M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les données biométriques ne sont pas des données comme les autres, puisqu’elles présentent la particularité d’être permanentes et spécifiques à un individu. Ainsi, elles permettent le « traçage » des personnes et leur identification certaine. Le caractère sensible et très personnel de ces données impose un encadrement et un contrôle de leur collecte.

Cependant, la frontière entre privé et public tendant aujourd’hui à s’estomper, notamment sur internet, le danger d’une violation de l’espace privé ne se limite évidemment pas à la seule utilisation des données biométriques. Nous attendons donc avec impatience que le projet de loi sur les libertés numériques promis par le Gouvernement soit présenté et soumis au Parlement.

De plus en plus de dispositifs de reconnaissance biométrique sont mis en place, notamment pour contrôler l’accès à des locaux professionnels, commerciaux, scolaires ou de loisirs.

Comme en de nombreux domaines, tout est ici affaire de mesure. Un usage abusif de ces techniques biométriques est à éviter puisque, rappelons-le, les données biométriques ne sont pas des données comme les autres : elles sont intrinsèques à l’individu et le définissent irrémédiablement.

En même temps, il convient de ne pas ouvrir la voie à un verrouillage qui risquerait d’entraver l’innovation en matière de techniques biométriques, d’autant qu’il s'agit d’un domaine pourvoyeur d’emplois, dans lequel la France est en pointe. J’ajouterai qu’il serait chimérique d’envisager un tel verrouillage…

En revanche, est-il bien raisonnable de mettre en place un système biométrique pour autoriser l’accès de jeunes enfants à la cantine ou à la piscine ?

Au sein du groupe écologiste, nous sommes loin d’en être convaincus, et nous souscrivons à ces propos tenus en 2011 par notre collègue Alex Türk : « Face au développement inexorable de la biométrie et à l’ouverture du monde sur les nanotechnologies, la sensibilisation des individus et des juristes à cette question et la volonté d’agir maintenant apparaissent absolument nécessaires ; dans vingt ans il sera trop tard… »

Au regard du droit et des libertés fondamentales, la biométrie oppose, à l’évidence, l’exigence collective de sûreté au droit individuel à la protection des données et au respect de la vie privée. Cela invite donc à trouver un équilibre entre ces droits et intérêts légitimes.

Certes, la mise en place de dispositifs biométriques est soumise à autorisation préalable de la CNIL. Toutefois, la collecte et le traitement des données ne sont conditionnés à la poursuite d’aucune finalité particulière. C’est cette lacune que la présente proposition de loi vise à combler, et nous partageons la volonté de ses auteurs de mettre en place des garde-fous en la matière.

Il s’agit ainsi de compléter la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978, afin de conditionner l’usage des données biométriques à une stricte nécessité de sécurité – et rien d’autre – et de répondre à un souci de proportionnalité entre la nature de l’information ou du site à sécuriser et la technologie utilisée. La sécurité est entendue comme celle des personnes et des biens, ou au sens de la protection des informations dont la divulgation, le détournement ou la destruction porteraient un préjudice grave et irréversible.

Nous nous situons ici dans la droite ligne de la position du Conseil de l’Europe, qui, à l’occasion de la révision de la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, dite « convention 108 », invitait le législateur français à se pencher sur cette question.

L’article 6 du projet final de convention stipule en effet que le traitement de données biométriques identifiant un individu de façon unique « n’est autorisé qu’à la condition que la loi applicable prévoie des garanties appropriées » venant compléter celles de la convention. Il précise en outre que « les garanties appropriées doivent être de nature à prévenir les risques que le traitement de données sensibles peut présenter pour les intérêts, droits et libertés fondamentales de la personne concernée, notamment un risque de discrimination ».

