M. Jacques Chiron. Les bailleurs sociaux, parmi lesquels les SEM, les sociétés d'économie mixte, immobilières, œuvrent pour répondre aux besoins en logements sociaux et à prix abordables en zones tendues.

Leurs activités conjuguent la réalisation et la gestion de logements conventionnés avec la mise à disposition de logements à prix abordables non conventionnés. Par exemple, dans la région Rhône-Alpes, que je connais bien, la SEM met sur le marché des logements intermédiaires à un niveau de loyer moyen de 7,70 euros le mètre carré par mois, alors que le prix moyen sur le marché est de 12 euros le mètre carré par mois. À Paris, le niveau de loyer moyen a été de 8,21 euros par mètre carré en 2012, alors que le prix sur le marché est supérieur à 25 euros par mètre carré.

Monsieur le secrétaire d’État, la loi de finances pour 2013 a institué un régime général de limitation de la déductibilité fiscale des charges financières pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2012. L’article 212 bis du code général des impôts limite ainsi la déduction des charges financières nettes dont le montant atteint au moins trois millions d’euros à hauteur de 75 % de leur montant total.

À ce jour, seuls les délégataires, les concessionnaires et les partenaires privés ne sont pas concernés par le dispositif. Cette exclusion, paradoxalement, ne vise pas le secteur du logement social et intermédiaire.

En l’état, ce dispositif est donc particulièrement pénalisant pour les sociétés intervenant dans le secteur du logement social ou du logement intermédiaire et, plus généralement, dans le secteur des logements à loyers abordables. En effet, il conduit à majorer les coûts supportés au titre des opérations d’acquisition ou de construction de logements à loyers abordables, ainsi que ceux qui sont supportés au titre de leur entretien et de leur rénovation.

Je prendrai un exemple, monsieur le secrétaire d'État : hier matin, au sein d’une SEM immobilière grenobloise où j’ai l’honneur de siéger, nous nous penchions sur la possibilité de racheter 62 logements à deux propriétaires d’un certain âge, désireux de se séparer de ce patrimoine qui date des années soixante-dix, donc qui n’est pas en très bon état. Le prix d’achat de l’ensemble est de 4,5 millions d’euros, et il faut envisager une rénovation lourde, notamment sur le plan thermique. Il ne s’agit donc pas d’un patrimoine à forte valeur ajoutée, mais il permettra de faire à la fois un peu de logement social et du logement intermédiaire. Pour ce genre d’opérations, nous sommes relativement pénalisés par ce texte issu de la loi de finances pour 2013.

Le présent amendement vise donc à déplafonner le montant des charges financières déductibles supportées par les SEM immobilières, en excluant l’activité immobilière d’intérêt général des SEM immobilières de la limitation de la déductibilité des charges d’intérêts d’emprunts.

Dans ma région, un certain nombre de copropriétaires souhaitent aujourd’hui se séparer d’un patrimoine qu’ils ont fait construire dans les années soixante ou soixante-dix et qu’ils ne souhaitent plus gérer. Ce patrimoine, généralement dans un état très moyen, est souvent racheté par des SEM immobilières, qui le transforment pour partie en logement social, pour partie en logement intermédiaire. Naturellement, le logement social ouvre des possibilités fiscales supplémentaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour présenter l'amendement n° I-54 rectifié.

M. Roger Karoutchi. Il s’agit strictement du même amendement que celui qui vient d’être défendu par M. Chiron, ce qui prouve d'ailleurs que les clivages politiques peuvent être dépassés dans certains cas.

Dans les zones tendues – essentiellement l’Île-de-France, Rhône-Alpes et PACA –, nous sommes confrontés à des situations très complexes, dans lesquelles les SEM immobilières jouent un rôle essentiel en matière d’acquisition et de rénovation.

Le fait que les déductions fiscales varient en fonction des acteurs est une aberration. Comme l’a souligné M. Chiron, ces variations empêchent des patrimoines anciens d’être transmis dans de bonnes conditions.

Dans une période où l’on cherche à fluidifier le marché du logement, à construire davantage, à rénover et à transformer dans ces zones difficiles que sont les zones très tendues, tous les acteurs doivent être placés sur un pied d’égalité.

