M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier à mon tour nos collègues du groupe CRC d’avoir consacré ce temps de débat à la situation des travailleurs saisonniers.

En tant que frontalier, j’ai choisi de cibler mon intervention sur l’emploi saisonnier agricole et sur les distorsions de concurrence existant entre la France et l’Allemagne, ce qui ne vous surprendra pas.

Depuis quinze ans, les surfaces cultivées en légumes, à l’exception des légumes secs, ont diminué de 30 % en France. Durant la même période, elles ont augmenté de 30 % en Allemagne et aux Pays-Bas. Ce mouvement est particulièrement marqué sur certains produits comme les carottes, les oignons, les asperges et les fraises.

Nous le savons tous, mes chers collègues, la principale explication de ce mouvement réside dans les coûts de production, inférieurs dans les pays voisins, notamment pour la main-d’œuvre saisonnière, mais aussi au niveau des autres intrants – les plants, les produits phytosanitaires.

Pour les productions spécialisées, particulièrement les cultures légumières, de nombreuses opérations, surtout les travaux de récolte, ne sont pas mécanisables. De fait, les charges de main-d’œuvre représentent une part importante des coûts de production, de 30 % à 70 %. Aussi le retard dans l’harmonisation sociale européenne crée-t-il de profondes disparités.

La mise en place d’un salaire minimum en Allemagne au 1er janvier 2015 est une première étape vers la convergence, mais la distorsion reste encore importante. En effet, la branche agricole en Allemagne bénéficie pour la mise en place du salaire minimum de mesures transitoires, qui lui permettent d’appliquer un montant inférieur pendant trois ans.

Durant cette période, les employeurs agricoles allemands bénéficieront également d’une exonération totale de charges pour les contrats inférieurs à soixante-dix jours. Les producteurs allemands pourront déduire le gîte et le couvert sur les bulletins de salaire en appliquant des barèmes définis par la loi.

En France, le salaire minimum s’applique à tous les salariés, quel que soit le secteur d’activité, et il est fixé à 9,61 euros par heure. Les employeurs agricoles de salariés occasionnels bénéficient d’exonérations de charges patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels et de demandeurs d’emploi. Ce dispositif permet d’abaisser les cotisations patronales à environ 7,63 %, dans la limite de 119 jours par salarié et par an.

Seuls les salaires inférieurs à 1,25 SMIC bénéficient d’un taux de cotisations patronales à 7,63 %. Entre 1,25 SMIC et 1,5 SMIC, l’exonération est dégressive et le taux de charges est donc plus élevé. À 1,5 SMIC – antérieurement, c’était trois SMIC –, l’employeur n’aura plus aucun allègement de charges. Son taux de charges est alors supérieur à 40 %.

Malgré la complexité de ce dispositif d’exonération – nul ici ne me contredira –, il est important d’en assurer le maintien, pour ne pas amplifier les distorsions que subissent les producteurs français.

Les employeurs français peuvent également déduire de leur déclaration d’imposition quelque 6 % du montant des salaires inférieurs à 2,5 SMIC versés. Mais cette déduction n’intervient qu’au moment de la déclaration fiscale, ce qui crée des décalages importants pour bénéficier de la réduction, alors que l’allégement de cotisations est immédiat.

Enfin, en plus du coût de la main-d’œuvre, les entreprises agricoles françaises souffrent d’un manque de flexibilité dû à un code du travail trop rigide, ce qui tend à les pénaliser et facilite le développement des pays voisins, dont la politique sociale est plus souple.

En Allemagne, il n’y a pas de durée maximum du travail, contrairement à ce qui existe en la France, où elle est limitée à quarante-huit heures par semaine, sauf dérogation. Les heures supplémentaires ne sont comptabilisées qu’à partir de soixante heures de travail hebdomadaires, contre trente-cinq à trente-neuf heures, selon les cas, en France. Aucune différence n’est faite entre les jours de la semaine et le dimanche, contrairement à ce qui est pratiqué dans notre pays.

