Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en prenant la parole sur cette proposition de résolution relative à un moratoire sur les néonicotinoïdes, je tiens à rappeler que le problème des pesticides en général est une préoccupation constante de notre assemblée. Comment ne pas évoquer le rapport de la mission commune d’information sur les pesticides, présidée par Sophie Primat et dont la rapporteur, Nicole Bonnefoy, a accompli un travail important ? Bien sûr, ce rapport aborde les problèmes d’une manière plus globale, mais je crois qu’il mérite d’être mentionné dans ce débat. Je vous rappelle aussi que j’ai présenté un rapport sur le rôle des perturbateurs endocriniens ; en l’espèce, l’implication des pesticides est indéniable.

Les auteurs de la proposition de résolution demandent au Gouvernement d’intervenir au plan européen au sujet d’une classe bien particulière de pesticides : les néonicotinoïdes, arrivés sur le marché après les organochlorés comme le DDT, les organophosphorés et les carbamates, et qui présentent la particularité d’agir en tant que synergiques et non plus en tant que substances toxiques.

Je vous signale que le « paquet pesticides » entré en vigueur le 14 juin 2011 comprend ces substances, et qu’elles doivent être évaluées au même titre que les phytoprotecteurs selon une procédure identique aux substances actives. Je reconnais néanmoins que les procédures d’évaluation à l’échelon européen sont peu rapides ; en particulier, la procédure REACH avance bien lentement.

Utilisés pour traiter les semences, les néonicotinoïdes présentent la particularité de réduire les applications foliaires et les contacts pour les utilisateurs. Toutefois, au printemps 2012, certaines études ont démontré que ces substances n’étaient pas sans conséquence sur la mortalité des abeilles. C’est ainsi que l’Autorité européenne de sécurité sanitaire des aliments, saisie du sujet, a rendu un avis faisant le constat positif de ce risque.

Tirant les conséquences de ces nouvelles données, la Commission européenne a décidé de limiter l’utilisation professionnelle de ces substances actives et d’interdire la mise sur le marché de certaines semences traitées, ainsi que les utilisations non professionnelles. Ces restrictions concernent trois substances et portent sur trois types d’usages : le traitement des semences, le traitement au sol et le traitement foliaire ; elles concernent déjà plus de soixante-quinze cultures différentes, parmi lesquelles les cultures fruitières, qui sont jugées attractives pour les abeilles.

Je voudrais rappeler que ces produits sont soumis à une autorisation de mise sur le marché, ou AMM, qui reste, à ma connaissance, de la compétence des États. En France, plusieurs produits ont déjà été interdits : le Gaucho en 1999 pour ce qui concerne les semences de tournesol et de maïs, le Régent TS en 2004 et le Cruiser plus récemment, en 2012. Bien sûr, ces interdictions sont loin d’être en vigueur dans de nombreux pays de l'Union européenne.

Le texte aujourd’hui soumis à notre examen s’inscrit entièrement dans cette démarche, et invite le Gouvernement à soutenir auprès de l’Union européenne l’instauration d’un moratoire sur l’ensemble des néonicotinoïdes en application du principe de précaution consacré à l’article 5 de la Charte de l’environnement qui ne cesse d’être invoqué.

Il vise ainsi à demander l’interdiction par le règlement européen de toutes les utilisations des néonicotinoïdes – céréales d’hiver et semences utilisées sous serre. La prohibition totale d’une catégorie d’insecticide n’est pas sans soulever certaines interrogations, non seulement sur l’existence de solutions alternatives, mais aussi – et surtout – sur les conséquences économiques d’une telle mesure.

Comment peut-on prendre en étant pleinement responsable une telle disposition sans en avoir au préalable anticipé l’incidence ?