Le groupe écologiste est très attaché à la protection de la vie privée, du corps humain et, plus généralement, à la défense des libertés individuelles. À condition que son adoption n’entrave pas l’évolution des techniques biométriques sécurisées, nous soutiendrons ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui témoigne une nouvelle fois du souci du Sénat de se dresser en protecteur et défenseur des libertés individuelles. Il est important de le souligner, alors que trop souvent la Haute Assemblée est la cible de critiques : c’est le Sénat qui a joué un rôle pionnier dans les années soixante-dix, lors de la formation des premières autorités administratives indépendantes ; c’est également notre chambre qui a été en avance sur les sujets dits « modernes », par exemple avec l’adoption le 23 mars 2010, pour faire suite au rapport d’information réalisé par Anne-Marie Escoffier et moi-même, de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, jamais inscrite, hélas, à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Hélas !

M. Yves Détraigne. La biométrie, cette science qui regroupe l’ensemble des techniques informatiques visant à reconnaître automatiquement un individu à partir de ses caractéristiques physiques, biologiques, voire comportementales, évolue toujours plus. La première génération des techniques liées à la reconnaissance anatomique, au travers des empreintes digitales ou oculaires, laisse progressivement place à des procédés de reconnaissance dynamiques tels que l’analyse de la démarche ou même de la frappe au clavier d’ordinateur. Tous ces progrès sont, il est vrai, impressionnants sur un plan technique.

Or, il semblerait que nous assistions aujourd’hui à une banalisation excessive de l’usage de la biométrie, qui touche pourtant à ce qu’il y a de plus intime et de plus personnel pour un individu : ses empreintes, son ADN, son iris, bref tout ce qui le distingue en dernier lieu de toute autre personne sur la Terre. La biométrie s’insinue ainsi dans tous les aspects de notre vie quotidienne.

Le succès, peut-être trop éclatant, de ces technologies fait peser un risque important sur les libertés de nos concitoyens. On imagine encore difficilement à quoi pourrait aboutir un détournement massif des données biométriques, mais il est clair que celles-ci sont trop précieuses et trop sensibles pour que leur usage soit banalisé, et que les techniques permettant leur collecte et leur traitement sont trop intrusives pour être aussi largement diffusées.

Il est donc important qu’intervienne le législateur. En 2011, notre collègue Alex Türk, ancien président de la CNIL, indiquait déjà que, « face au développement inexorable de la biométrie et à l’ouverture du monde sur les nanotechnologies, la sensibilisation des individus et des juristes à cette question et la volonté d’agir maintenant apparaissent absolument nécessaires ». Il ajoutait que, dans vingt ans, il serait trop tard…

En effet, ainsi que le souligne fort justement notre collègue Gaëtan Gorce dans sa proposition de loi, le régime juridique actuel de la régulation des techniques biométriques ne semble plus adapté aux usages contemporains de ces technologies.

La loi du 6 aout 2004 avait pourtant doté la France d’un régime particulièrement protecteur et unique en Europe, avec la mise en place d’un contrôle a priori par la voie de la délivrance d’une autorisation préalable, accordée par une autorité administrative indépendante, la CNIL.

Près de dix ans plus tard, au vu des évolutions technologiques, les législateurs que nous sommes peuvent penser que ce régime laisse peut-être une part trop importante de la décision à la CNIL, qui demeure finalement seule compétente pour autoriser l’emploi des techniques biométriques. Or cette autorité administrative, si elle est indépendante, n’est pas pour autant toute-puissante. Elle ne dispose pas de pouvoirs de contrôle suffisants pour parer à tous les risques potentiels liés à une banalisation ou à une diffusion trop grande de ces techniques et des données collectées.

En outre, la loi en vigueur ne conditionne pas l’octroi de l’autorisation préalable à des finalités particulières ou à des modalités spécifiques de contrôle. La CNIL a donc dû développer sa propre doctrine d’intervention pour faire face à la demande massive et exponentielle d’utilisation de techniques biométriques.

