Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Absolument !

M. Alain Richard. D’autre part, les députés ont soulevé le problème un peu délicat de la « dés-élection », comme l’appellent mes collègues élus du Val-d’Oise. Nous sommes encore peu familiers de cette procédure, mais elle va entrer dans le paysage local. En effet, des conseillers communautaires ont été élus en mars dernier au suffrage universel direct, sur les listes des candidats aux élections municipales. Or, à la suite des accords locaux de répartition dont nous allons rétablir la possibilité en resserrant les écarts de représentation autorisés ou à la suite des fusions d’intercommunalités qui interviendront l’année prochaine, certaines communes verront le nombre de leurs délégués réduit. En pareil cas, la loi de 2013 prévoit que les conseils municipaux doivent procéder de nouveau à la désignation de leurs délégués au conseil communautaire.

Nos collègues députés ont remarqué une faiblesse dans ce dispositif que, pour ma part, j’avais trouvé bien conçu : si une commune dispose d’un assez grand nombre de conseillers communautaires par rapport au nombre de ses conseillers municipaux, l’obligation pour la minorité municipale de déposer une liste complète pour l’élection des délégués risque de priver cette minorité de son droit à un représentant au sein du conseil communautaire. Les députés ont opéré, à juste titre, la rectification nécessaire.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En effet, ils ont bien fait !

M. Alain Richard. Espérons que la présente proposition de loi, si nous l’adoptons définitivement, stabilisera pour un certain temps le droit de constitution des intercommunalités.

Pour assurer cette stabilité, j’ai prévu de déférer au Conseil constitutionnel la loi issue de cette proposition de loi. J’invite tous ceux de nos collègues qui souhaitent s’associer à cette saisine à se manifester sans tarder, puisque nous devons agir dans des délais assez brefs. Je précise qu’il ne s’agit pas de ce qu’on appelle une « saisine blanche », consistant à demander simplement au Conseil constitutionnel de vérifier la constitutionnalité d’une loi, sans présenter la moindre observation de droit. Même si la loi du moindre effort a été à l’origine d’un grand nombre de progrès de l’humanité, il me semble qu’il est préférable d’argumenter un petit peu !

Sans doute, cette saisine destinée à obtenir la réponse du Conseil constitutionnel, que j’espère évidemment positive, ne nous garantira pas absolument contre de nouvelles questions prioritaires de constitutionnalité, mais au moins aurons-nous appelé clairement l’attention des juges constitutionnels sur le point central : la possibilité d’un écart de représentation un peu supérieur à 20 % dans certains cas.

Mes chers collègues, espérons que, en prévenant les incertitudes juridiques lors des prochains débats intercommunaux et les jeux de pression contentieuse qui peuvent être dommageables, nous aurons facilité le retour à la sérénité de la vie locale intercommunale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !

(Mme Jacqueline Gourault remplace M. Jean-Pierre Caffet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Jacqueline Gourault

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi de nos collègues Alain Richard et Jean-Pierre Sueur vise à sécuriser juridiquement les accords conclus entre les communes composant une intercommunalité pour la répartition des sièges des élus communautaires. Ce texte a été rendu indispensable par la décision du Conseil constitutionnel de censurer les dispositions du code général des collectivités territoriales prévoyant les modalités d’un tel accord.

L’objet de la proposition de loi est simple et clair : il s’agit, d’une part, de réintroduire la possibilité d’un accord, plus restreint pour respecter la décision constitutionnelle, et, d’autre part, de rendre un peu de souplesse aux règles de représentation des communes pour sortir du simple critère démographique.

Ce droit d’adaptation est bienvenu, car il convient que chaque intercommunalité puisse tenir compte de ses spécificités. En effet, le nombre des habitants ne peut fonder à lui seul une représentation équitable et juste des communes au sein du conseil communautaire. Le sentiment de non-représentation, voire de relégation, aujourd’hui fortement ressenti dans la société française trouve sans doute en partie sa source dans de petites communes périurbaines, exclues des décisions de l’intercommunalité du fait de la faiblesse de leur représentation.

En tant qu’écologistes, nous militons pour que les territoires peu peuplés soient représentés dans toutes les instances démocratiques. En effet, ce n’est pas parce qu’une campagne compte peu d’habitants qu’elle est vide et sans intérêt ! Les territoires, la faune, la flore et les paysages doivent être suffisamment représentés pour être correctement défendus.