La mise en œuvre du principe de précaution reste subordonnée à la réalisation, même incertaine, d’un dommage qui affecte de manière grave et irréversible l’environnement – en l’espèce la mortalité des abeilles – et enjoint ainsi aux autorités publiques de mettre en œuvre des procédures d’évaluation des risques et d’adopter des mesures provisoires et proportionnées afin d’éviter la réalisation du dommage. Aussi, les mesures adoptées doivent être proportionnées.

Alors que les études laissent subsister des incertitudes, une interdiction générale paraît donc disproportionnée par rapport aux risques qui ont pu être correctement évalués. Force est de constater que cette évaluation demeure encore insuffisante pour justifier l’interdiction des diverses utilisations de tous les néonicotinoïdes. À cet égard, l’ANSES avait constaté que certaines études avaient été réalisées en ayant recours à des méthodologies d’expertises controversées : les conditions s'éloignaient de la réalité du terrain, en particulier certaines doses administrées aux abeilles étaient supérieures à celles qui sont communément observées.

Par ailleurs, ainsi que le rappellent l’ANSES et l’Autorité européenne de sécurité des aliments, la mortalité des abeilles s’explique, comme cela a été dit, par une multiplicité de facteurs intervenant de manière combinée : les effets de l’agriculture intensive, la température, certains virus ou agents pathogènes, des espèces parasites comme le frelon asiatique ou le varroa, les plantes génétiquement modifiées. À propos de l’utilisation des pesticides, monsieur le ministre, vous annoncez un plan Écophyto 2, et vous n’allez pas manquer de nous en dire davantage dans quelques instants…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Ah !

M. Gilbert Barbier. Ce problème n’échappe pas à l’Union européenne, et un programme Epilobee a été lancé pour étudier l’ensemble des causes de mortalité des abeilles. Aussi, nous pensons qu’une réévaluation des niveaux maximaux d’exposition pourrait être privilégiée à une interdiction totale.

Quoi qu’il en soit, la présente proposition de résolution aura au moins le mérite d’avoir permis une nouvelle discussion, même si les membres du RSDE ne la soutiendront pas. (MM. Henri de Raincourt et René-Paul Savary applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question que soulève la proposition de résolution déposée notamment par le groupe écologiste nous invite à une vraie réflexion sur l’utilisation des pesticides et sur l’équilibre à trouver entre une utilisation raisonnée qui ne pénalise pas l’agriculture et les effets indésirables pour les insectes pollinisateurs ou, indirectement, pour la santé humaine.

Cette question a animé très régulièrement les débats et les travaux de la mission commune d’information sur les pesticides présidée par Sophie Primas, mission dont la rapporteur était Nicole Bonnefoy et à laquelle j’ai participé.

Je pense que le rapport qui en est issu devrait être pour le Sénat la base essentielle de ses travaux sur toutes les questions relatives aux pesticides, tant notre tâche a été menée avec le plus d’ouverture et de précision possible.

Pour ce qui concerne plus spécifiquement la proposition de résolution que nous examinons, je partage les inquiétudes de ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui l’ont présentée, notamment quant à la survie des abeilles, dont le rôle n’est plus à démontrer ; néanmoins, je trouve votre démarche prématurée et déséquilibrée.

Les abeilles sont des acteurs de la biodiversité. Leur présence est indispensable non seulement à la production nationale de miel et d’autres produits de l’apiculture, mais aussi à la pollinisation, et donc à l’agriculture. Elles constituent un insecte référent, qui nous indique le niveau de santé de la biodiversité.

Comme cela a déjà été rappelé, voilà sept ans, l’apport des insectes pollinisateurs – dont l’abeille – aux principales cultures mondiales était évalué à 153 milliards d’euros, soit 9,5 % de la production alimentaire mondiale. L’abeille est donc un insecte nécessaire au bon état sanitaire de la flore. Par ailleurs, l’apiculture représente une activité significative. En France, on compte 800 000 ruches – réparties dans 12 000 exploitations sises en métropole –, qui produisent environ 14 000 tonnes de miel, quantité au demeurant inférieure à la consommation nationale.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui soulève une vraie question, car la mortalité importante des abeilles sur une grande partie du globe est un phénomène récent, et qui s’accentue. Les causes en sont diverses ; l’une d’entre elles est l’usage des pesticides.