C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission des finances est évidemment sensible à l’argument relatif à la limitation de la déductibilité des charges financières.

Ce dispositif pénalise non pas seulement les bailleurs sociaux, mais toutes les entreprises qui ont besoin d’emprunter, qu’il s’agisse d’une société foncière dans le domaine de l’immobilier ou d’autres entreprises dont le modèle économique est fondé sur l’emprunt. Or c’est le cas dans tous les secteurs où il faut réaliser des investissements, pas seulement dans le domaine immobilier.

La limitation à 75 % de la déductibilité des intérêts d’emprunts, introduite en 2013 par l’article 212 bis du code général des impôts, est donc très dommageable pour toutes les entreprises qui peuvent avoir besoin de l’emprunt pour investir.

Faut-il ensuite prévoir des exceptions, des sortes de niches, à ce dispositif de limitation ? En l’espèce, il s’agirait d’une exception réservée aux seuls bailleurs sociaux.

M. Jacques Chiron. Les bailleurs sociaux relèvent déjà d’un régime dérogatoire !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cette exception serait en outre coûteuse, et c’est pourquoi la commission s’est montrée défavorable à cette proposition, tout en reconnaissant le caractère pénalisant de la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunts. (M. Jacques Chiron s’exclame.)

Je souligne enfin qu’il existe déjà un certain nombre de dispositifs fiscaux spécifiques au logement social et aux SEM.

La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur le rapporteur général, vous semblez remettre en cause la limitation de la déductibilité fiscale des charges financières, instaurée par la loi de finances pour 2013, et réalisée en deux étapes, d’abord 15 %, puis 25 %, au motif qu’elle serait pénalisante pour les entreprises.

Avant tout, puisque vous vous référez souvent à l’Allemagne, je vous rappelle que nos amis allemands pratiquent cette limitation de la déductibilité des frais financiers pour leurs entreprises, qui ne semblent pas être spécialement pénalisées par cette disposition.

Madame Beaufils, vous avez tout à l’heure évoqué un certain nombre de situations, notamment en cas de Leveraged Buy Out, ou LBO, dans lesquelles l’utilisation de l’emprunt a parfois été excessive. Dans certains cas, il vaudrait peut-être mieux se pencher sur d’autres formes de financement que l’emprunt – je pense notamment aux recapitalisations.

Sur cette question de la déductibilité des frais financiers, nous nous sommes donc globalement alignés sur l’Allemagne, même si nous l’avons fait au moyen d’un dispositif légèrement différent.

Il existe à ce jour une seule exception à cette déductibilité, qui avait fait l’objet de très longues discussions, et que j’évoque pour des raisons volontairement polémiques – une fois n’est pas coutume. Elle vise les sociétés titulaires de contrats d’affermage, de concessions, de délégations de service public ou de baux emphytéotiques. Vous avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que mon regard se tournait vers les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Toutes ces sociétés ont bénéficié d’une exonération de ce « rabotage » de la déductibilité des frais financiers, le coût de cette exception étant évalué à 300 millions d’euros. Toutefois, aux termes du compromis qui avait été trouvé à l’Assemblée nationale après une très vive discussion entre une partie du Parlement et le Gouvernement, les futurs contrats ne seront pas soumis à cette exception, qui devrait donc progressivement s’éteindre à mesure que les contrats seront renouvelés.

Pour en revenir à ces deux amendements identiques, le Gouvernement ne souhaite pas prévoir une exception supplémentaire à ce principe de limitation.

Les arguments utilisés, notamment sur le logement intermédiaire, ne me semblent pas très pertinents. Nous avons en effet mis en place un dispositif particulièrement favorable, avec un taux de TVA réduit à 10 % et une exonération de taxe foncière pour une durée dont je me souviens qu’elle est significative.

Je n’énoncerai pas tous les dispositifs, en particulier sociaux, qui existent en faveur de la construction de logements, mais je rappellerai que, pour faire du logement intermédiaire, il faut aussi que l’opération intègre du logement social ; c’est l’une des conditions du montage.

Le Gouvernement ne souhaite pas aller plus loin et, si vous aviez encore quelques hésitations sur ces amendements identiques, mesdames, messieurs les sénateurs, je précise que leur adoption aurait un coût de l’ordre d’une centaine de millions d’euros.

