M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le vendredi 13 novembre, Daech a frappé la France. Cette armée terroriste s’en est prise lâchement à ce qui fait notre pays et à ce qu’il représente : sa jeunesse, sa diversité, ses lieux de vie et de culture, son art de vivre, ses principes universels, qui parlent au cœur des peuples sur tous les continents. Il y a eu cent trente victimes, de vingt nationalités différentes ; en attaquant la France, Daech a donc une nouvelle fois attaqué le monde.

Face à ce totalitarisme islamiste, la France mène et mènera une guerre implacable. Daech veut nous frapper ; nous frapperons plus fort, dans le cadre de la légalité internationale. Nous frapperons juste, car nous agissons au nom de la liberté et pour la sécurité de nos concitoyens. Et nous gagnerons : même s’il y faut du temps, même si d’autres épreuves peuvent survenir, nous gagnerons cette guerre contre la barbarie.

Pour gagner cette guerre, il nous faut mener de front deux combats.

Nous mènerons le premier ici, sur notre sol, en nommant notre adversaire – l’islamisme radical, le djihadisme, le salafisme –, en traquant les individus, en débusquant les cellules, en démantelant les réseaux, en cassant les filières et en mettant les terroristes hors d’état de nuire. En déjouant, aussi, les projets d’attentats – je pense à celui qui aurait pu frapper, après Paris et Saint-Denis, le quartier de La Défense, comme le procureur de la République l’a rappelé hier. En coopérant avec nos voisins, enfin, tout particulièrement avec la Belgique, qui est aujourd’hui en état d’alerte.

La semaine dernière, à la suite du Président de la République, le Premier ministre a exposé au Parlement les mesures exceptionnelles que nous prenons, dans le cadre de l’état d’urgence, pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Depuis la déclaration de l’état d’urgence, le 14 novembre, au lendemain des attentats, plus de 1 400 perquisitions administratives ont été ordonnées, 241 armes ont été saisies, dont une vingtaine d’armes de guerre, et 272 personnes ont été assignées à résidence. Nous poursuivons cette action sans trêve ni pause, ainsi que le ministre de l’intérieur l’a plusieurs fois rappelé.

Nous vous avons également fait part des moyens supplémentaires que nous affectons à la protection de notre territoire – 120 000 policiers, gendarmes et militaires mobilisés –, des recrutements nouveaux auxquels nous allons procéder, des investissements nouveaux que nous allons réaliser pour les équipements de nos forces de l’ordre et des dispositions qui renforceront notre arsenal juridique, mais aussi de tout ce qui est mis en œuvre depuis le début de cette année.

Mais le combat, nous devons avant tout le poursuivre en Irak et en Syrie, car c’est là que Daech prospère dans l’impunité de ses crimes ; c’est là qu’il faut frapper, pour agir à la racine du mal.

Si, sur le plan militaire, les racines de Daech sont en Irak, l’épicentre du terrorisme de Daech, c’est la Syrie. Les djihadistes en contrôlent l’est et le nord, dont ils ont fait un bastion, où ils ont installé leur prétendue capitale, Raqqa, et où ils ont bâti un régime reposant sur la terreur, le vol et la contrebande, ainsi que sur les trafics non seulement d’armes et de drogues, mais aussi d’êtres humains. Depuis cet épicentre, les attentats sont organisés et planifiés. Dans ces repaires, les commandos viennent se former et prendre leurs ordres. C’est de là, nous le savons, qu’ont été commanditées les attaques qui visent notre pays depuis plusieurs mois.

Nous avions une responsabilité et, surtout, un devoir : intervenir militairement en Syrie, comme nous le faisions déjà en Irak depuis le mois de septembre 2014. C’est pourquoi, le 7 septembre dernier, le chef de l’État a lancé l’offensive de nos forces aériennes dans le ciel syrien ; je vous ai alors informés, mesdames, messieurs les sénateurs, du cadre et des modalités de cette intervention.

Depuis lors, nos Rafale et nos Mirage ont multiplié les missions. Mais le 13 novembre a, d’une certaine façon, changé la donne : une riposte à la mesure de l’agression que nous avons subie s’est imposée. Il n’y a pas d’alternative : nous devons anéantir Daech, comme le Président de la République l’a clairement affirmé devant le Parlement réuni en Congrès.

Depuis dix jours, nos forces aériennes ont intensifié leurs frappes ; elles ont élargi leurs cibles ; elles ont étendu le périmètre et la fréquence de leurs missions. Nos chasseurs-bombardiers ont lancé huit raids sur Raqqa et bombardé de nouveaux sites de Daech en Irak, hier encore à Mossoul. Ces opérations portent à plus de trois cents le nombre de frappes menées depuis que nos forces sont engagées au Levant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, notre action va prendre encore plus d’ampleur. Présent depuis quarante-huit heures en Méditerranée orientale, notre porte-avions, le Charles-de-Gaulle, nous donne une force accrue pour amplifier nos opérations, aussi bien en Syrie qu’en Irak. Nos capacités sur zone sont multipliées par trois.

Je tiens à rendre une nouvelle fois un hommage appuyé à tous nos militaires déployés au Moyen-Orient. Je veux saluer leur courage et leur engagement. Nous avons pu constater leur sens du devoir et leur professionnalisme à maintes reprises ; M. le Premier ministre en a encore eu l’occasion récemment, en visitant l’une de nos bases aériennes en Jordanie.