Le premier constat de la mission commune d’information a d’ailleurs été que les dangers et les risques des pesticides pour la santé, humaine et animale, sont sous-évalués. Les conséquences en sont un manque de protection contre les pesticides et la nécessité de trouver une limitation à leur utilisation.

Face à cette situation, la France a lancé, voilà déjà deux ans, un plan de développement durable de l’apiculture. L’un de ses objectifs est de réduire l’exposition des ruches aux produits chimiques, en particulier phytosanitaires. En outre, il est manifeste que le ministère a renforcé la surveillance des troubles des colonies d’abeilles. Il faut en cela saluer votre action, monsieur le ministre ; nous la soutenons entièrement.

Dans le Lot-et-Garonne, les multiplicateurs de semences ont conclu un accord spécifique avec les apiculteurs, afin de permettre une cohabitation respectueuse des contraintes de chacun. C’est une démarche positive qu’il faut encourager.

Les études scientifiques démontrent aujourd’hui clairement le rôle de certains insecticides dans la mort des insectes pollinisateurs. C’est pourquoi trois insecticides de la famille des néonicotinoïdes ont déjà été interdits au plan européen. La présente proposition de résolution tend à une interdiction totale de toute cette famille de produits.

Avant d’en arriver là, nous estimons qu’il faut encore évaluer la véritable incidence de ceux-ci sur les insectes et sur la santé humaine. Nous devons, avant de proposer un moratoire, être parfaitement clairs quant aux conséquences sanitaires, et il n’est pas encore établi qu’une interdiction générale aurait un effet déterminant sur les troubles des colonies.

Outre les produits déjà interdits, l’utilisation par les agriculteurs de ceux qui sont autorisés est très fortement encadrée, que ce soit en termes de techniques, d’horaires d’épandage, de périodes d’utilisation, ou encore de types de cultures traitées.

Les agriculteurs connaissent déjà de fortes contraintes, et l’utilisation de ces insecticides constitue pour eux une nécessité. N’introduisons pas de nouvelles normes, au risque de faire peser sur ces professionnels une nouvelle contrainte qui serait fatale à l’équilibre économique de leur activité.

Les aléas sur les récoltes sont nombreux, et je crains qu’une telle démarche ne place nos agriculteurs dans des situations irréversibles, alors même que de nouvelles espèces nuisibles se développent avec le changement climatique et l’intensification des échanges internationaux.

Par ailleurs, les produits de substitution n’existent pas toujours. Il faut laisser un peu de temps aux laboratoires pour développer de nouvelles solutions, et donner à l’ANSES plus de moyens pour valider leur utilisation. L’Agence, aujourd’hui en surrégime, n’a pas la capacité de répondre à toutes les demandes qui lui sont soumises. Les délais de mise sur le marché de nouveaux produits sont de plus en plus longs.

À l’occasion de ce débat, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quelle est la situation de l’ANSES en termes financiers et du point de vue des délais d’examen des dossiers d’autorisation de mise sur le marché ? Je crois qu’un effort particulier s'impose pour débloquer la situation.

Enfin, je ne voudrais pas qu’une disparition de ces produits sur le marché se traduise par l’utilisation d’autres insecticides plus dangereux pour les abeilles, car moins adaptés aux cultures et aux insectes pollinisateurs.

J’estime donc que cette proposition de résolution est prématurée, eu égard à l’état d’avancement scientifique de l’évaluation de l’incidence sanitaire et au développement de nouveaux produits de substitution.

