M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste.

M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen de décembre doit prendre des décisions cruciales pour l’Europe. Après l’Union bancaire l’an dernier, il doit valider un projet et une stratégie de croissance pour les trois prochaines années. Je centrerai mon propos sur ce sujet, qui doit recueillir toute notre attention.

La croissance est en panne dans la zone euro, et le niveau des investissements en est pour partie responsable. Non seulement ceux-ci ont considérablement ralenti depuis le début de la crise, mais ils sont inférieurs de 16 % à ce qu’ils étaient en 2008, soit 500 milliards d’euros en moins, représentant, selon la Commission, un demi-point de croissance annuelle. Ils ne représentent cette année que 2 % du produit intérieur brut européen, contre 5 % aux États-Unis, où ils ont retrouvé leur niveau d’avant la crise.

Ce déficit d’investissement a provoqué un vieillissement de l’équipement des entreprises, de nos infrastructures, entraînant une perte de compétitivité et l’augmentation du chômage, notamment celui des jeunes.

En matière d’innovation, de recherche, les pays européens ont perdu du terrain, sous l’effet conjugué du manque d’investissements privés et de la réduction des budgets publics : l’énorme succès de Rosetta et la promesse d’avenir que constitue Ariane 6 ne doivent pas occulter la réalité.

Pourtant, l’alignement des astres n’a jamais été aussi favorable à une reprise de la croissance. L’euro, sous l’impulsion de la Banque centrale européenne, et avec l’indulgence de la Réserve fédérale américaine, baisse enfin par rapport au dollar. Le prix du pétrole frôle les 80 dollars le baril, ce qui permet aux entreprises de dégager des marges et de soulager les ménages. Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas, ce qui n’est certes pas bon signe, mais permet d’emprunter aux meilleures conditions. Enfin, nous disposons en Europe d’une liquidité importante, qui alimente les bas de laine plutôt que l’investissement, du fait d’une aversion au risque résultant d’une forte crise de confiance.

C’est donc le bon moment pour prendre l’initiative, et c’est ce qu’a fait le président Juncker en dévoilant son plan de 315 milliards d’euros pour la croissance et l’emploi.

Comment ne pas voir dans l’annonce de ce plan la marque de l’action de la France depuis deux ans et demi ? Sous l’impulsion du Président de la République, François Hollande, notre pays n’a pas cessé d’appeler à une réorientation des choix économiques de l’Europe pour soutenir l’investissement et l’emploi. Si nous avons pu convaincre nos partenaires et créer les conditions de ce virage historique, c’est aussi grâce aux réformes soutenues par la majorité et à la crédibilité retrouvée de la parole de la France.

Cette initiative, qui sera présentée et débattue lors du prochain Conseil européen, marque une réelle inflexion de la politique européenne : nous tournons le dos au « tout-austérité ».

La question de l’investissement est désormais au cœur de l’agenda européen : ne boudons pas notre plaisir !

Ce plan affiche de bonnes intentions. On doit noter avec satisfaction la création du fonds européen pour les investissements stratégiques au sein de la Banque européenne d’investissement, qui devient ainsi l’outil financier nécessaire au retour de la croissance.

On peut se féliciter du consensus qui prévaut sur la définition des chantiers prioritaires : recherche, développement et innovation, économie numérique, infrastructures et interconnexions en matière de transports, transition énergétique, formation initiale et continue pour l’emploi des jeunes.

On peut aussi saluer la mise en place d’un comité indépendant pour la sélection des projets et la volonté de ne pas allouer d’enveloppe par pays ou par secteur, afin de garantir rapidité et efficacité d’action.

Enfin, on peut se réjouir que, pour la première fois, la Commission européenne accepte d’exclure du calcul des déficits publics nationaux une partie des dépenses d’investissement des États qui abonderaient cet effort.

Voilà pour les aspects positifs. Il n’en demeure pas moins que les annonces faites à ce jour soulèvent quelques incertitudes, voire des inquiétudes.

Tout d’abord, le montant affiché de 315 milliards d’euros sur trois ans sera-t-il suffisant pour relancer la croissance ?

Le Gouvernement français, par la voix de son ministre de l’économie, a indiqué que ce plan devrait reposer sur un apport d’argent frais de 60 milliards à 80 milliards d’euros de la part de l’Union européenne. Nous en sommes encore loin.