Ces femmes et ces hommes, comme celles et ceux de l’opération Barkhane, font la fierté de toute notre nation. La France est derrière ses militaires qui se battent là-bas pour notre sécurité ici. Ils agissent sous l’impulsion du ministre de la défense, mon collègue et ami Jean-Yves Le Drian, dont nous voulons saluer l’action ; son sens de la décision est particulièrement précieux au moment où tout le Gouvernement est mobilisé au service de la défense et de la sécurité de notre pays.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France est au cœur de cette guerre contre Daech, aux avant-postes. Mais ce combat contre le terrorisme est aussi celui des Nations unies. Vendredi dernier, le Conseil de sécurité a fait preuve de responsabilité en adoptant à l’unanimité la résolution 2249, préparée par la France, qui appelle à amplifier la lutte contre les groupes terroristes djihadistes. C’était une demande de la France, du Président de la République et de notre diplomatie, exprimée dès le lendemain des attentats.

Ce combat, nous le menons aussi, dès à présent, dans le cadre d’une coalition comportant une trentaine d’États engagés militairement en Irak ou en Syrie.

Nous progressons, en sorte que, malgré les difficultés, le rapport de force sur le terrain commence à s’inverser : avec l’appui de la coalition, les unités irakiennes et kurdes, ainsi que l’opposition modérée syrienne, ont réussi à endiguer l’expansion territoriale de Daech ; et, en Irak, les villes de Sinjar et Baïji ont été reconquises, ce qui coupe des axes stratégiques entre Mossoul et Raqqa. C’est bien le signe que l’emprise de l’armée terroriste sur cette zone n’est pas une fatalité.

Daech commence à subir des dommages sérieux et à éprouver des difficultés pour organiser les ravitaillements à Mossoul, ainsi que pour payer ses combattants. Les recrues sont de plus en plus jeunes pour faire face aux pertes humaines et aux désertions. D’importantes restrictions en eau et en électricité touchent la population, tandis que les prix augmentent. La dégradation de la situation va s’accentuer avec l’arrivée de l’hiver.

Daech commence donc à reculer, ce qui prouve qu’il peut être vaincu. Seulement, pour vaincre, nous devons aller plus loin, parce que cette armée terroriste conserve des ressources et peut encore mener des offensives.

Aller plus loin, c’est mobiliser une coalition plus large ; c’est la position de la France, une position constante.

Nous devons le faire, bien entendu, avec les États-Unis, pour lesquels le 13 novembre a aussi changé la donne, comme le Président de la République, M. Le Drian et moi-même l’avons constaté hier, lors de notre rencontre avec le président Obama à Washington. Nos deux pays, pays alliés toujours soudés face aux épreuves, ont affirmé une volonté commune : agir encore plus étroitement, sur les plans militaire et diplomatique. Après ce qui s’est passé à Paris, il n’y a évidemment plus d’hésitation à avoir.

Une coalition plus large, c’est aussi une coalition dans laquelle les Européens doivent assumer leur responsabilité, qui est historique. Le combat contre le terrorisme n’est pas seulement le combat de la France : il est le combat de l’Europe entière et doit être celui de tous les pays de l’Union européenne, car les terroristes se jouent et se moquent des frontières ; ils frappent à Paris, à Bruxelles ou à Copenhague, comme ils ont frappé hier à Madrid ou à Londres. Parce que l’Europe fait face à une même menace, c’est dans son ensemble qu’elle doit se mobiliser. Aucun pays d’Europe ne peut se croire à l’abri et hors de ce combat.

Au lendemain des attentats et pour la première fois, nous avons invoqué l’article 42, alinéa 7, du traité sur l’Union européenne pour faire appel à la solidarité de nos partenaires, afin qu’ils contribuent directement aux opérations militaires et qu’ils nous prêtent leur concours logistique, de sorte que nous ne portions pas seuls le fardeau de la guerre. Tous nos partenaires ont entendu cet appel. Il faut maintenant passer aux actes.

Dès à présent, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark sont engagés à nos côtés en Irak. Mais nous avons besoin de tous, en Irak et en Syrie, ainsi qu’au Sahel ; l’attentat de Bamako est venu souligner, hélas, que les menaces qui ont justifié notre intervention dans cette région il y a deux ans demeurent, en tout cas certaines d’entre elles.

Demain, nous aurons peut-être besoin de l’Europe, sous une autre forme, en Libye. En effet, nos regards inquiets se tournent vers cette partie de l’Afrique du Nord qui pourrait devenir un nouveau repaire des terroristes de Daech à nos portes.

Déjà, la Tunisie subit des assauts très lourds – songeons au musée du Bardo, à la ville de Sousse et à l’attaque qui a visé hier la garde présidentielle à Tunis. En notre nom à tous, je veux marquer une nouvelle fois notre solidarité à l’égard de la Tunisie et du peuple tunisien. Ce pays est un exemple de démocratie et de laïcité, et c’est cet exemple que les terroristes ont voulu abattre. La Tunisie mérite tout le soutien de la France, de l’Europe et de la communauté internationale ! (Applaudissements.)

Pour mobiliser l’Union européenne, le Président de la République en rencontre les principaux dirigeants.

Avant-hier, il a ainsi rencontré le Premier ministre britannique, David Cameron, qui va demander à son Parlement que la Grande-Bretagne s’engage en Syrie. Comme tout à l’heure à l’Assemblée nationale, j’indique que nous souhaitons que le Parlement britannique approuve la proposition de M. Cameron.

Ce soir même, le Président de la République rencontrera la chancelière allemande, Angela Merkel. Je veux d’ores et déjà saluer la décision de l’Allemagne, qui pourrait dépêcher 650 hommes au Mali pour participer à nos côtés à la lutte contre le terrorisme et à la préservation de la paix dans ce pays, sans préjudice d’autres dispositions. Nous verrons bien ce que Mme Merkel nous dira.

Demain matin, enfin, le Premier ministre italien, notre ami Matteo Renzi, sera à Paris.

