M. Jean Desessard. Pourtant, je ne suis pas d’accord avec vous, car, à force d’étendre le travail le dimanche dans les zones de tourisme, dans les gares et dans les commerces de détail, vous multipliez les régimes dérogatoires.

Vous dites que les entreprises, en particulier dans le secteur du bricolage, ont envie d’ouvrir davantage le dimanche. Mais les salariés et les syndicats n’ont, eux, d’autre choix que de subir !

Vous dites également que les élus ont le choix libre d’autoriser ou non l’ouverture le dimanche. Or une entreprise souhaitant ouvrir le dimanche arguera du fait qu’elle paie des impôts et qu’elle joue un rôle important dans la vie économique de la commune pour faire pression sur le maire, qui devra lui céder. Il y aura évidemment une concurrence entre les collectivités ; elle existe déjà pour les zones franches, pour les mesures de défiscalisation. Chacune souhaite attirer les entreprises. Les élus n’auront donc pas le choix, puisqu’il leur faut favoriser l’activité économique dans leurs communes.

La véritable question qu’il faut se poser, c’est celle du respect du repos dominical. Si l’on estime que, à terme, il n’existera plus et qu’il faut autoriser l’activité économique partout pour être heureux, pourquoi fixer le point d’équilibre à douze dimanches et non à treize ? En revanche, si on respecte le repos dominical, on ne doit pas autoriser toutes ces dérogations.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.

M. Pierre Laurent. Monsieur le ministre, votre démonstration est éloquente.

M. Pierre Laurent. Vous avez commencé votre démonstration en nous expliquant que le nombre de douze dimanches était un équilibre parfait. C’est donc bien que votre intention était déjà de généraliser ce nombre, et non celui de cinq.

Par ailleurs, vous évoquez la liberté des maires. Or, comme vient de le dire mon collègue Jean Desessard, les maires subissent déjà de très fortes pressions pour ouvrir cinq dimanches par an. En portant le nombre de dimanches à douze, sachant qu’il existe par ailleurs d’autres dérogations au repos dominical, la pression sera maximale.

M. Didier Guillaume. Ce n’est pas vrai !

M. Pierre Laurent. La liberté des élus est, de ce point de vue, une chimère.

De même, vous ne cessez de parler du volontariat des salariés du commerce, alors que vous savez pertinemment que, dans un secteur où les salaires sont extrêmement bas, où la précarité est très grande et où le pouvoir d’achat est totalement bloqué, il y a chantage à l’emploi et non volontariat !

Prenez ainsi le cas du candidat à un emploi dans le commerce à qui l’on demande innocemment lors de l’entretien d’embauche s’il est prêt à travailler le dimanche. Que pensez-vous qu’il répondra ? Il dira oui, évidemment, afin d’obtenir l’emploi ! Il ne s’agit donc absolument pas de volontariat, malgré le prétendu encadrement du travail dominical.

Ainsi cet article, de même que le reste du texte, constitue bel et bien un encouragement systématique à augmenter et à généraliser le travail du dimanche, et non un encadrement destiné à le limiter.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Si l’on examine attentivement le texte de la commission spéciale, on constate qu’il est conforme au texte transmis par l’Assemblée nationale, ce qui est important pour le groupe socialiste.

Ce texte porte de cinq à douze le nombre de « dimanches du maire », mais ne nous faisons pas peur, de nombreuses communes n’atteindront pas le nombre maximal. Les cinq dimanches actuellement autorisés suffisent pour les fêtes de fin d’année, un événement local spécifique, et les soldes d’été et d’hiver. Les cinq dimanches sont vite atteints !

Mme Annie David. On peut y ajouter la fête des pères et la fête des mères !

Mme Nicole Bricq. Les « dimanches du maire » ne constituent donc pas une banalisation du travail dominical.