Plus généralement, la proposition de loi nous conduit à nous interroger sur la légitimité démocratique de l’intercommunalité. En effet, au fil du temps et des lois, les intercommunalités ont acquis des compétences de plus en plus stratégiques : transports, eau, déchets, habitat, et parfois police, tous services publics qui sont fondamentaux.

Les écologistes ont toujours soutenu la montée en puissance des intercommunalités, car, selon nous, l’action publique doit, pour être efficace, s’exercer à l’échelle d’un bassin de vie cohérent. Or le bassin de vie correspond aujourd’hui le plus souvent à l’échelle intercommunale.

Les dernières élections municipales ont donné lieu à une innovation : le fléchage, sur les bulletins de vote, des élus municipaux appelés à siéger au conseil communautaire. Les écologistes n’en demeurent pas moins favorables à l’élection des élus communautaires au suffrage universel direct, le même jour que l’élection des conseillers municipaux. Cette mesure ne signifierait pas la fin des communes. Au contraire, nous reconnaissons et respectons l’attachement des habitants à leur commune : tout le monde connaît son maire, et la commune reste une institution politique dont les citoyens se sentent proches, par laquelle ils se sentent reconnus et qui leur semble accessible. Nous souhaitons simplement que, désormais, les citoyens connaissent aussi bien leurs élus communautaires, dont les compétences sont primordiales pour l’aménagement de leur bassin de vie.

Dans la perspective de l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, le groupe écologiste votera cette proposition de loi, qui sécurise de manière utile les accords de représentation des communes.

M. Claude Dilain. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre position à l’égard de cette proposition de loi est à peu près la même qu’en première lecture.

Les sénateurs de mon groupe ne sont pas favorables à l’intercommunalité forcée inscrite dans la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, à laquelle nous nous sommes opposés. Nous nous sommes également abstenus sur la proposition de loi relative à la représentation communale dans les communautés de communes et d’agglomération, présentée par Alain Richard en 2012, dont les dispositions avaient pour seul objectif de faciliter la création d’intercommunalités contraintes, jusqu’alors refusées par certaines communes en raison, notamment, de la faiblesse de leur représentation au sein des futurs conseils communautaires. Et pour cause : la loi du 16 décembre 2010 – nous en avons malheureusement la confirmation en ce début d’année 2015 – n’était que la première étape d’un processus conduisant, selon nous, à l’évaporation de la commune, et donc du lien des élus communaux avec la population !

Cependant, principe de réalité oblige, il faut aujourd’hui trouver des solutions aux problèmes nés de la décision du Conseil constitutionnel de juin dernier : une décision dont je rappelle qu’elle résulte de l’application du regroupement intercommunal forcé, qui ne participe pas au développement de la démocratie locale. Preuve que certains de nos collègues ont une étonnante capacité à voter des lois une année, puis à regretter, les années suivantes, les décisions du Conseil constitutionnel visant à les faire respecter !

Comme nous l’avons expliqué lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle tendant à assurer la représentation équilibrée des territoires, nous sommes attachés non pas à la représentation des territoires en soi, mais au pouvoir et à la responsabilité des élus locaux, démocratiquement choisis, qui représentent les femmes et les hommes vivant et travaillant dans leur commune. C’est bien parce que la décision du Conseil constitutionnel remet en cause ce pouvoir et cette responsabilité que nous avons voté la présente proposition de loi en première lecture.

La surreprésentation de la commune dite centre et la représentation quasi nulle, voire nulle, d’un certain nombre de communes participent, selon nous, à la technocratisation des conseils communautaires, au sentiment d’éloignement de la prise de décision et, surtout, à la rupture du lien entre la commune et l’intercommunalité. Comment décider et mettre en œuvre des projets intercommunaux au service de tous, si une partie des communes n’ont pas voix au chapitre ?

La deuxième lecture de cette proposition de loi intervient entre l’adoption par le Sénat en première lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République et l’examen de celui-ci par l’Assemblée nationale. Pendant la discussion de ce projet de loi, nous avons refusé l’augmentation à 20 000 habitants, proposée par le Gouvernement, du seuil obligatoire pour les intercommunalités. Nous n’avons pas non plus soutenu la proposition de certains collègues du groupe socialiste consistant à augmenter ce seuil à 15 000 habitants. Les défenseurs d’un relèvement des seuils, certes assorti de nombreuses exceptions, ont soutenu qu’il était nécessaire au développement des territoires.