Récemment, la Pologne, par la voix de son ministre des finances, a estimé que 300 milliards d’euros constituaient un minimum et a souhaité la mise en place d’un dispositif permettant de mobiliser jusqu’à 700 milliards d’euros.

Les libéraux, au Parlement européen, plaident pour un apport de 700 milliards d’euros, quand le groupe socialiste chiffre le besoin à 800 milliards d’euros.

Hier, la task force a publié son rapport. Il y est indiqué que plus de 2 000 projets ont déjà été déposés par les États membres, sans que les collectivités territoriales y aient encore été associées, correspondant à 1 300 milliards d’euros d’investissements ; c’est dire si les besoins existent et sont considérables !

Le plan Junker, aussi bienvenu soit-il, ne peut être qu’un premier pas ; il doit être amplifié, accéléré. Il faut le rendre plus concret et y investir autant d’ambitions que dans les mesures de stabilité financière.

C’est pourquoi on peut regretter que le fonds européen pour les investissements stratégiques ne soit doté que de 21 milliards d’euros de capital, provenant principalement d’un redéploiement du budget européen. Certes, la Banque européenne d’investissement l’a doté de 5 milliards d’euros, mais les 16 autres milliards proviennent pour partie du mécanisme d’interconnexion du programme Horizon 2020 et des marges de réserve du budget. Ce n’est pas suffisant : il faudra à l’avenir faire appel aux disponibilités existant dans le cadre du mécanisme européen de stabilité, même si, pour l’heure, nos amis Allemands s’y refusent.

La Banque européenne d’investissement pourrait en outre réinvestir une part plus importante de ses bénéfices, prendre davantage de risques et assouplir ses conditions de financement afin de participer plus directement à la relance de l’investissement.

Enfin, si certaines flexibilités dans le calcul des déficits et des dettes publics sont envisagées au titre de la participation des États membres à la capitalisation du fonds, elles devraient l’être aussi à celui de leur engagement dans les projets d’investissement eux-mêmes.

On peut aussi se demander si l’annonce d’un coefficient multiplicateur de 15, qui transformera 1 milliard d’euros de fonds publics, en garantie ou en capital, en 15 milliards d’euros d’investissements privés est réaliste, et si ces derniers seront bien au rendez-vous.

Certains s’interrogent d’ailleurs sur la possibilité d’attirer des fonds privés pour des projets de recherche fondamentale ou de transport dont les retours sur investissement sont longs et incertains, et sur la part de fonds publics qui leur sera destinée.

Il faudra par ailleurs éviter l’enlisement procédural d’un mécanisme qui apparaît encore à ce jour complexe, à l’image de ce qui se passe pour l’initiative « Garantie pour la jeunesse », dotée de 8 milliards d’euros, mais qui décolle laborieusement du fait de la lourdeur de sa mise en œuvre.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en résumé, il faut donc éviter de recycler le budget européen existant, engager plus d’argent public et veiller à ce que les mesures soient d’effet immédiat.

À cet égard, on peut se féliciter du dépôt d’une trentaine de projets par la France, pour un montant de 48 milliards d’euros. Ils peuvent démarrer rapidement et 40 % d’entre eux portent sur le numérique et l’innovation.

Monsieur le secrétaire d’État, il convient également – je sais que vous en êtes convaincu, le Gouvernement plaidant en ce sens depuis deux ans et demi – de conforter cette stratégie pour la croissance et l’emploi par des décisions permettant à l’Europe de dégager des ressources propres, d’envisager l’émission d’obligations par la BEI, ou encore de créer un livret d’épargne européen.

L’Europe doit s’engager dans la mise en œuvre d’une fiscalité convergente, taxer les profits là où ils sont réalisés, notamment ceux de l’économie digitale, engager enfin une démarche d’harmonisation sociale susceptible de réduire les disparités et supprimer le dumping social.

Nous devons par ailleurs lutter sans merci contre l’évasion fiscale, et nous pouvons saluer à ce titre l’accord intervenu hier au Conseil Ecofin.

La mise en œuvre de ce plan doit s’accompagner d’un débat sur la flexibilité permettant de dépasser le dogme des 3 % de déficit, alpha et oméga de la Commission Barroso, responsable de l’austérité, et nous attendons avec impatience la communication sur les règles de flexibilité budgétaire que devrait publier la Commission en janvier.

Pour conclure, de nombreuses avancées ont été réalisées ces derniers mois pour réorienter l’Europe vers un projet qui a du sens, et nous vous en félicitons.