Nous le sentons bien : il y a enfin une prise de conscience quant à la gravité du danger et quant à la nécessité de joindre nos forces. C’est ce que nous disons depuis plusieurs mois. Les attentats de Paris ont été un choc pour l’Europe entière, qui a bien compris qu’elle était aussi visée. Pour l’Europe également, en effet, le 13 novembre a d’une certaine façon changé la donne.

Au-delà des États-Unis et de l’Europe, nous devons mobiliser un front mondial. Nous sommes à l’heure de vérité : chacun doit prendre ses responsabilités et dire clairement que l’ennemi en Syrie, c’est Daech !

Cette position doit être sans ambiguïté celle de tous les pays de la région. Car laisser Daech proliférer, c’est faire planer une menace de déstabilisation de tout le Moyen-Orient.

Demain, le Président de la République – je serai à ses côtés – sera à Moscou. Nous y rencontrerons le président Poutine. Le dialogue avec les autorités russes – il faut rétablir quelques vérités – n’a jamais été interrompu, ni sur l’Ukraine – je suis bien placé pour en parler – et la mise en œuvre des accords de Minsk ni sur la Syrie. Ce dialogue a été permanent. Ainsi, le Président russe était encore à Paris il y a peu et a discuté de la Syrie avec le président Hollande.

Pour la Russie là encore, le 13 novembre a également changé la donne, d’autant plus que ce pays aussi a été frappé par Daech, qui a revendiqué l’attentat faisant 230 morts contre un avion d’une compagnie russe ! Nous avons alors affirmé immédiatement notre solidarité à son égard.

Nous agissons d’ores et déjà en coordination avec les Russes, qui interviennent directement en Syrie depuis le 30 septembre. Cette coordination s’avère d’autant plus importante qu’un incident grave est intervenu hier entre deux avions turc et russe. Le Président de la République a appelé à la désescalade.

Jusqu’à présent, constatons que l’essentiel des frappes russes n’était pas dirigé contre Daech. Toutefois, il ne doit y avoir aucune équivoque possible quant aux objectifs poursuivis, qui doivent uniquement viser la destruction de Daech.

Ce front mondial contre Daech ne peut pas – contrairement à ce que nous avons pu entendre – intégrer le régime syrien ! Car enfin, si Daech a pu autant prospérer, c’est d’abord parce que le régime de Bachar al-Assad lui a laissé les coudées franches !

Ce front mondial doit, enfin, apporter tout son soutien à ceux qui se battent contre les troupes de l’État islamique, c’est-à-dire notamment les Kurdes, combattants valeureux que nous soutenons, et les groupes de l’opposition syrienne modérée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Soutenir cette opposition, lui procurer les équipements dont elle a besoin, lui permettre d’entretenir ses forces combattantes, unifier les milices locales, c’est faciliter la bataille au sol. Car nous le savons bien : notre action aérienne doit appuyer les opérations terrestres, qui ne peuvent être conduites que par les forces insurgées locales, y compris kurdes, renforcées – le cas échéant – par des armées sunnites de la région.

L’histoire récente nous l’apprend en effet : en Irak ou en Libye, il serait déraisonnable et improductif d’engager nous-mêmes des troupes au sol. Il faut savoir tirer les leçons du passé !

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes en guerre, mais nous ne sommes qu’au début de celle-ci. Cette guerre demandera de la constance et de la ténacité. Elle sera longue !

Nous devons tenir un langage de vérité envers nos compatriotes. Ce langage de vérité consiste aussi à dire que l’action militaire ne sera pas suffisante pour stabiliser la Syrie, prévenir l’effet de contagion sur les pays voisins et endiguer le flux des réfugiés qui se dirigent vers l’Europe.

Faire la guerre contre Daech revient donc à inscrire notre engagement militaire dans une stratégie de long terme.

C’est aussi tirer les enseignements des interventions militaires conduites dans la région au cours de ces dix dernières années.

C’est enfin être attentif à ne pas alimenter et approfondir les tensions larvées entre sunnites et chiites. Nous avons besoin d’une transition politique en Syrie qui pose les fondements d’une réconciliation nationale.

Tous nos efforts diplomatiques, toutes les initiatives que j’ai prises avec détermination et engagement vont dans ce sens.

Nous sommes conscients des difficultés, nous mesurons les obstacles, nous connaissons les ambiguïtés des différents acteurs de la région, mais, vous le savez, un processus s’est enclenché : ce sont les rencontres de Vienne. La France y contribue activement et parle à tous les acteurs de la région : elle parle aux pays limitrophes de la Syrie comme la Turquie, la Jordanie et le Liban, aux pays arabes comme l’Égypte, l’Arabie Saoudite, et les pays du Golfe, et enfin à la Russie et à l’Iran – j’y reviendrai dans un instant.

Il faut maintenant accélérer ces négociations que nous appelons dans notre jargon le « processus de Vienne ». En effet, nous sommes encore loin du compte, même s’il y a un certain nombre d’acquis.

Un cessez-le-feu, un gouvernement de transition, une nouvelle Constitution pluraliste, des élections libres : tels sont les objectifs sur lesquels se sont accordés tous les pays participant aux pourparlers, y compris les Russes et les Iraniens, avec lesquels nous parlons aussi, parce qu’ils ont une responsabilité cruciale dans le règlement de la crise syrienne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France parle à tous et tient le même langage à chacun. Ce qui fait d’ailleurs notre force, c’est notre indépendance, c’est notre autonomie de décision et c’est la clarté de notre position !

À tous les pays, nous disons – je reprends ici les mots prononcés par le Président de la République le 16 novembre dernier à Versailles – que « notre ennemi, c’est Daech » !

Nous leur disons que, dans le cadre de la transition politique, M. Bachar al-Assad ne pourra pas incarner l’avenir. En effet, comment imaginer que les groupes syriens se rangeront sous un même drapeau si on leur offre pour horizon le maintien de celui qui a causé leurs malheurs et ceux de tout un peuple ?