Nous partageons tous, dans cet hémicycle, le sentiment que ce système n’est plus satisfaisant en l’état. En effet, les données biométriques, si elles ne sauraient se confondre avec le corps humain lui-même, sont la production et le prolongement de ce dernier. Elles peuvent donc être utilisées à des fins a priori sensibles.

Dès lors, l’intervention du législateur est justifiée par l’article 34 de la Constitution, qui dispose que « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

Deux voies étaient théoriquement ouvertes au législateur : soit un accroissement des pouvoirs de la CNIL, soit une définition en amont, resserrée et restrictive, du domaine du biométrique et de ses applications. C’est la seconde option qui a été retenue par notre collègue Gaëtan Gorce, auteur de la présente proposition de loi. À titre personnel, je pense que c’est le choix le plus avisé et le plus approprié au regard des enjeux. En effet, afin d’éviter une banalisation excessive, il paraît opportun de limiter ce phénomène en amont plutôt que de chercher à en contrôler les conséquences, qui, pour l’heure, nous dépassent.

Si la rédaction initiale de la proposition de loi avait le mérite de poser le problème, elle ne permettait pas de le résoudre, se contentant de conditionner l’octroi de l’autorisation de la CNIL à de « strictes nécessités de sécurité ». Son adoption en l’état aurait contraint l’administration à formuler un certain nombre de mesures réglementaires aux fins de précision. Or celle-ci n’a pas à donner d’injonctions à une autorité indépendante.

Je tiens donc à saluer le travail effectué par notre commission des lois, sous l’égide de son rapporteur, François Pillet. En dressant une liste plus spécifique d’usages de la biométrie, le texte, tel qu’issu des travaux de la commission, tend à établir un statut, voire une définition, de la donnée biométrique.

Dans tous les cas, le dispositif qui est désormais proposé permet au moins de justifier en droit et au niveau législatif l’autorisation de l’emploi des techniques biométriques. Il prévoit en outre les mesures transitoires nécessaires pour assurer une pleine et entière sécurité juridique de la mise en œuvre du texte.

Au-delà de ce satisfecit adressé à la commission des lois et à son rapporteur, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Gorce. J’espère que le débat prospérera et que nous parviendrons à transcrire dans la loi l’équilibre manifestement opportun qui a été trouvé par la commission des lois. Le groupe UDI-UC votera en faveur de l’adoption du présent texte dans la rédaction retenue par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, comme le souligne le rapport de M. Pillet, « la biométrie est usuellement définie comme embrassant l’ensemble des procédés tendant à identifier un individu à partir de la mesure de l’une ou de plusieurs de ses caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales ».

Au vu de cette définition, si l’on conçoit que les technologies biométriques et leurs usages puissent avoir des finalités bienvenues et ne sont pas mauvais en soi, on devine aussi aisément la gravité des dérives dont ils peuvent faire l’objet. Ainsi, nous avons, me semble-t-il, la responsabilité de légiférer afin de les encadrer et de trouver le juste équilibre qui préservera les droits individuels.

Le régime d’autorisation préalable de traitement de données biométriques dont s’est dotée la France est déjà, en soi, protecteur. Cependant, je partage le constat de mes collègues : la loi de 2004, qui confie à la CNIL la mission d’autoriser les traitements de données biométriques, ne dit rien sur la pertinence des différents usages des techniques biométriques.

C’est cette lacune législative que la proposition de loi de notre collègue Gaëtan Gorce a pour objet de combler, en précisant sous quelles conditions de finalité peuvent être autorisés les « traitements automatisés comportant des données biométriques nécessaires au contrôle de l’identité des personnes ».

L’exposé des motifs de la proposition de loi cite, à titre d’exemple, les dérives constatées dans les cantines scolaires, où l’on use et on abuse de ces technologies. J’évoquerai aussi, pour ma part, le danger d’une telle banalisation dans le milieu de l’entreprise, où la biométrie devient un moyen supplémentaire de suivre à la trace, à la minute, les salariés.