Maintenant, il nous faut un budget européen offensif, soutenant la demande. Monsieur le secrétaire d’État, le chômage de masse, le risque de déflation, le développement de la précarité obligent l’Europe à réagir. C’est la voie à suivre pour sauver cette dernière du populisme et du risque de désintégration. Il faut oser et innover. Nous accueillons donc positivement ce plan Junker, mais nous souhaitons que la France poursuive son action pour aller plus loin, plus vite, afin que, après ce premier pas, nous puissions continuer à avancer sur le chemin de la restauration de l’idéal européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat intervient entre le vote final, hier soir, sur le projet de loi de finances et le début de l’examen du projet de loi de finances rectificative, prévu demain.

Or, déjà, nous nous projetons dans les textes financiers de l’année prochaine, puisque, lors du Conseil européen des 18 et 19 décembre, la Commission européenne présentera son examen annuel de croissance.

Cette présentation marque le début du semestre européen, au cours duquel la France exposera son programme de stabilité et son programme national de réforme et qui se conclura en juin ou en juillet par l’adoption des recommandations du Conseil, dont nous devrons tenir compte pour l’élaboration de notre prochain budget.

Le Conseil examinera la semaine prochaine « de nouvelles mesures pour stimuler la croissance, l’emploi et la compétitivité européenne ».

Pour atteindre cet objectif, le plan d’investissement proposé par le nouveau président de la Commission est important, mais son impact macroéconomique, même s’il représentait 0,8 point de produit intérieur brut comme envisagé, ne nous dispenserait pas de conduire à l’échelle européenne une politique économique adaptée aux circonstances.

Les finances publiques constituent un élément essentiel de la politique macroéconomique, et si la poursuite du redressement budgétaire constitue une nécessité, la consolidation budgétaire ne doit pas être obtenue au détriment de la croissance économique, sauf à devenir inefficace. La Commission européenne elle-même appelle à des « politiques budgétaires responsables et propices à la croissance ».

C’est ce à quoi s’attache le Gouvernement à travers la baisse de la fiscalité des ménages, le déploiement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi et la mise en œuvre du pacte de responsabilité. Une telle logique nous paraît devoir être défendue et étendue au sein de la zone euro.

La France, elle l’a montré avec l’effort supplémentaire de 3,6 milliards d’euros consenti pour 2015, joue le jeu européen. Toutefois, la croissance européenne sera menacée si, dans le même temps, les États qui disposent de marges de manœuvre budgétaires ne suivent pas les recommandations qui leur sont adressées. Je vous rappelle que, dans son avis sur le projet de budget de l’Allemagne, la Commission européenne invite cette dernière, eu égard à ses marges budgétaires et à ses taux d’intérêt, à accroître ses investissements publics. Le fera-t-elle ?

En tout état de cause, la France doit continuer de soutenir au sein des institutions européennes l’idée que le rythme de réduction des déficits ne doit pas compromettre la reprise.

Pour stimuler la croissance et l’emploi dans la zone euro, la politique monétaire est évidemment essentielle, mais c’est l’initiative de la Commission visant à mobiliser 310 milliards d’euros en faveur de l’investissement sur la période 2015-2017 qui est à l’ordre du jour du Conseil. La part des investissements dans le produit intérieur brut de la zone euro a reculé de plus de 3 points entre 2007 et 2013, et il ne fait aucun doute qu’une relance est indispensable.

À une semaine du Conseil, ce plan d’investissement ressemble à un ensemble de poupées gigognes, puisque 8 milliards d’euros issus du budget européen deviendraient 16 milliards, puis 21 milliards d’euros de garanties accordées par l’Union européenne et la Banque européenne d’investissement, qui émettrait 60 milliards d’euros d’obligations, destinés à être investis dans des projets d’un montant de 315 milliards d’euros. L’effet de levier, cela a été dit à plusieurs reprises, serait de 1 à 15.

Au-delà des modalités pratiques qui devront être trouvées pour orienter les fonds levés vers les projets qui en ont le plus besoin, la question qui se pose est de savoir dans quelles conditions un tel dispositif parviendra à susciter plus d’investissements que ceux que le secteur privé avait de toute façon prévu de réaliser.

Je conclurai en évoquant le sujet de la réforme bancaire, car la Commission européenne a laissé entendre qu’elle pourrait ne plus faire partie des priorités de l’agenda. Cette réforme, qui séparerait également l’activité de tenue de marché opérée par les banques françaises, n’a pas les mêmes contours que celle qui a été adoptée en France en 2013.