La disparition des cinq dimanches laissés à la seule décision du maire me paraît intéressante. L’ouverture de ces cinq dimanches sera certes proposée par le maire, mais elle sera désormais soumise à un vote du conseil municipal.

Mme Nicole Bricq. La démocratie locale y gagne donc, accordons-nous au moins sur ce point !

À compter du sixième dimanche, l’avis conforme de l’intercommunalité sera requis si la commune appartient à un EPCI, ce qui évitera les disparités entre communes, lesquelles représentent un sujet majeur de préoccupation aujourd’hui. Cela favorisera donc la cohérence territoriale, reconnaissez au moins cela.

Par ailleurs, et je m’adresse là à mes collègues de gauche, permettez-moi de souligner un point primordial : les salariés qui travailleront lors de ces dimanches verront leur rémunération doubler et bénéficieront en outre d’un repos compensateur. Ce « filet social » doit être pris en compte.

Certes, le mot d’« équilibre » n’est peut-être pas le meilleur, mais il faut tout de même savoir raison garder. Il ne s’agit pas de banaliser le travail dominical sur l’ensemble du territoire.

Le texte résultant des travaux de la commission spéciale, qui est conforme à celui de l’Assemblée nationale, respectant l’esprit général du projet de loi, il serait dommage de le supprimer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. Permettez-moi de parler d’expérience, mes chers collègues. J’ignore qui, dans cet hémicycle, a déjà signé une autorisation d’ouverture dominicale. Moi, je l’ai fait, en tant que maire !

Mme Évelyne Didier. Certes, nous sommes sans doute quelques-uns à l’avoir fait.

J’indique d’abord que tous les maires ont systématiquement autorisé cinq ouvertures dominicales.

Au début, les magasins n’ouvraient pas entre midi et quatorze heures. Ensuite, ce fut à celui qui ouvrirait le plus tôt. Enfin, pour capter la clientèle, l’un d’eux s’est dit : « Allez, j’y vais ! ». Les autres ont suivi et ouvert à leur tour le dimanche.

En fait, il n’y a pas plus d’argent. En ce moment, il y en a même plutôt moins. L’extension du travail dominical vise donc non pas à pousser les consommateurs à dépenser plus ni à permettre à je ne sais qui de gagner davantage, mais à capter l’argent disponible ! Il est complètement faux de prétendre qu’il s’agit de créer de la richesse : il n’est question que de concurrence et de captation de richesses dans des noyaux organisés. Ce qui sera dépensé dans les gares ne le sera plus dans la localité de destination !

Arrêtons donc de prétendre que, par un coup de baguette magique, l’ouverture des magasins le dimanche permettra de créer de la richesse, que les salariés auront plus d’argent à dépenser, car cela est faux. Cessons de dire n’importe quoi !

Si l’on veut créer des dynamiques dans les noyaux urbains, c’est autre chose, mais il faut alors le dire et avancer les véritables arguments.

Quant au maire, je peux vous garantir qu’il subira des pressions de la part des commerçants d’un côté et des salariés de l’autre. Les premiers voudront ouvrir douze dimanches par an, les seconds s’opposeront à l’octroi de l’autorisation. Que fera alors le maire ? Il s’en tiendra à la loi et accordera les douze dimanches travaillés, arguant que les commerçants y ont droit. Voilà comment cela se passera !

C’est cela, la vraie vie ! Je n’ai pas toujours l’impression en vous entendant que vous savez ce que c’est. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Roger Karoutchi. Vous n’êtes pas la seule à sortir dans les rues !

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Mme Didier a apparemment touché un point sensible !

M. Roger Karoutchi. Pas du tout !

Mme Annie David. Permettez-moi d’ajouter quelques arguments à ceux qui viennent d’être avancés.

Les « dimanches du maire » ont normalement vocation à accompagner des moments de consommation exceptionnelle, telles les fêtes de fin d’année ou encore l’organisation d’un événement local, ainsi que l’ont rappelé Mme Bricq à l’instant et M. le ministre.

