MM. Bruno Sido et M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.

Mme Nelly Tocqueville. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre Haute Assemblée est tenue aujourd’hui d’examiner la « proposition de loi précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue ».

La complexité de cet intitulé n’a d’égale que la gravité du sujet que nous traitons en cet instant.

Cette proposition de loi, nous le savons, reprenait dans sa version initiale le texte déposé par plusieurs députés socialistes sur le bureau de l’Assemblée nationale en novembre 2015. Elle portait le même intitulé, et ses dispositions étaient quasi identiques, ce qui, manifestement, démontre le caractère consensuel et transpartisan de ce texte.

D’ailleurs, comme il est noté par ses auteurs, à l’Assemblée nationale, et repris par l’actuelle proposition de loi, depuis la loi Bataille de 1991, en passant par la loi de 2006, le dossier de la gestion des déchets radioactifs a été traité avec une remarquable continuité politique, et ce aussi bien par les gouvernements successifs que par la représentation nationale.

Nous le savons, le texte a maintes fois été déposé, et ce sous diverses formes, qu’il s’agisse d’un article de l’avant-projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, ou d’amendements à l’occasion de l’examen de ce même texte ou encore de celui du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Toutes et tous, nous nous rejoignions sur un même point : le sujet était d’une importance telle qu’il devait faire l’objet d’un texte particulier, afin que la représentation nationale puisse disposer d’un temps suffisant pour en débattre.

La loi de 2006 a décidé de la construction, à Bure, aux limites de la Meuse et de la Haute-Marne, d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde, communément appelée Cigéo, destinée aux déchets radioactifs à haute et moyenne activité à vie longue.

Une directive de 2011 est venue conforter ce choix, puisqu’elle impose à la France, pour les déchets de ce type, de mettre « en place un stockage dans des installations appropriées qui serviront d’emplacement final ». Elle précise également que « l’entreposage des déchets radioactifs, y compris à long terme, n’est qu’une solution provisoire qui ne saurait constituer une alternative au stockage ».

Tout comme celle de nos collègues à l’Assemblée nationale, l’actuelle proposition de loi prévoit des ajustements du dispositif législatif mis en place en 2006, indispensables à l’avancement du projet Cigéo. Ceux-ci prennent en compte les recherches et études menées ces dix dernières années par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, ainsi que les conclusions du débat public, organisé en 2013, et qui a fait apparaître de nouvelles attentes des citoyens, notamment celle de la création d’une phase industrielle pilote.

Par ailleurs, en application de la loi de 2006, les conditions de réversibilité doivent être fixées par une nouvelle loi, votée avant l’autorisation de création de Cigéo.

Cette proposition de loi vise trois objectifs que mon groupe ne peut que partager.

Non seulement elle définit non seulement la notion de réversibilité relative au stockage de déchets radioactifs, mais elle précise également que l’exploitation de l’installation de stockage en couche géologique profonde doit débuter par la phase industrielle pilote. Enfin, elle adapte la procédure d’autorisation d’une telle installation et le calendrier du projet.

S’agissant du premier objectif, qui définit la notion de réversibilité, il est important de noter que celle-ci ne doit pas être confondue avec la notion de récupérabilité. Le principe de réversibilité, comme l’indique l’ANDRA, se caractérise par l’impossibilité d’enfermer les générations futures dans les choix ou non-choix que nous ferions à la conception.

La réversibilité du stockage désigne bien la capacité à offrir à la génération suivante des choix sur la gestion à long terme des déchets radioactifs, y compris ceux de revenir sur les décisions prises par la génération antérieure. Et, comme la proposition de loi l’indique, elle inclut « la possibilité » de récupérer des colis de déchets déjà stockés. La récupérabilité n’est donc qu’un outil de la réversibilité, comme le précise l’ANDRA.

Par ailleurs, toujours selon l’Agence, la récupérabilité est nécessairement limitée dans le temps. Cigéo est conçu pour permettre le retrait sur toute sa période d’exploitation, au moins cent ans.