Nous saluons donc la démarche de nos collègues, porteuse de protections supplémentaires pour les libertés individuelles. Cependant, la proposition de loi ne concerne qu’une certaine catégorie de traitements des données biométriques. Elle exclut de son champ les traitements de données biométriques mis en œuvre pour le compte de l’État.

Je comprends que nos collègues, eu égard aux contraintes de temps qui s’imposaient à eux, aient fait le choix de restreindre le champ de leur proposition de loi. Néanmoins, je voudrais utiliser le temps qui m’est imparti pour attirer l’attention sur un autre danger lié à notre législation relative aux traitements de données biométriques.

En effet, la question du respect des libertés publiques se trouve souvent posée s’agissant des traitements de données biométriques mis en œuvre pour le compte de l’État. Je pense notamment ici au fichier automatisé des empreintes digitales, le FAED, ou au fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG.

Alors que les récentes remises en cause de notre législation par la Cour européenne des droits de l’homme concernant le fichier automatisé des empreintes digitales invitent le Gouvernement à modifier le décret du 8 avril 1987 ayant institué ce fichier – je crois que cela est en cours –, le Parlement doit aussi s’emparer de cette question, afin de réformer le cadre général du fichage.

Dans un arrêt du 18 avril 2013 – affaire M. K. contre France –, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, à propos du fichier automatisé des empreintes digitales, que la France avait commis une violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel « toute personne a droit au respect de sa vie privée ».

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la France a « outrepassé sa marge d’appréciation en la matière », au regard tant de l’arbitraire du fichage que de la durée de conservation des données. Elle a estimé que « le régime de conservation, dans le fichier litigieux, des empreintes digitales de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées, tel qu’il a été appliqué au requérant en l’espèce, ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée, et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique. »

La Cour rappelle aussi, de manière plus générale, que « le droit interne doit notamment assurer que ces données soient pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles soient conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. Il doit aussi contenir les garanties de nature à protéger efficacement les données à caractère personnel enregistrées. »

Mes chers collègues, la portée de cet arrêt remettant en cause un décret que seul le Gouvernement peut modifier dépasse le cas du fichier automatisé des empreintes digitales. Il s’applique à notre code de procédure pénale, qui régit un fichier similaire, le FNAEG. À la gestion de ce fichier devraient s’appliquer les mêmes principes de proportionnalité, de pertinence, de non-excessivité et de non-stigmatisation.

Or, on le sait, le champ des infractions relevant du FNAEG, initialement limité aux infractions à caractère sexuel, a été considérablement étendu par Nicolas Sarkozy, pour couvrir la plupart des infractions, même mineures, prévues au code pénal. Notre ex-président s’est toutefois bien gardé de l’élargir aux délits financiers, tels que le délit d’initié, la fraude fiscale ou l’abus de bien social.

M. Jean-Jacques Hyest. Cela ne laisse pas de traces ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Nous refusons que les données biométriques de militants syndicaux, de salariés en lutte pour faire valoir leurs droits sociaux ou encore de simples manifestants puissent être enregistrées, pour une durée indéterminée, au côté de celles d’auteurs de crimes, de viols, de trafics de drogue ou de membres du grand banditisme.

En complément de notre proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion d’activités syndicales et revendicatives, nous avons récemment déposé une autre proposition de loi, visant à encadrer le fichage génétique et à interdire le fichage des personnes poursuivies pour des faits commis à l’occasion d’activités syndicales et revendicatives.

Tout comme le texte qui nous occupe aujourd’hui, notre proposition de loi se veut le reflet des exigences qui se font jour au niveau international, mais surtout celui du refus d’une société que notre code de procédure pénale traite des militants syndicaux comme des criminels en puissance.

Ainsi, si nous votons en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, je suis persuadée que nous aurons très vite à réfléchir de manière plus poussée non simplement à l’usage de l’intégralité des données biométriques, mais aussi à leur traitement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il faut saluer l’auteur de cette proposition de loi : le travail a été bien fait !