En conséquence, le Gouvernement demande le retrait des amendements identiques nos I-15 et I-54 rectifié, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Chiron, l'amendement n° I-16 est-il maintenu ?

M. Jacques Chiron. Eu égard aux précisions apportées par M. le secrétaire d’État sur le coût de cette mesure, je retire mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° I-16 est retiré.

Monsieur Karoutchi, l'amendement n° I-54 rectifié est-il maintenu ?

M. Roger Karoutchi. Je n’imaginais pas que cette mesure pouvait être aussi coûteuse. Dès lors, je préférerais que la commission réfléchisse à des dispositifs permettant d’améliorer la situation sans coûter aussi cher.

Je retire donc mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° I-54 rectifié est retiré.

L’amendement n° I-132 rectifié, présenté par Mme Lienemann et M. Dilain, est ainsi libellé :

Après l’article 7

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article 683 bis du code général des impôts, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. … – Le vendeur de tout bien immobilier en Île-de-France assujetti aux droits de publicité foncière est également assujetti à une contribution de solidarité urbaine. Cette contribution est prélevée dès lors que la valeur de la transaction effectuée est supérieure à un prix de référence fixé à 10 000 € au mètre carré de surface habitable.

« La contribution est fixée à 10 % de la différence entre le montant de la transaction effectuée et la valeur résultant de l’application du prix de référence défini au premier alinéa. »

La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cette fois, mes chers collègues, il s’agit non pas d’une dépense, mais d’une recette.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il s'agit d’un impôt !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Le Président de la République, comme d’ailleurs beaucoup des autres candidats à la dernière élection présidentielle, avait signé une charte proposée par la Fondation Abbé Pierre, qui prévoyait la création d’une contribution de solidarité urbaine.

Cette mesure partait d’un constat simple : il existe, au sein d’une même agglomération, et plus encore au sein de l’agglomération parisienne, des écarts considérables de prix entre les valeurs immobilières et foncières, et l’on peut noter une sorte de corrélation entre le niveau exorbitant des prix dans certains secteurs et la gravité des problèmes dans d’autres secteurs.

L’idée serait donc de prévoir une contribution de solidarité urbaine sous la forme d’une surtaxe qui viendrait pénaliser toutes les transactions immobilières d’une valeur supérieure à 10 000 euros le mètre carré et dont le montant serait égal à 10 % de la différence entre le prix de la transaction effectuée et le prix médian dans l’agglomération.

Comme le disait M. Karoutchi tout à l’heure, à Paris, la moyenne des transactions réalisées depuis 2012 s’établit à 8 340 euros le mètre carré. Les transactions supérieures à 10 000 euros le mètre carré ne concernent donc que les quartiers hyperfavorisés. En outre, des études ont montré que 70 % des transactions récentes conclues à ce niveau de prix l’étaient par des étrangers, qui ne payent par ailleurs pas beaucoup d’impôts dans notre pays.

Même dans les villes de l’Ouest parisien les mieux valorisées, si l’on en croit les petites annonces immobilières, et y compris s'agissant de logements de luxe, les prix sont souvent inférieurs à 10 000 euros le mètre carré.

Il s’agit donc là d’engager une stratégie à l’égard des transactions qui ont le plus bénéficié de la spéculation, le produit de cette contribution offrant à la puissance publique des recettes pour régler les importants problèmes de logement auxquels nous sommes confrontés.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’ai lu avec attention l’objet de cet amendement, et je viens à l’instant d’écouter avec intérêt Mme Lienemann.

Celle-ci fait référence à la Fondation Abbé Pierre, et nous ne pouvons pas nier qu’il existe en France un véritable problème de logement, y compris dans la construction. Des chiffres parus hier ont encore montré que nous n’avons jamais aussi peu construit en France. Nous avons un problème de personnes mal logées et de prix élevés.

Toutefois, s’interrogera-t-on un jour sur le lien entre la fiscalité très élevée et dissuasive en matière de logement et le niveau des transactions ?

M. Yves Pozzo di Borgo. Ce lien est évident !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Non, l’effet est inverse !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Prenons l’exemple de l’immobilier locatif : si nous additionnons l’impôt sur le revenu, l’ISF et la CSG, nous atteignons des niveaux de fiscalité qui avoisinent les 85 %. La réalité est que le système est aujourd’hui sans doute bloqué par un niveau de fiscalité très élevé.

