M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, Jacky Le Menn l’a souligné dans son intervention, le directeur général de l’ARS dispose de pouvoirs étendus. Une telle responsabilisation est pertinente à condition qu’elle soit accompagnée de contre-pouvoirs qui, sans bloquer l’action publique, permettent de peser sur les principales orientations de la politique de l’agence. Or ni le conseil de surveillance ni la conférence régionale de la santé et de l’autonomie ne sont parvenus à remplir ce rôle.

Composé de représentants de l’État, de l’assurance maladie, des collectivités territoriales, des associations d’usagers et de personnalités qualifiées, le conseil de surveillance est présidé de droit par le préfet de région. Ses compétences sont limitées. S’agissant du budget, il ne peut s’opposer à son adoption que si se dégage en son sein une majorité des deux tiers, ce qui est une hypothèse toute théorique dans la mesure où les représentants de l’État disposent d’un droit de vote triple leur permettant quasiment d’empêcher à eux seuls la réunion de cette majorité qualifiée. Nous proposons donc que le budget et les documents financiers de l’agence fassent l’objet d’une adoption à la majorité simple, quitte à prévoir une procédure de mise en œuvre exceptionnelle par le ministre en cas de blocage persistant.

En dehors de sa compétence budgétaire, le conseil de surveillance peut émettre des avis sur la politique de l’agence régionale de santé, mais dans un champ très limité. Il faudrait au contraire qu’il puisse se saisir de tout sujet entrant dans le champ de compétences de l’agence. De même, alors qu’il n’est actuellement saisi que du plan stratégique régional de santé, le PSRS, Jacky Le Menn et moi demandons qu’il puisse se prononcer sur l’ensemble des documents qui composent le projet régional de santé, le PRS.

Nous proposons également d’améliorer la composition du conseil de surveillance afin que soient mis en place quatre collèges – État, assurance maladie, collectivités territoriales, usagers et personnalités qualifiées –, comprenant un nombre égal de membres. Chaque membre ne serait doté que d’une voix et le président serait élu parmi les représentants des collectivités territoriales. De cette façon, il disposerait de la légitimité démocratique nécessaire pour peser pleinement à côté du directeur général. Cette solution permettrait de surcroît de replacer les élus au cœur de la concertation et de l’élaboration des politiques sanitaires et médicosociales.

Nous souhaitons en outre conférer à la démocratie sanitaire plus de force et d’indépendance. Notre pays est encore peu habitué à ce type de démarche, mais la loi HPST a donné à celle-ci une légitimité certaine en créant les conférences régionales de la santé et de l’autonomie. Composées de huit collèges, ces instances comportent un nombre de membres – entre 91 et 100 selon les régions – qui, s’il apparaît évidemment pléthorique, est également gage de diversité et de pluralisme.

Contrairement au conseil de surveillance, la CRSA dispose de compétences vastes. Elle peut notamment faire toute proposition au directeur général de l’ARS sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation de la politique de santé dans la région. Elle a en outre pour mission d’organiser sur les territoires des débats publics sur les questions de santé de son choix.

Les CRSA ont dans un premier temps été largement mobilisées par les travaux liés à l’élaboration des projets régionaux de santé. Il s’agissait là d’un exercice nouveau et de grande ampleur, alors même qu’elles étaient en train de se mettre en place. Sont-elles parvenues à influer sur le contenu des PRS autrement qu’en invitant les ARS à s’engager dans des directions qu’elles étaient déjà prêtes à prendre ? Il est difficile d’avoir une évaluation précise sur ces questions, mais nous faisons malgré tout un bilan globalement satisfaisant et pour le moins encourageant de cet exercice inédit de démocratie sanitaire.

Certains points devront bien évidemment être revus. Les PRS, qui comportent un plan stratégique, trois schémas thématiques et un grand nombre de programmes, constituent des documents exhaustifs, mais particulièrement lourds – ils font souvent plus de 1 000 pages ! –, qui ne peuvent raisonnablement constituer, en l’état, des outils d’aide à la décision et d’accompagnement des ARS dans l’exercice quotidien de leurs missions.