Enfin, je me demande si la mesure qu’elle tend à instaurer ne trouverait pas un meilleur écho dans le projet de loi relatif à la biodiversité qui a arrêté son parcours législatif à l’Assemblée nationale. À cet égard, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser le calendrier d’examen de ce texte ?

Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, je m’abstiendrai, à titre personnel, sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur quelques travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.

Mme Sophie Primas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cher Joël Labbé, vous avec j’ai cheminé à l’occasion de la mission commune d’information précitée, en effet, de nombreuses études établissent un lien entre la mortalité des abeilles et l’utilisation des néonicotinoïdes. Certaines sont naturellement contestées, et c’est la raison pour laquelle les législateurs que nous sommes doivent s’appuyer essentiellement sur les travaux effectués par les agences pour asseoir leur opinion : la science, rien que la science !

Or c’est bien sur la base de plusieurs avis de l’Agence européenne de sécurité des aliments que la Commission européenne, considérant les études de dangerosité probantes, a restreint fortement l’utilisation de trois substances. Aujourd’hui, la question est donc de savoir s’il faut aller plus loin.

Sans chercher le moins du monde à éluder le risque que font peser un certain nombre de substances chimiques sur les colonies d’abeilles, il est important de sortir du dogme et de rappeler, tout d’abord, que la mortalité des pollinisateurs est un phénomène d’origine multifactorielle.

À ce titre, une étude publiée en 2009 par l’AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, a recensé les principaux agents biologiques pathogènes de l’abeille. Il était alors dénombré dix-huit maladies dues à des prédateurs, parasites, champignons ou bactéries et douze virus pouvant occasionner la mort de ces insectes, dont bien entendu la varroose et le frelon asiatique, qui déciment des milliers de ruches.

Outre les agents biologiques et chimiques, les causes de mortalité des colonies d’abeilles peuvent être liées à l’environnement – alimentation, facteurs climatiques, champs électriques – ou aux pratiques apicoles elles-mêmes.

Par conséquent, c’est bien la coexistence de facteurs qui est à l’origine de la mortalité des abeilles. Et il est bien difficile, à cette date, de parvenir à une certitude scientifique sur la prédominance d’un facteur sur l’autre.

Une évaluation globale s’intéressant aux interactions entre ces facteurs est donc nécessaire. À cet égard, je tiens à saluer les travaux menés par l’ANSES sur ce sujet. Je mentionnerai, en premier lieu, le programme de surveillance Epilobee, qui établit une surveillance active de la mortalité des colonies d’abeilles dans dix-sept États membres – même si j’émets le souhait, monsieur le ministre, que la détection de produits phytosanitaires soit rapidement intégrée à ce programme.

En second lieu, je relèverai la mise en place par l’ANSES, depuis 2012, d’un groupe d’experts destiné à mieux comprendre les effets des co-expositions aux produits phytosanitaires et aux agents pathogènes sur le devenir des colonies. L’objet de cette étude, dont les résultats sont imminents – ils sont attendus au cours du deuxième semestre de cette année –, est d’émettre des propositions et des recommandations.

Ainsi, je déplore le positionnement des auteurs de cette proposition de résolution qui ont tendance à réduire à un seul facteur l’affaiblissement des colonies d’abeilles. Sur un sujet aussi important, qui mérite l’adhésion de tous, il s'impose de sortir du dogme politique. À cette fin, nous devrions patienter quelques mois pour obtenir les résultats de l’ANSES et nous appuyer sur ses recommandations. Je le répète : la science, rien que la science !

Pour conclure, je regrette également le sens unilatéral de la démarche, qui, me semble-t-il, n’a pas suffisamment associé les agriculteurs et les industriels, ces derniers considérant évidemment cette proposition de résolution comme une sanction à l’innovation et à la recherche.

En effet, nous ne pouvons pas occulter le fait que les substances néonicotinoïdes représentent un intérêt économique certain pour le secteur agricole. Elles ont démontré leur efficacité, notamment dans la lutte contre les ravageurs aériens et ceux du sol. Les interdire sans disposer de solution alternative efficace assurant l’équivalence des rendements me semble contreproductif du point de vue de l’acceptabilité de cette mesure par le monde agricole.

