compte rendu intégral

Présidence de M. Claude Bérit-Débat

vice-président

Secrétaires :

Mme Frédérique Espagnac,

Mme Valérie Létard.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Demande de création d’une mission d’information

M. le président. Par lettre en date du 30 mars 2016, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain et citoyen, a fait connaître à M. le président du Sénat que son groupe exerce son droit de tirage, en application de l’article 6 bis du règlement, pour la création d’une mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord.

La conférence des présidents sera saisie de cette demande de création lors de sa prochaine réunion.

3

Modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle

Adoption en nouvelle lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission et rejet d’une proposition de loi organique

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture de la proposition de loi organique, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle (proposition n° 501, résultat des travaux de la commission n° 511, rapport n° 510) et de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de modernisation de diverses règles applicables aux élections (proposition n° 502, texte de la commission n° 512, rapport n° 510).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis la révision constitutionnelle du 28 octobre 1962, l’élection au suffrage universel direct du Président de la République est la clef de voûte des institutions de la Ve République.

Après chaque scrutin, notamment après ceux de 2007 et de 2012, les différents organismes de contrôle de cette élection ont formulé plusieurs recommandations sur les modalités d’organisation de cette élection si importante pour le fonctionnement démocratique de nos institutions, recommandations qui ont inspiré la rédaction de la proposition de loi organique qui vous est de nouveau soumise aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs.

Le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale de l’élection présidentielle, organisme spécifique à ce scrutin, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et la Commission des sondages ont chacun, à deux reprises, publié un certain nombre de suggestions et de recommandations qui composent un ensemble cohérent de mesures. Celles-ci vont permettre de moderniser l’organisation de ce scrutin avec comme seul objectif d’éviter à l’avenir les contestations récurrentes qui, à chaque élection, nourrissent de vaines controverses ne débouchant jamais sur aucune réforme, qu’il s’agisse du système des parrainages, du temps de parole accordé à chaque candidat dans les médias audiovisuels ou encore des règles encadrant la publication des sondages et la divulgation des résultats.

C’est donc pour remédier à une telle situation que le Gouvernement a décidé de soutenir la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle. Ce texte a d’abord été discuté à l’Assemblée nationale, au Sénat, puis en commission mixte paritaire, le Gouvernement regrettant que celle-ci n’ait pu parvenir à un accord.

Il faut néanmoins poursuivre la discussion, de façon à définir un cadre juridique renforcé pour l’organisation de la prochaine élection présidentielle, mais aussi, naturellement, de celles qui suivront. Le but est, chacun l’aura compris, de rendre incontestable l’organisation de cette consultation.

En premier lieu, il convient de réformer les règles encadrant le système de parrainage des candidats, ce qui inclut trois mesures principales.

Tout d’abord, il est proposé de modifier les modalités de transmission des présentations ou « parrainages » au Conseil constitutionnel. Ils devront dorénavant être adressés par l’auteur de la présentation lui-même, et non plus par le candidat ou l’équipe de campagne, par voie postale ou directement auprès du Conseil constitutionnel, et non plus en préfecture, des dérogations étant bien entendu prévues pour l’outre-mer et pour nos compatriotes installés à l’étranger.

Un amendement adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, et conservé par le Sénat, fixe également la perspective d’une remise des parrainages par voie électronique après 2017, et au plus tard au 1er janvier 2020.

Ensuite, la publicité intégrale de la liste des élus ayant parrainé un candidat est prévue. Actuellement, seule la liste des cinq cents premiers élus tirés au sort est publiée. Mais cette procédure repose sur une inégalité flagrante entre les parrains dont le nom est tiré au sort et rendu public par le Conseil constitutionnel et les autres. Nous souhaitons par conséquent mettre un terme à ce traitement différencié, dans la mesure où le principe de responsabilité et l’exigence de transparence doivent conduire les élus à assumer leur choix devant les citoyens.