Quant aux CRSA, il nous apparaît indispensable d’en faire véritablement les lieux privilégiés de la démocratie sanitaire. Pour cela, elles doivent disposer librement des moyens financiers d’organiser leurs travaux et les débats publics qu’elles sont chargées d’animer. Ces derniers sont des moments essentiels de cette vie démocratique que nous souhaitons développer, pour diffuser la culture sanitaire et médicosociale, mais surtout pour entendre les opinions de la population et connaître ses sentiments. Les agences régionales de santé doivent également laisser aux CRSA un temps suffisant entre la réception des documents, souvent volumineux et techniques, sur lesquels elles sont amenées à délibérer et l’adoption de leur avis.

Par ailleurs, il convient de s’interroger sur l’intérêt que présente l’existence, dans chaque territoire de santé, des conférences de territoire. Rien ne garantit la correcte articulation entre CRSA et conférences de territoire. En outre, l’existence de trop nombreuses instances risque de décourager les bénévoles qui choisissent de s’engager au service de la démocratie sanitaire. Il faut aller vers plus de rationalisation. C’est dans les territoires où il existe un contrat local de santé que les conférences de territoire revêtent tout leur intérêt. Au-delà, il nous apparaît préférable de rendre facultative leur constitution.

La démocratie sanitaire doit encore affirmer son rôle et les propositions que nous formulons vont dans ce sens, mais il convient également de ne pas oublier les élus locaux. Or, dans certaines régions, l’ARS apparaît beaucoup trop éloignée des réalités auxquelles font face les élus, et le dialogue reste difficile à établir.

Il faut donc fluidifier les relations quotidiennes et améliorer le partage d’informations. À ce titre, le rôle des délégations territoriales est essentiel. Elles constituent le maillon indispensable à la construction de relations de confiance entre élus et ARS, en particulier dans le secteur médicosocial, où les compétences des agences et des conseils généraux sont inextricablement liées.

J’en viens maintenant au champ de compétences des ARS et aux modalités d’exercice de leurs missions.

Jacky Le Menn l’a fort bien souligné, le champ de compétences des ARS est très large. Il nous semble malgré tout cohérent. L’extension au secteur médicosocial et à la médecine ambulatoire est indispensable dans une perspective d’organisation du système de santé autour du parcours du patient. De même, les missions de veille et de sécurité sanitaires, qui sont assez facilement « détachables » du cœur de compétence des agences, doivent malgré tout être conservées, à condition d’être correctement articulées avec les actions de prévention et de santé publique. Sur cette question du champ de compétences, c’est la stabilité qui doit primer.

En revanche, il est essentiel d’agir sur les modalités d’exercice des missions pour aller vers plus de simplicité et d’efficacité.

En premier lieu, certaines tâches purement administratives, notamment dans les domaines de la veille et de la sécurité sanitaires ou du contrôle des formations des professionnels de santé, doivent tout simplement être abandonnées. Les ARS ne doivent pas non plus chercher à élargir leur champ de compétences en s’immisçant dans la gestion des établissements. Comme vient de le souligner Jacky Le Menn, à partir du moment où nous demandons à l’administration centrale de développer une vision stratégique et non procédurière dans ses relations avec les agences, ces dernières doivent également « jouer le jeu » avec les acteurs locaux et faire confiance à leurs partenaires extérieurs.

De façon plus générale, nous nous sommes posé la question du niveau d’autonomie dévolu aux ARS. Après des débats nourris lors de l’élaboration de la loi HPST, le choix a été fait de confier aux agences la définition et la mise en œuvre d’actions concourant à la réalisation des objectifs de la politique nationale de santé. Il n’est donc pas question de politiques régionales, mais de la mise en œuvre au niveau régional d’une politique nationale. Comment, dès lors, définir le degré de liberté dont doivent disposer les ARS ? La réponse ne peut être que pragmatique et se décliner au cas par cas.

En matière de financements, les ARS disposent depuis 2012 d’un outil de fongibilité spécifique : le fonds d’intervention régional, le FIR. Celui-ci leur permet, dans certaines conditions, de réaffecter des crédits auparavant cloisonnés. Son champ porte sur des questions diverses, telles que la permanence des soins ou la modernisation des établissements de santé, et son montant a été porté à un peu plus de 3 milliards d’euros en 2013.

