M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons, dans cet hémicycle, débattu déjà à plusieurs reprises de textes adaptant le droit interne au droit de l’Union européenne, notamment en matière de procédure pénale. Si nous nous réjouissons toujours des avancées certaines que contiennent ces textes en garantissant mieux certains droits, je veux redire ici l’appel du groupe écologiste à une refonte plus globale des procédures d’enquête et d’instruction, qui soit conforme aux principes énoncés par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH.

Le groupe écologiste porte depuis longtemps l’idée que c’est le droit pénal et la procédure pénale qu’il faut reconsidérer dans leur entier. Nous devons cesser de réviser notre droit par petits bouts, au rythme des délais de transposition des directives et des condamnations de la CEDH.

Cela dit, comme le relève justement notre rapporteur, le présent texte est tout à fait opportun. Les dispositifs qu’il transpose, qui visent à donner corps à l’espace judiciaire européen en améliorant la coordination entre les magistrats des différents États membres et en étendant le champ des décisions de procédure pénale susceptibles d’être exécutées dans un autre État que celui qui les a prononcées, sont tout à fait nécessaires.

Je veux également saluer les dispositions prévues par l’article 6, qui vise à allonger la durée du titre de séjour délivré aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et à étendre aux parents des mineurs non mariés bénéficiaires de cette protection le droit à la délivrance d’un titre de séjour.

Le groupe écologiste se réjouit de l’adoption de ces mesures plus protectrices, mais, il convient de le rappeler, celles-ci sont issues d’instruments européens dont la limite de transposition avait été fixée au 21 décembre 2013...

Nous regrettons que la réforme de l’asile, que nous appelons de nos vœux depuis de nombreuses années, n’ait pas été présentée au Parlement plus tôt. Elle permettra, nous l’espérons, un travail plus approfondi sur la question des demandeurs d’asile, des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire.

En matière de droits de la défense, par exemple, nous avons, une nouvelle fois, déposé un amendement ayant pour objet de prévoir l’accès de l’avocat au dossier de l’enquête dès le début de la garde à vue, conformément à l’esprit de la directive du 22 mai 2012.

Je veux le rappeler ici, il aura fallu les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme Dayanan c/ Turquie, du 13 octobre 2009, puis Brusco c/ France, du 14 octobre 2010, suivis de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, pour que soit, enfin, élaboré le projet de loi permettant à l’avocat d’être présent lors des auditions des personnes placées en garde à vue.

Cette loi, adoptée le 14 avril 2011, était un premier pas important, mais il est loin d’être suffisant. Il est temps que nous avancions sur cette question, qui n’a été pour l’instant qu’occasions manquées. Il est certain que, dans quelques années, si ce n’est quelques mois, les exigences de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et des textes européens nous imposeront de revenir sur ce sujet. Nous avons, aujourd’hui encore, l’occasion d’améliorer de manière bien plus significative l’effectivité des droits de la défense ; ne la laissons pas passer une fois de plus.

Pour conclure, et même s’il est possible que nous ayons quelques regrets quant à la portée que ce texte aurait pu avoir, le groupe écologiste soutiendra ce projet de loi, dont le champ d’application a été étendu par le Gouvernement et qui constitue, sans aucun doute, un pas de plus dans la construction du droit commun européen. (Applaudissements au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le principe de libre circulation des personnes, qui constitue l’un des fondements de la Communauté européenne, nous amène logiquement à intégrer dans notre législation des normes permettant l’entraide et l’harmonisation dans le domaine de la procédure pénale comme dans d’autres domaines.

La libre circulation des individus entraîne en effet une libre circulation des jugements, si je puis dire. Dans cette perspective, le projet de loi qui nous est soumis a pour objet de transposer plusieurs décisions-cadres qui déclinent le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice au sein de l’Union européenne.