Je peux vous garantir que, pour atteindre les douze « dimanches du maire », on trouvera d’autres moments de consommation exceptionnelle, telle la fête des mères ou la fête des pères, ou encore la fête des grands-mères au mois de mars,…

M. Didier Guillaume. Celle des poissons rouges !

M. Roger Karoutchi. Et celle des grands-pères ?

Mme Annie David. … voire la Saint-Valentin !

M. Jean-Claude Lenoir. Et la fête des belles-mères !

Mme Annie David. Tous ces événements ne se produisant qu’une fois par an, pourquoi n’entraîneraient-ils pas l’ouverture des magasins le dimanche ? Je fais confiance à l’ensemble des acteurs locaux du commerce pour trouver des raisons d’ouvrir les douze dimanches auxquels ils auront droit.

J’ajoute que les « dimanches du maire » entraînant le doublement du salaire et l’octroi d’un repos compensateur – et c’est peut-être d’ailleurs leur seul aspect bénéfique –, ils créeront encore plus d’inégalités entre les salariés, ceux qui sont soumis au travail dominical en vertu d’un accord collectif ne bénéficiant pas de telles compensations.

À cet égard, on ne sait pas très bien qui négociera ces accords ni sous quel régime. J’ai pourtant pris connaissance de votre réponse tout à l’heure, monsieur le ministre, mais je n’ai pas compris pourquoi vous faisiez référence à la cinquième partie du code du travail,…

M. Emmanuel Macron, ministre. J’ai répondu à votre question, mais vous n’étiez pas là !

Mme Annie David. … mais je n’y reviens pas.

En tout état de cause, ces accords ne prévoiront pas le doublement du salaire ni un repos compensateur pour les salariés.

Enfin, selon vous, madame Bricq, le texte de la commission spéciale serait conforme à celui de l’Assemblée nationale ; or tel n’est le cas puisqu’elle a supprimé les trois jours fériés qui devaient être inclus dans les douze « dimanches du maire ».

Mme Nicole Bricq. On a expliqué cela tout à l’heure !

Mme Annie David. On en arrive donc à douze dimanches travaillés, auxquels s’ajouteront trois jours fériés.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.

M. Didier Guillaume. Nous devrions à mon sens éviter de lancer des anathèmes, comme nous le faisons depuis ce matin.

M. Didier Guillaume. Il n’y a pas d’un côté ceux qui connaissent la vraie vie et ceux qui ne la connaissent pas ; ceux qui défendent les travailleurs et ceux qui ne les défendent pas ; ceux qui savent, en tant qu’élus, ce qu’ils signent et ceux qui ne le savent pas. Ce n’est pas non plus cela la vraie vie, mes chers collègues !

M. Didier Guillaume. Quel commerçant se battra pour ouvrir douze dimanches par an si cela lui coûte plus que cela ne lui rapporte ?

M. Roger Karoutchi. Évidemment ! C’est du bon sens !

M. Didier Guillaume. La réalité de la vie de tous les jours, c’est la loi de l’offre et de la demande !

Le texte que nous examinons est équilibré. Aujourd’hui, 30 % des actifs travaillent sept jours sur sept ! C’est ainsi le cas des éleveurs de moutons ou de chèvres de mon département, qui ne bénéficient pas en outre de jours de repos compensateur. Les femmes qui commencent tôt le matin pour faire des ménages ne bénéficient pas non plus de ces conditions. Ce texte, au risque de vous faire bondir, chers collègues, constitue donc une grande avancée sociale ! (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRC.)

M. Didier Guillaume. Nous disons clairement que le dimanche n’est pas un jour comme les autres et que nous ne voulons pas généraliser le travail dominical. Il n’en est pas question ! Le dimanche est destiné au sport, à la culture ou encore au rassemblement. Toutefois, il y a des gens qui travaillent le dimanche.

