Mme la présidente. L'amendement n° 11, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. L’article 11 prévoit de conférer un pouvoir d’injonction plus étendu à l’Autorité de la concurrence. Ce serait une réponse à la trop grande concentration du commerce de détail et aux abus de position dominante qui en découlent.

Les présupposés de cet article sont bons, mais nous regrettons encore une fois que les pouvoirs d’une autorité administrative indépendante, en l’espèce l’Autorité de la concurrence, soient étendus au détriment du pouvoir politique. Il nous semble que les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, sont bien mieux armés pour ce type de contrôles de terrain.

De plus, le principe de l’autosaisine ne nous semble pas pertinent, car il transformerait l’Autorité de la concurrence en pouvoir régulateur. Or c’est une mission traditionnellement dévolue au Gouvernement.

Pour nous, l’extension continue des compétences de l’Autorité de la concurrence représente un affaiblissement du ministère des finances et un dessaisissement plutôt dangereux.

Il appartient aux pouvoirs publics de veiller au bon équilibre du développement économique sur l’ensemble du territoire. Aujourd'hui, les pouvoirs publics sont présents lorsque se produit une opération de concentration. Ce ne sera plus le cas ou ce sera moins le cas quand les opérations de concentration seront examinées par l’Autorité de la concurrence.

L’intérêt général ne sera plus pris en compte, sauf sous l’angle, quelque peu réducteur, des éléments économiques. Or il est des situations où les éléments strictement économiques peuvent entrer en contradiction avec les politiques publiques ou l’intérêt public, en matière d’aménagement, d’environnement ou encore d’emploi.

Au risque de nous répéter, nous tenons à pointer ce que nous considérons comme un danger. Plus l’action et le pouvoir politique du Gouvernement seront réduits, plus l’action et le pouvoir politique du Parlement le seront aussi. Ce n’est pas très bon, sauf pour les autorités administratives indépendantes, dont on n’a pas toujours les moyens de bien comprendre comment elles fonctionnent, comment elles sont dirigées et où elles vont.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur de la commission spéciale. Mon cher collègue, votre position vis-à-vis du projet de loi est cohérente, et elle mérite le respect. Vous comprendrez toutefois que la commission ne puisse qu’être défavorable à la suppression d’un article qu’elle a conservé, et qu’elle prétend même avoir nettement amélioré, monsieur le ministre.

N’allez pas imaginer que je fuis le débat. Nous débattrons lors de l’examen des autres amendements déposés sur cet article. Peut-être parviendrai-je alors à vous convaincre de la légitimité du pouvoir qu’il prévoit de conférer à l’Autorité de la concurrence.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 1552, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Le code de commerce est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa de l’article L. 464-8, après la référence : « L. 464-6-1 », est insérée la référence : « , L. 752-26 » ;

2° L’article L. 752-26 est ainsi rédigé :

« Art. L. 752-26. – I. – En cas d’existence d’une position dominante et de détention par une entreprise ou un groupe d’entreprises exploitant un ou plusieurs magasins de commerce de détail d’une part de marché supérieure à 50 %, qui soulève des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés que l’entreprise ou le groupe d’entreprises pratique en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné, l’Autorité de la concurrence peut faire connaître ses préoccupations de concurrence à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause, en précisant son estimation de la part de marché et du niveau de prix ou de marges qui justifie ces préoccupations. L’entreprise ou le groupe d’entreprises peut, dans un délai de deux mois, lui proposer des engagements dans les conditions prévues à l’article L. 464-2.

« La part de marché mentionnée au premier alinéa du présent I est évaluée selon le chiffre d’affaires réalisé dans le secteur économique et dans la zone de chalandise concernés ou selon les surfaces commerciales exploitées dans la zone de chalandise concernée.

« II. – Si l’entreprise ou le groupe d’entreprises conteste les préoccupations de concurrence soulevées, ne propose pas d’engagements, ou si les engagements proposés ne lui paraissent pas de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence, un rapport est notifié par l’Autorité de la concurrence à l’entreprise ou au groupe d’entreprises qui peut présenter ses observations dans un délai de deux mois.