De plus, l’instauration, en l’état, d’un moratoire européen sur les produits néonicotinoïdes ne manquerait pas de provoquer le retour à une utilisation massive d’insecticides foliaires appliqués par pulvérisation, ce qui serait contraire aux objectifs du plan Écophyto.

Ainsi, il me semble prématuré d’engager un tel moratoire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’abstiendrai sur ce texte.

Cette abstention doit constituer un signal pour les industriels. Face à la multiplication des études analysant les risques des substances néonicotinoïdes, elle invite à poursuivre et intensifier les recherches sur les techniques agronomiques, les solutions de bio-contrôle ou les produits de substitution.

Elle doit constituer aussi un signal politique : les démarches entreprises sur ces sujets doivent impérativement associer étroitement les mondes scientifique, économique et associatif, afin que, réalistes, elles puissent être acceptées et, surtout, afin qu’elles soient, enfin, pérennes et efficaces. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.

M. René-Paul Savary. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier Joël Labbé de nous alerter sur un problème particulièrement délicat. Toutefois, je ne suis pas sûr que ses arguments aient été aussi convaincants qu’il le souhaitait.

En tant que scientifique, je me garderai bien de céder à la tentation de la caricature - des preuves scientifiques permettant d’étayer des points de vue en la matière très divergents -, et m’attacherai plutôt à présenter une position non pas partisane, mais constructive.

Votre proposition de résolution, mon cher collègue, fait allusion à une initiative du Parlement néerlandais, mais vous omettez de rappeler que, finalement, ses propositions ont été écartées, aucune preuve scientifique n’ayant été apportée. Il n’existait aucune base légale justifiant la révision, la restriction ou le retrait des autorisations existantes.

Ne tombons pas dans la caricature d’une écologie des interdits. Ce n’est pas ainsi que l’on fera avancer la réflexion. Pourtant, cette proposition de résolution vise à interdire les substances néonicotinoïdes, sans prendre en compte le fait que la recherche, en l’état actuel, ne permet pas encore de proposer de solutions alternatives.

Ne tombons pas non plus dans le panneau de l’écologie de la décroissance ! Certes, il convient de prendre en compte la dimension environnementale, mais il est également nécessaire de considérer un certain nombre de réalités, notamment en ce qui concerne les semences. Il s’agit tout de même d’une activité économique de plusieurs milliards d’euros, grâce à laquelle notre balance commerciale est positive. Il serait dommage que, du fait de telles propositions de résolution, adoptées trop rapidement, on aboutisse à un interdit remettant en cause toute une économie, sans que nous dispositions des garanties suffisantes justifiant une telle décision.

J’attire l’attention de mes collègues sur ce point, en réitérant ma volonté de considérer la question posée de manière non pas négative mais bien positive.

Mes chers collègues, il faut passer véritablement à l’écologie du XXIsiècle, une écologie moderne et non pas archaïque, qui prenne en compte l’ensemble des dimensions humaine, économique, environnementale et sociale. Or la proposition de résolution que vous défendez ne va pas dans ce sens.

M. Jean Desessard. Mais c’est bien cela, monsieur Savary ! Nous sommes modernes !

M. René-Paul Savary. Il faut faire confiance à l’innovation, sans oublier, bien sûr, le principe de précaution, mais, à l’inverse, ne menons pas une politique de précaution qui nous fermerait à l’innovation. Sachons plaçons le curseur au bon endroit !

Il nous appartiendra, dans les années qui viennent, d’adopter des mesures législatives précisant les garanties que rendent nécessaires les innovations.