Enfin, nous souhaitons imposer au Conseil constitutionnel de rendre public le nom des parrains au moins deux fois par semaine, afin non seulement d’en garantir la communication de façon plus efficace, mais aussi d’atténuer quelque peu la pression qui repose parfois sur les élus. Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit d’éviter toute dramatisation excessive de la décision que prennent les élus de parrainer tel ou tel candidat.

En deuxième lieu, nous souhaitons clarifier la réglementation des temps de parole. S’agissant de l’accès des candidats aux médias audiovisuels, la proposition de loi prévoit de substituer un strict principe d’équité à l’actuelle règle d’égalité des temps de parole réservés aux candidats pendant la période « intermédiaire », qui s’étend, je le rappelle, de la publication de la liste des candidats à la veille de la campagne officielle.

Une telle substitution permettra de simplifier et, par là même, de clarifier une réglementation devenue au fil du temps particulièrement confuse.

Faire coexister les principes d’égalité des temps de parole et d’équité des temps d’antenne représente, en effet, une source de complications aussi bien pour les candidats que pour les antennes de radio et les chaînes de télévision.

Nous observons ainsi que les services de radio et de télévision ont réservé une part réduite à l’expression des candidats au cours des trois semaines qui ont précédé la campagne électorale officielle, ce qui traduit bien une crainte de ne pas pouvoir garantir l’égalité entre chacun d’entre eux.

Certains, et c’est un comble, préfèrent même n’organiser aucun débat entre les candidats. Par exemple, TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 n’ont réservé en 2012 que douze heures à la retransmission des interventions des candidats, soit une diminution de 50 % par rapport au volume relevé lors de la même période sur ces chaînes en 2007. Les temps de parole accordés sur les antennes des radios généralistes et des chaînes d’information en continu ont également été en baisse en 2012 par rapport à 2007.

Ni les candidats ni les électeurs ne peuvent évidemment se satisfaire de cette situation susceptible de nuire à la richesse et à la vigueur du débat démocratique.

L’adoption de la proposition de loi organique permettra, pendant la période intermédiaire, que l’équité soit observée dans des « conditions de programmation comparables ». La précision est d’importance : elle doit permettre aux différents candidats et à leurs soutiens d’être exposés sur les antennes dans les mêmes tranches horaires, évitant ainsi que l’exposition médiatique de certains candidats puisse être cantonnée à des émissions recueillant une faible audience.

Loin d’affaiblir les candidats, la proposition de loi leur permettra donc une exposition médiatique de meilleure qualité.

En troisième lieu, la proposition de loi organique prévoit de mettre en place un système automatique de radiation des listes électorales consulaires pour les Français établis à l’étranger qui rentrent en France.

En d’autres termes, dès lors que ces derniers quittent le pays étranger où ils s’étaient installés, leur radiation du registre consulaire des Français de l’étranger entraînera automatiquement leur radiation des listes électorales consulaires. Il s’agit là d’une mesure de bon sens, de simplification et de sincérité des listes. La proposition de loi organique rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France présentée à l’Assemblée nationale par Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann permettra d’approfondir la question de la double inscription, dont je sais qu’elle soulève un certain nombre d’interrogations. Naturellement, je veux exprimer le soutien du Gouvernement à cette initiative parlementaire transpartisane, qui s’inscrit pleinement dans l’esprit du texte qui est soumis aujourd’hui à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je veux également répondre au sénateur Jean-Yves Leconte quant à la question de la radiation en cas de caducité de l’inscription sur le registre.

L’inscription au registre des Français établis hors de France est valable cinq ans. Des mesures adéquates de concertation contradictoire sont prises par les postes consulaires avant de radier les administrés. Trois mois avant l’échéance, l’administré reçoit à l’adresse postale ou électronique connue par le poste consulaire une lettre ou un message précisant les formalités de renouvellement. L’électeur est alors radié du registre dans les trois mois suivant l’envoi de ce courrier si le renouvellement n’est pas sollicité.

Par ailleurs, pour simplifier le système et pallier d’éventuelles difficultés, un registre en ligne permettra à l’électeur de renouveler son inscription ou de signaler son départ sans avoir à se déplacer au consulat.