Comme certains voudraient le faire croire, le régime syrien ne peut pas être un partenaire. La coopération antiterroriste avec ce régime, qui lui-même recourt à la terreur, ne peut être ni envisageable ni utile. Ce n’est pas plus envisageable aujourd’hui qu’au mois de mars 2012, lorsque la France a pris la juste décision de rompre ses relations avec la Syrie au lendemain des massacres de Deraa et de Homs.

Il faut aussi se souvenir qu’en août 2012, certains de ceux qui exigent aujourd’hui un bouleversement de notre politique vis-à-vis du régime syrien n’avaient pas de mots assez durs pour condamner ce régime et exhortaient le Président de la République et le Gouvernement à agir fortement pour marquer leur opposition à son égard.

Il ne faut pas non plus oublier que plusieurs de nos compatriotes ont été retenus comme otages en Syrie jusqu’au mois d’avril 2014 et que l’action de nos services de renseignement et de notre diplomatie a permis de les ramener sains et saufs !

L’action résolue contre l’État islamique et les filières terroristes implique aussi une coopération avec l’ensemble des États de la région, y compris les États de transit direct comme la Turquie. Si l’on veut prévenir ou limiter les tentations de ralliement de certaines populations sunnites de la région à Daech, il faut être capable d’afficher une politique lisible et sans complaisance envers les atrocités commises par le régime syrien.

Nous voulons être très clairs : jamais le régime syrien n’a fait preuve jusqu’ici d’une volonté sincère de coopérer en matière antiterroriste. Que chacun évite donc de se faire instrumentaliser face à ce débat et face à ces rumeurs !

Nous ne laisserons pas mettre en cause nos services de renseignement ni la politique de la France dans la lutte contre le terrorisme !

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France pleure ses morts – elle le fera encore vendredi prochain –, mais elle ne plie pas ! La France se bat et se battra sans relâche jusqu’à atteindre son but : la destruction de notre ennemi, Daech !

Le Gouvernement sollicite donc votre autorisation, en vertu de l’article 35 de la Constitution, de poursuivre l’engagement de nos forces en Syrie. Nous ne doutons pas que, comme la semaine dernière, vous enverrez un message très fort à nos concitoyens.

Nous mobilisons notre armée. Nous mobilisons notre diplomatie. La France, parce qu’elle se défend, parce qu’elle est une grande puissance, parce qu’elle est un pays libre qui s’adresse au monde, mène le combat !

C’est le combat de notre époque, qui vient après beaucoup d’autres combats que la France a su mener et finalement emporter.

Ce nouveau combat contre la barbarie, nous devons le mener unis et rassemblés. Et ce combat, notre démocratie, fidèle à elle-même, fidèle à ce que nous sommes, une fois de plus, l’emportera ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, de l'UDI-UC.et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer, à raison d’un orateur par groupe, un temps de parole de quinze minutes au groupe Les Républicains, ainsi qu’au groupe socialiste et républicain, de dix minutes aux autres groupes, et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Gaëtan Gorce, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Gaëtan Gorce. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, plane sur notre débat l’image lancinante et douloureuse des cent trente morts et des centaines de blessés des attentats du 13 novembre, funèbre cortège auquel s’ajoutent les victimes du mois de janvier dernier !

Au-dessus de ce débat planent la souffrance irrémissible des victimes et la colère légitime de notre pays.

À la différence de mon groupe, voilà quelques mois, j’avais exprimé des réticences à l’égard de notre décision d’intervenir en Irak puis en Syrie en septembre dernier.

Mais comme l’ensemble de mon groupe, je considère aujourd’hui que, eu égard à la violence et l’ampleur de l’agression à laquelle notre pays doit faire face, nous avons le devoir de porter le fer là où se trouvent ceux qui nous ont agressés, là où, comme l’a dit le Président de la République, « ils ne sont pas hors d’atteinte ! »

Non par esprit de vengeance, car ce sentiment n’appartient pas au registre des grandes démocraties et n’appartient pas au registre de la France, mais par amour de la justice qui impose qu’il n’y ait nulle impunité qui puisse profiter aux auteurs d’un tel forfait ! Par amour du droit qui a parfois besoin de s’armer pour se faire respecter !

Non par haine de ceux qui nous haïssent, mais par amour de notre vieille nation qui, tout au long de son histoire, a toujours refusé de se laisser dicter sa conduite ou son destin par la menace ou par la force !

Non par goût de la violence, mais par amour de notre patrie, ce patriotisme qui nous relie à une histoire dont nous sommes comptables, et à ce peuple dont nous sommes les représentants et que nous ne pouvons laisser meurtrir sans réagir !

C’est d’ailleurs au nom de ce même patriotisme que nous veillons – vous l’avez dit monsieur le ministre – à ne mettre ni passion ni aventurisme dans l’intervention que nous soutenons aujourd’hui.

C’est ce patriotisme qui nous conduit à considérer qu’une intervention au sol, en particulier, serait une mesure folle !

C’est ce même patriotisme qui nous conduit aujourd’hui à regarder lucidement et avec sang-froid la difficulté de la situation. Certes, celle-ci est aujourd’hui un peu plus favorable qu’il y a quelques mois.

Au mois de septembre dernier, nous étions avec les États-Unis plutôt isolés. Or voici que nous rejoignent d’autres puissances, d’autres nations, à commencer par la Russie officiellement – je dis bien « officiellement » – déterminée à mettre toutes ses forces au service de ce combat.