Faut-il aller plus loin et, si oui, comment ? La création d’objectifs régionaux des dépenses d’assurance maladie, les ORDAM, pourrait-elle constituer une réforme pertinente ? Donner plus de marges de manœuvre aux ARS signifie-t-il fixer des tarifs hospitaliers, des prix des médicaments ou des honoraires médicaux différents selon les régions ? Pour le moment, les esprits ne nous semblent pas prêts à accepter que nous nous engagions sur cette voie.

En ce qui concerne le FIR, nous proposons de stabiliser son champ pour prendre le temps d’évaluer pleinement les opportunités pouvant être dégagées. Sur le plan technique, il nous semblerait moins coûteux et plus efficace de transférer complètement la gestion des crédits aux ARS. Enfin, il est nécessaire de donner au FIR une perspective pluriannuelle.

Madame la ministre, le dernier point de mon intervention porte sur la dichotomie persistante entre l’assurance maladie et l’État, vaste question s’il en est, que nous aurons l’occasion d’aborder plus profondément au cours des débats à venir sur le projet de loi de santé publique.

La loi HPST a introduit un partage des responsabilités entre l’assurance maladie et les ARS en matière de gestion du risque. Cette politique est aujourd’hui indispensable pour assurer une maîtrise qualitative et efficace des dépenses d’assurance maladie. Toutefois, si les efforts de coordination existent, nous regrettons le caractère encore trop éparpillé et technocratique de cette politique, ainsi que le manque de cohérence dans la répartition des rôles entre l’État et l’assurance maladie. Il faut aller vers plus de clarté et faciliter l’accès des ARS aux données de santé. Cela n’empêche pas la prudence ; le législateur devra bien sûr fixer un cadre sécurisé et protecteur des libertés publiques.

Au-delà de cet exemple, se pose la question de la régulation des soins de ville. Une répartition des rôles s’est historiquement imposée en France : l’État régule le secteur hospitalier, l’assurance maladie régule le secteur ambulatoire. De ce fait, les ARS disposent de très peu d’outils pour organiser le volet « soins de ville » du système de santé. Or cette dichotomie n’est plus acceptable au moment où la mise en place de parcours de santé est devenue indispensable, non seulement pour maîtriser les dépenses d’assurance maladie, mais aussi, et surtout, pour améliorer la qualité de la prise en charge et le bien-être des patients. Nous proposons donc d’engager une réflexion sur les modalités selon lesquelles pourraient être dégagées, par les conventions signées entre l’assurance maladie et les professionnels de santé, des enveloppes financières, hors tarifs et honoraires, qui puissent être à la disposition des ARS.

Voilà, madame la ministre, mes chers collègues, l’essentiel des réflexions que Jacky Le Menn et moi-même souhaitions vous présenter aujourd’hui au nom de la MECSS. En créant les ARS, la loi HPST a engagé une réforme profonde de l’organisation de notre système de santé. Il s’agit aujourd’hui d’en tirer toutes les conséquences, en faisant davantage confiance aux acteurs de terrain et en tranchant clairement la question du partage des responsabilités entre l’État et l’assurance maladie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’emblée à féliciter nos collègues Jacky Le Menn et Alain Milon pour la qualité de leur travail. Ce rapport est excellent. Il propose un premier bilan d’étape de ce qui est, il faut bien le reconnaître, l’une des principales réformes intervenues dans le domaine de la santé au cours des dernières années. En effet, nul n’en disconviendra dans cet hémicycle, la création des ARS par la loi HPST a constitué une avancée majeure. Cette avancée était attendue ; notre groupe politique la réclamait de longue date.

La création des ARS s’inscrit dans le processus de régionalisation de la gouvernance du système de santé engagé en 1970 par la création de la carte sanitaire. Le cloisonnement et l’éparpillement des compétences et des structures, l’insuffisante articulation entre le niveau national et le niveau territorial, la mauvaise maîtrise des politiques de santé et de soins et de leurs dépenses appelaient cette réforme. Il fallait décloisonner, coordonner, rationaliser, tout en proposant une offre de soins territorialement pertinente. Telle est schématiquement la mission des ARS.