En outre, les douze « dimanches du maire » sont facultatifs. Si le maire décide de les autoriser, avec tous les verrous prévus – le vote du conseil municipal, l’accord de l’EPCI –, cela se fera dans l’intérêt des salariés.

Vous avez indiqué tout à l’heure, madame Didier, avoir déjà autorisé des ouvertures le dimanche. Sans doute certains chefs d’entreprises souhaitent ouvrir le dimanche, mais il existe aussi des salariés qui s’y opposent. Les situations ne sont donc pas si simples, ne cédons pas à la caricature !

Nicole Bricq vient de le souligner : non seulement cet article est équilibré, mais il constitue en outre une avancée, car il prévoit un doublement du salaire et l’octroi d’un repos compensateur. Et rien que pour cette avancée, ce texte va dans le bon sens.

Faisons donc confiance aux énergies locales, aux maires. Tous ne veulent pas asservir le peuple ! (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) Il faut bien développer l’activité économique.

M. le ministre a donc raison de parler d’équilibre. On pourrait aller plus loin, mais on pourrait aussi aller moins loin.

L’Assemblée nationale et la commission spéciale proposent de conserver les cinq « dimanches du maire » tels qu’ils existent aujourd’hui et d’en autoriser éventuellement sept autres, sur proposition du maire, et après accord du conseil municipal, lors d’événements locaux, qu’ils soient communaux ou intercommunaux. Faisons donc confiance à l’intelligence collective. Il s’agit non pas de tout bouleverser, mais de répondre à un besoin, afin de dynamiser l’économie.

Je le répète, ce texte constitue véritablement une grande avancée sociale pour certains salariés, qui verront leur rémunération doubler lorsqu’ils travailleront le dimanche. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui ne bénéficient que de faibles compensations salariales – de l’ordre de 10 % à 25 % en plus – et de brefs repos compensateurs dans ce cas.

Certains préfèreraient que la situation reste figée. Pour notre part, nous pensons qu’il faut un peu libérer l’économie, les énergies, et favoriser les initiatives dans les territoires. Ce texte va donc dans le bon sens, même s’il ne plaît pas à tout le monde.

M. Didier Guillaume. Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jean Desessard. L’UMP applaudit les avancées sociales !

Mme Pascale Gruny. Cela arrive !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Gabouty. Je ne fais pas partie, monsieur le ministre, de ceux qui sont persuadés qu’il était indispensable de porter de cinq à douze le nombre de « dimanches du maire ». En effet, il me semble que pour l’immense majorité des communes, même celles qui comptent plus de cinq mille habitants, les cinq dimanches étaient suffisants, en dehors bien entendu des zones commerciales et des zones touristiques internationales, dont nous avons parlé précédemment.

Toutefois, j’avoue être personnellement surpris, pour ne pas dire choqué, par l’image que vous donnez du maire, mes chers collègues.

M. Didier Guillaume. Bien sûr !

M. Jean-Marc Gabouty. Je pense que la plupart des maires n’octroient cinq ouvertures dominicales que si elles sont nécessaires.

Pour ma part, en tant que maire, je signe des autorisations d’ouverture dominicale depuis dix-neuf ans ; j’en délivre deux tous les ans. Il ne m’est arrivé qu’à deux reprises d’en autoriser trois. Jamais aucun salarié n’est venu me reprocher de l’avoir fait. De façon générale, les salariés comprennent tout à fait que l’on ouvre certains dimanches, en principe les deux qui précèdent Noël, de nombreux achats étant effectués au cours de cette période.

Pour connaître un certain nombre d’élus de sensibilités politiques différentes, je peux vous dire qu’ils ne sont pas « au taquet » en matière d’ouverture le dimanche !

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Ils ne le seront pas plus demain !

M. Jean-Marc Gabouty. Quant aux éventuelles pressions, permettez-moi de rappeler que le maire est indépendant : il a le droit de résister !