Après l’épouvantable attentat de Charm el-Cheikh, aux victimes duquel je tiens d’ailleurs à rendre hommage ici, comme à celles des attentats de Bamako, d’Istanbul, de Beyrouth ou de Tunis hier, d’autres États envisagent désormais, sous l’impulsion du Président de la République, de nous rejoindre et ont déjà exprimé leur solidarité.

Au mois de septembre dernier, nous étions intervenus sur le fondement juridique de la légitime défense et de l’article 51 de la Charte des Nations unies. Sans pouvoir encore nous référer au chapitre VII de celle-ci, nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur la résolution 2249 du Conseil de sécurité des Nations unies, invitant tous les membres de la communauté internationale à « prendre toutes les mesures nécessaires » pour lutter contre l’organisation État islamique.

Au mois de septembre dernier, enfin, nous étions privés de véritable perspective politique. Depuis lors, deux conférences à Vienne ont remis en marche, non sans grincements, un processus de dialogue entre toutes les parties qui était interrompu depuis longtemps et que nous devons maintenant veiller à entretenir, comme l’a dit à l’instant Laurent Fabius.

Mais si la situation est un peu plus favorable, elle n’en reste pas moins particulièrement délicate et exige de la France, comme des autres puissances engagées dans ce conflit, de regarder les réalités en face.

Nous savons tous ici que, avec ces bombardements, nous pourrons non pas détruire la menace qui, depuis Mossoul et Raqqa, s’est dressée contre nous, mais seulement la réduire.

Nous savons tous ici que, si le défi qui nous est lancé est militaire, son règlement définitif ne pourra être que politique, ce que rendront particulièrement difficile les ambiguïtés, parfois les arrière-pensées, de celles et ceux que nous tentons aujourd'hui de rassembler.

Nous savons tous ici que la haine qui s’exprime contre notre démocratie, si elle prétend se nourrir de la religion, a pour motif la situation qui prévaut aussi depuis longtemps dans la région, c'est-à-dire cette confusion qui a entraîné désordre et violence.

En frottant la lampe moyen-orientale, les États-Unis ont libéré le génie des haines confessionnelles et des guerres, un génie qu’il sera difficile de contenir et qui est déjà déchaîné.

Si l’on veut bien y regarder de près, ce génie n’est pas seulement l’expression d’un fanatisme. Il est aussi la conséquence monstrueuse d’une décomposition progressive des États de la région et de la dégénérescence du nationalisme arabe, privé de ses vecteurs politiques.

Ce processus tente de reprendre à son compte, d’une manière folle et meurtrière, une forme d’anti-impérialisme sans repères ni ambitions. Il est aujourd'hui renforcé par l’apport de jeunes Européens non pas communautarisés – penser cela reviendrait à céder à nos préjugés, plutôt que de regarder la réalité –, mais d’une certaine manière désaffiliés, livrés à eux-mêmes, passant du coup sans transition du petit banditisme au terrorisme, en quête d’aventure, comme de nouveaux Lacombe Lucien, ce personnage sans idéal de Louis Malle, cherchant dans la violence une forme de régénérescence ou de rédemption.

Nous sommes confrontés au résultat d’une décomposition des sociétés arabes à laquelle l’Europe comme les États-Unis ont parfois malheureusement contribué.

Par conséquent, nous savons tous que c’est armé non seulement de bombes et d’avions, mais surtout d’une vision globale des avenirs possibles de la région, qu’il nous faudra imaginer les pistes de solution, comme s’y est consacré M. le ministre à la fin de son intervention.

Ces pistes nous obligent à reconsidérer les rapports de force qui sont à l’œuvre dans la région. Nous avons eu en effet trop tendance, pour paraphraser le général de Gaulle, à voler vers l’Orient d’aujourd’hui, toujours compliqué, avec des idées d’hier.

Voilà en effet longtemps que l’axe de la guerre dans la région n’est plus constitué – ne nous en déplaise ! – par le conflit israélo-palestinien, dont l’enlisement témoigne de l’indifférence scandaleuse qu’il suscite désormais à l’étranger, à l’exception notable de la France.

Cet axe n’est pas non plus construit, quoi que nous en pensions, autour de la lutte entre l’islamisme et les régimes laïcs, comme le démontre l’issue des printemps arabes qui se traduit partout, de manière certes différente en Tunisie ou en Égypte, par l’élimination ou le recul des Frères musulmans.

Cet axe n’est pas non plus structuré autour de la guerre contre Daech, comme nous pourrions le souhaiter, tant les motivations des uns et des autres, qu’il s’agisse de la Turquie, de l’Iran, de la Russie, ou encore des États du Golfe, illustrent des préoccupations différentes. L’incident qui s’est produit hier nous en a malheureusement apporté de nouveau la démonstration.

Nous devons avoir aujourd’hui conscience que c’est en réalité l’affrontement entre deux grandes puissances, l’Iran et l’Arabie saoudite, qui constitue désormais le problème axial, affrontement qui s’opère d’ailleurs par clients interposés au Yémen comme en Syrie.

Nous devons nous garder de prendre ouvertement parti dans cet affrontement, afin de préserver notre vocation et notre rôle de médiation. Puissance médiatrice, tel est le rôle de la France pour les années qui viennent.

Les pistes de solution passent donc nécessairement par la reconstruction des États, dont l’affaissement en Libye, en Irak ou en Syrie a permis cette anarchie meurtrière.

C’est cette préoccupation qui doit nous guider, sachant que l’effort seul à même de bloquer le processus d’éclatement à l’œuvre devra porter non seulement sur la Syrie, mais aussi sur l’Irak via un projet fédéral incluant les sunnites. Il suffit certes d’évoquer ces priorités pour saisir l’ampleur de la tâche auquel le Gouvernement et le Président de la République se sont courageusement attelés.