Faut-il laisser vivre notre dispositif français ou faut-il déjà le modifier en mettant en œuvre la réforme qui était envisagée par Michel Barnier ? Je souhaite que la commission des finances étudie les conséquences de la mise en œuvre de la réforme votée en 2013, qui est applicable depuis cette année.

Monsieur le secrétaire d’État, disposez-vous d’informations sur les intentions de la Commission européenne s’agissant de l’inscription à l’ordre du jour européen de cette réforme proposée par l’ancienne Commission ?

Je compte sur vous pour nous indiquer dans quelles dispositions d’esprit le Gouvernement aborde l’ensemble de ces sujets, à une semaine du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la commission des affaires européennes.

Mme Colette Mélot, pour la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de M. le président Jean Bizet, retenu par des obligations impératives.

La commission des affaires européennes se félicite de la tenue de ce débat, qui permet au Sénat d’avoir avec le Gouvernement un dialogue approfondi à la veille d’un Conseil européen important.

Le Conseil européen va en effet débattre de nouvelles mesures pour stimuler la croissance, l’emploi et la compétitivité européenne. Il discutera en particulier du plan d’investissement que vient de proposer la Commission européenne. Le Conseil européen se prononcera à la suite de la présentation, par la Commission européenne, de l’examen annuel de croissance qui marque le début du semestre européen.

La nouvelle Commission européenne qui vient de prendre ses fonctions a retenu trois grands piliers pour fonder la politique économique et sociale de l’Union européenne : d’abord, un coup de fouet aux investissements, avec l’annonce d’un plan de 315 milliards d’euros sur la période 2015-2017 ; ensuite, un renouvellement de l’engagement en faveur de réformes structurelles ; enfin, la poursuite de l’assainissement budgétaire.

Mettre de l’ordre dans les finances publiques est indispensable. Il est urgent de rompre avec l’endettement et les déficits que nos pays ont accumulés. L’action engagée est conforme aux règles communes que nous avons librement négociées avec nos partenaires. Il faut les respecter et mettre en œuvre les réformes structurelles indispensables !

Nos collègues François Marc et Fabienne Keller ont fait un point, devant la commission des affaires européennes, sur la procédure d’examen des budgets nationaux. Que constate-t-on ? Selon l’évaluation de la Commission européenne, sept pays, dont la France, présentent un risque de non-conformité avec les dispositions du pacte de stabilité et de croissance.

La Commission européenne a décidé que les cas de la Belgique, de l’Italie et de la France feront l’objet d’un suivi particulier au printemps. À ce stade, elle estime l’effort structurel de la France pour 2015 à 0,3 point de PIB, très loin de l’objectif de 0,8 point recommandé par le Conseil en 2013. À l’instar du Haut Conseil des finances publiques dans son avis rendu fin octobre, la Commission européenne a jugé que les prévisions macroéconomiques du Gouvernement étaient un peu trop optimistes, surtout pour 2015.

Le rendez-vous du mois de mars est très proche. Notre pays doit démontrer à ses partenaires européens sa volonté d’agir pour assainir ses finances publiques et mener les réformes structurelles propres à assurer la viabilité budgétaire.

L’Europe doit, dans le même temps, retrouver le chemin de la compétitivité. Notre base industrielle a considérablement régressé. Nos entreprises sont handicapées par l’excès de charges et de réglementations. C’est sur les petites et moyennes entreprises que les politiques européennes doivent se concentrer en priorité. C’est là que se trouvent les gisements pour l’innovation et la création d’emplois.

L’effort en matière de recherche et développement est essentiel. Or l’évaluation à mi-parcours de la stratégie « Europe 2020 » témoigne dans l’ensemble d’un bilan plutôt décevant. L’objectif symbolique de 3 % n’est pas atteint. L’effort stagne autour de 2 % – 2,3 % en France –, contre 2,8 % aux États-Unis et 3,4 % au Japon. Nous attendons de la Commission Juncker qu’elle place cette ambition au cœur de ses prochaines initiatives.

Le contexte économique complique la tâche. Le chômage demeure à des niveaux très élevés : je pense en particulier au chômage des jeunes, extrêmement préoccupant, qui atteint des niveaux insupportables, et à la situation des chômeurs de longue durée. La Commission européenne fait valoir que des actions ciblées sont nécessaires, mais leur mise en œuvre est laborieuse et peu efficace. Dans le cadre de l’initiative « Garantie pour la jeunesse », 6,4 milliards d’euros ont été alloués à l’emploi des jeunes, mais les délais sont trop longs !