Je rappelle que, selon le document distribué en séance par Mme Lebranchu, 623 intercommunalités seraient obligées de fusionner dans l’hypothèse d’un seuil à 20 000 habitants et 475 dans l’hypothèse d’un seuil à 15 000 habitants, sur un total de 2 145 établissements publics de coopération intercommunale. Ces chiffres ne sont pas anecdotiques, surtout vu les conséquences qui ont résulté, dans un certain nombre de départements, de la première génération d’intercommunalités forcées.

Comme en première lecture, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen voteront la présente proposition de loi, améliorée entre-temps par l’Assemblée nationale, pour encore et toujours éviter de corseter la démocratie locale.

Que nos collègues députés veuillent bien nous permettre de les alerter : il est bon de faciliter et de sécuriser l’accord local de répartition, mais il serait dès lors incompréhensible, sauf à tomber dans la schizophrénie, qu’ils reviennent sur la suppression par le Sénat du rehaussement des seuils intercommunaux initialement prévu dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Pour redonner toute sa force au travail parlementaire et contribuer à redonner du sens à l’engagement politique, nous devrions éviter de voter une loi pour, quelque mois plus tard, en proposer une autre visant à atténuer les méfaits de la première. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, s’il restait quelques élus ruraux ignorant que toutes les communes n’étaient pas égales dans l’intercommunalité, le Conseil constitutionnel s’est chargé, dans une décision rendue le 20 juin 2014, de le leur rappeler ! Comme on sait, cette décision a annulé le deuxième alinéa du paragraphe I de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, qui permettait de déroger – dans des limites d'ailleurs très strictes – au tableau de répartition des sièges entre communes au sein des intercommunalités prévu par la loi de réforme des collectivités territoriales, dite « loi RCT ».

Je parle d’égalité des communes, et non de leurs habitants, ce que le Conseil constitutionnel confond sciemment en imposant la représentation des communes proportionnellement à leur taille dans les conseils communautaires. Son raisonnement mérite que l’on s'y arrête, ce qui est rarement fait. Je cite le quatrième considérant : « les établissements publics de coopération entre les collectivités territoriales [exerçant] en lieu et place de ces dernières des compétences qui leur auraient été sinon dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques ».

Autrement dit, même si, prise globalement, une intercommunalité n’est pas une collectivité territoriale – ce que reconnaît le Conseil constitutionnel dans son troisième considérant –, prise compétence par compétence, cette intercommunalité l’est quand même puisqu’elle exerce chacune desdites compétences en lieu et place des communes, qui, étant des collectivités territoriales, doivent elles-mêmes élire leurs organes délibérants sur des bases essentiellement démographiques. En bon français, cela s'appelle un sophisme !

Après la validation des comptes de campagne d’Édouard Balladur et de Jacques Chirac et le rejet de ceux de Jacques Cheminade en 1995, après la validation du seuil minimum de quinze conseillers territoriaux par département prévu par la loi RCT en 2011, ce monument à la gloire de l’État de droit mérite la visite ! Comme on sait, dans la République libéralisée à la Française, l’État de droit a une légitimité supérieure à celle de l’État démocratique. Tout simplement parce que ceux qui y exercent le pouvoir ne sont pas élus et sont en communication directe avec le ciel, tandis que les autres – les parlementaires, par exemple – sont soumis aux pressions du vulgaire.

Il est donc clair que, pour le Conseil constitutionnel, les intercommunalités ne sont plus des coopératives de communes liées entre elles par des accords – leurs statuts étant des sortes de contrats –, mais des communes sans la compétence générale. Peu importe s’il n’y a rien dans la Constitution, puisque c’est le Conseil constitutionnel qui fait la Constitution, et non l’inverse !

Aujourd’hui, avec ce texte, une nouvelle étape est franchie. Le pouvoir des communes au sein de l’intercommunalité n’est plus proportionnel à leur taille, mais progresse avec elle. Ainsi, une commune représentant 25 % de la population d’une intercommunalité pourra faire prévaloir son point de vue sur l’accord à la majorité qualifiée de communes représentant le reste de la population, parce que ces dernières, individuellement, sont plus petites. Avec ce texte, les plus grosses communes se voient dotées d’un droit de veto dans un domaine aussi essentiel que la constitution des organes délibérants des communautés.