L’Autorité de la concurrence peut, par une décision motivée, prise après réception des observations de l’entreprise ou du groupe d’entreprises en cause et à l’issue d’une séance devant le collège, lui enjoindre de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé qui ne peut excéder six mois, tous accords et tous actes par lesquels s’est constituée la puissance économique qui permet les prix ou les marges élevés constatés. Elle peut, dans les mêmes conditions, lui enjoindre de procéder, dans un délai qui ne peut être inférieur à six mois, à la cession d’actifs, y compris de terrains, bâtis ou non, si cette cession constitue le seul moyen permettant de garantir une concurrence effective. L’Autorité de la concurrence peut sanctionner l’inexécution de ces injonctions dans les conditions prévues à l’article L. 464-2.

« III. – Au cours des procédures définies aux I et II du présent article, l’Autorité de la concurrence peut demander communication de toute information dans les conditions prévues aux articles L. 450-3, L. 450-7 et L. 450-8 et entendre tout tiers intéressé. »

La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. L’article 11 a été substantiellement modifié par la commission spéciale.

Cet amendement vise à rétablir certaines dispositions du texte adopté par l’Assemblée nationale, tout en renforçant le caractère contradictoire de la procédure. Vous avez souligné l’importance de ce contradictoire lors de vos débats. Dans mon amendement, je reprends d'ailleurs plusieurs dispositions importantes introduites par la commission spéciale sur ce point.

En premier lieu, les préoccupations de concurrence doivent, pour le Gouvernement, être fondées sur le constat de « prix ou de marges élevés ». La commission spéciale a préféré l’expression « marges nettes anormalement élevées », mais une telle substitution de critère permettrait de contourner très aisément la loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi en arrivons-nous à cette procédure d’injonction structurelle ? Parce que notre administration est confrontée à l’impossibilité, dans la plupart des cas, d’appliquer la notion d’abus de position dominante. C’est la raison pour laquelle aussi je serai attaché à la définition de la position dominante, et non de l’abus.

Je le répète, la substitution du critère de marges nettes anormalement élevées à celui de prix ou de marges élevés faciliterait le contournement de la loi, au point de la rendre quasi inopérante. En effet, il est relativement aisé de diminuer artificiellement le résultat net. L’entreprise peut, par exemple, payer un loyer élevé à une société civile immobilière dont elle est propriétaire ou faire remonter des sommes d'argent à sa centrale d'achat ou de référencement. Le résultat net peut ainsi faire l’objet de plusieurs choix comptables, de plusieurs opérations d’optimisation.

C’est pourquoi, sur ce point, je préfère revenir au critère de prix ou de marges élevés. Cela se constate de manière beaucoup plus transparente, sans manipulation possible. Les prix ou les marges sont comparés avec la moyenne constatée par ailleurs dans la zone de chalandise.

En deuxième lieu, l’amendement tend à rétablir l’équilibre entre la phase négociée et la phase contentieuse de la procédure. La première permet à l’entreprise qui ne conteste pas les préoccupations de concurrence émises par l’Autorité de s’engager volontairement à y mettre fin, ce qui clôt la procédure. Cette phase ne doit pas être alourdie par un contradictoire renforcé, excessif. En revanche, le contradictoire doit être renforcé dans la seconde phase.

C’est pourquoi l’amendement a pour objet de renforcer le contradictoire de la phase contentieuse, comme l’a prévu la commission spéciale du Sénat. C’est, je le reconnais, l’un des apports de vos travaux. Le travail que nous avons pu faire avec les acteurs économiques a, en ce sens, été aussi propice à l’amélioration du texte, puisque nous obligeons désormais l’Autorité de la concurrence à établir un rapport soumis au débat contradictoire lorsqu’elle souhaite prendre une mesure d’injonction structurelle, quand les entreprises contestent les préoccupations de concurrence et ne proposent pas d’engagements, ou si les engagements proposés paraissent insuffisants.

Ce débat contradictoire, qui n’était pas prévu dans le texte initial, est important, donc nous avons souhaité la conserver dans notre amendement.