Je veux dire à présent quelques mots sur la comptabilisation des dépenses et des recettes électorales qui ont vocation à figurer dans les comptes de campagne des candidats.

La période durant laquelle ces dépenses et ces recettes seront comptabilisées a été réduite par l’Assemblée nationale de un an à six mois. Le Gouvernement exprime des doutes quant à l’opportunité d’une telle mesure et se satisfait de la position du rapporteur, dont je salue le travail, et de la commission des lois. À nos yeux, une telle mesure aurait pour effet de réduire l’espace de contrôle des comptes de campagne et entrerait par là même en contradiction avec le mouvement de démocratisation de nos procédures, lequel vise à renforcer leur transparence.

Concernant, enfin, la législation applicable aux sondages, des dispositions ont été introduites par votre assemblée sur l’initiative des sénateurs Jean-Pierre Sueur et Hugues Portelli. Il s’agit de la reprise par voie d’amendement, en un seul article, d’une proposition de loi d’une vingtaine d’articles adoptée par le Sénat en février 2011 et examinée par la commission des lois de l’Assemblée nationale en juin 2011, c’est-à-dire sous une précédente majorité. Le texte n’a, depuis, jamais été inscrit à l’ordre du jour de la séance publique de l’Assemblée nationale, ni par le Gouvernement ni par les groupes parlementaires de la majorité ou de l’opposition, qui disposent pourtant de cette faculté.

Ce texte soulève à nos yeux quelques réelles difficultés. Ses dispositions entraînent un alourdissement significatif de la charge de travail de la Commission des sondages, ainsi qu’une modification de ses méthodes de contrôle, sujets sur lesquels sa consultation préalable, ainsi que celle des acteurs économiques concernés, nous semble nécessaire.

Par ailleurs, la rédaction actuelle soulève plusieurs difficultés techniques qui la rendent probablement incompatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement ne souhaite pas conserver ces mesures dans la proposition de loi et, si celles-ci devaient être examinées, elles devraient l’être dans le cadre d’un texte spécifique.

En conclusion, le Gouvernement soutient avec force cette proposition de loi organique et regrette que le Sénat ait choisi de déposer, et sans doute de voter dans quelques minutes, une motion tendant à opposer la question préalable sur un sujet qui aurait nécessité un dépassement des clivages partisans.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la société se modernise et la vie politique doit accompagner ce mouvement vers l’avenir. Du point de vue du Gouvernement, cette proposition de loi organique y contribue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe Béchu, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le garde des sceaux, à vrai dire, ce texte aurait mérité bien plus qu’un dépassement des clivages partisans.

Nous sommes dans une situation assez singulière ce matin, puisque le ministre qui représente le Gouvernement a été, dans une autre vie, l’auteur de la proposition de loi initiale dont nous débattons. Il s’agissait alors pour vous, monsieur le garde de sceaux, de rendre service au Gouvernement, en vous fondant sur la vision claire que vous venez de défendre, selon laquelle il est souhaitable, après chaque élection présidentielle, d’en tirer les conséquences en acceptant d’entendre les remarques pertinentes des autorités indépendantes ou des juges de l’élection au sens large.

Toutefois, pourquoi attendre le dernier moment du quinquennat pour se pencher sur l’élection qui suit, alors que la plupart des observations qui ont été intégrées dans la proposition de loi du député Urvoas, président de la commission des lois, ont été émises au deuxième semestre de 2012 ou dans les premiers jours de l’année 2013 ? C’est le premier problème que j’identifie, même si, en l’occurrence, l’auteur de la proposition de loi n’en est nullement responsable.

Le recours à la procédure accélérée, le contexte et le calendrier n’ont pas permis de créer le climat serein et apaisé qui aurait permis de dépasser les clivages partisans. En effet, chacun voit bien que, à l’approche de la prochaine élection présidentielle, les candidats potentiels, à commencer par ceux qui entendent lancer leur campagne sur la contestation d’une partie des dispositions qui sont évoquées, sont tentés de se saisir de ce sujet pour en faire un objet de polémique politicienne plutôt qu’un enjeu de discussions sereines et techniques. Le Gouvernement porte la responsabilité d’avoir trop tardé et, en cela, il rejoint la longue liste de tous ses prédécesseurs qui, chaque fois, attendent la dernière ligne droite du quinquennat pour traiter ces sujets.

