à votre disposition des articles de presse attestant cette menace qui planait sur les stages professionnels. Il est à noter que des entreprises avaient même annulé certains d’entre eux.

Je vous invite à consulter le site du collectif Touche pas à mon stage, qui date de 2009-2010, lequel m’avait saisie entre Noël et le Jour de l’an. Vous mesurerez ainsi toutes les difficultés que nous avons rencontrées, malgré nos bonnes intentions.

La présente proposition de loi ne prévoit quasiment que des décrets, lesquels suscitent des inquiétudes du côté tant des établissements d’enseignement que des entreprises. Les établissements d’enseignement craignent la diminution de l’offre de stages et les contraintes qu’impose un quota de stagiaires par tuteur.

Par ailleurs, d’ici à deux ans, les stages ne pourront plus durer plus de six mois, alors que certains cursus prévoient un ou deux mois supplémentaires.

Je tiens à mentionner non seulement l’incompréhension des grandes écoles, qui ne pourront plus pratiquer l’année de césure, mais aussi celle des universités, qui l’acceptaient plutôt volontiers lorsqu’un étudiant le leur demandait. Cela affectera particulièrement les étudiants qui en profitaient pour effectuer un stage à l’international. Or, à l’étranger, parfois la notion de stage n’existe pas, les conventions tripartites encore moins.

De plus, les entreprises, plus particulièrement les TPE-PME, seront également soumises à un quota de stagiaires suivis par un même tuteur et, là aussi, les dérogations seront précisées par décret.

Cette absence de précisions n’est pas acceptable. Dans ce cas, pourquoi cette proposition de loi ? Nous, parlementaires, n’avons rien plus à définir ! Après l’autorisation donnée hier au Gouvernement de légiférer par ordonnances pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public à la suite de négociations, on nous demande aujourd’hui une habilitation à procéder par décrets. Étrange conception de notre rôle législatif…

Si, à titre personnel, je suis favorable à ce que les stagiaires puissent bénéficier de certains des droits des salariés, comme l’accès au restaurant d’entreprise ou l’indemnisation des frais de transport, la multiplication des formalités aura, je le crains, des conséquences catastrophiques, particulièrement pour les stages de courte durée. Ce risque a d’ailleurs été évoqué au cours de toutes les auditions que nous avons menées.

Alors que les ministres successifs du Gouvernement clament leur attachement à la négociation, je ne comprends pas pourquoi des accords de branche ne sont pas prévus.

La question du nombre de stagiaires est le meilleur exemple en la matière. Qu’y a-t-il de commun entre les activités d’une grande entreprise et celles d’une start-up, d’autant que, en cas de manquement, une sanction administrative importante est prévue ?

Vous avez déclaré tout à l’heure, madame la secrétaire d’État, que le quota fixé en l’espèce dépendrait du type d’entreprise, mais comment comptez-vous procéder ?

Au terme de mon propos, je citerai encore une fois mon expérience personnelle : lors de l’examen du projet de loi portant création des emplois d’avenir, nous avions alerté sur les difficultés qu’allaient provoquer certaines dispositions. Le Gouvernement ne nous a pas entendus. Néanmoins, il a bien été obligé d’assouplir son dispositif par la suite. Il en a été de même à l’égard des contrats de génération.

Il est temps que le Gouvernement soit un peu plus à l’écoute des parlementaires, fasse davantage confiance aux acteurs de terrain et aux partenaires sociaux. Ne stigmatisons pas toutes les entreprises !

Madame la secrétaire d’État, l’ensemble des amendements que les membres de mon groupe présenteront visera donc à introduire de la souplesse dans le dispositif, dans l’intérêt des stagiaires.

Je tiens enfin à saluer la qualité du travail et l’écoute de notre collègue Jean-Pierre Godefroy, dont l’implication sur le sujet est encore bien plus ancienne que la mienne.

J’aurais aimé, pour ma part, pouvoir réfléchir avec lui à la rédaction d’un texte sénatorial, éloigné des positions démagogiques et d’affichage de la présente proposition de loi.

Madame la secrétaire d’État, je vous crois sincère. Je souhaite une approche plus réaliste et plus pragmatique, qui permette de respecter l’équilibre indispensable entre la protection des droits des stagiaires et le maintien d’une offre de stages. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)