Concernant la phase industrielle pilote, qui ouvrira l’exploitation industrielle du site, laquelle est l’expression d’une large demande formulée lors du débat public qui s’est tenu en 2013, celle-ci permettra de tester dans les conditions d’exploitation les outils de la réversibilité, tels que la maîtrise des risques, le contrôle des performances des équipements industriels, la capacité à retirer des colis de déchets de leur alvéole de stockage, ou encore la capacité à sceller les galeries.

Là encore, nous ne pouvons qu’adhérer à ce processus de phase industrielle pilote, d’autant plus qu’elle exprime une demande forte du public.

Enfin, il fallait encore adapter le calendrier de la loi de 2006 pour reporter la date d’instruction de la demande d’autorisation de création à 2018.

Mes chers collègues, le sujet que nous traitons aujourd’hui est difficile et sensible, nous le savons bien, mais il ne s’agit pas ici de se prononcer pour ou contre le nucléaire ni d’en débattre. Il ne peut qu’au contraire nous rassembler.

C’est un fait, le nucléaire est une source énergétique essentielle pour la France, et les déchets radioactifs qui résultent de son exploitation existent. Il s’agit désormais d’assumer notre responsabilité en la matière, notamment à l’égard des générations futures. C’est une nécessité éthique, cela a été dit, que de trouver les moyens de les gérer. Nous devions trouver et mettre en œuvre une solution afin de stocker ces déchets, et c’est ce que nous avons fait avec le projet Cigéo. Nous devons nous en féliciter. Cela permet d’assurer, pour les années à venir, la protection des hommes et de la planète.

Je tiens, par ailleurs, à préciser que cette solution fait consensus au niveau international. Comme l’indique l’ANDRA, bien que les concepts et les milieux géologiques choisis varient en fonction des pays, tous ceux qui utilisent l’énergie électronucléaire, tels que la Finlande, la Suède, le Canada, la Chine, la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore le Japon, retiennent le stockage géologique comme solution de gestion définitive et sûre, à long terme, de leurs déchets. (M. Ronan Dantec hoche la tête en signe de dénégation.)

Bien entendu, la solution que nous examinons n’est pas la solution ultime et, pour cette raison, il faut poursuivre les recherches et inciter à l’innovation.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe socialiste du Sénat votera pour ce texte, mais nous serons attentifs à la transparence et à l’association du public à toutes les étapes, de la création à la gestion du site. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur l’auteur de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, Keynes, un peu provocateur, a écrit un jour : « Mieux vaut encore employer des gens à creuser des trous et à les reboucher, plutôt que plonger dans la récession et laisser le chômage s’installer ». Je ne pensais pas que nous débattrions un jour d’une proposition de loi de Gérard Longuet en hommage à l’un des grands théoriciens économiques de la gauche, ou à tout le moins d’une partie de la gauche…

Nous vivons aujourd’hui un moment historique, et pas seulement parce que Gérard Longuet se convertit au keynésianisme. Pour la première fois, l’une des économies majeures de la planète a vu la quasi-totalité de sa consommation électrique couverte par une production d’énergie renouvelable. Le 8 mai, à onze heures du matin, les quelque 50 gigawatts de consommation de l’Allemagne furent presque totalement couverts par cette production renouvelable, dont plus de 16 gigawatts de solaire.

M. Bruno Sido. Cela a coûté une fortune !

M. Ronan Dantec. Cela a d’ailleurs un peu désorganisé le réseau, et la surproduction était telle que les électriciens ont payé pour écouler leur production. Cet événement ouvre sur d’autres débats, et j’espère que nous les aurons.

Face à ce fait qui montre à quel point la transition énergétique est engagée en Europe, à quel point son inéluctabilité doit amener à revoir nos modèles, nous devrions, au Parlement, être en train de discuter de notre stratégie pour ne pas rater le train du progrès, avoir en tête les centaines de milliers d’emplois créés en Allemagne et soupeser cette stratégie pour que notre modèle énergétique, fleuron français s’il en est, ne soit pas marginalisé dans ce gigantesque marché mondial des énergies renouvelables en fort développement.

