M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je comprends tout à fait l’objectif visé, mais je crains qu’une telle modification ne soit contre-productive.

En réalité, un tel amendement pourrait affaiblir l’obligation d’information applicable aux relations entre deux particuliers, puisqu’il s’agit d’élargir le régime du niveau d’information à fournir aux relations entre professionnels et consommateurs aux relations entre particuliers. Les deux régimes se trouveraient confondus alors, même qu’ils sont différents : il est normal que des obligations supérieures pèsent sur les entreprises et les professionnels qui s’adressent à des consommateurs. C’est tout l’objet du droit de la consommation que de protéger la partie la plus faible dans une relation contractuelle.

En l’occurrence, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques votée l’année dernière prévoit déjà que, lorsque deux non-professionnels sont mis en relation par une plateforme, celle-ci doit informer les consommateurs qu’ils ne pourront pas bénéficier du code de la consommation.

Étendre ce dispositif aux relations entre consommateurs et professionnels affaiblirait le niveau d’information demandé. Il est donc très important de conserver la distinction entre relation B to B et relation B to C – pardonnez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’user d’expressions anglo-saxonnes !

M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

M. Alain Richard. Je me demande si les positions du Gouvernement et de la commission ne sont pas conciliables.

Il me semble – pardonnez-moi d’improviser – que le raisonnement du rapporteur, qui me paraissait convaincant à l’oreille, tient parfaitement si le site met l’usager en contact avec, à la fois, des professionnels et des consommateurs.

Or la rédaction proposée par notre collègue prévoit que ce sera « avec des professionnels ou des consommateurs » et se heurte donc à l’objection de Mme la secrétaire d’État, posée dans les termes suivants : si le site ne met en relation que des particuliers, il n’a pas à entrer dans cette catégorie-là.

Si M. Rome acceptait de remplacer la préposition « ou » par la conjonction « et », on aboutirait à une solution juste.

M. le président. La parole est à M. Yves Rome, pour explication de vote.

M. Yves Rome. Vous faites toujours des suggestions fort judicieuses, monsieur Richard !

Je ne pourrais cependant y souscrire qu’au cas où M. le rapporteur, qui a donné un avis favorable sur mon amendement, s’y rangeait également. Toutefois, je ne veux pas le mettre en difficulté en acceptant cette suggestion sans prendre son avis.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je suis « non opposé » à cette proposition de rectification. (Sourires.) Je souhaite simplement entendre l’avis du Gouvernement sur ce point.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je ne suis pas certaine d’avoir compris le raisonnement juridique de M. Richard.

Vous proposez bien, monsieur le sénateur, de remplacer dans l’amendement « ou » par « et » dans le début du deuxième alinéa, ainsi rédigé : « Lorsque son activité consiste en la mise en relation de consommateurs avec des professionnels ou des non-professionnels » ?

M. Alain Richard. Oui, lorsque le site d’hébergement mélange les deux !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je crains que l’impact d’une telle disposition ne soit beaucoup plus large que l’objectif initial, dans la mesure où en entre là sur le terrain du droit de la concurrence. Il est ici question, en effet, de relations entre deux professionnels.

M. Alain Richard. C’est une mesure de transparence !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Le droit européen nous interdit de prévoir une telle disposition.

Nous avons choisi, dans ce projet de loi, de rester dans le domaine du droit de la consommation, donc uniquement sur le terrain des relations entre les professionnels et les consommateurs. En effet, ce qui relève du droit de la concurrence est actuellement négocié à Bruxelles. C’est à cette condition que nous avons obtenu le feu vert de la Commission européenne pour avancer de manière pionnière.

Tous les pays européens s’interrogent aujourd'hui sur la nécessité de réguler ou non les plateformes. La Commission européenne a lancé, à l’automne dernier, une consultation sur le sujet, et nous en sommes aux premiers balbutiements de la réflexion.

On peut imaginer que si ce travail devait aboutir à une législation européenne, celle-ci ne verrait pas le jour avant plusieurs années. C’est la raison pour laquelle la France a souhaité aller de l’avant, afin de progresser sur la question de la régulation des plateformes. Nos amis allemands s’intéressent aussi de près à ce sujet.

Je le répète, nous ne pouvons agir ainsi qu’à la condition de ne pas entrer dans le domaine du droit de la concurrence, dans la mesure où la Commission s’intéresse à cette branche du droit, aux plans non seulement législatif, mais aussi contentieux et judiciaire. Plusieurs procédures sont en cours – je les ai citées –, qui visent justement à occuper ce terrain concurrentiel.