Mais nous savons bien que c’est en regardant au-delà du moment, et de l’émotion qu’il impose, que nous devons chercher les raisons d’espérer. La France a, par son histoire et la connaissance qu’elle a de cette région, peut-être plus que d’autres, les moyens d’influencer l’avenir de celle-ci.

À l’indifférence parfois, au cynisme souvent, à la résignation devant la dégradation continue de la situation qui a prévalu au cours des décennies passées, il est sans doute nécessaire de substituer une approche plus large, plus consciente et peut-être plus généreuse visant à aider les peuples arabes à se construire un avenir débarrassé de la dictature militaire ou religieuse. La richesse culturelle, économique, politique du monde arabe plaide en ce sens.

Je forme le vœu que notre engagement militaire, que nous approuvons tous aujourd’hui, puisse aussi servir une ambition : celle d’un monde arabe qui construise son avenir dans la paix, dans une perspective de développement, en coopération avec l’Europe, et dans lequel la France puisse jouer tout son rôle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste, du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, la gravité des attentats qui ont durement frappé la France le 13 novembre dernier exige de notre part un discours de vérité et un débat honnête sur notre intervention en Syrie. Il y va là de notre responsabilité vis-à-vis des Françaises et des Français. Nous devons nous poser les véritables questions, afin d’éviter une importation des tensions.

Je tiens une nouvelle fois, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, à exprimer notre effroi et notre profonde tristesse à la suite des attaques qui ont meurtri notre pays. Toutes nos pensées vont vers les victimes, leurs familles, leurs proches et vers les très nombreux blessés. Nous souhaitons également saluer le courage et l’engagement dont font preuve nos soldats et policiers partout où ils interviennent.

« La France est en guerre » : c’est par ces mots que le Président de la République a commencé son intervention devant le Congrès le 16 novembre dernier. Si nous, écologistes, souscrivons bien évidemment à l’impératif de combattre l’organisation obscurantiste et barbare qu’est Daech, nous pensons que cette expression mérite d’être nuancée. Précisément, nous sommes dans une guerre asymétrique. Nous combattons non pas un État, mais un groupe terroriste qui commet des actes de guerre.

Plus encore, « être en guerre », comme le déclare monsieur le ministre des affaires étrangères, c’est aussi avoir une approche à long terme et globale, et pas seulement une stratégie militaire court-termiste, comme cela semble être malheureusement le cas.

À ce sujet, je me permettrai un bref rappel des conséquences de l’intervention en Libye.

Il s’agit non pas de dire que le maintien d’un dictateur en place était favorable, loin de là, mais de manière très pragmatique et réaliste, de faire un bilan objectif sur l’avant et l’après de notre intervention militaire en Libye.

C’est désormais un État failli et une base arrière du terrorisme international qui gît de l’autre côté de la Méditerranée. Toute la zone s’en est trouvée déstabilisée et le chaos régnant au Mali en découle directement. En outre, sous nos yeux, la Libye devient un autre fief de Daech : le nombre de ses combattants dans ce pays, qui était estimé entre 4 000 et 5 000, serait en train d’exploser.

Sommes-nous en train de reproduire les erreurs du passé ? C’est précisément le manque de clarté de la politique étrangère française dans la région que nous dénonçons. L’absence de vision globale et régionale ces derniers mois nous a empêchés d’endiguer une crise qui n’a fait que s’aggraver.

En effet, nous nous sommes engagés dans l’urgence, en occultant toute vision politique, contre une menace que nous avons pourtant vu grandir depuis trois ans sans rien dire. Or les écologistes considèrent que seule une approche politique et diplomatique sera à même d’assurer une résolution durable du conflit. Il s’agit là de la seule justification possible à toute intervention militaire.

Nous notons, avec inquiétude, depuis quelques années une surenchère guerrière dépourvue de toute approche à long terme. Au-delà de gagner la guerre, il s’agit surtout de gagner la paix, objectif infiniment plus difficile et éminemment plus délicat. Les conflits d’aujourd’hui ne peuvent être réduits à une seule approche sécuritaire, comme c’est trop souvent le cas. Une guerre n’est vraiment gagnée que si la paix est préparée au travers de processus d’assistance, de stabilisation et de reconstruction, avec l’ensemble des populations concernées.

De surcroît, nous nous attaquons aux effets plutôt qu’aux causes. Daech est dénoncé comme étant l’ennemi, mais nous refusons de nous attarder sur ce qui l’a créé et sur ce qui l’entretient.

Nous en voulons pour preuve les nombreuses questions que nous posions déjà au mois de janvier dernier : d’où vient l’armement ? D’où vient le financement ? Qui sont les intermédiaires ? Qui sont les clients ?

La coalition internationale doit répondre clairement à ces questions au travers d’une action concertée et transparente. Quels sont les contours du trafic illégal de pétrole mis en place par Daech ? Qui y participe ?

Selon un rapport du Congrès américain, Daech devrait encaisser près de 2 milliards de dollars en 2015, dont 1,5 milliard de dollars sont dus à la vente de pétrole. Nous aurions dû viser les camions-citernes et les puits de pétrole depuis des mois. Pourquoi avons-nous tant tardé ?

Pourquoi avons-nous tant attendu pour renforcer les moyens de la cellule TRACFIN – traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins – de Bercy ? Comment prétendre mener une politique étrangère rationnelle sans s’attaquer au cœur du problème ? Nous avons déjà perdu trop de temps !

Face à ce constat, si nous notons un virage stratégique annoncé lors du Congrès par le Président de la République, ce virage nous paraît timoré, mais surtout éminemment tardif tant les défis restent nombreux.

C’est pourquoi la France ne peut plus être la seule à se mobiliser, notamment à l’échelon européen. Ce conflit est une nouvelle fois la preuve de l’absence criante d’une défense européenne, ce que nous regrettons depuis le début. Si nous saluons l’initiative française d’invoquer l’article 42, alinéa 7, du traité de Lisbonne, nous restons toutefois prudents quant aux réels effets qui en découleront.