Je souligne en effet que les investissements en production électrique renouvelable ont mobilisé, en 2015, dans le monde, 286 milliards de dollars, soit plus du double de ceux qui ont été réalisés dans les centrales à charbon ou à gaz, et je ne parle évidemment pas des investissements dans le nucléaire, insignifiants à l’échelle mondiale en comparaison de ces masses financières.

Cependant, au lieu de nous concentrer sur ces enjeux économiques essentiels, dans un déni collectif qui engendrera sans nul doute beaucoup de travaux d’historiens et de sociologues dans les prochaines années, nous utilisons aujourd'hui une niche parlementaire pour accélérer le creusement d’un trou, certes le trou le plus cher de l’histoire - 35 milliards d’euros à terme, dont 6 milliards très rapidement -, mais quand même un trou, investissement non productif s’il en est !

Ce monde est-il sérieux ? J’avoue parfois en douter ! Nous avons une filière nucléaire en quasi-faillite, avec une opération de sauvetage d’Areva qui se fissure comme une vieille cuve de chaudière. Nous avons une préoccupation collective majeure avec le surendettement connu d’EDF, à qui l’on demande, en plus d’Areva, de supporter les 13 milliards d’investissement des EPR de Hinkley Point, mais aussi la cinquantaine de milliards du grand carénage des centrales existantes, et maintenant la relance de Cigéo ! Tout cela dépasse allégrement les 100 milliards d’euros dans les prochaines années. Nul besoin d’être un ancien directeur financier d’EDF pour savoir que c’est tout à fait impossible !

On finit par se dire qu’il y a une volonté forte d’en finir avec le service public à la française, en organisant la faillite d’EDF. Nous aurons d’ailleurs noté voilà quatre jours la menace d’une nouvelle dégradation par Moody’s de la note d’EDF, fait très problématique pour un opérateur déjà très endetté. Bref, changeons de logiciel avant qu’il ne soit trop tard, et ce n’est pas du tout la logique de Cigéo.

Je ne vais donc pas vous surprendre en vous disant que le groupe écologiste votera contre cette proposition de loi.

M. Jean-Claude Lenoir. Il est bien le seul !

M. Ronan Dantec. Parmi tous les pays qui produisent de l’énergie nucléaire, la France est le seul à réellement miser sur le stockage en couche géologique profonde, même si les autres l’ont inclus dans l’éventail des possibilités, alors que l’état actuel de la recherche ne permet pas de répondre à toutes les questions posées par cette technologie.

Les retours d’expérience montrent que la meilleure alternative aujourd’hui, ou la moins mauvaise en tout cas, car les écologistes se soucient, peut-être plus que d’autres, des déchets nucléaires, est clairement le stockage à sec en subsurface, qui est d’ailleurs l’un des trois axes de recherche identifiés par la loi Bataille de 1991. Cette technologie est aujourd’hui utilisée en Allemagne et aux États-Unis ; elle garantit une solution de stockage pendant des centaines d’années et répond évidemment à l’exigence de réversibilité. Elle coûte par ailleurs bien moins cher.

On joue beaucoup sur les mots en cette fin d’après-midi, notamment sur la réversibilité. Je suis désolé pour notre rapporteur, mais la réversibilité doit bien sûr être synonyme de récupérabilité, à tout moment, en cas d’accident ou si d’autres solutions de retraitement émergeaient plus tard. Il ne peut pas en être autrement. C’est notre responsabilité à l’égard des générations futures. En proposer aujourd'hui une autre définition – je salue à cet égard la tentative du rapporteur pour rendre acceptable l’inacceptable – est en fait prononcer l’oraison funèbre de Cigéo.

Cette réversibilité relève aussi du bon sens pour éviter de se retrouver avec des factures gigantesques en cas de problème. Citons l’exemple du centre de stockage Waste Isolation Pilot Plant, ou WIPP, situé au Nouveau-Mexique, aux États-Unis, projet suspendu depuis deux ans à la suite d’un incendie et à l’émission de fortes doses de plutonium. Même fiasco pour le centre de stockage d’Asse en Allemagne, où la mine de sel, qui devait être totalement étanche, s’est retrouvée rongée par les infiltrations. Dans ces exemples, les coûts s’annoncent faramineux pour récupérer les déchets déjà entreposés.