Institutions nécessaires, les ARS n’en demeurent pas moins des institutions jeunes. Là réside toute la difficulté de faire le présent bilan d’étape. Bien que les pratiques aient été très variables, certains constats généraux se dégagent nettement du rapport ; ils viennent d’être énoncés par Jacky Le Menn et Alain Milon.

Un premier constat, positif, est que les ARS ont été installées rapidement, ce qui n’était pas évident compte tenu de la complexité et de la multiplicité des structures qu’elles rassemblent. En revanche, ce qui est moins positif, c’est que la précipitation de l’installation des ARS les a condamnées à souffrir de divers maux, notamment en matière de ressources humaines ; ces maux sont eux aussi parfaitement identifiés par le rapport. Pour ma part, j’insisterai sur trois d’entre eux.

Premièrement, parce qu’elles sont jeunes, les ARS sont aujourd’hui extrêmement personnalisées par leur directeur général. C’est toute la question de l’importance du management. La qualité des hommes a en effet été primordiale durant la phase d’installation des ARS. Certaines personnes venaient de l’administration, d’autres du secteur médicosocial, d’autres encore de l’assurance maladie ou du secteur privé. Dans ma région, le Nord-Pas-de-Calais, le directeur général de l’ARS est dorénavant un médecin, dont l’approche me semble excellente. La qualité du directeur général influe beaucoup sur les relations avec le personnel – cela a été souligné –, sur l’organisation et sur l’application du principe de subsidiarité. Elle engendre la nécessaire confiance ; on n’insistera jamais assez sur ce point.

Cependant, cette extrême personnalisation des ARS pose la question de la démocratie sanitaire : c’est le deuxième point sur lequel je souhaite insister.

Dès le départ, nous avons eu le sentiment que la démocratie sanitaire était le parent pauvre de la réforme. Cela se confirme aujourd’hui. Notre collègue Gérard Roche soulignait ainsi, lors de son audition par Jacky Le Menn et Alain Milon en tant que représentant de l’Assemblée des départements de France, que, au sein des organes de démocratie sanitaire, les disparités de représentation entre les différents acteurs étaient patentes. Gérard Roche pensait à la représentation des départements, mais ce sont les collectivités territoriales dans leur ensemble qui sont insuffisamment représentées.

Lors de l’examen du projet de loi HPST, nous étions déjà largement intervenus pour défendre un certain nombre d’amendements visant à démocratiser le système de deux manières.

D’une part, nous souhaitions tempérer les pouvoirs du directeur général au sein même de l’ARS. Pour cela, nous proposions, comme le fait le rapport, de réformer le conseil de surveillance, en prévoyant d’abord que son président ne soit plus le préfet de région, mais soit élu en son sein. Dès lors, nous ne pouvons que soutenir la proposition du rapport de créer quatre collèges du conseil de surveillance et surtout d’élire le président de celui-ci au sein du collège des collectivités territoriales. Nous soutenons également la proposition de rendre plus collégiale la prise de décision au sein des ARS, en définissant explicitement les missions des comités exécutifs et des comités de direction ; Alain Milon a insisté sur ce point.

D’autre part, nous proposions de mettre en œuvre une véritable démocratie sanitaire, en faisant de la conférence régionale de la santé et de l’autonomie, qui est l’instance de cette démocratie, un véritable organe de codécision en partenariat avec l’ARS. Pour nous, les CRSA ne doivent pas être exclusivement consultatives : elles doivent pouvoir voter le projet régional de santé.

Enfin, le troisième et dernier point sur lequel je souhaite insister concerne l’environnement institutionnel des ARS. La question peut être décomposée selon trois relations distinctes : la relation entre l’ARS et les collectivités, la relation entre l’ARS et l’État, la relation entre l’assurance maladie et l’État.

Primo, j’ai déjà évoqué la question de la relation entre l’ARS et les collectivités sous l’angle de la démocratie sanitaire, mais elle mérite de l’être également sous celui de la distribution technique des missions, dans la mesure où la réforme territoriale va bouleverser le système. Dans quel sens ? Pour l’instant, mystère !