Depuis le 1er janvier, les employeurs français doivent mettre en place un compte personnel de prévention de la pénibilité pour tous les salariés dont le contrat est supérieur à un mois. Je suis favorable à cette mesure, mais je m’interroge, là encore, sur la complexité du système.

En effet, non seulement ce nouveau dispositif crée deux nouvelles cotisations patronales, mais il représente une charge administrative supplémentaire pour les employeurs, qui doivent recenser, entre autres, le nombre d’heures durant lesquelles le salarié est exposé à l’un des facteurs de risque recensés.

Or il est important, et même vital, pour les entreprises françaises de ne pas ajouter de nouvelles contraintes à celles, nombreuses, qui existent déjà dans le droit du travail français.

Monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous faire en ce sens ? Quelles mesures entendez-vous mettre en œuvre avec vos collègues européens afin de mettre fin aux distorsions de concurrence intracommunautaires qui plombent le tissu agricole français ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat sur le travail saisonnier, voulu par nos collègues du groupe CRC, vient à point nommé au lendemain de la publication par l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, du nombre de contrats à durée déterminée et de contrats à durée déterminés conclus au cours du quatrième trimestre 2014.

On apprend que moins de trois millions de CDI ont été signés en 2014 dans notre pays, soit le total le plus bas jamais atteint depuis 2009. Les embauches en CDD de plus d’un mois ont quant à elles rebondi en 2014 et permettent à l’ensemble de ces contrats d’être stables d’une année sur l’autre.

Il faut bien entendu en conclure que le marché du travail continue de se précariser – ce n’est pas un scoop –, que nous avons là une nouvelle preuve, s’il en fallait une, de l’attentisme et du manque de confiance des employeurs et que la crise perdure – là non plus, ce n’est pas un scoop.

M. André Reichardt. Selon les dernières données de l’ACOSS, le rebond des CDD de plus d’un mois a été porté quasi exclusivement par les petites entreprises de moins de vingt salariés, précisément celles qui embauchent des travailleurs saisonniers.

Mme Annie David. C’est vrai !

M. André Reichardt. On peut aussi en déduire, pour notre débat de ce jour, que les travailleurs saisonniers, qui bénéficient d’un contrat de travail à durée déterminée conclu pour la durée de la saison liée à l’activité, peuvent jouer un rôle de plus en plus important dans la bataille de l’emploi. Il est donc juste, monsieur le secrétaire d’État, d’examiner les contours de ces emplois.

Ainsi, il est essentiel de constater tout d’abord que le recours au travail saisonnier permet chaque année à nombre d’entreprises, dans les secteurs qui ont été indiqués tout à l’heure, de compléter leurs effectifs pendant les périodes hautes.

Les emplois proposés sont plus particulièrement adaptés à des personnes ayant des difficultés à trouver du travail et à de jeunes travailleurs souvent étudiants pour certains ou en recherche de professionnalisation pour d’autres. Ces emplois leur offrent souvent, outre une rémunération, une expérience variée et riche dans le monde du travail, certes souvent sans formation, comme cela a été dit.

Ce type de contrat, par sa souplesse, est sans nul doute, et il faut s’en souvenir, un outil de gestion des ressources humaines adapté et régulièrement utilisé par quantité d’entreprises dans des secteurs bien déterminés.

Quant au travailleur saisonnier lui-même, faute de disposer du CDI qu’il recherche souvent, il bénéficiera avec ce contrat de l’essentiel des règles applicables à tout contrat de travail, à l’exception de la mensualisation de sa rémunération et, comparativement aux CDD classiques, de l’indemnité de précarité.

M. André Reichardt. Bien entendu, le salaire minimum interprofessionnel de croissance ou le salaire minimum de branche s’applique et, dans l’agriculture, les employeurs bénéficient de charges patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels ramenées à 7,63 %, dans la limite de 119 jours par salarié et par an et pour tout salaire inférieur à 1,25 SMIC.

Pour autant, mes chers collègues, peut-on en déduire que le travail saisonnier dans notre pays est à la hauteur des besoins, comparativement à la situation qui prévaut dans d’autres pays de l’Union européenne ? Permettez-moi, en qualité de parlementaire alsacien – le second qui s’exprime ce soir –, donc issu d’une région frontalière avec l’Allemagne, d’émettre quelques doutes.