Étant donné la taille du marché concerné, les États membres doivent s’effacer pour laisser la Commission européenne exercer ses prérogatives.

M. le président. Monsieur Rome, maintenez-vous votre amendement en l’état, en dépit des efforts constructifs de M. Richard ? (Sourires.)

M. Yves Rome. Oui, monsieur le président, sauf si M. le rapporteur donnait son accord pour que je le modifie.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je souhaite apporter une précision à ce stade à propos de la distinction entre « ou » et « et ».

Le « ou » n’est pas exclusif. Il nous permet de faire figurer, dans l’article L. 111-7 du code de la consommation, la mise en relation de consommateurs avec des consommateurs, avec des professionnels et avec des non-professionnels. Tous les champs de mise en relation sont couverts. Je suis donc favorable au maintien de la préposition « ou » dans l’amendement.

La conjonction « et », en revanche, serait de nature à induire en erreur et à donner un caractère restrictif à la disposition. Je préférerais donc que l’on en reste ce soir, et peut-être jusqu’à la réunion de la commission mixte paritaire, à la rédaction présente de l’amendement.

Encore une fois, grâce à la préposition « ou », la rédaction est plus ouverte, non restrictive et permet toutes les mises en relation.

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. Si le « ou » nous va bien, tout va bien ! (Sourires.)

Je souhaite réagir à l’argument avancé par Mme la secrétaire d’État. L’intention de l’auteur de l’amendement est clairement la protection du consommateur, et il n’est pas question ici de droit de la concurrence. Sur eBay, par exemple, il y a des professionnels et des particuliers, et il faut pouvoir distinguer les uns des autres.

Autre exemple, sur Airbnb, on trouve, à la fois, le particulier qui loue occasionnellement son appartement et l’agence qui loue plusieurs appartements pour le même particulier ou pour d’autres. On aimerait pouvoir les distinguer !

Telle est, selon moi, l’intention de M. Rome. Si c’est le cas, nous parlons bien de la protection du consommateur. Dans ces conditions, les dispositions de cet amendement me conviennent.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je remercie M. Dallier d’avoir explicité mon propos. (M. Philippe Dallier s’exclame.)

M. Loïc Hervé. Ce n’est pas ce qu’il voulait faire ! (Sourires.)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Son intervention conforte la rédaction présente de l’article. Celle-ci vise justement à clarifier cette distinction, qui emporte des conséquences juridiques très importantes, notamment en termes de niveau d’obligations pesant sur les personnes concernées, qu’il s’agisse de professionnels ou de particuliers.

J’ai l’impression que nous sommes parfois tentés, collectivement, de jouer aux apprentis sorciers… Le choix fait dans ce texte est de se situer sur le terrain du droit de la consommation et des relations entre les entreprises et les particuliers.

Lorsqu’un particulier devient un professionnel et touche des revenus de cette activité professionnelle, cela emporte des conséquences tout autres, notamment en matière de fiscalité. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de traiter ce sujet à l’occasion de l’examen d’autres articles.

En l’occurrence, nous traitons de l’information claire, loyale et transparente que doivent les plateformes aux consommateurs. Attention à ne pas faire dériver la question sur un autre terrain, qui emporte l’application d’un droit totalement différent !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 396 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 626, présenté par M. Frassa, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Supprimer les mots :

du présent article

La parole est à M. le rapporteur.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 626.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 125 rectifié est présenté par MM. Cigolotti, Guerriau, Bonnecarrère, Luche et Roche, Mme Joissains, MM. Médevielle et Canevet, Mme Loisier et MM. Marseille, Gabouty et Pellevat.

L’amendement n° 131 est présenté par M. Navarro.

L’amendement n° 147 rectifié bis est présenté par MM. Commeinhes, Chatillon, Gremillet, Longeot, Laménie et A. Marc.

L’amendement n° 466 est présenté par Mme Assassi, MM. Bosino, Abate et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Après l’alinéa 9

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

…) Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Un décret précise les modalités de définition de la qualité de l’annonceur sur la base de critères objectifs prenant notamment en considération des indicateurs de fréquences et le montant des revenus générés par l’utilisateur, ainsi que le secteur concerné. »

Les amendements nos 125 rectifié, 131 et 147 rectifié bis ne sont pas soutenus.

La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour présenter l'amendement n° 466.

M. Jean-Pierre Bosino. Cet amendement suggéré par UFC-Que Choisir ? vise à introduire une obligation d’information des plateformes relative à la distinction entre professionnel et particuliers à l’égard des consommateurs. C’est un peu le même débat que celui que nous avons eu à propos de l’amendement n° 396 rectifié de M. Rome.