En outre, nous faisons passer de trois mois à six mois au maximum le délai dans lequel l’injonction de résiliation des accords ou actes ayant permis la constitution de la puissance d’achat qui s’est traduite par des prix ou marges élevés doit être exécutée. Un délai de trois mois était trop court pour véritablement être acceptable par tous les acteurs, donc nous fixons un plafond de six mois, tout en ménageant un peu plus de flexibilité.

Enfin, nous passons d’un délai laissé à l’appréciation de l’Autorité de la concurrence à un délai qui ne peut être inférieur à six mois pour la mise en œuvre de l’injonction de cession d’actifs, afin d’éviter, là aussi, que des délais trop courts ne soient fixés par l’Autorité aux acteurs économiques. Je rappelle, à cet égard, que l’injonction de cession d’actifs est, en ultime recours, la conclusion de la procédure. Ayant parfaitement adhéré à ce point, vous avez d’ailleurs été constructifs à ce sujet.

En troisième lieu, l’amendement tend, d’abord, à écarter la disposition adoptée par la commission spéciale pour exclure l’utilisation des informations obtenues par l’Autorité de la concurrence à l’occasion de la procédure d’injonction structurelle dans le cadre d’une procédure ultérieure pour pratique anticoncurrentielle. À notre sens, ce serait se lier les mains, bien inutilement.

Nous souhaitons ensuite écarter la faculté pour l’Autorité de la concurrence de ne pas user de la procédure d’injonction structurelle, d’une part, dans les trois années qui suivent une décision de non-lieu pour abus de position dominante et, d'autre part, dans les trois années suivant une décision d’autorisation de concentration dont les engagements ont été respectés.

On le voit, la présente procédure n’a rien à voir avec l’abus de position dominante ; elle est beaucoup plus précise. Donc, le fait de rendre impossible l’exercice de cette procédure parce que l’Autorité de la concurrence aurait examiné, sur d’autres bases, dans le cadre d’une autre procédure, une situation commerciale nous paraît excessif.

La précision apportée sur le premier de ces trois points est inutile dans la mesure où l’Autorité de la concurrence ne peut pas juridiquement utiliser les pièces d’un dossier clos pour alimenter une procédure d’infraction dans un autre dossier.

Quant à l’engagement d’une procédure d’injonction structurelle après un non-lieu pour abus de position dominante, il s’agit d’une hypothèse d’école. L’Autorité de la concurrence, saisie in rem, n’est pas liée par la qualification juridique des faits qui lui sont soumis et a tout à fait le droit d’ouvrir une procédure d’entente, d’injonction structurelle ou d’abus de position dominante, même sur un cas qu’elle aurait déjà considéré, parce qu’elle le fait sur une autre base.

Monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, monsieur les rapporteurs, je pense que vous avez excessivement réduit la capacité de l’Autorité à se saisir du sujet.

Enfin, pour ce qui est de la procédure de contrôle des concentrations, elle se limite à traiter des effets directs de l’opération et elle n’a pas vocation à traiter de l’ensemble de la situation de la concurrence sur un marché. Aussi, je pense qu’elle n’est pas de nature à fermer la porte à un réexamen d’une même situation par l’Autorité de la concurrence.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaitais ici être précis pour bien vous montrer qu’il ne s’agit pas d’un strict amendement de rétablissement de la rédaction initiale. Je voulais insister sur plusieurs des dispositions sur lesquelles la commission spéciale est revenue, car, ce faisant, elle a ouvert des possibilités de contourner facilement les procédures ou fermé des portes à l’Autorité de la concurrence, alors même que vous avez reconnu l’utilité de l’injonction structurelle.

En même temps, éclairés par les débats au sein de la commission spéciale et les échanges avec les acteurs économiques, nous avons souhaité renforcer le contradictoire de la procédure, qui était insuffisant dans le texte voté à l’Assemblée nationale.

Tel est l’objet de cet amendement de rétablissement partiel, mais surtout d’équilibre, qui enrichira le texte.