Au moins, je reconnais à cette proposition une honnêteté, soulignée ce matin en commission par le rapporteur. En couche profonde, au vu des mouvements des couches d’argile, nous savons qu’au-delà de cinquante ans la récupération sera quasiment impossible. Nous nous apprêtons donc à lancer, après quelques auditions et deux heures de débat, un investissement de 35 milliards d’euros à terme pour des déchets qui seraient là pour des centaines de milliers d’années.

Tout cela n’est absolument pas sérieux et je propose, mes chers collègues, que nous reprenions nos esprits en repoussant cette proposition de loi, que nous vous demandons d’enterrer en couche géologique profonde à la place des colis de déchets nucléaires.

M. Gérard Longuet. Ce n’est pas un sujet humoristique !

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai commencé ma carrière professionnelle en tant qu’inspecteur des installations nucléaires, c’est donc un domaine que je connais relativement bien. Je peux donc dire en toute connaissance de cause, en ce qui concerne tant les enjeux de sécurité que le bilan économique, que l’on doit être partisan du développement de l’énergie nucléaire en France.

Je pense que c’est un point très positif pour la nation. Le plan élaboré lorsque Pierre Messmer était Premier ministre fut une véritable réussite. Certes, je déplore au premier chef les aléas actuels de la filière nucléaire, mais ceux-ci résultent peut-être plus des erreurs de ceux qui en étaient chargés que du reste. C’est dans cet ordre d’idées que, dans mon département, je défends sans réserve et totalement l’existence de la centrale nucléaire de Cattenom, que certains pays voisins voudraient voir arrêtée.

Il est évident que le recours à l’énergie nucléaire produit des déchets. Cela étant, je suis tout à fait persuadé qu’au cours des cinquante prochaines années on trouvera des moyens de traiter les déchets nucléaires…

M. Charles Revet. C’est très probable !

M. Jean Louis Masson. … et que, d’une manière ou d’une autre, des solutions autres que celles dont nous disposons actuellement existeront. C’est précisément pour cette raison que, sur le long terme, la solution de l’enfouissement des déchets radioactifs n’est à mon avis acceptable que si elle est totalement réversible. Or ce que j’appelle la réversibilité implique bien évidemment la récupérabilité. Dans les domaines scientifique ou technique, le principe de réversibilité suppose de pouvoir revenir en arrière. Il y a donc une certaine hypocrisie à vouloir jouer sur le langage. Lorsque l’on s’adresse à des personnes mal informées, on leur dit : Ne vous en faites pas, c’est réversible. Je réponds : Non, avec le texte qui nous est soumis on fait exactement le contraire de la réversibilité, et ce n’est pas admissible !

Dans les années quatre-vingt-dix, les débats parlementaires à l’Assemblée nationale avaient longuement porté sur l’enfouissement des déchets radioactifs et des déchets chimiques. Les déchets radioactifs concernaient déjà le département de la Meuse et les déchets chimiques, les anciennes mines de potasse d’Alsace. Le Gouvernement annonçait alors ouvertement un enfouissement irréversible. Aujourd'hui, on nous propose exactement la même chose, mais en le qualifiant de réversible : on nous trompe sur les mots. Il ne faut pas se moquer du monde !