L’objectif est de renforcer l’information des consommateurs en donnant les mêmes obligations d’information à toutes les plateformes, qu’elles mettent en relation des non-professionnels ou des professionnels et des non-professionnels.

La loi, à laquelle vous avez fait référence, madame la secrétaire d’État, du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », prévoit une obligation d’information sur la qualité de l’annonceur à la charge des plateformes, uniquement pour celles qui mettent en relation des non-professionnels.

Étant donné que la plupart des plateformes sont mixtes, c’est-à-dire qu’elles mettent en relation des professionnels et des non-professionnels, il nous paraît important de préciser que cette obligation concerne tout type de plateforme.

Cette clarification du statut est également nécessaire pour une bonne information sur les droits de l’acheteur, lesquels seront différents selon qu’il contracte avec un particulier ou un professionnel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l'amendement n° 466 ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Compte tenu de l’adoption de l’amendement n° 396 rectifié de M. Rome, celui que vient de défendre M. Bosino est largement satisfait. Je lui demande donc de bien vouloir le retirer.

L’article L. 111-7 du code de la consommation prévoit d’ores et déjà que l’opérateur de plateforme doit informer sur la qualité du prestataire ou du vendeur. Nous venons d’étendre cette obligation aux situations où la plateforme met en relation des consommateurs avec des professionnels ou des non-professionnels.

Dès à présent, le Gouvernement peut, s’il le souhaite, imposer que l’information délivrée réponde aux exigences mentionnées par les auteurs de l’amendement. Il n’a pas besoin d’une habilitation législative.

J’ajoute que le dernier alinéa de l’article L. 111-5-1 du code de la consommation prévoit d’ores et déjà que « le contenu de ces informations et leurs modalités de communication sont fixés par décret ». De grâce, évitons les redites !

Il s’agit d’un problème non pas de loi, mais de volonté politique. Je ne doute pas que celle du Gouvernement soit acquise à cette cause.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. L’amendement a pour objet d’imposer aux plateformes d’informer les consommateurs quant à la qualité de l’annonceur, professionnel ou particulier.

Il est important de renforcer la protection des consommateurs en exigeant que l’information qui leur est délivrée soit plus complète. Le statut de particulier ou de professionnel détermine en effet le droit applicable au contrat de vente ou de service qui sera conclu. Par exemple, si le vendeur est un professionnel, le consommateur bénéficie d’un droit de rétractation. Tel n’est pas le cas si le contrat de vente émane d’un non-professionnel.

Ces remarques illustrent mes propos précédents : selon que l’on se situe sur le terrain d’une relation entre des professionnels et des consommateurs, ou entre deux particuliers consommateurs, le droit applicable est totalement différent.

C’est la même chose en matière de fiscalité, où le caractère professionnel ou non dépend d’un faisceau d’indices que l’on ne peut résumer à une seule mention, comme c’est le cas dans cet amendement. Ces indices sont notamment la participation personnelle, directe et continue du contribuable à l’activité, ou encore, pour certains types d’activités, l’importance des revenus qui sont engendrés – je pense notamment aux plateformes de mise en location d’appartements.

Le statut professionnel ou non a des conséquences fiscales, en particulier, très importantes. Le Gouvernement a donc choisi d’étudier les situations au cas par cas pour caractériser ce moment où un particulier peut éventuellement devenir un professionnel.

Dans l’univers économique numérique, où le statut des plateformes et les relations entre les différentes parties prenantes varient énormément d’un secteur à l’autre, il est important de soutenir cette approche au cas par cas, pour qu’elle « colle » le plus possible à la réalité.

En matière fiscale, par exemple, depuis qu’a été votée dans la loi de finances l’obligation de transmettre à l’utilisateur le relevé de ses revenus sur une base annuelle, pour qu’il puisse ensuite déclarer ces derniers à l’administration fiscale, Bercy a engagé ce travail de détermination la plus fine possible, au cas par cas, du régime de distinction entre professionnels et particuliers.

Les conclusions de cette étude seront rendues en juillet prochain. Il s’agit d’un travail assez laborieux et fastidieux.

Je crains que ce type de disposition législative d’ordre général n’induise davantage de confusion juridique qu’autre chose, dans la mesure où elle ne permet pas de « coller » à la situation.

M. le président. Monsieur Bosino, l’amendement n° 466 est-il maintenu ?

M. Jean-Pierre Bosino. L’amendement n° 396 rectifié d’Yves Rome, dont les dispositions allaient dans le même sens, ayant été adopté, nous retirons le nôtre, monsieur le président, même si nous considérons que nous aurions pu aller un peu plus loin encore dans la protection des consommateurs.