Nous avons longuement débattu hier des transactions et des plus-values. Je vous rappelle, madame Lienemann, que la fiscalité des plus-values est déjà alourdie dans certains cas, l’article 1609 nonies G du code général des impôts prévoyant une surtaxe sur les plus-values immobilières supérieures à 50 000 euros. Très concrètement, il existe donc d’ores et déjà une disposition fiscale répondant à votre préoccupation, à savoir la surtaxation des plus-values immobilières élevées.

Faut-il aller plus loin ? Le système que vous proposez de mettre en place serait réservé à l’Île-de-France, où les prix sont élevés, Roger Karoutchi l’a rappelé à l’instant. Pour autant, d’autres régions, notamment la Côte d’Azur, sont également concernées par une telle situation.

Certes, la difficulté à se loger est une vraie question. Toutefois, je ne crois pas qu’un alourdissement supplémentaire de la fiscalité, par le biais d’une taxe de 10 % sur les transactions, permettra d’améliorer le rythme de rotation de ces dernières.

Par ailleurs, outre la taxe sur les transactions financières pour lesquelles la plus-value est supérieure à 50 000 euros, les droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, ont été augmentés : plus exactement, on a donné aux départements la possibilité de les augmenter. Bien évidemment, tous les départements, qui doivent en permanence faire face à de nouvelles charges, l’ont fait. Le dispositif est même pervers, dans la mesure où ceux qui n’augmentent pas les DMTO sont taxés, le fonds de péréquation leur reprenant une partie des sommes en question.

Dans la pratique, on a donc obligé les conseils généraux à augmenter les DMTO, en déplafonnant ces derniers.

M. Michel Bouvard. Tout à fait ! C’est la réalité.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Les transactions immobilières ont ainsi fait l’objet d’une nouvelle taxation.

Taxe sur les plus-values de plus de 50 000 euros, augmentation des DMTO… Si l’on veut bloquer définitivement le marché locatif et créer les conditions de son effondrement, il suffit de voter ce genre de dispositions ! (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

Madame Lienemann, considérez-vous que le nombre de transactions immobilières est aujourd'hui satisfaisant ? Considérez-vous que le marché permet des rotations ? Considérez-vous que l’immobilier se porte bien en France ? Les statistiques parlent d’elles-mêmes, pour ce qui concerne tant la construction neuve que les transactions dans l’ancien. Le marché s’effondre !

D’ailleurs, le Gouvernement y est sensible. C’est la raison pour laquelle il propose des dispositifs d’abattement sur les terrains à bâtir pour encourager la construction. Si on considérait qu’il n’y a pas de problème – nous avons déjà eu ce débat hier –, on ne discuterait pas en permanence de mécanismes d’abattements destinés à encourager les transactions ! Votre proposition, chère collègue, va d’ailleurs totalement à l’encontre de ce que propose le Gouvernement au travers de dispositifs d’exonération ou d’abattement destinés à encourager le marché.

La commission est donc défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Mon argumentation sera plus modérée que celle de M. le rapporteur général, même si, je le dis par avance, je parviendrai à la même conclusion.

M. Philippe Dallier. Bien sûr !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Selon moi, la fiscalité n’est pas responsable du blocage du marché de l’immobilier. Il existe d’autres raisons bien plus profondes, et sans doute les discours excessifs en matière de fiscalité immobilière contribuent-ils à accentuer le phénomène. De nombreuses raisons économiques et d’opportunité, peut-être aussi de sécurité, entrent en ligne de compte.

Si l’on se livre à des calculs, l’on s’aperçoit que le poids de l’augmentation des DMTO, pour ce qui concerne les transactions importantes, reste très faible sur des durées moyennes, pour ne pas dire longues. On peut d’ailleurs espérer que les investissements immobiliers s’amortissent sur de telles périodes, sauf à imaginer qu’il faut faire de la spéculation immobilière en multipliant les transactions, ce qui ne constitue pas, à mes yeux, un objectif raisonnable.