En conclusion, pour réagir à l’argumentaire qui a été développé à l’appui de l’amendement de suppression, je veux dire que le fait de conférer ce pouvoir à l’Autorité de la concurrence ne réduit pas le pouvoir du ministre, qui, de toute façon, ne l’a pas. La procédure que nous créons entre parfaitement dans le champ de l’ensemble des procédures qui sont à la main de cette autorité, que le ministre a tout à fait la possibilité de saisir, sans être lui-même un opérateur de ce dispositif de lutte contre les distorsions de concurrence.

Nous ne procédons aucunement à une forme de diminutio capitis de l’exécutif, mais nous introduisons une procédure qui permettra d’améliorer la concurrence sur notre territoire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur. Monsieur le ministre, vous avez effectivement, par cet amendement, réintégré le texte voté à l’Assemblée nationale, en y apportant deux petites corrections issues des travaux de la commission spéciale du Sénat.

Pour que nos collègues comprennent bien ce qui nous oppose, donc ce qui va me conduire à émettre un avis défavorable sur votre amendement, il nous faut cadrer ce qu’est l’injonction structurelle, car cette notion juridique est tout de même un peu exorbitante du droit commun et n’est pas si souvent évoquée dans notre hémicycle.

L’injonction structurelle, c’est ce pouvoir un peu particulier donné à une autorité, certes indépendante, dans le cadre d’une procédure spécifique, pour répondre à l’une de ses missions, en l’occurrence contrôler le bon fonctionnement de la concurrence.

Cette procédure a deux armes, si je puis dire, ce qui est très important à assimiler pour comprendre ce que je veux vous dire. Elle permet tout d’abord à l’Autorité de s’immiscer dans les relations contractuelles d’un groupe ou de différentes entreprises pour modifier les accords qui ont pu intervenir. C’est la première arme.

La seconde est beaucoup plus puissante : l’Autorité de la concurrence se voit confier la possibilité, à terme, grâce à la commission spéciale, de contraindre la société ou le groupe à la cession d’actifs. Vous comprenez qu’il s’agit là d’un pouvoir très important et très rare dans notre droit. Je ne veux pas remonter au droit romain, mais nous devons tous avoir en tête ce qu’est le droit de propriété : l’usage, les fruits, l’abus.

Si notre droit a toujours permis la correction de l’abus, ce qu’il permet d’ailleurs à l’Autorité de la concurrence, chargée de corriger l’abus de position dominante, il est cependant très réticent à intervenir dans la jouissance d’une propriété ou dans son usage. Nous sommes donc face à une situation tout à fait nouvelle.

Cette procédure existe-t-elle déjà dans notre ordre juridique ? Effectivement, elle existe, et dans deux hypothèses : depuis 2008, lorsqu’il y a un abus de position dominante, soit une infraction importante qui mérite une sanction ; depuis 2012-2013, moyennant des adaptations, dans les outre-mer, où la concurrence pose quelques problèmes.

Nous pouvons donc tout à fait normalement attribuer ce pouvoir. Vous noterez, d’ailleurs, que la commission spéciale n’a pas suivi nos collègues du CRC ou les nombreuses personnalités extérieures, professeurs de faculté, chefs d’entreprises, syndicats, qui auraient préféré la suppression pure et simple de cette nouvelle notion.

Lorsque nous aurons confié cette injonction structurelle à l’Autorité de la concurrence, nous aurons créé au profit de l’Autorité un pouvoir unique en droit comparé. Il faut donc nécessairement faire très attention.

Telle a été notre démarche : nous nous sommes dit qu’il fallait maintenir ce pouvoir, tout en le canalisant, car il faut bien se rendre compte qu’à la toute fin de la procédure, lorsque l’entreprise n’a pas satisfait aux injonctions aimables de l’Autorité de la concurrence, elle peut être contrainte à des cessions partielles ou totales d’actifs.

À l’évidence, les conséquences, qui peuvent donc être extrêmement graves, ont le caractère de sanctions. C’est cet aspect de la procédure qui nous a fait proposer dans notre rédaction un encadrement du pouvoir de l’Autorité, sans rien changer à son étendue. Nous avons donc précisé que la décision de l’Autorité devait intervenir au terme d’un débat contradictoire, car il s’agit d’une sanction. Or, qui dit sanction dit garanties du procès équitable et échange d’informations. C’est la raison pour laquelle, dans notre texte, l’Autorité de la concurrence, au fur et à mesure de son enquête, fait participer l’entreprise objet de l’enquête afin que celle-ci fasse connaître ses observations. Pour que le débat soit parfaitement sincère, il faut aussi que l’entreprise ait la connaissance des pièces, des documents et des informations qui ont été donnés à l’Autorité de la concurrence.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons réécrit le texte.