J’en veux pour preuve, par exemple, que depuis quinze ans les surfaces cultivées en légumes dans l’agriculture ont diminué de 30 % chez nous alors qu’elles augmentaient de 30 % en Allemagne. Comment l’expliquer ? La principale explication, Claude Kern l’a dit avant moi, réside à n’en pas douter dans les coûts de production, inférieurs de beaucoup dans les pays voisins.

Ainsi, il existe en Allemagne un régime spécifique d’emplois de courte durée, liés à une activité exercée au cours de l’année sur une durée inférieure à trois mois ou à soixante-dix jours ouvrables. Les travailleurs saisonniers sont naturellement visés par cette réglementation, qui exonère totalement de charges sociales ces emplois de courte durée.

Même si, dans ce pays, un SMIC est devenu obligatoire à compter du 1er janvier de cette année – vous le savez, mes chers collègues, il est de 8,50 euros l’heure, contre 9,61 euros chez nous –, l’employeur est autorisé à prélever de ce salaire minimum les dépenses exposées pour les repas et le logement…

Mme Cécile Cukierman. Il y en a qui payent pour travailler !

M. André Reichardt. Dans l’agriculture, il est même prévu de déroger au salaire minimum et d’adapter le salaire de manière progressive jusqu’en 2017… De quoi parle-t-on donc, avec ce SMIC ?

Toutes ces différences font que nos entreprises qui recourent au travail saisonnier souffrent d’un différentiel important de compétitivité avec leurs voisins européens. Il ne faut pas le nier, et il convient donc de tout faire, monsieur le secrétaire d'État, pour réduire cet écart de compétitivité, ou, au moins, pour ne pas l’augmenter. Ainsi, le dispositif de réduction des charges patronales dans l’agriculture doit être maintenu, cela va sans dire.

Toutefois, il est surtout indispensable, je le répète, de hâter le processus d’harmonisation sociale européenne ou au moins d’aboutir à une plus grande convergence entre les pays de l’Union.

M. Michel Le Scouarnec. Tout à fait !

M. André Reichardt. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette même tribune : je dénonce le dumping social causé notamment par la réglementation sur les travailleurs détachés.

Une première avancée à cet égard peut être relevée dans l’adoption par le Parlement européen, le 5 février 2014, d’une directive de l’Union relative à l’emploi de travailleurs saisonniers venant de pays tiers. Celle-ci fixe les conditions d’entrée du travailleur, impose une durée maximale de séjour et contient des garanties en matière de salaire, de conditions de travail et même de logement décent.

Ce texte devra absolument être transposé en droit interne par les pays membres le plus rapidement possible, même si nous disposons d’un délai de deux ans et demi.

En conclusion, et à l’issue de ce débat dont je voudrais de nouveau remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative, je voudrais redire, monsieur le secrétaire d'État, tout l’intérêt qu’il y a – faute de grives, on mange des merles – à développer le nombre de contrats saisonniers dans notre pays, de contrats à durée déterminée, puisque nous n’avons plus assez de contrats à durée indéterminée.

Sans constituer naturellement la panacée, ce contrat saisonnier s’inscrit fortement dans le cadre de la lutte contre le chômage. Pour cela, il est indispensable que le gouvernement propose des mesures nationales adéquates. Néanmoins, il doit aussi prendre toute sa place dans le débat européen, afin que soit, enfin, mise en place cette harmonisation sociale qui, je l’espère, redonnera à notre pays la compétitivité qu’il a perdue. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France doit, d’ici au 17 août 2016, transposer la directive de l’Union européenne sur le travail saisonnier des non-ressortissants européens.

Notre débat d’aujourd’hui nous permet de faire l’analyse du fonctionnement du marché du travail saisonnier dans notre pays, quelles que soient les origines des travailleurs concernés et des secteurs économiques employeurs. Mon département, le Gers, qui est agricole et touristique, est particulièrement concerné par le travail saisonnier.