La version initiale de ce texte – celle votée en première lecture par le Sénat – avait des ambitions bien modestes, mais elle nous convenait. Celle qui nous arrive de l’Assemblée nationale, donnant aux communes-centres le pouvoir de s’opposer à toute modification, même modeste, de la représentation souhaitée majoritairement par les autres, lui ôte tout intérêt. Cette version aurait été inspirée à la commission des lois de l’Assemblée nationale, nous murmure-t-on, par le Conseil d’État, devenu législateur. Dans la Chine impériale, on appelait cela « gouverner derrière le paravent » ! À moins que ce ne soit une bonne manière rendue à je ne sais quels élus d’une commune-centre craignant de se retrouver dans la situation de Gulliver ligoté par les Lilliputiens…

Mais, ce qui me navre le plus, c’est que le Sénat, qui est à l’origine de la proposition de loi et qui est la seule chambre où la voix des petites collectivités peut encore être entendue, n’affirme pas ce qui fait sa légitimité : représenter toutes les collectivités locales, en particulier les plus petites, celles dont la dispersion justifie une représentation spécifique du territoire.

Voter conforme, c'est voter un texte au mieux inutile, un texte qui laisserait croire aux communes petites et moyennes, avant les prochaines échéances départementales, qu’elles auraient été entendues, alors que c'est exactement l’inverse. En un mot, c'est voter un texte méprisant – je pèse mes mots – pour les petites communes. Il est des moments où le symbole compte plus que les accommodements à prix cassé ! C'est pourquoi je ne voterai pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame le président, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, l’enjeu de ce texte est de trouver un nécessaire équilibre entre l’application de la proportionnalité démographique et la prise en compte de situations locales particulières. En effet, la simple arithmétique ne suffit pas à prendre en compte la spécificité de chaque territoire.

Bien que le code général des collectivités territoriales fixe dans les paragraphes II à VI de l’article L. 5211-6-1 la répartition des sièges dans les communautés de communes sur la base d’un strict principe de proportionnalité, le Sénat avait intégré la possibilité de passer des accords au niveau local entre communes membres. Il faut dire que près de 90 % des communautés de communes ou des communautés d’agglomération reposent sur des accords locaux. Or le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 juin 2014, a considéré que l’accord local sur la répartition des sièges, tel que prévu par l’article précité du code général des collectivités territoriales, « méconnaissait le principe d’égalité devant le suffrage ». C’est donc une nouvelle version de cette possibilité qui est aujourd’hui discutée au Sénat.

Il faut saluer le souci du législateur d’introduire plus de souplesse afin de rendre la coopération des communes aussi efficace que possible. Comme les débats l'ont montré lors de l’examen du projet de loi NOTRe, un territoire n’est pas qu’une addition d’habitants ; c'est surtout un regroupement qui est le fruit d’une histoire et d’une géographie. Il convient de garder cet aspect en mémoire lorsque nous écrivons la loi ; c'est bien ce qu’ont fait les auteurs de ce texte en permettant les accords locaux, voire en les encourageant.

Le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale prend davantage en compte le rôle central de la ville-centre, nommée ville « dont la population est la plus nombreuse ». Il est en effet plus que nécessaire de renforcer la place de la ville-centre autour de laquelle viennent s’agréger des communes de plus petite taille. Elle joue un rôle central dans l’organisation de la communauté de communes, rôle que l’application stricte du barème arithmétique renforcerait.

En outre, il ne faut pas jouer la carte des petites communes contre la grande. Je rejoins en ce sens le rapporteur du texte. Un accord local doit être un outil de souplesse, fruit d’un consensus, et non un outil politique pour mettre en difficulté une ville-centre. Dans un tel cas, et c’est ce qui a provoqué la censure du Conseil constitutionnel, le principe de proportionnalité devrait alors faire l’objet d’une stricte application.