Nous avons souhaité rétablir l’équilibre face à un pouvoir que nous n’avons pas contesté, que nous n’avons pas changé. C’est si vrai que, parallèlement, on nous a demandé, et on va encore nous demander à l’occasion de la discussion d’autres amendements, de prévoir que les recours contre les décisions de l’Autorité, qui sont portés devant la Cour d’appel de Paris, soient suspensifs, et ce afin de contrebalancer son pouvoir.

Normalement, ces recours n’ont pas de caractère suspensif ; nous ne nous sommes pas montrés révolutionnaires, car nous n’avons pas choisi de faire droit à ces demandes.

En revanche, nous avons clairement dit, ce qui était d’ailleurs induit par l’application des textes, qu’un sursis à exécution pouvait être prononcé. Il s’agit d’une procédure de pure précaution confiée au premier président de la Cour d’appel, qui vérifie si la décision de l’Autorité de la concurrence n’est pas de nature telle qu’elle pourrait causer des préjudices irréparables si, in fine, il était démontré qu’elle était illégitime.

Voilà en quoi notre proposition est particulièrement réfléchie et mesurée. D’ailleurs, monsieur le ministre, au fond de vous-même, je crois que notre texte ne vous horrifie pas. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Vous avez d’ailleurs fait quelques avancées dans notre direction, mais nous pensons qu’il est nécessaire d’aller plus loin ; sinon, vous risquez d’être saisi de nombreuses critiques contre l’autorité donnée à l’Autorité…

À mon sens, avec notre texte, nous protégeons les pouvoirs de l’Autorité, en les équilibrant. De toute façon, dans les faits, le caractère contradictoire va se développer pendant l’enquête, puis après le rapport. L’Autorité de la concurrence ne perd donc pas de temps, d’autant moins qu’il n’y a pas d’effet suspensif.

Telles sont les raisons qui me font dire que notre texte est beaucoup plus équilibré, tout en permettant d’atteindre les mêmes objectifs. Je vous demande donc d’en rester au texte du Sénat, et j’émets donc un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement.

Je voudrais néanmoins aborder un dernier point, que nous risquons de voir ressurgir au cours des débats.

On me dit que le pouvoir confié à l’Autorité est extraordinaire. Preuve en est que, depuis 2008, il n’a jamais été mis en œuvre en métropole, ni dans les outre-mer depuis qu’il y a été introduit en 2012-2013. À cela, je réponds qu’on ne légitime pas un pouvoir en s’en remettant à l’éthique de celui qui le détient pour ne pas l’appliquer…

Je pense que, sur ce point, il nous faut faire un travail législatif précis, en évitant de laisser dénaturer un objectif clair par une procédure qui risquerait de susciter des critiques fortes.

Pour conclure tout à fait, je voudrais vous alerter en vous laissant imaginer le cas où une décision de l’Autorité de la concurrence en ce domaine, prise avec toutes les précautions, au terme d’une procédure longue, se verrait annulée. Comment réparerait-on le préjudice causé à l’entreprise ?

Pour éviter au maximum ce type de risque, nous devons nous prémunir avec un débat contradictoire, sincère, loyal. C’est tout l’objet du texte de la commission spéciale, que je préfère, pour l’avoir juridiquement pesé, à celui du Gouvernement.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Nous abordons un point extrêmement important. L’un de nos collègues de la majorité sénatoriale a déploré, à juste raison, la concentration du marché, dont 90 % sont le fait de quatre groupes. Nous sommes donc tous d’accord pour agir contre cette concentration. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas voté l’amendement de suppression du groupe CRC : nous voulons nous donner, par la loi, les moyens d’attaquer ces concentrations à la racine, si j’ose dire.