Même si ce n’est pas la saison (Sourires.), je forme donc le vœu que nous puissions, rapidement et collectivement, à l’issue de la prochaine élection présidentielle, tirer les conséquences des éventuelles remarques qui pourraient être formulées et que le débat sur la modernisation des règles de l’élection présidentielle, s’il doit avoir lieu, se déroule le plus tôt possible. On pourrait d’ailleurs songer, par exemple, à une proposition de loi émanant de la commission des lois du Sénat.

Ensuite, sur le texte en lui-même, je n’accepte pas, monsieur le garde des sceaux, l’idée selon laquelle l’Assemblée nationale aurait su, à la différence du Sénat, dépasser les clivages partisans. J’accepte encore moins l’idée que l’Assemblée nationale, parce qu’elle a voté une partie des dispositions évoquées, s’inscrirait dans un schéma de modernisation, lorsque le Sénat, fidèle à la tradition conservatrice…

Mme Nathalie Goulet. Et périmée !

M. Christophe Béchu, rapporteur. … que l’on enseigne dans les écoles aux plus jeunes de nos concitoyens, serait bloqué dans une forme d’archaïsme. Cela ne correspond pas à la réalité, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nous avons fait des propositions de modifications, dont certaines me semblent plus audacieuses que celles qui ont été adoptées par l’Assemblée nationale.

M. Christophe Béchu, rapporteur. Ainsi, un horaire unique de fermeture des bureaux de vote, valable pour toute la France, aurait, de mon point de vue, une portée symbolique plus forte sur le plan républicain que le maintien d’horaires différents selon la taille des communes et des villes, surtout lorsque l’on sait l’effet d’un tel système sur l’abstention. Y compris sur ce point, il n’a pas été possible d’avancer. Dont acte…

De même avons-nous souhaité à l’unanimité, sur la proposition de plusieurs de nos collègues représentant les Français de l’étranger, augmenter d’une cinquantaine le nombre des parrains, en faisant en sorte que les vice-présidents des conseils consulaires – ces derniers sont de facto dans une situation d’exécutif, puisqu’ils n’ont pas le droit de cumuler cette responsabilité avec un mandat parlementaire et que les ambassadeurs président de droit ces conseils – puissent parrainer. Cette mesure symbolique n’a pas plus été retenue par l’Assemblée nationale.

Seule idée que l’Assemblée nationale ait reprise : la publication intégrale de la totalité des parrainages de candidats, postérieurement à la fin de la collecte. Je me permets de dire que c’est le Sénat qui a proposé cette avancée en termes de transparence.

Alors, que reste-t-il ?

Finalement, trois points : la question de l’équité et de l’égalité du temps de parole, les comptes de campagnes et les sondages.

Sur le premier point, tout a été dit ! Et je suis dans une situation confortable, monsieur le garde de sceaux : j’ai non seulement une égalité de temps de parole avec vous, mais en plus, dans des conditions comparables de programmation. Nous passons presque à la même heure et à un moment où nos collègues ont encore une attention à peu près équivalente. (Rires.)

M. Alain Richard. Plus pour très longtemps !

M. Christophe Béchu, rapporteur. Il faut donc que j’accélère mon propos en allant à l’essentiel !

Je pense qu’il y a d’abord eu un déficit de pédagogie dans la présentation des choses.

On oublie de dire que l’évolution proposée par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, il y a quelques mois, ne constitue pas une rupture ou une révolution par rapport à la situation qui existe depuis 1962.

Elle repose, en fait, sur l’analyse des conséquences d’un texte de la fin de l’année 2006, lui-même adopté quelques mois avant une élection présidentielle, dans des conditions de procédure qui ne permettaient peut-être pas d’en tirer toutes les conséquences et de constater, ensuite, qu’il était souhaitable de modifier certains éléments.