Force est de le constater, la France est bien isolée en Syrie et un nombre réduit de pays européens effectue des frappes en Irak. C’est ainsi que nous nous exposons à une importation du conflit, à l’image des terribles attentats qui ont frappé la France voilà un peu plus d’une semaine. Prétendre que c’est uniquement notre mode de vie qui a été visé est une insulte à toutes les autres victimes de Daech et du terrorisme partout dans le monde.

Si la France est la cible d’attentats, ce n’est pas à cause de ses salles de spectacles, de ses terrasses ou de ses stades. C’est surtout parce qu’elle est le pays européen le plus impliqué dans les bombardements en Syrie et contre les positions stratégiques de Daech.

Malgré cela, nous continuons, dans une logique de légitime défense, à intensifier nos frappes depuis une semaine. Or, chaque fois que nous frappons, les soutiens sur le terrain et l’afflux de combattants vers Daech ne font qu’accroître. Aussi précises soient-elles, les frappes aériennes provoquent irrémédiablement des victimes civiles, et ce d’autant plus que le renseignement au sol fait défaut. Pourtant, ce dernier est le seul moyen de limiter les dégâts collatéraux.

Alors que nous ne disposons que de moyens militaires limités, nous nous retrouvons particulièrement exposés. Depuis le début de la campagne, seulement 5 % des bombardements ont été effectués par la France et l’arrivée sur zone du porte-avions Charles de Gaulle permettra une augmentation toute relative de notre force de frappe. Nous devons faire coïncider nos moyens avec nos objectifs, messieurs les secrétaires d’État.

C’est pourquoi une intervention dans le cadre d’une coalition internationale renforcée est une impérieuse nécessité.

Toutefois, il aurait peut-être fallu attendre la fin des diverses rencontres bilatérales menées par le Président de la République cette semaine pour connaître la position de chacun et avoir ainsi un débat éclairé.

Nous rappelons que l’action de la coalition doit impérativement se placer dans le cadre de la légalité internationale. Toute entorse à ce principe fondamental serait non seulement un non-sens au regard des valeurs que nous portons, mais surtout une faute grave en ce qu’elle porterait atteinte à toute l’architecture du droit international, ce qui finira un jour par se retourner contre nous, eu égard au basculement des pôles d’influence.

Nous devons également reconnaître que, au Moyen-Orient, particulièrement en Syrie, les membres de la coalition ont chacun leur agenda et leurs intérêts économiques, militaires, stratégiques ou géopolitiques, ce qui, de fait, met à mal la cohérence de notre action et – il faut le dire franchement – est loin d’assurer les intérêts du peuple syrien dans son ensemble. J’en veux pour preuve le regrettable incident turco-russe qui s’est produit hier.

Ainsi, il nous faut clairement définir notre position vis-à-vis de l’ensemble des pays de la région.

Comment concilier à terme les vues antagonistes de la Turquie et de la Russie à l’égard du pouvoir syrien ? Comment parer l’instrumentalisation de la lutte contre Daech de la part de la Turquie pour s’en prendre à la minorité kurde ? Quelle attitude adopter face à l’Iran, puissance régionale majeure, et avec qui – il faut bien le constater – nous avons un ennemi commun ? Quelle stratégie doit-on avoir à l’égard des pays du Golfe, afin que ces derniers s’intègrent de manière cohérente dans une résolution du conflit à l’échelon régional ? Le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël et aux pays du Golfe n’est-il pas en contradiction avec la conclusion d’un accord global ?

Mais surtout, messieurs les secrétaires d’État, concrètement, quels sont nos intérêts? Que faisons-nous là-bas ? Pour quels objectifs et quels projets ?

Enfin, nous le savons, les frappes aériennes sans intervention au sol seront vaines.

Si les écologistes s’opposent à un envoi de troupes françaises au sol, ils reconnaissent toutefois qu’il faut s’appuyer sur les acteurs régionaux. Force est de le constater, pour l’instant, seuls sont parties prenantes au conflit les peshmergas et le Hezbollah – considérés comme des organisations terroristes par l’ONU –, ainsi que l’armée régulière syrienne et une myriade d’organisations plus ou moins recommandables. Face à cela, que faisons-nous, messieurs les secrétaires d’État ?

Enfin, définir notre stratégie militaire est une chose, mais, hormis cette réplique militaire, que proposons-nous concrètement en réponse aux 220 000 morts enregistrées depuis le début du conflit et aux 10 millions de Syriens ayant fui leur pays ?

La question du départ, à plus ou moins long terme, de Bachar al-Assad devra ainsi se poser dans le cadre du plan russe qui propose une transition politique étalée sur dix-huit mois. En effet, tout en encourageant le soulèvement de la population, nous avons laissé l’opposition livrée à elle-même, et aucun relais démocratique solide n’existe aujourd’hui sur le terrain. Qu’en est-il donc de cette transition que nous appelons tous de nos vœux ?

Pour ce faire, les écologistes considèrent que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit être la pierre angulaire de la reconstruction de la région. Effectivement, c’est à travers une administration des territoires locale et respectueuse des particularités que la région sera à même de réparer les erreurs du passé et, surtout, de limiter les risques de résurgence de conflits.

Nous devons donc encourager un accord régional avec toutes les grandes puissances. Cela passe nécessairement par la résolution du conflit israélo-palestinien, un élément d’instabilité qui n’a que trop duré et qui exacerbe les extrêmes. En outre, il faudra que la France propose une réponse claire à propos de la question kurde.