Le sujet des intercommunalités est complexe. Ces dernières se sont trop souvent développées de manière opaque et anarchique en étant le fruit d’arrangements locaux « entre amis », au détriment de véritables projets communs au service des populations – je sais de quoi je parle, puisque j’en suis la victime. Ce texte devrait pouvoir renforcer la transparence des accords locaux organisant les communautés de communes. C’est pourquoi je le voterai.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au-delà des mots, au-delà des volontés, il existe des réalités. Au sein des territoires, qui constituent la richesse de notre pays, ces réalités sont vécues, perçues et relayées par les élus locaux que nous représentons ici. Le territoire s’apprend, se défend, s’invente et se réinvente. Il est le cœur de l’identité. Le territoire est un lieu de vie, de pensée et d’action : il est marqué par une identification.

La décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 est apparue comme extrêmement dure pour nos territoires, notamment les territoires ruraux. Seule reste en vigueur, après cette décision, la règle de représentation démographique. Pis, si l’on traduit concrètement cette décision, le conseil communautaire ne serait qu’une réunion du conseil municipal de la ville-centre, dans son intégralité. Si un maire d’une commune rurale ne peut être présent à un conseil communautaire, personne ne sera là pour le remplacer, personne ne représentera la ruralité dans le conseil communautaire.

Monsieur le secrétaire d'État, chacun d’entre nous sait ici que, dans un contexte de baisse drastique des dotations aux collectivités, les orientations politiques et budgétaires des conseils communautaires seront essentiellement en faveur du territoire urbain. Nous devons éviter qu’une décision constitutionnelle ne cristallise de plus en plus notre organisation territoriale et politique autour d’une France urbaine, au détriment de la France rurale. Voici une réalité territoriale : la France se fracture de plus en plus, entre les territoires urbains et ruraux. Je ne fais ici aucune opposition entre l’urbain et le rural, mais j’indique simplement une réalité dont les maires du département de l’Eure me témoignent.

Mes chers collègues, je salue l’initiative qui a été prise avec cette proposition de loi, qui permet aux communes de déroger au principe de proportionnalité démographique pour les sièges de conseillers communautaires en autorisant l’accord local de représentation. En première lecture, le Sénat s’est attaché à renforcer l’encadrement de l’accord local proposé pour resserrer les écarts à la proportionnelle démographique. Je me réjouis que l’Assemblée nationale ait poursuivi la démarche sénatoriale, sur la base de l’avis du Conseil d’État saisi par le Premier ministre.

En 2010, j’avais accueilli avec beaucoup de soulagement – j’étais alors maire d’une commune rurale du département de l’Eure – les accords dérogatoires prévus par la loi de décembre 2010. J’ai également salué les améliorations apportées par la proposition de loi d’Alain Richard en 2012. Or la décision du Conseil constitutionnel de juin 2014 place les élus locaux dans une situation plus que particulière. En effet, ce sont les élus locaux qui construisent les intercommunalités sur la base d’accords locaux, qui tendent à introduire plus de justice dans la représentation des communes dans le conseil communautaire, dans la concertation et dans l’intérêt de leur territoire. Dans le département de l’Eure, où je suis élue, près de 80 % des intercommunalités ont conclu de tels accords.

Les élus locaux sont également dans une situation paradoxale, entre une décision du Conseil constitutionnel qui restreint leurs initiatives sur la création d’intercommunalités et une réforme territoriale présentée par le Gouvernement qui tend à confier aux intercommunalités de nouvelles compétences et donc à accroître leur poids dans l’organisation territoriale. Un peu de clarté pour nos élus locaux est, me semble-t-il, nécessaire. C’est pourquoi la proposition de loi va dans le bon sens. Laissons les initiatives locales se faire ! Laissons les élus locaux former les intercommunalités telles qu’ils les perçoivent et les vivent !

J’ai écouté attentivement la position du Gouvernement mardi soir, à l’occasion de la discussion générale sur la proposition de loi constitutionnelle du président Gérard Larcher et de Philippe Bas. Monsieur le secrétaire d'État, je n’ai pas saisi, encore une fois, la cohérence de votre ligne et celle du parti socialiste. Pourquoi être favorable à une proposition de loi autorisant l’accord local de représentation des communes membres d’une intercommunalité, qui n’a pas d’autre objectif que celui de déroger au seul critère démographique de représentativité, et émettre dans le même temps un avis défavorable sur une proposition de loi constitutionnelle qui souhaite inscrire cela dans la Constitution ?