Sur ce point, je ne partage donc pas l’analyse de M. le rapporteur général. Pour autant, je rappelle, comme lui, qu’une contribution supplémentaire a été demandée pour les plus-values supérieures à 50 000 euros – le montant n’est déjà pas négligeable –, avec un barème progressif qui va de 2 % à 6 %. Dans la mesure où cette disposition a été adoptée voilà peu de temps, je ne souhaite pas que nous mettions en place une seconde mesure du même type.

Si la taxation actuellement en vigueur s’appuie sur la plus-value réalisée lors de la transaction, celle qui est proposée par Mme Marie-Noëlle Lienemann vise à prendre en compte le prix au mètre carré du bien immobilier. Pourtant, ces deux dispositifs se rejoignent, dans la mesure où c’est justement lorsque le prix au mètre carré est élevé que le volume des plus-values atteint la somme de 50 000 euros.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.

M. Yves Pozzo di Borgo. J’ai connu Paris à une époque où le mélange des classes sociales – je n’aime pas ce mot marxiste ! –, ou plutôt des catégories sociales, était beaucoup plus grand. Je vis dans la capitale depuis 1983, et je l’ai vue évoluer. On y trouve maintenant seulement des gens aisés et des gens aidés. Toute une classe moyenne a disparu, car elle ne pouvait plus se loger. Et je ne parle même pas des étudiants, qui sont dans des situations complètement folles.

Je reviens au débat qui vient d’opposer M. le rapporteur général et M. le secrétaire d’État sur le rôle de la fiscalité dans cette situation.

Pour ma part, je souhaiterais disposer d’instruments d’analyse. Je ne sais pas s’ils existent. Il serait intéressant d’évaluer, pour les vingt ou trente dernières années – tous les gouvernements sont sans doute responsables –, les conséquences de la fiscalité sur la situation immobilière. On observe actuellement un manque terrible de logements, les classes moyennes et les gens en difficulté ne pouvant pas se loger dans cette zone qu’est Paris et l’Île-de-France.

Quand on recense le nombre de textes adoptés en la matière, on s’aperçoit que l’on n’a jamais réussi à résoudre quoi que ce soit. Le dernier d’entre eux, la loi ALUR, c'est-à-dire la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, a même provoqué un désastre !

Interrogeons-nous et évaluons les causes d’une telle situation, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires économiques. Pour ma part, je n’ai pas d’éléments d’analyse, je ne fais que constater. Ces éléments existent-ils ? C’est la question que je vous pose, dans cette explication de vote qui n’en est pas une.

Ce problème, difficile à régler, est à l’origine de nombreuses souffrances pour nombre de nos concitoyens.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.

M. Éric Doligé. Je souhaite illustrer rapidement les conséquences de la fiscalité sur la problématique des logements. Certains, en effet, ont tendance à relativiser son impact. Permettez-moi donc de vous faire part de mon avis en la matière.

Le taux des DTMO a été porté de 3,7 % à 4,5 %, soit une augmentation importante, d’environ 18 %. Pour mon département – je rejoins sur ce point la remarque formulée tout à l’heure par mon collègue – cette hausse a généré 10 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires, somme sur laquelle sont prélevés 5 millions d’euros, que la collectivité augmente ou non les DMTO.

Toutefois, nous n’avons pu augmenter les DMTO que sur une période de quelques mois. Ainsi, nous avons en réalité récupéré 6 millions d’euros et reversé 5 millions d’euros. Le bénéfice net a donc représenté un million d’euros, alors qu’il était destiné à payer des charges qui avaient augmenté de 10 millions d’euros. Nous avons donc été totalement perdants ! (M. Michel Bouvard applaudit.)

En analysant les emprunts réalisés par les jeunes ménages à l’heure actuelle, on comprend que l’augmentation du taux des DMTO de 3,7 % à 4,5 % bloque ceux qui veulent acquérir un bien. Il convient donc de faire très attention en matière de fiscalité immobilière. Celle-ci est extrêmement importante, parce qu’elle est susceptible de bloquer totalement le marché.

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Franchement, à la lecture de revues immobilières en tous genres, je suis tenté de dire que vous éprouvez, madame Lienemann, une saine colère. J’irai même plus loin : vous parlez de 10 000 euros au mètre carré, mais je vois parfois des annonces surréalistes à des prix bien supérieurs encore. On se demande qui peut bien acheter ces biens, et dans quelles conditions.