M. le président. L’amendement n° 466 est retiré.

L’amendement n° 397 rectifié, présenté par MM. Leconte, Rome, Sueur et Camani, Mme D. Gillot, MM. F. Marc, Assouline, Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – Le premier alinéa du III de l’article L. 441-6 du code de commerce est ainsi rédigé :

« Tout prestataire de service est également tenu à l’égard de tout destinataire de prestations de service des obligations d’information définies aux articles L. 111-2 et L. 111-7 du code de la consommation. »

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise les relations entre professionnels. Il a pour objet d’étendre le principe de loyauté aux relations entre les opérateurs de plateformes en ligne et les professionnels.

L’article L. 441-6 du code de commerce impose déjà aux professionnels de respecter, dans leurs relations avec d’autres professionnels, certaines dispositions du droit de la consommation.

L’amendement tend donc à rendre applicable l’article L. 111-7 du code de la consommation aux relations entre professionnels. Les dispositions dudit article obligent l’opérateur de plateforme en ligne à délivrer une information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, biens et services.

L’amendement tend à introduire une obligation de transparence propre aux relations commerciales s’appliquant aux plateformes en ligne. Il s’agit de permettre aux professionnels ayant contracté avec certaines plateformes devenues incontournables, et souvent dominantes, de mieux appréhender les conditions d’exécution de sa relation contractuelle, notamment les conditions de référencement, de classement et de déréférencement.

L’objet de l’amendement est donc d’élargir l’article L. 111-2 du code de la consommation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. M. Leconte souhaite étendre à l’ensemble des prestataires de services des obligations que les opérateurs de plateforme ont vis-à-vis des consommateurs.

La disposition proposée est contraire à la directive sur le commerce électronique en ce qu’elle impose une contrainte supplémentaire aux services de communication électronique, qui n’est pas justifiée par la protection des consommateurs.

Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Défavorable, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Leconte, l’amendement n° 397 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Yves Leconte. L’article L. 111-2 du code de la consommation s’appliquant déjà, j’ai du mal à comprendre l’argumentation de M. le rapporteur.

Je maintiens donc mon amendement, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 397 rectifié.

J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois…

M. Jean-Yves Leconte. Dans ce cas, je retire mon amendement !

Il ne sert à rien de faire des scrutins publics avec, dans l’hémicycle, trente sénateurs qui émettent trois cent cinquante votes ! Ce n’est pas raisonnable, alors même que les internautes nous regardent en masse…

M. le président. L’amendement n° 397 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article 22, modifié.

(L'article 22 est adopté.)

Article 22
Dossier législatif : projet de loi pour une République numérique
Article 22 bis (Supprimé)

Articles additionnels après l'article 22

M. le président. L’amendement n° 113 rectifié bis, présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Zocchetto, L. Hervé et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :

Après l'article 22

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les opérateurs de plateforme en ligne ayant pour finalité d’apporter des réponses à des requêtes de toutes natures, en puisant dans l’universalité des contenus disponibles sur internet, sous forme de texte, d’image et de vidéo, selon un ordre de préférence au moyen d’algorithmes informatiques, constituent des moteurs de recherche généralistes et horizontaux de l’internet.

Le fait pour les services de moteurs de recherche généralistes et horizontaux de l’internet tels que définis au premier alinéa, dès lors qu’ils sont en situation de position dominante au sens de l’article L. 420-2 du code de commerce, de favoriser leurs propres services ou ceux de toute autre entité ayant un lien juridique avec eux, dans leurs pages de résultats de recherche générale, en les positionnant et en les mettant en évidence indépendamment de leur niveau de performance est constitutif d’une pratique prohibée par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.

L’Autorité de la concurrence peut prendre toute mesure adéquate pour faire cesser ces pratiques dans les conditions prévues à l’article L. 464-1 du même code.

La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. L’avancée contenue dans ce projet de loi réside dans le principe de la libre disposition des données et dans le principe, que notre groupe a toujours défendu, de loyauté des plateformes, qui trouve sa justification dans la nécessité de compenser un déséquilibre structurel entre la plateforme, parfois en situation de monopole, voire d’oligopole, sur un marché et ses utilisateurs, particuliers comme professionnels.

Dans le cadre de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le Sénat avait d’ailleurs adopté à l’unanimité l’un de mes amendements sur ce sujet, qui a été rejeté par la suite lors des débats à l’Assemblée nationale. Je me réjouis que le présent projet de loi le reprenne en partie.