Les agences sanitaires doivent être, c’est vrai, complémentaires et organisées de manière rationnelle, afin que leurs préconisations soient suivies d’effets. Ainsi le rapprochement des différentes agences – ANSES, déjà issue d’un regroupement, InVS, INPES et EPRUS – me paraît-il tout à fait intéressant.

Il faut travailler sur la toxico-pharmacovigilance et faire en sorte que les mêmes personnes assument les responsabilités, notamment au travers des autorisations de mise sur le marché, les AMM. Nous avons là aussi des efforts à faire.

Parlant d’innovation, je veux dire que, bien entendu, il faut miser sur la recherche de produits de substitution, d’autant plus dans la perspective d’une interdiction des néonicotinoïdes. On le sait, ces substances sont neurotoxiques, mais il existe une marge de sécurité importante en termes de précautions à prendre pour la santé humaine et la santé animale. Il nous appartiendra, lorsque l’on aura trouvé des produits de substitution dont on aura étudié l’impact, de prendre des mesures analogues à celles que vous proposez. Il sera encore temps, cher Joël Labbé !

Il faut, de même, miser sur l’innovation en matière de pratiques culturales. On le voit bien, des progrès ont été accomplis ; je pense au problème du dépoussiérage des semences.

Il existe aujourd'hui des pratiques culturales modernes. Le département de la Marne a un projet agro-environnemental tout à fait intéressant – M. le ministre connaît le dossier (M. le ministre le confirme.) – avec la création d’une ferme expérimentale, dite « ferme 112 », sur l’emplacement de l’ancienne base aérienne 112. Il s’agit d’améliorer les pratiques culturales et de mieux maîtriser ces produits. C’est de l’innovation au service de la production.

Chers collègues, ne rejetons pas l’innovation pour la transformation de nos matières agricoles. Ce n’est pas parce que l’on travaille sur les agroressources et la bio-économie – tout à fait essentiels pour l’avenir – qu’il faut argumenter sans cesse en faveur d’une production essentiellement réservée à l’alimentation. Il y a, là aussi, une complémentarité intelligente à trouver.

Pour ma part, je voterai contre cette proposition de résolution.

Pour conclure, permettez-moi de citer Nicolas Bouzou, économiste bien connu : « On entend l’arbre tomber, mais pas la forêt pousser. » Nous sommes dans un monde en pleine mutation. Avant de prendre des décisions, il nous faut bien réfléchir aux contre-propositions qui permettraient de remplacer ce que nous voulons supprimer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.

M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais dire d’emblée à Joël Labbé que sa proposition de résolution ne nous dérange pas. Pour ma part, je ne veux pas accuser. Je veux tout simplement que nous puissions réfléchir, ensemble, aux vraies questions.

L’agriculture française est confrontée depuis longtemps à différents enjeux qui ne cessent de complexifier son activité : il faut tout ensemble fournir une production agricole de qualité, répondre aux attentes tant des consommateurs que du marché et limiter les impacts sur l’environnement.

Notre agriculture ne cesse de s’adapter pour répondre aux enjeux écologiques, mais elle ne peut assumer seule le poids de mesures qui relèvent, au demeurant, de l’expérimentation.

Cette proposition de résolution semble découler d’un recours excessif au principe de précaution : elle n’est fondée sur aucune nouvelle étude scientifique susceptible de remettre en cause la technologie de protection insecticide des semences apportée par les néonicotinoïdes.

Quels avantages présentent les molécules en question pour l’environnement et l’utilisateur ? Les produits issus de la famille des néonicotinoïdes actuellement autorisés en grandes cultures sont utilisés pour les productions de betteraves, de céréales, de protéagineux, de maïs, de laitues et de chicorées. Ces molécules, qui ont l’avantage d’apporter une réponse non pas curative, mais préventive, constituent une solution bien meilleure en termes d’impact environnemental.

Permettez-moi de citer quelques chiffres. Ces substances concernent aujourd'hui environ 30 % des céréales d’hiver, et 15 % des surfaces de colza sont ainsi protégées sur notre territoire.