Certains dérogent même à la loi actuelle, raison pour laquelle j’ai déposé des amendements visant à augmenter le niveau des sanctions.

Chers collègues, ne donnez pas cette image des élus. Pour ma part, je leur fais confiance, quelle que soit leur sensibilité politique. Ils sont majeurs ! Où va-t-on si l’on subit des pressions pour des histoires d’ouverture le dimanche ?

Je pense que le pouvoir de décision dont ils disposent en la matière est tout à fait valorisant pour les maires. Et, si je suis d’accord avec la proposition faite par M. le ministre dans le cadre de ce texte, c’est parce que je crois à l’esprit de responsabilité des élus, qui sauront trouver la bonne mesure et ne céderont pas forcément à je ne sais quelle pression des uns ou des autres.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dominati, pour explication de vote.

M. Philippe Dominati. Je veux apporter un témoignage de ce qu’est la « vraie vie » pour un chef d’entreprise (Sourires sur les travées de l’UMP.), en vous donnant lecture d’un extrait de l’arrêté qui a été pris en réponse à une demande d’autorisation d’ouverture le dimanche formulée, en janvier dernier, à Paris, à l’issue d’un véritable parcours du combattant pour constituer un dossier administratif relativement important :

« Le Conseil de Paris, siégeant en formation de conseil municipal, consulté,

« Vu l’avis favorable de la chambre de commerce et d’industrie de Paris,

« Vu la réponse de la chambre des métiers et de l’artisanat, qui se déclare non concernée,

« Vu l’absence de réponse de la Fédération des enseignes de l’habillement,

« Vu l’absence de réponse de la chambre syndicale des commerces de l’habillement […],

« Vu l’avis défavorable du syndicat SUD, concerné,

« Vu l’absence de réponse du syndicat du commerce interdépartemental d’Île-de-France CFDT,

« Vu l’absence de réponse de la Fédération nationale de l’encadrement du commerce des services,

« Vu l’absence de réponse de la Fédération des commerces Force de vente-CFTC,

« Vu l’absence de réponse de l’Union syndicale CGT du commerce,

« Vu l’absence de réponse du syndicat FO,

« En l’absence de réponse de la Fédération des employés CGT-FO […] ».

Autrement dit, un avis favorable, un avis défavorable et près de dix absences de réponse, pour une demande d’autorisation concernant un seul dimanche ! Et cette réponse a été signifiée au chef d’entreprise le 23 janvier, pour un événement qui devait avoir lieu dans la capitale le dimanche 25 janvier…

Cet exemple témoigne de la « pression insoutenable » qui s’exerce…

À la lumière de ce témoignage, je vous invite à recentrer notre débat sur les vraies questions à l’ordre du jour. Pour l’instant, le texte dont nous discutons ne simplifie en rien ou presque rien la vie quotidienne des chefs d’entreprise, qui doit être améliorée.

Chère collègue, vous dites que cette mesure n’entraînera pas de progression du chiffre d’affaires, mais il en résultera bel et bien une création de richesses, par exemple, par rapport au commerce sur internet.

M. Roger Karoutchi. Évidemment !

M. Philippe Dominati. Quand on a des charges fixes, le fait de disposer des plages d’ouverture plus importantes en nombre de journées augmente automatiquement le chiffre d’affaires. L’augmentation est même de 2 à 3 %, pour un commerce normal, quand sept dimanches sont ouverts sur l’année. Telle est la réalité du commerce et de la distribution.

Vous évoquez une pression insoutenable. Pour ma part, lorsque je vois tous les syndicats qui ont été consultés sur le cas particulier que j’ai évoqué, je dois dire que je n’ai pas exactement la même vision de la « vraie vie » que vous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour explication de vote.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voulais insister sur un aspect du texte qui ne me semble pas avoir été évoqué, mais qui me paraît fondamental, dans la mesure où il marque, selon moi, un recul de la société : je veux parler des enfants.