Secundo, concernant la relation entre les ARS et l’État, le rapport montre très bien que l’administration centrale n’a pas été réformée parallèlement à la mise en place des ARS. Il est proposé de nommer un secrétaire général à la santé et à l’autonomie, qui reprendrait les compétences actuelles du secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales en ce qui concerne le pilotage des ARS. C’est une piste, mais je crois que le problème est beaucoup plus culturel qu’institutionnel. Comme ce fut le cas avec la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, en matière budgétaire, nous devons passer d’une logique de prescriptions à la fixation d’orientations stratégiques. Gérard Roche le faisait remarquer : en l’absence d’une telle révolution copernicienne, il n’y a rien d’étonnant à ce que la création des ARS ait eu un effet ambivalent, en particulier dans le domaine médicosocial, dans la mesure où les directeurs généraux des ARS ont avant tout été perçus comme des « commissaires du Gouvernement » chargés de répartir des enveloppes financières contraintes sans avoir à rechercher nécessairement la concertation. C’est cela qui doit évoluer.

Tertio, le rapport ouvre un vaste champ de réflexion sur la dichotomie entre assurance maladie et État. Comme Alain Milon vient d’ailleurs de le rappeler, lors de la discussion de la loi HPST, nous avions déposé un amendement, qui n’a malheureusement pas été adopté, visant à placer sous l’autorité de l’ARS les services informatiques des organismes d’assurance maladie de son ressort, afin qu’elle puisse disposer de toutes les informations utiles à l’accomplissement de ses missions, notamment pour agir en temps réel sur les parcours de santé. Cet aspect des choses sera-t-il, madame la ministre, véritablement traité dans la future loi sur la stratégie de santé ? On peut le souhaiter ; dans le cas contraire, voilà un bon sujet de travail pour la MECSS pour les mois à venir ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier les deux rapporteurs pour la qualité de leur travail. Ils ont su donner à leur rapport un titre pertinent, faisant référence à un déficit de confiance.

Madame la ministre, les parlementaires qui sont également membres d’un exécutif local – cela existe encore ! – sont très préoccupés par le fonctionnement des conseils de surveillance et par les relations avec les ARS.

Lorsque vous étiez intervenue, en tant que députée, dans le débat sur la loi HPST, vous aviez dit l’essentiel : « L’ARS s’apparente davantage à une usine à gaz technocratique qu’à un chef d’orchestre capable de faire jouer ensemble les différents instruments du système de santé. […] Au vu du projet, de la multiplicité des commissions prévues, des schémas à définir, des comités et autres conférences à réunir, le risque est que la vision technocratique qui a présidé à la définition de cette organisation ne se traduise […] par des tâches administratives extrêmement lourdes. » Il me semble que votre prédiction s’est réalisée !

Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un binôme –les binômes ont mauvaise presse, à l’heure actuelle ! (Sourires.) – formé, d’un côté, de l’ARS, et, de l’autre, des conseils de surveillance. En tant qu’élu local, je constate que son fonctionnement est marqué par une absence de démocratie, masquée par une accumulation de procédures pseudo-démocratiques.

La transformation des ARH en ARS par la loi HPST manifestait une volonté, semble-t-il, de supprimer le clivage entre secteur public et médecine libérale. Nous sommes loin du compte…

Si les élus représentant les citoyens dans les conseils de surveillance, que ce soit au niveau de l’ARS ou à celui des centres hospitaliers, ne disposent pas d’un minimum d’informations et de pouvoir, face à des situations qui deviennent extrêmement compliquées – un cas de séquestration par des syndicalistes s’est produit voilà quelques jours –, à quoi bon les faire siéger au sein de ces instances ? On ne saurait raisonnablement laisser les choses en l’état ! La démocratie suppose que ceux que les citoyens ont élus pour les représenter disposent d’un minimum de moyens pour remplir leur mission.