À l’époque – j’étais député –, j’avais d'ailleurs déposé un amendement prévoyant que tout enfouissement de produits chimiques ou de produits radioactifs devait être réversible. L’amendement avait été adopté, ce qui avait beaucoup chagriné le ministre d’alors, M. Strauss-Kahn, et cette disposition avait été inscrite dans la loi. Un an après, ce dernier avait incidemment supprimé toute notion de réversibilité au détour d’un nouveau texte. Rappelez-vous ce qui s’est passé ! On nous disait alors, qu’il s’agisse du chimique ou du radioactif : il n’y a pas de problème. Des produits chimiques, ceux contre lesquels on se battait pour la réversibilité comme on se battait pour la réversibilité dans la Meuse, ont été stockés dans les mines de potasse d’Alsace et il y a dix ans on s’est rendu compte de la véritable catastrophe qui a résulté du fait de la suppression de réversibilité. Cela a coûté les yeux de la tête, et la situation n’est toujours pas réglée, d’énormes problèmes se posent. Le fait que le stockage ne soit pas réversible serait un grand malheur pour la Meuse. Je parle français : si un stockage est réversible, on peut enlever les matières stockées. Je le répète, si un phénomène physique ou mécanique est qualifié de réversible, cela signifie que l’on peut toujours revenir en arrière.

Je respecte ceux qui sont pour le stockage irréversible.

M. le président. Il faut conclure.

M. Jean Louis Masson. J’en termine, monsieur le président. (Exclamations sur de nombreuses travées.)

M. Jean Louis Masson. En revanche, je considère qu’il n’est pas honnête, à tous les niveaux, de vouloir faire adopter un stockage irréversible en faisant croire qu’il est réversible.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au-delà des choix en matière de politique énergétique qui s’imposent à un instant donné en fonction de l’état des technologies, de leur coût et de leur acceptabilité sociale et environnementale, il revient à l’État de régler pour l’avenir les conséquences qui peuvent en résulter en faisant preuve de responsabilité et de prospective.

La proposition de loi qui nous est soumise et que nous voterons unanimement est un texte de responsabilité. (M. Jean-Claude Lenoir opine.) Ces déchets radioactifs existent et sont source de bien des débats depuis très longtemps. Certes, une partie de ces déchets aura une vie très longue et mettre des décennies à trouver des solutions par rapport aux centaines de milliers d’années pendant lesquelles ils produiront des effets peut sembler court, mais pour nos concitoyens qui vivent aujourd’hui et qui vivront demain, il est nécessaire que nous prenions des décisions.

La récente loi relative à la transition énergétique a acté la réduction de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans la production électrique de la France à l’horizon 2025. M. Ronan Dantec aurait préféré que ce soit 0 %…

M. Ronan Dantec. Non ! Vous êtes trop ambitieux !

M. Jacques Mézard. … mais nous ne partageons pas du tout ses conceptions.

Lorsqu’on parle du traitement des déchets radioactifs, il faut aussi être capable de regarder en arrière, et je ne puis me résoudre à oublier le gâchis qu’a représenté l’abandon du réacteur Superphénix.

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Yvon Collin. Tout à fait !

M. Jacques Mézard. Il est toujours dramatique qu’un accord électoraliste mette en jeu des intérêts fondamentaux de la Nation.

M. Yvon Collin. Tout à fait !

M. Charles Revet. Cela a été d’une totale irresponsabilité !

M. Jacques Mézard. De surcroît, nous disposions d’un surgénérateur qui fonctionnait : Phénix (MM. Gérard Longuet, Ladislas Poniatowski et Jean-Pierre Vial opinent.), dont le bilan fut totalement positif.

M. Ladislas Poniatowski. C’est bien de le rappeler de temps en temps !

M. Jacques Mézard. Certes, il s’agissait d’une puissance de 400 mégawatts. La France, mes chers collègues, avait vingt ans d’avance en la matière.

M. Bruno Sido. Et elle a tout perdu !

M. Jacques Mézard. Cette avance considérable, nous l’avons perdue. Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais d’ailleurs que le Gouvernement nous indique sa position concernant la relance des réacteurs de quatrième génération, autrement dit la surgénération, sur laquelle nos techniciens et nos chercheurs sont performants, et qui présentent l’avantage de consommer une partie des déchets radioactifs.

M. Jacques Mézard. On ne nous dit pas quelles sont les conséquences, y compris économiques et financières, de la destruction programmée de Superphénix. Il est bon de se rappeler ce genre de choses, parce qu’il est important d’avoir une vision prospective moderne de ce que doit être la politique de la Nation en matière de recherche.