Ce débat est bienvenu, et je salue ses initiateurs, nos collègues du groupe CRC. Il sera utile si nous posons ensemble des orientations d’amélioration pouvant être intégrées dans la législation de notre droit du travail, sans nuire aucunement aux secteurs économiques concernés, et même avec pour conséquence de renforcer leur compétitivité.

Bien que l’emploi saisonnier concerne en France quelque deux millions de personnes travaillant principalement dans l’agriculture et le tourisme, il n’existe pas de définition législative du contrat saisonnier.

Le droit du travail saisonnier résulte de sources différentes – circulaires, accords collectifs et jurisprudence. Si les contrats qui en résultent trouvent leur fondement dans ces différentes sources, la réalité des conditions d’emplois des travailleurs saisonniers s’en écarte souvent sur des points fondamentaux, comme la durée du travail, les horaires décalés – notamment excessifs –, les conditions de travail, d’hygiène et de sécurité.

Aux infractions constatées en matière de minoration des heures de travail déclarées s’ajoutent des conditions de transport et de logement qui sont parfois sanctionnées au civil, voire au pénal. L’opprobre n’est pas à jeter sur tous les employeurs, mais les infractions sont nombreuses, trop fréquentes.

Le statut actuel des saisonniers a aussi intrinsèquement des incidences dans le domaine de la retraite. Vingt, parfois trente ans de cotisations aboutissent souvent au minimum vieillesse. Des accords collectifs, sectoriels ou géographiques, permettent parfois de prévenir ces risques de précarisation. Certains d’entre eux prévoient des conditions de réembauche, tiennent compte de l’ancienneté sur plusieurs saisons, facilitent l’accès au logement, à la formation, envisagent la construction de foyers-logements permettant de loger correctement tout en limitant les durées et les coûts de transport.

Ces accords ont le mérite d’exister, mais ils ne concernent pas l’ensemble des travailleurs saisonniers. Prenant appui sur les bonnes pratiques qu’ils instaurent et après analyse fine de leurs effets réels, notre législation du travail pourrait être utilement adaptée pour couvrir l’ensemble des travailleurs concernés.

Pour ce qui est des travailleurs venant de pays tiers, la situation est encore plus difficile, puisqu’elle se caractérise très souvent par du dumping salarial et des règles de droit bafouées. Henri Cabanel vient d’en parler, chiffres éloquents à l’appui. Pour les travailleurs clandestins, c’est encore pis, puisqu’ils peuvent être réduits en esclavage par les trafiquants de main-d’œuvre.

Pour prévenir des situations indignes, la France s’est dotée en juin 2006 d’une loi créant une carte de séjour temporaire attribuée sous conditions aux étrangers titulaires d’un contrat de travail saisonnier. Dans ce cadre, obligation leur est faite de quitter la France après les périodes de travail autorisé.

Dans le même esprit et au terme d’un long processus de négociation entre états membres et Commission, l’Union européenne s’est dotée, le 17 février 2014, d’une directive relative à l’emploi saisonnier des travailleurs non ressortissants de l’Union européenne. Et si nous considérons que cette directive, fondée sur une approche positive de l’immigration régulière, constitue un progrès, nous appelons aussi l’Union européenne à analyser et à prendre en compte dans ses politiques les raisons qui poussent les travailleurs hors Union européenne à quitter leur pays.

L’un des enjeux de cette directive était de préserver les conditions de travail au niveau européen. Elle fait obligation à l’employeur de fournir des pièces – contrat, offre d’emploi ferme détaillée précise, demande et souscription d’assurance maladie, logement adéquat fourni – et aux États d’informer les travailleurs sur les informations devant leur être fournies. Elle nous amènera aussi à préciser la durée maximale de séjour, actuellement de six mois, tout en rappelant la nécessité de tenir compte de la situation de l’emploi local.

Le principe d’accès au droit du pays d’accueil sera rappelé. L’exigence de coût de loyer proportionné au revenu sera intégrée, et le loyer ne sera pas ou ne devra pas être déduit du salaire. Les états membres devront mettre en œuvre des mécanismes de contrôle fondés sur une analyse des risques propres à chaque secteur économique concerné.