J’ai été enseignant et animateur dans des structures accueillant les enfants le samedi. Je vois que les familles monoparentales sont beaucoup plus nombreuses aujourd'hui qu’il y a trente ans. Or je sais que, pour réussir, l’enfant à l’école a besoin d’un « temps parental » important. Or celui-ci s’est réduit au fil du temps.

La plus grande crainte que m’inspire ce projet de loi concerne l’enfant. En effet, si le parent travaille douze dimanches par an, c’est l’échec scolaire généralisé que l’on prépare !

Alors que l’on sait qu’il est fondamental de ne pas laisser l’enfant échouer à l’école et que d’ores et déjà 140 000 ou 150 000 enfants sortent sans diplôme du système scolaire, on irait encore prendre une décision contraire à la réussite scolaire ?

L’enfant a besoin de faire du sport et d’accéder à la culture, mais il a aussi besoin de temps parental « pur » ! L’enfant a besoin de vivre avec ses parents, pour grandir, pour acquérir son autonomie, pour avoir le plus de chances de réussir.

Pour moi qui ai exercé ce beau métier d’enseignant et qui ai des enfants et des petits-enfants, c’est ce qui compte le plus, non seulement pour les enfants eux-mêmes, mais aussi pour l’avenir de la société. Nous risquons de payer cher toute mesure qui irait à l’encontre de la réussite des enfants.

En tant que maire, il m’est arrivé de signer des autorisations d’ouverture pour trois ou quatre dimanches dans l’année, au moment des fêtes de Noël en particulier, pour répondre à une demande de la population, car il y a des habitudes, des traditions, et les nouveaux élus, sur ce plan, font un peu comme leurs prédécesseurs. On ne change pas trop les traditions dans les territoires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. On voit bien qu’il y a, sur ce point, des désaccords profonds. Ceux-ci me semblent liés au projet de société que chacun défend.

M. Roger Karoutchi. Quel est le rapport ?

Mme Laurence Cohen. On ne peut pas faire abstraction de ce débat, qui nous occupe en fait depuis ce matin.

Nous sommes en 2015.

M. Roger Karoutchi. Justement !

Mme Laurence Cohen. Or qu’entend-on dans la discussion ? Que des tas de gens travaillent le dimanche, que ces salariés sont mal payés, qu’ils ne bénéficient d’aucune compensation. Mais, eurêka, nous aurions trouvé la solution : élargir les possibilités de travail le dimanche, avec des compensations réelles.

On nous dit que c’est le sens du progrès et qu’il ne faut pas que nous restions figés.

Mme Laurence Cohen. Chers collègues, au risque de me répéter, oui, nous sommes en 2015, et les progrès techniques sont extraordinaires.

M. Roger Karoutchi. Justement !

Mme Laurence Cohen. On pourrait penser que c’est le moment de réduire le temps de travail ; on pourrait penser que c’est le moment de promouvoir une autre conception de la vie ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Eh oui, c’est comme cela, chers collègues !

J’aimerais que l’on ait un vrai débat sur ce point. On nous dit que le travail le dimanche est la solution au chômage, la condition de la reprise.

M. Roger Karoutchi. Les 35 heures, voilà qui devait être la solution !

Mme Laurence Cohen. Le chômage en France serait donc dû à la fermeture des magasins le dimanche ? Excusez-moi, mais l’argument est tout de même extrêmement fallacieux !

Je ne sais pas de quel côté sont les positions figées. En tout cas, plutôt que dégrader encore et toujours les conditions de vie et de travail des mêmes, c’est être les deux pieds dans son siècle que de permettre aux femmes et aux hommes de vivre dignement, décemment, avec des salaires qui leur assurent un niveau de vie correct. Telle devrait être l’ambition du Sénat !