Afin de donner toute leur force à ces dernières avancées, je pense nécessaire de proposer quelques évolutions. Il s’agit notamment de distinguer clairement un moteur de recherche d’autres services qui tendent également à référencer du contenu mis en ligne par des tiers, mais qui s’en distinguent par leur vocation à référencer l’intégralité des contenus que le web peut receler, indépendamment d’une typologie particulière, d’un service ou d’un produit particulier. C’est toute la différence entre un moteur de recherche « horizontal » et un moteur de recherche « vertical ».

Il est vraiment nécessaire de cerner les contours de cette activité, qui est bien spécifique, parce qu’elle est déterminante pour le développement de l’économie numérique, vers laquelle le moteur de recherche offre parfois l’unique porte d’entrée.

Il faut donc que des obligations spécifiques s’attachent au statut du moteur de recherche et que l’on s’assure avant tout que de tels services soient neutres dans leur référencement et leur classement, dès lors que le moteur de recherche est en position dominante sur le marché.

L’amendement vise à prévoir, dans un premier temps, une définition du moteur de recherche suffisamment précise pour éviter toute confusion avec d’autres services.

Dans un second temps, il tend à reprendre strictement les termes de la Commission européenne, utilisés dans son communiqué de presse du 15 avril 2015 faisant référence à sa notification de griefs à Google en 2015. La Commission y considérait que, dès lors qu’un moteur de recherche est en position dominante sur un marché, dans les conditions prévues par le code de commerce, et qu’il favorise ses propres services indépendamment de leur niveau de performance, alors la pratique est constitutive d’un abus de position dominante.

L’amendement vise également à permettre à l’Autorité de la concurrence de prendre les mesures conservatoires utiles et proportionnées pour faire cesser ladite pratique.

En effet, il est impératif, au regard des délais constatés dans le cadre de la procédure en cours devant la Commission européenne, que le législateur prévoie la mise en œuvre de mesures efficaces pour porter assistance aux entreprises, souvent nationales, menacées d’être évincées de leur marché du fait de ces pratiques.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement, que je trouve intéressant, voire savoureux, vise à appliquer les règles de la concurrence aux moteurs de recherche, et à l’un d’entre eux en particulier.

Vous souhaitez sans doute, madame Morin-Desailly, lancer un débat sur le risque de pratiques anticoncurrentielles de certains moteurs de recherche en situation de quasi-monopole.

M. Alain Richard. C’est un risque assez caractérisé, pour ne pas dire une certitude ! (Sourires.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Merci de devancer mon propos, monsieur Richard !

Toutefois, les pratiques visées par l’amendement sont d’ores et déjà susceptibles d’être réprimées sur le fondement de notre droit de la concurrence. Je m’interroge sur la nécessité de les répéter au détour d’un article additionnel après l’article 22 du projet de loi…

J’ajoute que la société visée par l’amendement fait déjà l’objet d’une procédure engagée par la Commission européenne sur la question de son système d’exploitation pour les smartphones. Les moyens d’agir existent déjà pour condamner de telles pratiques. L’actualité nous le montre et cette entreprise en fait l’expérience.

Attendons de voir le résultat de la procédure en cours avant de durcir notre droit sur les pratiques anticoncurrentielles de ces sociétés exerçant, je le répète, un quasi-monopole.

Le droit en vigueur semblant satisfaire les exigences formulées dans cet amendement, je sollicite le retrait de ce dernier.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Cet amendement vise à définir précisément ce qu’est un moteur de recherche.

Madame la sénatrice, vous réintroduisez l’interdiction, spécifiquement appliquée aux moteurs de recherche, de favoriser leurs propres services.

Or il n’est pas possible d’introduire une telle définition dans le droit français, alors même que sont définies plus largement les plateformes. On voit mal, en effet, pourquoi les moteurs de recherche seraient distincts des places de marché, lesquelles seraient distinctes des sites de vente électroniques, qui seraient à leur tour distingués des sites de mise en relation, d’annonces…

Par ailleurs, les critères que vous citez sont remplis dans la mesure où ils existent d’ores et déjà dans le droit de la concurrence.

Des enquêtes sont en cours, au niveau tant national qu’européen. Il appartient aux autorités chargées de faire respecter la concurrence et qui mènent ces enquêtes de se prononcer ; si ce n’est pas encore le cas, cela ne saurait tarder.

Observez ce qui se passe dans les autres pays, notamment aux États-Unis. Croyez-vous vraiment que, parce que le législateur américain voterait une telle disposition au Congrès, cela permettrait d’instaurer un rapport de force suffisant pour faire cesser un abus de position dominante d’une des entreprises pesant le plus lourd dans le monde ? Non ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)