La question des sous-traitants et de leurs organisations parfois complexes et opaques devra appeler notre vigilance à l’occasion de cette transposition.

Parce qu’elle doit permettre de conjuguer progrès social, en diminuant la précarité, et réponse aux besoins du marché du travail saisonnier, la transcription de cette directive doit être saisie comme le moyen d’améliorer et de compléter les dispositions de la loi du 27 juillet 2006.

Pour aller dans ce sens, je propose que nous tenions aussi compte des recommandations du Médiateur de la République, qui, en 2011, appelait à une définition légale du contrat de travail saisonnier précisant les circonstances autorisant le recours à ce type de contrat, qui sont fixées par la jurisprudence. Il en appelait aussi à la mise en place dans la loi de principes de reconduction des contrats et de versement de l’indemnité de fin de contrat prévue dans le droit commun pour les contrats à durée déterminée, lorsqu’il n’y a pas reconduction, prévue ou effective.

Plus personnellement, je souhaite que pour des secteurs comme celui du tourisme, par exemple, à échelle territoriale adaptée, notamment pour les territoires ruraux dont l’activité à un caractère saisonnier très marqué, nous facilitions la mise en place de groupements d’employeurs saisonniers.

Vous nous direz, monsieur le secrétaire d'État, si des dispositifs novateurs vous paraissent opportuns pour soutenir les saisonniers, et ce quels que soient les secteurs concernés. La transposition de la directive elle-même nous permettra d’intégrer utilement ces remarques dans notre législation.

Tel est le travail qui nous attend. Il en résultera, j’en suis sûr, un progrès dans l’égalité des droits des travailleurs contribuant de manière saisonnière à la prospérité de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je n’oublierai pas de remercier à mon tour nos collègues du groupe CRC, qui sont à l’origine de ce débat concernant des milliers de salariés.

La question des travailleurs saisonniers compte parmi les préoccupations récurrentes d’une partie des salariés du département de l’Isère où je suis élu. Le travail saisonnier en région Rhône-Alpes emploie environ 35 000 personnes dans le secteur du tourisme, et le département de l’Isère recrute ce type de personnel pendant les deux saisons, l’été, bien sûr, et l’hiver.

Les travailleurs concernés par ces contrats sont jeunes – trente-cinq ans en moyenne – et adoptent, pour la plupart, cette forme d’emploi pendant plusieurs années consécutives. Ce choix est malheureusement souvent dicté par la nécessité : près de 83 % des saisonniers souhaiteraient voir leur situation professionnelle changer dans les années à venir.

À cette situation professionnelle, s’ajoutent des conditions de vie difficiles. Je veux bien sûr parler du logement. À cet égard, nombre de nos collègues ont déjà évoqué ces situations inacceptables, mais que l’on rencontre encore beaucoup trop souvent : des travailleurs saisonniers logés dans des appartements à la limite de l’insalubrité, certains mêmes dormants dans leur véhicule, soit à cause d’une absence de logement décent, soit en raison du coût trop élevé des logements qui leur sont proposés. Ces situations, nous en sommes tous conscients, ne peuvent perdurer.

Concernant leur situation professionnelle, ces travailleurs, qui alternent souvent emplois à durée déterminée saisonniers pendant la période touristique et CDD classiques le reste de l’année, se trouvent dans une situation d’instabilité professionnelle qui ne leur permet pas de se projeter dans l’avenir. Vous connaissez les difficultés rencontrées par un jeune souhaitant par exemple contacter un emprunt pour acheter un bien immobilier alors qu’il n’est pas employé en CDI.

Ce manque de stabilité représente également un frein pour les employeurs saisonniers, qui ont le plus grand mal à fidéliser leur main-d’œuvre. Ils pointent d’ailleurs régulièrement le manque de qualification du personnel recruté et l’incapacité à leur assurer une formation rentable sur le long terme par l’entreprise. Je pense par exemple à un exploitant de remontées mécaniques, qui souhaiterait pouvoir fidéliser son personnel saisonnier, une fois que celui-ci s’est familiarisé avec le fonctionnement et l’entretien de ses infrastructures bien particulières.