Ce soir, il s’agira de dire que l’application du principe de précaution ne doit pas empêcher l’innovation ; cet après-midi, il s’agit plutôt de dire que l’innovation ne doit pas se faire sans précaution… (Sourires.)

Il a été affirmé tout à l'heure que les données étaient le pétrole du XXIe siècle et que ce secteur créerait des milliers d’emplois à l’avenir. C’est à voir ! Même si la France dispose d’une avance technologique dans ce domaine, je ne crois pas que le potentiel, en matière d’emploi, soit aussi important que l’on veut bien le dire.

Je tiens à féliciter l’auteur et le rapporteur de cette proposition de loi. Le développement des techniques biométriques doit certes beaucoup à celui de l’informatique, mais la biométrie existe en réalité depuis longtemps : que l’on pense à la photographie ou aux empreintes digitales.

Cela étant, la reconnaissance biométrique automatique ou dynamique est une véritable innovation, dont les incidences en matière de protection des droits fondamentaux, notamment du droit au respect de la vie privée, nous amènent aujourd’hui à nous interroger.

Monsieur le rapporteur, vous êtes un expert en ce domaine, comme nous avons pu le voir lors des débats sur les fichiers publics ou sur la carte d’identité biométrique.

La jurisprudence a rappelé la nécessité de protéger la vie privée et précisé quels sont les éléments pouvant s’y rattacher : le domicile, l’image, la voix, l’état de santé, les attributs du corps humain, etc.

S’agissant de la collecte, du traitement et de l’utilisation des données biométriques pour un contrôle d’identité, nous pouvons actuellement identifier trois risques d’atteinte à la vie privée : au moment de la collecte, du fait de l’absence de consentement de la personne lorsque celui-ci constitue une condition légale de la collecte d’information ; au moment du traitement des informations, si le contenu des fichiers a été usurpé ; au moment de l’utilisation, chacun laissant des traces de ses empreintes, plus ou moins exploitables, lorsqu’un dispositif de biométrie « à trace » est mis en œuvre.

La présente proposition de loi vise donc à limiter le recours à la collecte et au traitement de données biométriques aux fins de contrôle d’identité, pour renforcer la protection du droit au respect de la vie privée.

Je ne parlerai pas de l’article 2, qui vise à mettre en place une phase transitoire d’adaptation. L’article 1er, en revanche, constitue la substance du texte. Il comporte deux avancées : le renforcement de la doctrine de la CNIL, consacrée à l’encadrement des contrôles biométriques d’identité, et la suppression de la biométrie dite « de confort ».

Les conditions de recours à la biométrie pour procéder à un contrôle d’identité posées par la proposition de loi viennent en quelque sorte donner une valeur législative à la doctrine de la CNIL.

En effet, dans une fiche pratique du 17 décembre 2012 consacrée à la biométrie sur les lieux de travail, la CNIL rappelle que l’autorisation d’utiliser la biométrie dite « à trace » ne peut être délivrée qu’à plusieurs conditions, tenant notamment à la finalité du dispositif, à la proportionnalité, à la sécurité et, bien entendu, à l’information des personnes concernées.

En précisant la notion de « stricte nécessité de sécurité », la commission des lois propose très justement de procéder à droit constant, donnant ainsi une véritable force au travail engagé par la CNIL et à sa doctrine.

En ce qui concerne la biométrie dite « de confort », lorsqu’une demande d’autorisation lui est adressée, la CNIL fixe actuellement des exigences plus ou moins élevées en fonction des finalités du dispositif envisagé.

Dans le cas de la biométrie « de sécurité », la mise en œuvre d’un dispositif biométrique apparaît comme indispensable pour répondre à une contrainte de sécurité physique ou logique d’un organisme. Dès lors, l’utilisation du dispositif biométrique sera exclusive, et les personnes concernées par le contrôle devront s’y soumettre.