Quant à l’avenir des enfants, que mon collègue évoquait à l’instant, je veux rappeler que nous l’avons abordé ce matin, au travers des moyens de garde ou encore des services publics. Mais, curieusement, on semble considérer ici que ce n’est pas un problème et que les familles, y compris monoparentales, se débrouilleront. Cette attitude peut être extrêmement choquante.

Je ne sais pas où est la « vraie vie », mais il semble que tous les sénateurs ne prennent pas en considération les mêmes données. Pour ce qui nous concerne, nous sommes préoccupés par le nombre actuel de chômeurs, par la pauvreté qui s’accentue et qui, de plus en plus, a un visage féminin. À cet égard, ce projet de loi ne va pas dans les sens du progrès ! (Très bien ! sur les travées du groupe CRC. – Mme Annie David applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.

M. Martial Bourquin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Dominati abordait à l’instant la question de la Mairie de Paris. Je crois qu’après le vote de la loi on en restera à la liberté de décision de tous les maires, comme M. le ministre l’a dit, et c’est heureux. C’est une liberté pour les maires, et il est bon que cela demeure ainsi.

Cela étant, il est important de prendre en compte les commerces, les chefs d’entreprise, mais aussi de rencontrer les syndicats et de veiller à garder un équilibre.

Pour être également maire et avoir l’occasion d’accorder la possibilité de travailler le dimanche, j’estime que, dans les territoires où nous sommes élus, nous devons aussi faire en sorte qu’il y ait un équilibre entre grandes surfaces et petits commerces. Le vrai problème, dans les villes de 10 000, 15 000, 20 000 habitants, c’est de garder les commerces de centre-ville (Mme Nicole Bricq opine.), et je vous assure que c’est très difficile, surtout quand les grandes surfaces, à côté, se mettent à ouvrir le dimanche… C’est pour cela que le travail du dimanche doit être limité, et non généralisé.

Aujourd’hui, on discute du passage à douze du nombre de dimanches du maire. On aurait pu retenir le chiffre de sept. En tout état de cause, on ne généralise pas le travail du dimanche. C’est important. On nous dit que l’on met le pied dans la porte : ce n’est pas le cas !

Il importe également, lorsque l’on parle des grandes surfaces, de savoir que les salariés qui y travaillent sont souvent des femmes et que, parmi elles, beaucoup élèvent seules leurs enfants. Aujourd'hui, le travail est déstructuré. La souffrance au travail existe ! Certaines personnes, qui ne travaillent que quelques heures par semaine, dépensent plus dans les trajets domicile-travail que ce qu’elles gagnent. C’est pour cela que nous devons faire en sorte que le travail du dimanche soit assorti de compensations, comme cela est, au demeurant, prévu.

Je ne voudrais pas que la France se modèle sur la Grande-Bretagne, où, aujourd'hui, des personnes travaillent à la journée, ou encore sur la Belgique, où les facteurs ont été remplacés par des personnes engagées à la journée, rémunérées vingt euros. Il doit y avoir des protections.

M. Roger Karoutchi. Quel est le rapport ?

M. Martial Bourquin. Ces protections, le ministre les a évoquées. Il est important de les conserver et de faire en sorte que, là où il n’y en a pas aujourd'hui, il y en ait demain, quand on aura voté la loi. Aujourd'hui, en effet, des gens travaillent le dimanche sans aucune compensation. C’est intolérable !

Mme Laurence Cohen. Cela va continuer !

M. Martial Bourquin. Pour finir, je veux dire que le dimanche est très important pour chacun, qu’il soit ou non croyant. Certains ne veulent pas travailler le dimanche pour des raisons qui leur sont personnelles, pour se retrouver en famille, pour passer de bons moments ensemble, parce que c’est le seul jour où il n'y a pas classe,…

M. Roger Karoutchi. Pas avec la semaine des quatre jours !

Mme Annie David. Et pourquoi pas ouvrir les écoles le dimanche, monsieur Karoutchi ?