Ainsi, au-delà du caractère nécessairement limité du contrat saisonnier, qui ne couvre par définition que quelques mois dans l’année, des efforts doivent être accomplis pour améliorer son attractivité, en direction tant des personnels que des employeurs ; des efforts qui doivent permettre à nos petites entreprises, à nos artisans et agriculteurs installés dans nos territoires de montagne d'assurer la pérennité de leur activité, mais aussi à tous leurs salariés, notamment aux plus jeunes d'entre eux, de vivre et travailler dans nos massifs.

Voilà quelques années, le dispositif du CDI intermittent a été mis en place pour répondre à cet impératif. Ce contrat était destiné à pourvoir des postes spécifiques dans le cadre d’une activité à forte saisonnalité, par l’alternance de périodes travaillées et non travaillées. Il s’agissait de présenter une solution de rechange à la succession de contrats précaires et de fidéliser les personnels en leur apportant une stabilité d’emploi.

Il faut aujourd’hui constater, monsieur le secrétaire d'État, que ce CDI intermittent n’a trouvé que peu d’applications dans le secteur du tourisme, notamment parce que la possibilité de conclure ces contrats suppose l’existence d’un accord collectif. Or les entreprises du secteur n’atteignent généralement pas la taille minimale pour négocier ces accords. Je pense notamment aux artisans, agriculteurs et petites entreprises de moins de dix salariés, qui sont peu représentés dans les instances professionnelles.

La loi relative à la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a ouvert à titre expérimental le droit pour l’employeur de conclure, sans accord collectif, des CDI intermittents dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dans trois secteurs du travail saisonnier. Un rapport d’évaluation de cette expérimentation devait être élaboré par le Gouvernement avant le 31 décembre 2014. Il n’est, à ma connaissance, pas encore disponible.

Aujourd’hui, de nombreux personnels et employeurs saisonniers rencontrent toujours les mêmes difficultés, les uns à envisager leur avenir, les autres à trouver du personnel compétent et fiable. Je me réjouis, encore une fois, de la tenue d’un débat sur ce sujet et je souhaite qu’il puisse déboucher sur des propositions concrètes et lisibles susceptibles d’améliorer les conditions de vie et de travail de ces salariés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. François Commeinhes.

M. François Commeinhes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’initiative du groupe CRC, tant cette question de la situation des travailleurs saisonniers dans notre pays est capitale, a fortiori dans les zones littorales et le département de l’Hérault, que j’ai l’honneur de représenter dans cet hémicycle, avec mon collègue Henri Cabanel.

L’emploi saisonnier est une caractéristique du secteur agricole. Si cette forme d’emploi constitue parfois une manière d’instabilité pour ceux qui en vivent, elle n’en demeure pas moins une dimension indissociable de cette activité, une réponse à la saisonnalité des conditions de production, expression des métiers du vivant.

La part de l’emploi saisonnier a augmenté pour permettre à de nombreuses exploitations de répondre aux défis majeurs de la société d’aujourd’hui. En cela, l’emploi saisonnier prend tout son sens en lien avec l’exigence d’adaptation de l’agriculture aux enjeux de la société.

C’est pourquoi je tâcherai d’exprimer ici les difficultés rencontrées sur la question du logement des travailleurs saisonniers, plus précisément des employés agricoles. Certes, le maire d’une commune touristique que je suis sait à quel point la question de l’habitat des actifs saisonniers est pour l’hôtellerie, la restauration et l’ensemble des professions affectées par l’activité touristique un enjeu majeur. Il s’agit toutefois d’une question globale, et traiter l’accueil des travailleurs saisonniers agricoles ne peut qu’avoir un effet vertueux et une action de levier sur l’ensemble du secteur.

Les exploitants agricoles sont, dans leur grande majorité, conscients de l’importance de la qualité des logements proposés aux saisonniers qu’ils recrutent. En effet, il suffit de dialoguer avec eux pour connaître la difficulté d’employer des travailleurs locaux, cette main-d’œuvre faisant souvent défaut.