Monsieur le rapporteur, vous connaissez parfaitement le droit et vous nous avez fait une brillante démonstration de ce qu’il peut et de ce qu’il ne pourrait pas. Je ne la conteste pas et je reconnais que l’injonction structurelle est une arme massive que la loi confie à l’Autorité de la concurrence.

S’il s’agit de stimuler la concurrence, l’amendement du Gouvernement, qui ne reprend pas exactement les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, répond déjà à cette préoccupation. Il vise surtout à éviter que la procédure ne soit contournée. En effet, la procédure actuelle d’injonction structurelle offre des possibilités de contournement et M. le ministre nous a expliqué qu’en substituant à la notion de « prix élevés » celle de « marges nettes anormalement élevées », on crée une telle possibilité. Nous connaissons l’inventivité humaine quand il s’agit d’élaborer des systèmes de contournement, et c’est particulièrement vrai pour la fiscalité.

La procédure comporte deux phases : la première est négociée et la seconde, contentieuse. L’apport intéressant de l’amendement du Gouvernement porte sur la place du contradictoire dans la phase contentieuse, puisque notre droit est très soucieux du respect des droits de la défense. La phase contentieuse ne s’ouvre que si l’entreprise conteste les préoccupations de concurrence. La phase de négociation laisse donc une grande place à la discussion et, dans l’amendement du Gouvernement, cette discussion se poursuit dans la phase contentieuse : le contradictoire a ainsi plus d’espace.

Enfin, le dernier argument concerne les informations obtenues par l’Autorité de la concurrence. Le texte de la commission spéciale exclut leur utilisation à l’occasion de la procédure d’injonction structurelle. C’est l’un des points de divergence.

En résumé, nous sommes d’accord sur l’objectif et sur les moyens, à savoir l’injonction structurelle, mais le texte de la commission spéciale ne permet pas d’éviter les contournements. Par ailleurs, il faut évidemment permettre à ceux qui sont mis en cause par l’Autorité de la concurrence de se défendre et d’apporter des éléments à l’appui de leurs arguments.

J’insiste sur le fait que le Gouvernement a modifié sa position par rapport à l’argumentation qu’il avait défendue devant l’Assemblée nationale. Je pense que le Sénat peut améliorer le texte adopté par l’Assemblée nationale en adoptant l’amendement du Gouvernement. Pour ma part, je plaide en ce sens.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je me serais bien fait discret,…

Mme Catherine Procaccia. Ce n’est pas possible ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Mais si ! Dans la mesure où je n’ai pas compris tous les éléments du débat, je pensais que je pourrais lever la main discrètement au moment du vote, mais un scrutin public a été demandé : il faut donc que je me détermine. (Nouveaux sourires.)

Il n’est peut-être pas de saison d’apporter un soutien inconditionnel au Gouvernement, nous attendrons peut-être le moment propice…

Pour l’heure, j’essaie de comprendre les termes du débat. La procédure de l’injonction structurelle est engagée lorsque l’on constate un abus,…

M. François Pillet, corapporteur. Non !

M. Jean Desessard. … par exemple, si une entreprise occupe une position dominante qui lui permet de dégager des marges élevées au détriment des consommateurs. Je pense avoir compris ce point.

M. le rapporteur et M. le ministre estiment tous les deux qu’il faut lutter contre ces situations.

M. le ministre s’en remet à l’Autorité de la concurrence, quitte à introduire du contradictoire après le rapport, du moins est-ce ce que j’ai cru comprendre. M. le rapporteur estime, lui, qu’il faut procéder de manière plus progressive : une concertation doit s’engager et le rapport est établi en concertation avec l’entreprise en position dominante, quitte à ce que l’Autorité de la concurrence prenne une position au terme de la procédure.

Entre les deux, allez donc vous déterminer…Ce n’est pas facile !

Nous avons participé au précédent gouvernement,…

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Vous pouvez revenir !

M. Jean Desessard. … nous avons conservé des relations et j’aurais donc tendance à pencher du côté de M. le ministre. Cependant, l’argumentation de M. le rapporteur me paraît a priori plus sensée, dans la mesure où la démarche préconisée est plus constructive et plus logique – le contradictoire est organisé dès la phase du rapport.