Ce principe de reconnaissance mutuelle participe de la confiance que les acteurs des systèmes judiciaires européens doivent avoir entre eux, dans un espace de liberté, de justice et de sécurité. C’est aussi le moyen, dans la perspective d’une unification substantielle de la procédure pénale entre les États membres de l’Union européenne, de poser des standards communs à partir d’une définition commune des droits et des libertés figurant dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Pour positive que soit cette tendance, sur la forme, j’attire l’attention sur le fait que, s’agissant d’une matière aussi technique et importante – M. le rapporteur l’a également souligné –, il nous faut travailler dans le temps imparti pour éviter non seulement les sanctions européennes, mais surtout les incohérences dans notre procédure pénale.

En effet, la transposition des décisions-cadres européennes nécessite, tout d’abord, de coordonner la transposition des textes européens entre eux, c’est-à-dire de tenir compte de l’articulation entre les directives adoptées. Par ailleurs, il nous faut aussi anticiper la transposition des textes européens lorsque l’on adopte des lois en matière pénale.

En l’espèce, je soulignerai par exemple la nécessaire articulation entre la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales et la transposition de la décision-cadre du Conseil du 27 novembre 2008 concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements et aux décisions de probation aux fins de la surveillance des mesures de probation et des peines de substitution.

Le Gouvernement, s’appuyant sur le travail de notre commission, a veillé, dans ce cadre, à ce qu’il n’y ait aucune incohérence. Nous voterons donc les articles permettant ces différentes transpositions.

Nous voterons aussi les articles introduits en commission permettant la transposition des deux autres directives : celle qui est relative à la procédure de reconnaissance de la décision de protection européenne dont peut bénéficier une victime et celle qui vise à établir des standards communs, dans le droit de chaque État membre, pour la protection des victimes d’infractions pénales.

Nous nous sommes interrogés sur la pertinence de l’article 6, qui vise à transposer la directive du 13 décembre 2011 relative à l’asile dans un projet de loi qui, a priori, n’a rien à voir avec ce sujet, et alors même qu’un projet de loi sur l’asile doit être examiné dans les prochains jours à l’Assemblée nationale.

Cependant, comme cet article améliore notre code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment en allongeant la durée du titre de séjour délivré aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et en élargissant aux parents des mineurs bénéficiaires de cette protection le droit à la délivrance d’un titre de séjour, nous avons choisi de ne pas demander sa suppression, et nous le voterons donc.

Néanmoins, cela ne diminue en rien notre volonté de faire encore évoluer cette disposition lors de la discussion du projet de loi relatif à la réforme de l’asile qui aura lieu au début de l’année prochaine.

En résumé, vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Claude Dilain applaudit également.)

M. François Zocchetto, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la coopération judiciaire en matière pénale entre États souverains n’a jamais été évidente à mettre en place, en raison de la diversité à la fois procédurale et substantielle des droits pénaux nationaux, des garanties plus ou moins grandes offertes aux justiciables, ainsi que de l’indépendance plus ou moins réelle du pouvoir judiciaire. De récents exemples médiatiques nous ont montré combien il est difficile d’assurer à ses ressortissants un procès équitable partout dans le monde. Nombre de nos concitoyens en ont fait l’expérience, en faisant parfois les frais de ces divergences.

Dans le cadre de la coopération classique, les demandes sont traitées par le canal diplomatique ou par le biais des autorités centrales. Sont ainsi largement mobilisés le battage médiatique et les relations interpersonnelles au niveau de l’État, afin d’exercer des pressions sur les opinions nationales. Du reste, à cette coopération classique sont opposées des restrictions bien légitimes, du fait des exceptions fondées sur la nature politique, fiscale ou militaire de l’infraction.

Ces obstacles bien connus, qui entravent une coopération apaisée, constituent la raison pour laquelle l’Union européenne se doit d’avancer sur la route de la création d’un véritable espace pénal européen, en permettant la reconnaissance mutuelle et l’exécution des décisions judiciaires.

Le principe est extrêmement ambitieux, car il tente de rénover les paradigmes du droit pénal matériel et procédural, à tous les stades de la procédure – présentenciel, sentenciel et postsentenciel. Les États sont légitimement très attachés à ce que le droit pénal reste un pouvoir régalien ; ce rapprochement constitue le point de cristallisation des tensions quant à la conception du rôle de l’Union européenne dans le domaine pénal.