Si les discours contre la réglementation peuvent apparaître souvent revendicatifs, ils ne sont pas pour autant négatifs, chacun ayant conscience de l’intérêt pour tous de proposer des hébergements confortables.

Aujourd’hui, c’est un fait, les normes standardisées imposées aux agriculteurs peuvent représenter un véritable frein à l’activité agricole. Certes, il est difficile de créer une cohérence entre des impératifs sociaux, relevant des droits de la personne dans le cas des saisonniers, et les nécessités économiques d’un secteur d’activité, l’agriculture, auquel la société demande des prestations de plus en plus diverses – son but n’est plus simplement de nourrir la population, mais aussi, entre autres objectifs, d’entretenir le paysage.

Il est alors temps de prendre conscience que l’emploi saisonnier et, directement, les normes fixées pour le logement saisonnier jouent un rôle dans la capacité des exploitations à se maintenir et à assurer leurs diverses fonctions pour la société.

Nous avons ici débattu, lors du projet de loi de finances, du maintien de la spécificité du contrat « vendanges ». Dans toutes les régions viticoles, particulièrement en Languedoc, l’équation est simple : pas de vendanges ni de cueillettes sans le renfort de 800 000 salariés ! À cela, les agriculteurs peuvent ajouter que, sans vendanges ni cueillettes, point d’agriculture performante au niveau local et européen, ni d'ailleurs de champagne en Champagne !

Sur la question du logement des travailleurs saisonniers, l’agriculture en zone littorale est soumise à de très fortes pressions – urbanisme, périmètres de protection réglementaire comme les zones naturelles d’intérêt écologique et faunistique, les ZNIEFF, ou les plans de prévention du risque inondation, les PPRI. Parmi ces pressions, la loi Littoral contraint, nous le savons, la constructibilité en zone agricole, qu’il s’agisse de bâtiments de stockage ou, dans le cas précis qui nous occupe, de logements pour les travailleurs saisonniers.

La loi Littoral distingue plusieurs types de zones : la « bande des cent mètres », les « espaces proches du rivage », les « espaces remarquables », ainsi que les coupures d’urbanisation. Deux dérogations sont prévues : tout d’abord, les « hameaux nouveaux intégrés à l’environnement » ; ensuite, une construction isolée est possible si l’activité agricole est jugée incompatible avec le voisinage.

Ces contraintes réglementaires freinent grandement les agriculteurs dans les adaptations nécessaires de leur outil de travail et remettent aujourd’hui de facto en question l’économie agricole dans ces zones littorales. La difficulté essentielle réside donc dans l’impossibilité de répondre aux besoins des exploitations pour loger leur main-d’œuvre face à une réglementation clairement inadaptée à la réalité de ces territoires.

La création ou l’extension de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement, autorisée par la loi Littoral, ne peut constituer une réponse pleinement adaptée à la demande des agriculteurs. En effet, l’extension de ces hameaux est limitée, la création « en dur » ne correspond pas aux besoins temporaires de logements et la construction de ces hameaux nécessite un portage financier que ni les collectivités ni les professionnels ne sont aptes à supporter.

Permettez-moi, mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, de profiter de ce débat pour appeler à une nécessaire évolution de la loi Littoral, afin de répondre aux besoins de logements saisonniers des agriculteurs.

Parmi les évolutions, il serait souhaitable – nombre d’acteurs du secteur et d’élus héraultais ont travaillé sérieusement sur cette question – d’autoriser la création de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement à vocation agricole.

Il s’agirait d’autoriser la construction de ces logements sur un zonage A dédié, de réfléchir à la nécessité de mettre en place un habitat léger, de répondre à un projet collectif et d’assurer une implication forte des collectivités, garantes des équilibres locaux, par la prise d’arrêtés municipaux régissant la période d’ouverture de ces logements saisonniers, la mise en sécurité des sites et l’adoption d’une charte entre la collectivité, la chambre d’agriculture et les agriculteurs usagers.

Pour la profession, il est nécessaire de permettre aux structures agricoles de continuer à exister et de garantir leur mission d’entretien des paysages, de maintien d’une activité primaire et d’accomplissement d’un dynamisme au service de l’économie locale et de l’emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)