Le gouvernement qui était en place à l’époque de l’élaboration de la loi HPST a fait le choix de donner beaucoup de pouvoir aux directeurs d’ARS. Mais, quand on a beaucoup de pouvoir, l’expérience enseigne qu’il faut savoir en user sans en abuser. Or, dans nombre de cas, un glissement vers l’abus de pouvoir a pu être constaté…

Nous avons certes besoin de lisibilité, de simplification, mais il me semble que nous devons faire en sorte que ceux qui sont investis de cet énorme pouvoir aient une connaissance du milieu de la santé leur permettant d’éviter de fixer des objectifs qui ne soient que technocratiques. Avoir le regard fixé sur la seule addition finale et utiliser tous les moyens pour atteindre un objectif chiffré n’est pas une bonne méthode pour maintenir, comme nous le souhaitons tous, un système de santé accessible au plus grand nombre possible de nos concitoyens, qui a longtemps été considéré comme exemplaire. Il faut en préserver l’équilibre, nous sommes tous d’accord sur ce point, mais en évitant de recourir à des procédures qui ont peu à voir avec la démocratie.

J’ai connu les conseils d’administration des hôpitaux, je siège aujourd’hui au conseil de surveillance de l’ARS ; même si les situations peuvent présenter des différences selon les régions, il me semble urgent, madame la ministre, de modifier rapidement, comme vous l’avez annoncé, un système dont le fonctionnement est, à l’heure actuelle, inacceptable et insupportable dans un certain nombre de territoires ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Christian Bourquin. Bravo ! Nous nous associons à vos propos !

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, c’est avec un grand intérêt que j’ai pris connaissance du rapport sur les agences régionales de santé rédigé par Jacky Le Menn et Alain Milon au nom de la MECSS et de la commission des affaires sociales.

Les mesures nouvelles que nous votons font en effet trop peu souvent l’objet d’évaluations, or la création des agences régionales de santé fut une réforme d’ampleur inédite, qui fait encore beaucoup débat sur le terrain aujourd’hui.

Au cours de mes déplacements et de mes rencontres avec divers types d’acteurs de la santé, j’entends en effet souvent affirmer, dès que nous abordons une difficulté à laquelle il faut faire face, que les ARS et leur fonctionnement sont en cause. Manque de démocratie, démarrage difficile, éloignement du terrain, technocratie, cloisonnement, manque de moyens : la réputation des ARS souffre, même si elles ne doivent pas, pour autant, devenir les boucs émissaires pour toutes les difficultés du système de santé.

Ce rapport a le mérite de dresser un bilan objectif et sans concession de l’installation des ARS : mise en œuvre « à la hussarde » de la réforme, dysfonctionnements dans le pilotage national, coordination insuffisante de plusieurs administrations qui continuent de travailler « en tuyaux d’orgues », contre-pouvoirs externes trop limités, sentiment de malaise profond chez les personnels… Le constat est sévère !

Partageant ce dernier, je souscris à la plupart des propositions énoncées par les rapporteurs pour y remédier. Certaines me paraissent vraiment essentielles, comme celles de renforcer les moyens d’action des ARS en matière d’organisation des soins de ville, de démocratiser le conseil de surveillance ou encore de consolider le FIR.

Revoir, comme le préconise le rapport, les modalités d’exercice des missions dans une logique d’accompagnement et d’appui des acteurs plutôt que de contrôle tatillon, voire écrasant et décourageant, est également indispensable.

Pour prolonger la réflexion, je souhaite aujourd’hui partager avec vous quelques analyses et propositions que j’ai moi-même formulées dans le rapport sur l’accès aux soins des plus démunis que j’ai remis au Premier ministre en septembre dernier.

Tout d’abord, il m’est apparu, au fil des auditions que j’ai menées, qu’au-delà du constat dressé depuis des années, rapport après rapport, de l’existence d’obstacles à la mise en œuvre de parcours de soins coordonnés et fluides, au-delà des espoirs importants placés dans la création des agences régionales de santé pour y remédier, un cloisonnement persistant et parfois dramatique demeure entre les champs sanitaire et social, rendant difficile la prise en charge globale des personnes et entraînant une discontinuité des interventions particulièrement défavorable aux personnes les plus fragiles, celles qui, précisément, ne disposent pas des ressources permettant de pallier les incohérences et les manques du système.

Si les objectifs d’offrir des parcours de soins coordonnés et une prise en charge globale ont déjà largement irrigué les formations initiales des professionnels concernés, les choses évoluent beaucoup moins vite s’agissant de l’exercice de leurs métiers respectifs.