Nous le constatons, mes chers collègues, les questions et les défis sont encore nombreux et complexes ; l’intervention militaire, qui n’est qu’un aspect de la réponse à leur apporter, ne doit en aucun cas nous acquitter d’une réflexion en profondeur sur notre politique étrangère. Celle-ci ne peut en effet pas se limiter à la vente d’armes et d’avions qui se retrouvent entre les mains de l’ensemble des belligérants.

Ainsi, messieurs les secrétaires d’État, les écologistes dans leur majorité soutiennent la poursuite des frappes aériennes en Syrie, tout en exprimant un certain nombre de réserves et en réaffirmant la nécessité, dans un monde complexe où règnent les interdépendances, d’une approche globale et multidimensionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Luche applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. David Rachline. Madame le président, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, il y a deux mois, le Président de la République, chef des armées, décidait d’étendre l’opération Chammal au territoire syrien, et donc de lancer des opérations de bombardements contre l’État islamique sur le territoire syrien.

Notre ennemi n’étant pas vaincu, il convient bien sûr d’adopter cette autorisation de prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien. Toutefois, depuis le dernier vote, plusieurs événements majeurs liés à ce conflit sont intervenus.

Ainsi, nous avons perdu une bataille, celle du terrorisme sur notre sol. Oui, les attentats perpétrés il y a douze jours sont une défaite pour notre pays, et les responsabilités de ceux qui ont laissé nos ennemis nous attaquer au cœur devront être instruites.

Autre fait marquant, le début de la prise de conscience – bien tardive – par l’exécutif de l’identité de notre ennemi, même si le Président de la République a oublié de le mentionner clairement devant le Congrès : notre ennemi est l’islamisme radical, qui prend aujourd’hui les contours de l’État islamique, après avoir pris, par exemple, ceux d’Al-Qaïda, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique – AQMI –, ou de Boko Haram.

Enfin, est également à prendre en compte l’entrée en action de l’armée russe, en réponse à la demande de l’État souverain de Syrie.

À ce propos, comme je l’ai fait il y a deux mois, je m’interroge sur la légalité de notre intervention ; nous n’agissons ni sur mandat de l’ONU ni à la demande de la Syrie. L’article 51 de la Charte des Nations unies, auquel vous aviez fait référence en septembre dernier, semblait quant à lui une justification peu solide, les dernières opérations montrant clairement que nous ne sommes plus sous son régime. Ainsi, si nous ne remettons pas en cause l’utilité de ces opérations, nous nous interrogeons sur leur cadre juridique, et il nous semble indispensable que les autorités légitimes de la Syrie soient parties prenantes à cette coalition.

De plus, les spécialistes s’accordent unanimement pour affirmer que la guerre ne se gagnera pas sans troupes au sol et que, en l’état actuel, seuls les soldats de l’armée régulière syrienne sont en capacité de mener des opérations au sol. Il faut donc se coordonner précisément avec ces forces. M. le ministre des affaires étrangères évoquait tout à l’heure les ambiguïtés des acteurs de la région, mais ce sont d’abord les siennes qu’il faut mettre en lumière.

M. Daniel Reiner. Mais cela n’a aucun sens !

M. David Rachline. En effet, si j’en crois les déclarations du Président de la République puis celles du Premier ministre, on peut constater une certaine inflexion dans l’idéologie qui a fait office de politique étrangère depuis le début de cette crise. Héritée du modèle béhachélien (Protestations sur de nombreuses travées. – M. Didier Guillaume s’indigne.), notre politique étrangère a clairement montré son inefficacité la plus totale.

« L’erreur est humaine, mais persister dans l’erreur par arrogance, c’est diabolique », disait saint Augustin. Or, grâce à M. Sarkozy et à son ministre des affaires étrangères en chemise blanche, nous savons ce que c’est que de faire une grosse erreur en matière internationale. Le chaos qui règne en Libye en est la triste illustration… Aussi, il serait temps que M. Fabius mette fin à cette obstination idéologique. Les Russes ne veulent pas que la Syrie devienne une autre Libye ou un autre Irak, et ils ont raison !

Bien sûr, Saddam Hussein et Kadhafi ne sont pas blancs comme neige et ils portent de lourdes responsabilités dans un certain nombre d’affaires, mais pensez-vous sincèrement que ces régions vont mieux depuis qu’ils sont partis ou que la crise y est entretenue, y compris par vous-mêmes, d’ailleurs, messieurs les secrétaires d’État ?

« Le Front al-Nosra a fait du bon boulot », a osé dire M. Fabius.

Mme Bariza Khiari. N’importe quoi !

M. David Rachline. Al-Nosra, qui s’est félicité des attentats de Paris ? Al-Nosra, l’allié d’Al-Qaïda ? Les responsabilités dans cette crise ne sont donc sans doute pas à chercher bien loin… Nos liens avec un certain nombre de pays bienveillants à l’égard de l’État islamique – Qatar, Arabie saoudite ou encore Turquie –, que nous avons soutenus, doivent ainsi être réexaminés.

Nous devons au contraire, dans ce combat, nous appuyer sur des pays sûrs : l’Égypte, la Jordanie et, bien évidemment, la Russie. Je me réjouis donc du déplacement du Président de la République à Moscou demain, mais nous aurions aimé une condamnation ferme de l’acte de guerre commis hier par les Turcs. Nous devons, en outre, exiger des explications de M. Erdogan sur cet événement et sur ses liens troubles avec les islamistes de tout bord.

M. David Assouline. Et les liens de Bachar al-Assad ?

M. David Rachline. Je pense notamment à son rôle dans le financement de l’État islamique, qui vient d’ailleurs d’être évoqué : le pétrole, qui permet à Daech de gagner des millions voire des milliards de dollars, transite bien par quelque territoire.

M. David Assouline. Et par où transite l’argent ?