Quand on fait les choses de manière précipitée, on ne peut prendre en compte que la préconisation du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui constate que deux fois moins de temps d’antenne ont été consacrés à l’élection présidentielle et en conclut qu’il faut changer les règles.

Avec trois ans devant nous, nous aurions pu réfléchir, avec les médias, aux évolutions souhaitables. La suppression de l’égalité au profit de l’équité était-elle la seule solution, alors même que ce changement engendre de l’émotion parmi nos concitoyens ?

Nous sommes dans une période où le temps médiatique permet difficilement d’enchaîner plus de deux phrases, mais, lorsque l’argumentation dépasse ces deux phrases, je ne connais personne qui considère que remplacer l’égalité par l’équité constitue un progrès démocratique. Quand vous expliquez les choses, elles sont évidemment différentes, mais encore faut-il disposer du temps et de l’espace médiatique pour cela.

Le Sénat a, objectivement, tenté de trouver un compromis intelligent, permettant de sortir par le haut de cette affaire. Il y avait trois jours de période intermédiaire ; il y en a maintenant vingt, ce qui crée finalement le problème. Décidons alors que, pendant dix jours de cette période intermédiaire, l’égalité serait conservée et, pendant les dix autres jours, l’équité serait appliquée, ce qui permettrait de tenir compte d’une partie des remarques qui ont été émises.

Cette position de compromis et de consensus aurait permis à tout le monde de sortir par le haut : pour ceux qui crient au loup au sujet de ces modifications, il aurait été un moindre mal ; pour ceux qui considèrent que le statu quo n’est pas possible, il aurait marqué un progrès.

Mais qu’a fait la rapporteur de l’Assemblée nationale ? Elle a balayé cette proposition d’un revers de la main !

Au risque de surprendre une partie de mes collègues, je pourrais dire, ce matin, que je regrette profondément le départ de Mme Taubira de la place Vendôme : en effet, si elle était restée garde des sceaux, vous seriez resté, monsieur le ministre, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale et vous auriez obtenu le consensus qui n’a finalement pas été possible… (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Maudite déchéance…

M. Christophe Béchu, rapporteur. J’en viens maintenant à la question des comptes de campagne et je voudrais dire à M. le garde des sceaux qu’il est impossible de faire autre chose que de voter une question préalable.

Quand, en commission mixte paritaire, vous êtes renvoyé d’un revers de la main, même sur des points symboliques comme les vice-présidents des conseils consulaires ou les horaires de vote, et qu’on vous fait sentir que, de toute façon, la décision appartient à la majorité de l’Assemblée nationale, le faux-semblant démocratique a une limite !

Nous avons vécu d’autres débats pour lesquels les atermoiements ont duré quatre mois... Le seul avantage de la procédure accélérée, c’est que, compte tenu des positions éloignées de nos deux assemblées, on sort vite de ce faux-semblant de débat.

Pour autant, en ce qui concerne les comptes de campagne, il reste un point sur lequel je veux vous dire, monsieur le garde des sceaux, que nous sommes, dans l’ensemble, assez choqués par ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale.

Les textes qui nous étaient soumis portaient sur l’élection présidentielle – c’était d’ailleurs inscrit dans leur titre – et vous aviez proposé de diminuer la période de prise en compte des comptes de campagne pour cette élection.

Il s’agissait de régler, dans la dernière ligne droite, un gros problème juridique qui se présente à nous, collectivement, celui des primaires. C’est, il est vrai, une nouveauté démocratique. On ne sait pas comment la prendre en compte et on laisse aux juges le soin de se demander quelle est la part des dépenses de campagne exposées à ce titre qu’il faut intégrer aux comptes de campagne et la manière de le faire. On voit bien qu’on ne pourra pas rester dans une telle situation de déni de droit.

De manière très sage, l’Assemblée nationale a estimé que modifier les règles si peu de temps avant l’élection présidentielle donnerait un sentiment de tripatouillage. Elle a donc conservé le délai de douze mois. Très bien !