L’idée de la coopération judiciaire a émergé dans les années soixante-dix. Celle-ci a été mise en œuvre par certaines dispositions de la convention d’application de l’accord de Schengen en 1990. Aujourd’hui, le rapprochement des garanties en matière de libertés publiques et de droits individuels est patent entre les pays qui ont adhéré à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, mais il se situe encore à un niveau purement matériel.

Le présent projet de loi, qui transpose les trois directives-cadres du 27 novembre 2008, du 23 octobre 2009 et du 30 novembre 2009, va plus loin, en renforçant le droit pénal européen procédural.

La reconnaissance mutuelle des décisions de justice contribuera à la mise en œuvre des engagements pris par l’Europe de respecter et protéger ces droits, en améliorant les garanties procédurales des individus touchés par le procès pénal. Elle donne également forme à la liberté de circulation des personnes, en permettant à nos concitoyens d’être rassurés sur la justice mise en œuvre dans toute l’Europe, un domaine qui a souvent posé de réelles difficultés. Enfin, cette coopération judiciaire est utile dans la lutte contre la criminalité, qui est un objectif naturel et normal de tout État.

La transposition de ces directives-cadres, dont le délai arrive à échéance le 1er décembre prochain, résulte d’une nécessaire logique inhérente au principe de reconnaissance mutuelle : il ne peut fonctionner si les États membres concernés n’ont pas correctement mis en œuvre les instruments dédiés.

Le principe non bis in idem, bien connu de tous les juristes et qui fait l’objet de la directive du 30 novembre 2009, est une règle cardinale de notre droit : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits. » Un tel principe semble évident et logique ; pour autant, il n’est pas toujours facile à appliquer. Il tend à prévenir la tenue de procédures pénales parallèles en ce qui concerne les mêmes faits et les mêmes personnes.

En 2001 déjà, dans une affaire Gozotoky Brügge, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie à titre préjudiciel, avait été amenée à se prononcer sur une procédure d’extinction de l’action publique. La cour avait estimé que la décision du ministère public de mettre fin aux poursuites pénales à l’encontre d’un prévenu après que celui-ci avait satisfait à certaines obligations était assimilable à une décision définitive. L’action publique était ainsi définitivement éteinte, empêchant un second jugement dans un second État membre.

L’application de ce principe majeur de notre droit pénal, également consacré dans plusieurs instruments internationaux, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, continue de poser des difficultés au niveau supra-étatique. Il était donc urgent de le consolider comme un acquis irréfragable.

Les directives du 27 novembre 2008 et du 23 octobre 2009 se situent dans le droit fil de la réforme pénale que nous avons votée très majoritairement dans cet hémicycle. Elles concernent la reconnaissance respectivement des décisions relatives à la probation et aux peines de substitution et des décisions relatives à des mesures de contrôle judiciaire.

Les juges hésitent souvent – c'est une réalité que nous avons constatée – à prononcer des peines de suivi judiciaire à l’encontre de ressortissants étrangers, car ils craignent que ces mesures ne soient jamais exécutées, ce qui paraît tout à fait logique. Cette crainte légitime nuit à l’individualisation des peines.

Comme l’a fait remarquer la Commission européenne, la transposition de ces mesures contribuera à diminuer la population carcérale – on peut, en tout cas, le souhaiter, et cela paraît logique ! –, dans la mesure où les décisions-cadres entraîneront une diminution des peines de détention prononcées par les juges à l’encontre de non-résidents. On peut espérer qu’elles permettront d’aboutir à une certaine « fluidité » des condamnations. Depuis quarante ans, l’espace européen de justice s’est construit difficilement, par étapes successives – traités, accords bilatéraux, décisions-cadres –, dans le sens, auquel nous sommes tout à fait favorables, d’une intégration toujours croissante des droits matériels.

L’adoption du présent projet de loi, que les membres de mon groupe voteront unanimement, contribuera à combler le manque procédural, au bénéfice de tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’intitulé du texte que nous examinons aujourd’hui révèle toute l’ambiguïté de l’exercice auquel nous sommes soumis : nous devons adapter notre procédure pénale au droit de l’Union européenne.