Néanmoins, le sujet est encore plus accablant. Certes, il existe, à Paris et en proche couronne ouest, un immobilier « de luxe », pour lequel les prix frisent les 15 000 euros du mètre carré. Pourtant, c’est le prix moyen qui m’inquiète le plus. Que quelques centaines de personnes puissent payer 12 000 euros ou 15 000 euros le mètre carré, tant mieux pour elles ! Mais il est intolérable que les classes moyennes n’arrivent plus à acheter à Paris ou en proche couronne ouest.

La fiscalité, c’est vrai, est insupportable. Il existe toutefois une autre explication à cette situation. Une série de rapports réalisés par la région d’Île-de-France et par la Ville de Paris depuis cinq ou six ans nous informent en effet que près de 3 millions de mètres carrés appartenant soit à l’État, soit à la SNCF, soit à la RATP, soit à différents opérateurs, ne sont pas utilisés et pourraient être mis à la disposition des collectivités, pour construire.

En la matière, gauche et droite confondues, tous les gouvernements se sont montrés très généreux en paroles, mais très avares dès qu’il s’agissait d’actes concrets. On a réalisé un miracle en récupérant les terrains de la caserne de Reuilly pour faire des constructions. Mais c’est à peu près tout ce qu’on a récupéré en cinq ans !

Quand vous faites remarquer à la SNCF qu’elle n’utilise pas tel terrain, elle vous répond qu’elle ne cédera rien au-dessous du prix du marché. Quand vous dites à la RATP qu’elle ne fait aucun usage d’un terrain, elle rétorque que, pour l’équilibre de ses comptes, elle doit le vendre aussi cher que s’il s’agissait d’un marché privé.

Ainsi, tout le monde se plaint que l’on n’arrive pas à construire à Paris et dans la proche couronne francilienne, mais les acteurs publics et les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, ne font aucun effort !

À l’heure actuelle, à Paris, seuls les grands acteurs publics ont des terrains disponibles, vides. En proche couronne, en particulier à l’ouest, c’est presque la même chose. Si on veut faire du logement, il faudra, un jour, faire en sorte qu’ils vendent leurs terrains à un prix non pas bradé, mais raisonnable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. Après avoir entendu les propos d’un certain nombre de collègues, je suis amenée à réagir.

La proposition de Mme Marie-Noëlle Lienemann ne concerne absolument pas les droits de mutation. Il s’agit d’apporter une meilleure réponse au problème du logement et, donc, d’alimenter une politique de l’État – si j’ai bien compris sa proposition –, en faisant payer une taxe à ceux qui achètent des biens dont le prix au mètre carré est supérieur à 10 000 euros.

Les personnes concernées par ces acquisitions seront relativement peu nombreuses, on le sait. La grande majorité de nos régions ne seront même pas concernées ! De tels prix ne se rencontrent en effet que pour des biens exceptionnels.

Il s’agit d’une proposition intéressante, dans la mesure où elle vise à mettre à contribution ceux qui concourent à l’augmentation du prix moyen. J’estime donc qu’elle mérite notre attention. À ce titre, nous la voterons.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Boulard, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Boulard. Marie-Noëlle Lienemann pose une vraie question.

Ce matin, entre mon hôtel et le Sénat, j’ai croisé deux personnes qui dormaient dans leur sac de couchage. C’est vrai, il manque aujourd'hui des gens pour alerter nos consciences.

J’entends bien que l’instauration d’une petite taxe sur les Qataris soulève d’énormes problèmes ! Car ce sont eux les grands investisseurs qui achètent des biens à plus de 10 000 euros le mètre carré.

Mme Lienemann aurait dû prévoir une toute petite taxe symbolique à 1 %. Il vaut mieux commencer tout petit, pour avancer ensuite et faire bouger les lignes. (Sourires.) Pour la CSG, on avait d’abord prévu, avec Michel Rocard, un taux de 1 %, puis ce dernier a été augmenté...

Nous manquons d’un Abbé Pierre ! S’il y en avait encore un, on ne laisserait pas perdurer le spectacle que j’ai vu tout à l’heure à cinquante mètres du Sénat. Cela suffirait pour nous convaincre de prendre à bras-le-corps ce type de questions.