Les professionnels du secteur social savent que santé et social sont étroitement imbriqués, mais ils avouent se trouver vite démunis face aux problèmes d’ordre médical ou sanitaire, tels que l’alcoolisme ou autres addictions, les carences et la malnutrition, les souffrances psychiques.

Les professionnels du monde sanitaire ont, quant à eux, conscience de l’impact des éléments sociaux, tels que l’emploi, le logement, la famille, la vie de couple, l’isolement, sur la santé physique et mentale des patients. Toutefois, très peu formés à ces problématiques, ils se sentent sollicités au-delà de leur rôle et sont plutôt à la recherche de relais sociaux, à l’image de ces médecins déclarant qu’ils ne sont pas des assistantes sociales et s’interrogeant sur le moment où le soin doit s’effacer derrière la prise en charge sociale.

Les ARS disposent en théorie des outils leur permettant de surmonter ce cloisonnement, au travers notamment de deux éléments du projet régional de santé : les programmes régionaux d’accès la prévention et aux soins des plus démunis, les PRAPS, d’une part, et les schémas régionaux d’organisation médicosociale, les SROMS, d’autre part. Or, sur le terrain, la situation n’évolue que très lentement, et les acteurs rencontrés déplorent plutôt la disparition de leurs interlocuteurs habituels des anciennes directions départementales de l’action sanitaire et sociale et leur remplacement par des chargés de mission intervenant sur des thématiques précises par le biais d’appels à projets vécus comme rigides et verticaux.

Au-delà de cet exemple, c’est toute une gouvernance territoriale qui doit achever sa mutation. Il faut également déterminer quel avenir et quelle orientation donner aux conférences territoriales. Il y a urgence.

Les axes d’amélioration portent, d’une part, sur le mode de fonctionnement des ARS, et, d’autre part, sur l’articulation avec les initiatives des collectivités territoriales de la politique mise en œuvre par les ARS.

Sur le premier point, si chacun s’accorde à saluer le travail accompli pour élaborer les différents schémas et programmes sur un mode participatif, tout comme la qualité des documents qui en résultent, beaucoup voient en eux des « cathédrales » empilant des objectifs théoriques et, finalement, assez peu précis quant à leur déclinaison pratique. À cet égard, je citerai une expression souvent employée par le responsable d’un réseau de grande taille de la région d’Île-de-France : « Et maintenant, on fait comment ? » C’est ce maillon, me semble-t-il, qui manque dans la chaîne.

En termes de méthode de mise en œuvre, précisément, la loi de juillet 2009 a fait de l’appel à projets une procédure quasiment incontournable en matière sociale et médicosociale ; nombreux sont les porteurs de projet qui indiquent souffrir d’un système « descendant », dirigiste même, que les ARS ont la responsabilité d’animer. De fait, l’utilisation systématique de l’appel à projets ne favorise pas la créativité sociale ni l’émergence de réponses innovantes, et risque d’amener une standardisation des réponses apportées. Or les acteurs de terrain, qu’ils soient issus du monde associatif ou du monde professionnel, revendiquent de façon légitime un savoir-faire en matière de détection des besoins non satisfaits et de construction de solutions innovantes, bien en amont des évolutions de la réglementation. Je pourrais citer plusieurs exemples à cet égard, en termes d’approche transversale dans la lutte contre le cumul des inégalités en matière d’accès aux droits, de santé communautaire ou d’implication des patients.

Sur le second point, les ARS ont fort à faire pour articuler leur action avec les multiples initiatives des collectivités territoriales, dont il convient de souligner au passage le grand dynamisme. Celui-ci s’exprime, par exemple, dans le choix fait par plusieurs grandes régions d’intervenir, en dehors de leur champ traditionnel de compétence, sur des sujets tels que la prévention, l’aide aux étudiants boursiers, le soutien à l’installation des jeunes médecins ou l’appui au montage des projets de maisons de santé. À cela s’ajoute le dynamisme des municipalités et des agglomérations, qui multiplient également les initiatives.

Madame la ministre, nous espérons que la prochaine loi de santé publique nous permettra d’avancer sur tous ces sujets. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)