Dans le cas de la biométrie « de service », la finalité du dispositif envisagé est double : elle est d’assurer la sécurité d’un site ou la protection d’informations sensibles et de permettre la recherche d’une ergonomie d’utilisation.

Dans ce second cas, l’impératif de sécurité n’est pas strict ; il s’agit d’un dispositif alternatif au dispositif biométrique, qui doit donc nécessairement être proposé aux utilisateurs.

La proposition de loi tend à mettre un terme à l’utilisation de ce type de biométrie, dite « de confort », à juste titre à mon sens, car on peut douter, en l’espèce, de la valeur du consentement des usagers. En effet, dans quelle mesure peut-on refuser de se soumettre à des contrôles biométriques dont l’usage se serait généralisé dans une entreprise ?

De surcroît, on peut aisément convenir qu’en réduisant les possibilités de recours à la biométrie, nous diminuons de fait les risques de dispersion des informations personnelles.

L’ensemble de ces éléments constitue donc une véritable avancée, dont il faut se féliciter, en matière d’encadrement de la biométrie. Je souhaite saluer à nouveau le travail effectué par le rapporteur, qui attire notre attention sur les limites du texte, de telle façon qu’après avoir dégagé des éléments de nature à avancer sur cette question, il nous ouvre des perspectives de réflexion en vue de l’examen d’un projet de loi sur les libertés numériques à venir.

Je tiens à rappeler tout d’abord que la proposition de loi s’inscrit dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978, ce qui exclut de son champ d’application les traitements de données biométriques mis en œuvre par un responsable de traitement pour l’exercice d’activités exclusivement personnelles.

Il faut donc s’attendre à ce que le législateur soit sollicité de nouveau, dès lors que la collecte d’informations, bien que réalisée avec le consentement des intéressés, soulève aujourd’hui un certain nombre de questions, notamment quant au droit à l’oubli, au droit de propriété ou, là encore, au droit au respect de la vie privée.

Il faut également rappeler que, comme le souligne très justement le rapport, l’adoption éventuelle de cette proposition de loi devrait aller en principe de pair avec un renforcement des pouvoirs de la CNIL.

En effet, dans le cadre du contrôle a priori que cette instance exerce, le rapport relève que, depuis 2006, le nombre de contrôles rapporté au nombre total d’autorisations délivrées sur la même période montre que les vérifications n’auraient porté que sur 4,5 % des dispositifs. Il est donc sous-entendu que cet organisme aura besoin de moyens humains supplémentaires pour assumer plus largement sa mission…

Nous nous trouvons là dans un domaine plein d’incertitudes, notamment en raison du projet de règlement européen : celui-ci imposera probablement la suppression des autorisations préalables, au profit d’un contrôle a posteriori. Il faudra alors renforcer les moyens de contrôle.

Au-delà de ces remarques, je crois pouvoir dire, en conclusion, qu’il existe un large consensus en faveur de l’adoption de ce texte, grâce notamment à l’ample travail de réflexion engagé depuis longtemps par la commission des lois sur ce sujet.

Au sein tant de l’Union européenne que du Conseil de l’Europe, la France est plutôt en pointe sur la question de la protection des libertés publiques. Elle doit jouer un rôle moteur dans ce débat.

Nous souhaitons donc instaurer progressivement le cadre législatif le mieux adapté à la protection de la vie privée de nos concitoyens. Nous avons conscience qu’il restera encore à faire, mais nous convenons qu’il s’agit d’une étape indispensable, eu égard au développement exponentiel des techniques biométriques.

Le groupe UMP votera la proposition de loi, que l’amendement du Gouvernement vise à améliorer sans la dénaturer. Je crois que nous pouvons nous féliciter de l’unanimité du Sénat sur la question de la protection de la vie privée et des données personnelles. Beaucoup de sociétés aimeraient pouvoir faire aussi bien ! (Applaudissements.)