Je regrette une fois de plus que cet « exercice » soit trop souvent réalisé dans l’urgence d’un calendrier imposé, sous peine de sanctions. En effet, la France est sous la menace, à partir du 1er décembre prochain, d’actions en manquement engagées devant la Cour de justice de l’Union européenne par la Commission européenne si elle ne transpose pas les décisions-cadres auxquelles ce texte est consacré.

Pourtant, l’objet de ce texte est fondamental : mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires au sein de l’Union européenne, transposant ainsi trois décisions-cadres adoptées, en matière pénale, avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne : l’une est consacrée à la prévention et au règlement des conflits de procédures pénales, les deux autres à la reconnaissance mutuelle des mesures de contrôle judiciaire et des condamnations à des peines probatoires.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, ce texte a une utilité certaine pour nos concitoyens, puisqu’il leur garantira, s’ils sont poursuivis ou condamnés dans un autre État membre, de pouvoir revenir en France exécuter le contrôle judiciaire ou la mesure de probation qui est prononcée contre eux, sous condition de réciprocité bien sûr.

L’espace judiciaire européen trouve ainsi une réalité concrète, en améliorant la coordination entre les magistrats des différents États membres et en étendant le champ des décisions de procédure pénale susceptibles d’être exécutées dans un autre État que celui qui les a prononcées.

Même si la France participe de longue date à cette politique de coopération judiciaire européenne et même si le principe non bis in idem, qui a déjà été évoqué, empêche que deux procédures judiciaires concurrentes, ouvertes dans deux pays différents et portant sur les mêmes faits et les mêmes personnes, n’aboutissent au prononcé de deux sanctions, la décision rendue dans le cadre d’une procédure s’impose à l’autre. Il manquait donc un véritable outil permettant une information croisée, mutuelle, afin de parfaire ces procédures jusque-là parallèles. Nous ne pouvons donc que souscrire à l’objet de la décision-cadre ainsi transposée.

En effet, notre objectif, pour une plus grande efficacité, est d’éviter le cumul de procédures sur les mêmes faits. L’absence actuelle, au sein de l’Union européenne, de mécanismes de dessaisissement d’une autorité judiciaire d’un État membre au profit de celle d’un autre État membre constitue un véritable problème. Nous en sommes conscients. C’est pourquoi, en France, lorsque deux juges d’instruction ou deux juridictions pénales sont saisis des mêmes faits impliquant les mêmes personnes, le ministère public ou les parties peuvent demander le renvoi de l’affaire à un seul d’entre eux.

En prévoyant une obligation d’information entre magistrats, la décision-cadre a pour but de favoriser un dessaisissement amiable.

Vous avez fait le choix, madame la garde des sceaux, de transposer a minima le dispositif de la décision-cadre en ne retenant, dans le projet de loi, que le strict nécessaire et en renvoyant le reste au décret d’application : vous avez décidé de vous contenter de n’écrire dans la loi que ce qui crée une obligation pour les autorités judiciaires.

Cependant, la transposition proposée ne distingue pas aussi clairement que la décision-cadre l’articulation de la procédure en deux phases : une première phase d’entrée en contact, avec un échange d’informations limité, une seconde phase de consultation, avec un échange d’informations bien plus étendu, borné seulement par deux limites. Nous approuvons pleinement la proposition de M. le rapporteur de mieux distinguer ces deux phases et de procéder ainsi à une transposition peut-être plus conforme.

La décision-cadre ne crée pas une procédure de dessaisissement formel d’un juge au profit de son homologue étranger. Même si nous savons tous qu’une telle procédure aurait limité la souveraineté des États en matière de poursuite pénale, il était légitime de nous interroger sur les suites qui pourront être données aux consultations engagées entre les juges. Pouvez-vous nous confirmer, madame la garde des sceaux, que cela évitera de clore définitivement les affaires ?

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, l’espace judiciaire européen, en matière pénale, progresse par extensions successives du principe de reconnaissance mutuelle aux différentes mesures susceptibles d’être prononcées dans une enquête, une instruction ou un procès pénal.