Permettez-moi de m’interroger ! À l’heure où de nombreux socialistes prétendent qu’il n’existe que des réformateurs et des conservateurs, n’est-ce pas réformateur que de vouloir aller au-delà des conseils communautaires ? N’est-ce pas réformateur que de vouloir inscrire dans la Constitution les notions figurant dans le présent texte pour sortir enfin de cette simple règle arithmétique ? N’est-ce pas conservateur que de dire oui aux conseils communautaires et non à la prise en compte constitutionnelle des territoires ?

En ce temps de crise économique, de crise morale et de crise politique, je pense que, au-delà du conservatisme et du réformisme, il nous faut faire preuve de courage politique. Du courage politique, monsieur le secrétaire d'État, il en faut pour aller au bout des réformes ! Voilà pourquoi j’apporterai mon soutien à l’ensemble de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi des sénateurs Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, examinée aujourd’hui en deuxième lecture, est essentielle et attendue par les nombreux EPCI – plus d’une centaine sur le territoire – que la censure du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 a fortement impactés ou fragilisés.

À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, les sages de la rue Montpensier ont jugé que les dispositions actuelles du code général des collectivités territoriales dérogeaient au principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque commune « dans une mesure qui est manifestement disproportionnée », annulant de ce fait le principe même d’un accord local initialement inscrit dans la loi du 16 décembre 2010 à la demande générale des élus locaux et nationaux.

La décision du Conseil constitutionnel a privé les communes de la possibilité de conclure un accord local : il n’y a plus d’aménagement possible en considération de l’histoire partagée et des enjeux de chaque territoire. Seule reste en vigueur l’unique règle de représentation purement démographique avec l’application du tableau de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales.

Dans mon département, je citerai le cas de la communauté de communes du Genevois, touchée par les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel. Cette communauté de communes est composée de 38 000 habitants répartis sur 17 communes : après la censure du Conseil constitutionnel, elle ne dispose plus que de 42 conseillers communautaires, contre 52 auparavant. Certes, toutes les communes sont représentées, mais deux voient le nombre de leurs délégués passer de trois à deux et huit d’entre elles n’ont plus qu’un seul délégué. Or le développement territorial que peuvent impulser quatre bourgs représentant 13 000 habitants, autour d’une ville-centre de 12 000 habitants, ne correspond en rien aux douze autres collectivités.

L’accord local qui avait été trouvé permettait d’équilibrer la représentation du territoire entre une part prépondérante accordée à la représentation au prorata de la population et une représentation minimale de chaque commune. Il s’agissait de trouver des points d’équilibre et de déterminer une gouvernance adaptée aux enjeux de chaque territoire. La solidarité sur un territoire ne se mesure pas seulement en nombre d’habitants ! Une telle solution profiterait nécessairement aux grosses communes, entraînant de fait une opposition entre l’urbain et le rural.

Il y avait donc urgence : urgence pour les élus locaux de décider de leur représentativité dans leur intercommunalité ; urgence à sécuriser une telle disposition dans un cadre juridique conforme, en apportant notamment une réponse à l’instabilité liée au possible renouvellement des instances de l’intercommunalité. D’ailleurs, je rappelle que les sénateurs Gélard, Leleux, Milon, Carle et l’ensemble des membres du groupe UMP ont déposé, le 3 septembre dernier, une proposition de loi allant en ce sens.

Les ajustements opérés par l’une et l’autre des assemblées dans le cadre de ce texte ont permis de trouver un équilibre, aussi contraignant soit-il : préserver dans les meilleures conditions de sécurité juridique la faculté d’un accord local pour faciliter le consensus intercommunal, dans le respect du principe de l’égalité devant le suffrage.

Redonner un fondement aux accords locaux tout en les encadrant, c’est respecter la démocratie dans sa double composante, démographique et territoriale, ce que le présent texte a essayé de préserver.

Écouter les dynamiques locales, avoir confiance dans leur travail et l’intelligence locale, c’est aussi la mission de notre mandat. Notre histoire est unique : les communes sont le socle de notre pays et de notre démocratie. Sachons écouter leurs représentants et préserver leur représentativité et leur investissement !

Je voterai ce texte, car il préserve un peu de démocratie locale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)