J’en viens à leur intérêt technique. Là encore, il convient de considérer les évolutions intervenues. Auparavant, on traitait systématiquement l’ensemble des surfaces, par exemple un hectare, soit 10 000 mètres carrés. Aujourd'hui, parce qu’on enrobe uniquement la graine, on se contente de traiter 50 mètres carrés. On est passé d’un dosage de plus de 600 grammes par hectare à 60 grammes par hectare. Ce sont les nouvelles techniques qui ont permis ces progrès considérables : l’impact environnemental est diminué et la production destinée à l’alimentation est garantie.

Cette proposition de résolution n’est en outre pas fondée, dans la mesure où nous ne disposons d’aucun travail scientifique dont les résultats permettraient de justifier les mesures ici proposées.

Nous avons besoin d’approfondir nos connaissances en la matière. Surtout, nous sommes confrontés à la nécessité absolue de ne pas placer l’agriculture européenne, et donc française, dans une situation de distorsion de concurrence : nous ne pouvons pas soumettre notre agriculture à des interdits, tout en important des produits qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles du jeu.

On peut, à cet égard, dresser un parallèle avec les OGM. On n’a pas souvent le courage de le dire, mais les impacts de certaines décisions sur la performance de notre agriculture sont absolument considérables.

La Commission européenne a pris des décisions. Ainsi, en 2013, elle a suspendu provisoirement trois néonicotinoïdes, et trois seulement. Cette proposition de résolution va donc à l’encontre des conclusions de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments.

De surcroît, un certain nombre d’erreurs manifestes sont à relever dans les arguments avancés pour justifier la présente demande d’interdiction. Ainsi, vous mentionnez, mon cher collègue, une interdiction décidée par le Parlement néerlandais, en omettant de signaler que le gouvernement néerlandais l’a rejetée, faute de preuve scientifique.

Dans un de ses rapports, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, a passé en revue un certain nombre de travaux permettant d’avoir une meilleure connaissance de la mortalité des abeilles.

Notons aussi le projet EPILOBEE, évoqué précédemment, qui est financé par la Commission européenne. Il constitue la première surveillance épidémiologique de la mortalité des colonies d’abeilles domestiques. Il a été démontré dans ce cadre que la mortalité des abeilles est essentiellement due à d’autres facteurs que celui qui est retenu par ce texte.

De même, il faut citer l’étude COLOSS, menée par une association à but non lucratif de recherche sur les abeilles composée de plus de 360 scientifiques professionnels issus de 60 pays : il apparaît que le taux de mortalité des colonies, qui était auparavant de 37 %, est passé l’année dernière à 9 %. Le varroa destructor constitue en vérité la plus grande menace pour la santé des abeilles.

L’avis de l’ANSES va d’ailleurs dans le même sens.

J’évoquerai enfin l’énorme impact économique qu’aurait une interdiction pour l’industrie agricole : à l’échelle de l’Union européenne, la perte serait de 4,5 milliards d’euros et 50 000 emplois agricoles seraient menacés. Pour les cultures de pommiers, par exemple, la perte serait de 20 % et, pour l’ensemble de la filière, il s’agirait de 260 millions d’euros en moins chaque année.

L’abeille est un maillon essentiel de la vie. Il faut donc prendre des décisions, mais éclairées. En France, le plan ECOPHYTO en fait partie. Le plan Protéines végétales permettra également d’œuvrer en ce sens.

Monsieur le ministre, en matière d’agro-écologie, nous pourrions aller bien plus loin ! Permettez-moi de prendre un exemple personnel.

Le paysan des Vosges qui vous parle sait que, en 2015, notre pays compte 60 % de terres labourées de moins qu’il y a un siècle. La rotation est donc un élément essentiel pour la sécurité sanitaire en ce qu’elle favorise la diminution de l’utilisation d’insecticides.