Nous approuvons les orientations proposées par M. Juncker. Nous soutiendrons la nouvelle Commission lorsqu’elle traduira sa volonté de simplifier les réglementations en actes et prendra des initiatives pour relever les défis actuels. La mise en place d’un marché unique du numérique et la création d’une union de l’énergie doivent être des priorités. Il ne pourra pas y avoir de réindustrialisation sans maîtrise de l’énergie nécessaire à la production. Voilà un domaine où la coopération entre la France et l’Allemagne doit être recherchée !

En outre, il faut parachever l’union bancaire en créant un mécanisme de résolution unique. Les contribuables ne doivent plus supporter les conséquences des défaillances bancaires !

Le plan d’investissement de 315 milliards d’euros de la Commission européenne peut favoriser le nouvel élan dont l’Europe a besoin. Néanmoins, beaucoup de questions demeurent en suspens ; MM. Jean-Paul Emorine et Didier Marie en ont dressé la liste au nom de notre commission.

Nous souhaitons une clarification des sources de financement du plan d’investissement, dont la contribution de la Banque européenne d’investissement, la BEI, et des parts respectives des investissements publics et privés des financements européens et nationaux. En particulier, nous redoutons que le financement de ce plan ne détourne les fonds structurels européens de leur objet. Nous le savons bien, à l’heure où les dotations de l’État aux collectivités subissent des baisses drastiques, ces fonds sont très attendus dans les territoires.

Nous avons indiqué à la Commission européenne que la contribution éventuelle au titre du cadre financier pluriannuel 2014-2020 devait être très précisément détaillée. Nous souhaitons connaître les conclusions de la task force instituée sous la direction de la Commission européenne et de la BEI. Quels délais seront fixés pour la réalisation des investissements ainsi ciblés ? Quels résultats en sont attendus ?

Les travaux de la task force devront être rapidement suivis d’une estimation financière. Les projets qu’elle proposera doivent contribuer effectivement à la réindustrialisation de l’Europe, en présentant une véritable dimension européenne, en étant rapidement réalisables et en étant orientés vers des secteurs d’avenir, dont l’économie de l’immatériel.

Le Sénat insistera sur la nécessaire territorialisation des projets. Il s’engagera à veiller activement à la bonne consommation des crédits. Nous avons évoqué ces enjeux avec les membres du Secrétariat général des affaires européennes, le SGAE. Nous sommes prêts à agir avec lui pour atteindre ces objectifs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – MM. Jean-Claude Requier et André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier les orateurs qui viennent de se succéder à la tribune.

Ainsi que cela a été rappelé, notamment par M. Requier, le point de départ de nos réflexions, c’est le constat, unanimement dressé, de la stagnation de l’économie européenne. (M. Jean-Claude Requier acquiesce.) J’aimerais rappeler quelques éléments chiffrés.

Au troisième trimestre de l’année 2014, la croissance au sein de la zone euro n’a été que de 0,2 %,…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Eh oui !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. … contre près de 1 % aux États-Unis.

L’inflation est à des niveaux exceptionnellement bas, à 0,3 % au mois de novembre – c’est la tendance observée sur l’ensemble de l’année –, la cible de la Banque centrale européenne étant de l’ordre de 2 %. Elle atteint même des taux négatifs dans plusieurs pays, dont la Grèce et l’Espagne.

La situation de faible croissance et de faible inflation est généralisée au sein de la zone euro. Par ailleurs, la production industrielle y est largement inférieure à son niveau d’avant la crise. Elle a reculé de 15 %, voire de près de 30 % dans des pays comme l’Espagne et l’Italie par rapport à 2008.

Tant mieux si l’on a pu noter un redémarrage de l’activité économique en Espagne ou au Portugal au cours de l’année ! Mais cette reprise est loin de leur permettre de renouer avec leurs niveaux de production industrielle ou de revenu national brut antérieurs à la crise.

Le taux de chômage est, en moyenne, de 11,6 % au sein de la zone euro.

Madame Keller, l’ensemble des États européens doivent aujourd’hui faire face à une telle situation. La croissance française au troisième trimestre, qui s’est élevée à 0,3 %, a été légèrement supérieure à la moyenne de la zone euro. Cela ne suffit évidemment pas. Mais, force est de le constater, d’autres pays, dont l’Italie, ont connu des taux de croissance négatifs. Et, même au sein de la plus forte économie de la zone euro, l’Allemagne, le taux de croissance a plafonné à 0,1 %. Je ne crois donc pas que l’on puisse mettre en cause nos choix de politique économique.