Au-delà de cette phase d’information mutuelle en cours de procédure, la phase suivante est tout aussi fondamentale : celle de la décision, des condamnations et de leur exécution. Un premier texte, que nous avons adopté l’année dernière, a autorisé l’exécution en France de peines d’emprisonnement prononcées à l’étranger.

La nouveauté de la décision-cadre que nous nous apprêtons à transposer porte sur les mesures privatives de liberté, à l’exclusion de la détention provisoire, décidées par les autorités compétentes, avant le prononcé de la peine. Le dispositif proposé complète utilement les procédures d’entraide judiciaire au sein de l’Union européenne et transpose de manière satisfaisante la décision-cadre.

Enfin, le texte de transposition permettra à davantage de citoyens de l’Union européenne d’effectuer leur peine de probation dans leur État de résidence, améliorant ainsi leurs chances d’insertion ou de réinsertion.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce texte est une nécessité, au plan européen comme au plan interne : il s’agit d’une nécessité juridique, mais surtout d’un besoin pour nos concitoyens qui auraient à subir des procédures parallèles dans différents pays européens.

Je ne puis donc formuler qu’un souhait aujourd’hui : que nos homologues européens s’empressent de transposer ces directives, afin que le principe de réciprocité puisse s’appliquer au mieux en matière pénale.

Le groupe UMP votera donc bien sûr en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Claude Dilain applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, étant le huitième à m’exprimer sur ce projet de loi, il ne me reste naturellement que peu de choses à dire, et je ne voudrais pas faire injure aux membres de la Haute Assemblée, qui ont déjà entendu sept exposés sur le contenu de ce texte, en leur en infligeant un huitième.

Je veux simplement établir un constat, qui me semble intéressant : que nous puissions intégrer aussi facilement dans notre droit interne des dispositions de procédure pénale issues de directives ou de décisions-cadres de l’Union européenne révèle l’unité juridique profonde qui existe en Europe. Sinon, les difficultés auraient été autres ! En effet, la procédure pénale est ce qu’il y a de plus essentiel. Elle est la sœur jumelle de la liberté : sans procédure pénale, la liberté n’existe pas.

Cette unité juridique est l’une des caractéristiques fondamentales du droit européen qui se bâtit peu à peu. On voit bien que notre droit national ne s’oppose pas au droit européen.

Quoi que l’on puisse parfois dire sur l’Europe, oui, nous sommes européens, et nous le sommes profondément ! J’en veux pour preuve que l’on retrouve les sources du droit romano-germanique dans notre procédure pénale ; on les retrouve également dans les textes dont le présent projet de loi assure la transposition. Ce droit est même parfois appliqué de manière littérale – on le doit très souvent, d’ailleurs, à un ancien procureur général, aujourd'hui premier avocat général près la Cour de cassation, qui est un grand spécialiste de la procédure pénale.

Oui, madame la garde des sceaux, nous sommes très heureux que ce texte conduise à transposer en droit interne ces trois décisions-cadres, qui permettront de mieux construire l’espace juridique pénal européen, de faire en sorte que les mêmes règles de procédure s’appliquent entre les nationaux de différents États de l’Union et de donner, au moins sur le plan juridique, une consistance réelle, concrète, à la construction européenne.

Pour cette raison fondamentale – je ne reviendrai pas sur le détail des mesures, M. le rapporteur les ayant présentées excellemment –, le groupe UDI-UC apportera bien sûr son concours à ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Claude Dilain applaudit également.)

M. Jean-Patrick Courtois. Remarquable intervention !

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme notre collègue Michel Mercier, j’essaierai de ne pas ajouter encore à ce qui a déjà été dit. Permettez-moi simplement de formuler quelques observations.

Pour rebondir sur les propos de M. Mercier sur la construction de l’Europe et la procédure pénale, je pense que nous devons sans doute d’abord l’unité juridique qu’il a évoquée aux travaux du Conseil de l’Europe. Nous la devons aussi à la vigilance de la Cour européenne des droits de l’homme, qui nous a apporté beaucoup, au travers de ses exigences.

La transposition des trois décisions-cadres qui fait l’objet du projet de loi entre tout à fait dans les préoccupations que les pénalistes ont toujours exprimées, en matière aussi bien de droit pénal que de procédure pénale.