Mais, dans le même temps, elle a modifié, dans la loi ordinaire, cette même durée des comptes de campagne pour toutes les autres élections, à l’exception de l’élection présidentielle. Si ce n’est pas un cavalier, monsieur le garde des sceaux, qu’est-ce que c’est ?

L’Assemblée nationale a tenté de se rattraper aux branches, en modifiant le titre de la proposition de loi pour indiquer qu’elle contient des dispositions relatives à diverses élections… Mais cette modification se justifie uniquement par la validation relative à la durée des comptes de campagne, qui a fait l’objet d’amendements issus des principaux groupes de l’Assemblée nationale.

Je veux le dire ici de manière très simple et très claire : c’est en raison ce genre de manœuvres que nos concitoyens perdent confiance dans leurs représentants.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. Christophe Béchu, rapporteur. Vous voulez modifier les règles sur les comptes de campagne ? Pas de problème, mais déposez un texte spécifique sur le sujet ! Nous prendrons le temps d’en débattre.

Modifier ces règles dans la dernière ligne droite revient à jouer aux apprentis sorciers. Il faut d’autant moins le faire que les nouvelles règles auront à s’appliquer pour les élections législatives, qui auront elles-mêmes lieu dans un tout petit peu plus d’un an.

Mme Nathalie Goulet. Et pour les sénatoriales !

M. Christophe Béchu, rapporteur. En effet, mais il est vrai que l’intensité des dépenses de campagne n’est pas la même pour les sénatoriales que pour les autres élections…

Le dernier point que je souhaitais évoquer concerne les sondages et je veux exprimer mon regret devant ce que je qualifierai, au minimum, de manque d’élégance et qui, en tout état de cause, est proche d’une faute.

Un texte d’une grande qualité a été voté à l’unanimité au Sénat, sur l’initiative de MM. Sueur et Portelli. Il vise à modifier une loi qui date de 1977. Je n’ai pas un souvenir très précis des sondages de cette époque, mais je serais curieux de savoir quelles en étaient les marges d’erreur… Cette loi n’a pas été modernisée, alors que les sondages prennent aujourd’hui une importance grandissante dans la vie médiatique et politique.

Nous nous sommes servis de ce véhicule législatif, tout en expurgeant le texte voté précédemment des quelques dispositions qui ne concernaient pas la politique. Finalement, l’Assemblée nationale a refusé l’intégration de ces dispositions, alors même qu’elle avait déjà voté sur ces questions auparavant.

À nos yeux, ce procédé rend encore plus illégitime le fait de toucher aux règles relatives aux comptes de campagne pour les autres élections que l’élection présidentielle.

On ne voit pas quel argument objectif pourrait être avancé pour s’opposer à cet ajout, qui avait été réalisé à l’unanimité de la commission des lois et du Sénat.

Monsieur le garde des sceaux, je sais votre temps précieux et je vous demande de considérer qu’il arrive que le nôtre le soit également. Dans ces conditions, prenez la motion tendant à opposer la question préalable comme un moyen d’éviter de faux débats. C’est pourquoi il sera proposé au Sénat d’écarter le texte organique et d’amender la proposition de loi ordinaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et quelques travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis conscient que la perspective de la question préalable enlèvera à mon intervention le peu d’intérêt qu’elle pouvait présenter…

En introduction, je voudrais tout de même dire que je suis d’accord avec la position du rapporteur sur la proposition de loi organique : lorsqu’il n’y a pas de désir de trouver une position commune, même sur les détails, il ne sert à rien de faire durer ce qui n’est pas nécessairement un plaisir.

S’agissant de la proposition de loi ordinaire, je suis également en accord avec le rapporteur : il n’y a pas de raison de réduire la durée des comptes de campagne, dont la régularité constitue un problème de fond. En ce qui concerne l’élection présidentielle, je ne parlerai même pas d’un autre problème : que se passe-t-il dans le cas où un candidat élu voit son compte de campagne invalidé ? C’est un beau sujet de réflexion…