Le prochain Conseil européen débattra d’une nouvelle coordination des politiques économique, monétaire, d’investissement et de réforme. Vous avez insisté à juste titre sur la nécessaire articulation de ces politiques pour renouer avec la croissance et éviter une dégradation de la croissance potentielle.

Le fait que l’économie ne redémarre pas dans la zone euro n’est en aucun cas une fatalité. La croissance a repris ailleurs, hors zone euro, par exemple aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Certes, il faut distinguer les situations des divers continents. Mais plusieurs pays émergents connaissent des niveaux de croissance élevés.

Ainsi que M. Didier Marie l’a souligné, la réorientation de la politique européenne a été un succès pour la France. L’Europe ne peut pas retrouver une dynamique de croissance sans redonner la priorité au soutien aux investissements publics et privés, deux domaines dans lesquels nous avons pris de retard.

N’opposons pas la stratégie d’investissement et la nécessité, admise par ailleurs, d’une politique monétaire très dynamique. C’est sans doute l’une des clés du redémarrage aux États-Unis et au Royaume-Uni.

En outre, et nous agissons en ce sens en France, il faut une politique de réformes structurelles, réformes qui ont contribué au succès économique là où elles ont été menées. L’Allemagne a engagé les siennes voilà plus de dix ans, en 2003, sous le gouvernement de Gerhard Schröder. Elle en a tiré les bénéfices. Si nos voisins d’outre-Rhin subissent eux aussi la faible croissance de la zone euro, ils sont avantagés sur le plan des exportations et de la compétitivité. Et si les réformes que nous mettons en œuvre sont urgentes, c’est parce qu’elles n’ont pas été menées plus tôt !

M. Simon Sutour. Très juste !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Elles sont en train de produire leurs effets. On observe ainsi un rééquilibrage du coût du travail entre la France et l’Allemagne. Et le projet de loi présenté ce matin même en conseil des ministres vise à accentuer ce mouvement. Nous allons continuer le travail de réformes dans un ensemble de domaines, afin de renforcer la compétitivité et la dynamique de création d’activité dans notre pays.

Nous avons besoin d’une logique continentale de soutien aux investissements.

Au-delà des clivages partisans, les Français attendent aujourd’hui un redémarrage de l’activité, monsieur Rachline !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Il est parti…

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Et heureusement !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Il faudra lui transmettre le message ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Dans les grands domaines d’avenir qui concernent la compétitivité, la création d’emplois, le développement d’activités au profit de nos entreprises, grandes ou petites – je songe au numérique, à l’énergie, et plus particulièrement à la transition énergétique, aux grands réseaux à l’échelle du continent –, on ne peut pas prétendre agir simplement au niveau national, en laissant chacun des Vingt-huit déployer sa propre stratégie. Les États conserveront évidemment toujours des marges de manœuvre. Mais nous avons besoin de travailler à l’échelle continentale.

M. Yves Pozzo di Borgo a affirmé que l’Europe n’y arriverait pas, déplorant que, contrairement à d’autres continents, nous ne soyons pas en mesure de prendre les décisions nécessaires. Or le plan Juncker traduit précisément la volonté des Vingt-huit de répondre ensemble à un tel défi. Il s’agit de créer les conditions de la confiance des investisseurs.

Chaque État membre a identifié des besoins et des projets dans les domaines que je viens d’évoquer. La Commission européenne faisait état de plus de 1 000 milliards d’euros d’investissements dans son rapport. Et Jean-Claude Juncker a admis dans un entretien accordé ce matin à un quotidien français que les besoins actuels légitimaient largement à ses yeux 1 000 milliards d’euros d’investissements à l’échelle européenne. Toutefois, de tels montants n’étant pas encore à l’ordre du jour, il plaide pour une utilisation intelligente des ressources actuellement à notre disposition.

Madame Keller, vous le constatez, je me trouve dans la situation un peu paradoxale – c’est le charme des débats européens – de devoir défendre Jean-Claude Juncker face à vous. (Sourires.) Cela étant, vous aussi, j’en suis certain, souhaiterez le succès de son plan. Après tout, si M. Juncker préside la Commission européenne, c’est également grâce au soutien que votre famille politique lui a apporté au niveau européen.