Je pense, tout d’abord, au respect de la présomption d’innocence : pour éviter au maximum les détentions provisoires, il est effectivement utile que le juge des libertés et de la détention n’ait pas le sentiment que la personne mise en examen à la demande du procureur et du juge d’instruction peut lui échapper si elle ne réside pas dans le pays dans lequel elle doit être jugée. De ce point de vue, la garantie offerte aux magistrats qui prononceront une mesure de contrôle judiciaire que cette dernière sera exécutée dans un autre pays européen est fondamentale en Europe, un continent dont les frontières sont désormais largement ouvertes.

Il en va de même en ce qui concerne l’après-condamnation. Si l’on veut éviter la « surincarcération » – je sais que vous y êtes sensible, madame la garde des sceaux – et, au contraire, favoriser la réinsertion, il est logique de pouvoir accorder des libertés conditionnelles ou même, simplement, de prononcer des condamnations assorties de mesures de probation. En effet, le sursis avec mise à l’épreuve nécessite une mesure de probation, qui doit pouvoir s’appliquer dans l’ensemble de l’Europe, sur la base d’un contrôle effectif, ce qui n’est pas simple.

Bien évidemment, nous ne pouvons également que nous féliciter de la décision-cadre relative au respect du principe non bis in idem. Toutefois, en l’occurrence, il s’agira plutôt de faciliter le travail des magistrats, souvent surchargés, de manière que ces derniers puissent disposer de suffisamment d’informations en temps utile pour ne pas engager ou poursuivre des investigations, alors qu’un autre État est en train de mettre quelqu’un en examen pour le même délit.

En revanche, pour ce qui concerne l’efficacité des mesures, je crains qu’elles ne conduisent peu à peu à une charge de travail supplémentaire pour les agents de l’administration de la justice et pour les magistrats, qui sont déjà fort occupés et pour lesquels les moyens ne sont pas toujours au rendez-vous.

Je note, d’ailleurs, que dans le projet de loi de finances pour 2015 la justice n’est pas la moins bien servie, au contraire : vous avez su, madame la garde des sceaux, obtenir des moyens. Néanmoins, la mise en œuvre de la transposition de ces décisions-cadres entraînera nécessairement des dépenses nouvelles.

L’étude d’impact, de ce point de vue, n’est pas tout à fait réaliste : elle déduit de la réciprocité qu’il n’y aura pas d’incidence financière. Pourtant, cette dernière est évidente ! Il suffit de penser aux frais de traduction. Aujourd’hui, les traducteurs qui travaillent dans les juridictions rencontrent des difficultés pour se faire payer. Or, si on ne les rémunère pas, les experts finissent par ne plus répondre à la demande ! On enregistrera bien, en matière de traduction, un coût supplémentaire, le seul, du reste, à être compensé – par le fait que ce service sera, en contrepartie, rendu par d’autres.

Nous verrons bien, d’ailleurs, si la transposition assurée par le présent projet de loi aura des incidences réelles. À cet égard, en ma qualité de sénateur du Bas-Rhin, je mesure à quel point la coopération policière et judiciaire est aujourd'hui indispensable : l’exemple de l’agglomération de Strasbourg, qui est un point de passage naturel, le prouve. Et c’est vrai aussi pour d’autres zones frontalières de notre pays.

Enfin, madame la garde des sceaux, nous devrions pouvoir être tenus au courant des conséquences du texte : si l’étude d’impact d’un projet de loi est une chose, l’étude d’impact d’un projet de loi portant transposition de directives en est une autre !

J’en profite pour déplorer que le Sénat renonce à sa commission pour le contrôle de l’application des lois, pour laquelle, en tant que nouveau sénateur, j’avais quelque intérêt. Cependant, mes chers collègues, nous pourrons, dans quelques années, demander au ministère de la justice de nous rendre compte de l’efficacité des mesures du texte. En effet, si nous croyons à l’Europe, nous devons aussi veiller à ce qu’elle puisse fonctionner au mieux ! (M. Claude Dilain applaudit.)