Je suis de ceux qui considèrent qu’il faut des énergies renouvelables. Les membres de notre groupe l’ont toujours dit. Nous ne sommes pas opposés à ces énergies.

M. Bruno Sido. Personne ne l’est !

M. Jacques Mézard. Nous considérons que la diversité est nécessaire pour garantir demain l’indépendance énergétique. En France, nous avons fait le choix du nucléaire, mais ce choix n’exclut pas les autres sources d’énergie !

Or, s’il fallait, aujourd’hui, mes chers collègues, construire des barrages pour fabriquer de l’électricité d’origine hydraulique – ceux-là mêmes qui appellent à l’arrêt du nucléaire vantent les éoliennes tout en créant des associations, sur le terrain, pour que ces dernières ne soient pas construites à tel ou tel endroit (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains. – Mme Anne-Catherine Loisier applaudit également. – M. Ronan Dantec manifeste son agacement.) –, nous n’en construirions aucun.

M. Bruno Sido. La bougie !

M. Jacques Mézard. Il y a même aujourd’hui des associations qui se créent pour lutter contre les champs photovoltaïques !

M. Jacques Mézard. La seule attitude sérieuse qui vaille, c’est l’optimisme, la confiance en l’avenir et dans les capacités de notre pays à innover et à être aux avant-postes en matière de recherche. On n’investit jamais assez dans la recherche !

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jacques Mézard. Le texte dont nous débattons aujourd’hui a la particularité d’être « transcourants » : des parlementaires de droite comme de gauche y souscrivent. Et il ne s’agit pas d’angélisme ! Il est bon que, sur des sujets fondamentaux, nous soyons capables de nous rassembler et d’essayer de trouver des solutions.

Appeler à ne rien faire n’est jamais une bonne solution.

En l’occurrence, nous cherchons à avancer, tout en tenant compte de la nécessité de communiquer avec nos concitoyens, ce qui est essentiel. Que ces textes soient portés par des parlementaires issus des départements concernés est aussi un message de responsabilité.

M. Jacques Mézard. Dès lors, mes chers collègues, les membres du groupe du RDSE voteront cette proposition de loi de manière unanime, et avec conviction. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mmes Nelly Tocqueville et Delphine Bataille, ainsi que M. Jean-Jacques Filleul applaudissent également.)

M. Ladislas Poniatowski. L’évocation du Superphénix a été appréciée !

M. Gérard Longuet. Il renaîtra de ses cendres…

Un sénateur du groupe Les Républicains. On n’aurait jamais dû fermer Phénix !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme mes collègues l’ont rappelé voilà un instant à cette tribune, ce débat est extrêmement important.

Il s’agit tout simplement de l’indépendance énergétique de notre pays, de l’indépendance de la France.

M. Jean-Claude Lenoir. En effet, l’indépendance suppose une maîtrise totale de l’aval du cycle nucléaire, depuis l’approvisionnement jusqu’à la production, la distribution de l’énergie produite, mais aussi la maîtrise du devenir des déchets nucléaires.

Y songer pour les générations à venir est une attitude particulièrement responsable.

Ce sujet important n’est pas que français : un certain nombre de pays étudient la question depuis longtemps. Comme cela a été dit, au-delà de la France, des laboratoires y travaillent en Suisse, en Belgique, en Suède. En dépit du projet avorté de Yucca Mountain, auquel ils ont dû renoncer compte tenu de conditions géologiques défavorables, les Américains considèrent que le stockage en profondeur est la seule solution. Ils ne sont pas les seuls : l’Agence internationale de l’énergie atomique et l’Union européenne l’ont elles aussi souligné.

Pour autant, aujourd’hui, peu de pays ont des projets de site de stockage. Pour mémoire, je rappelle qu’il s’agit de la Suède, de la Finlande et, bien sûr, de la France, à la différence notable que nous n’envisageons pas d’enfouir en profondeur exactement les mêmes déchets que les pays auxquels je me réfère, car, en France, les déchets sont retraités à La Hague. Autrement dit, 97 % des déchets produits sur notre territoire ne sont pas destinés à ces centres de stockage souterrains ; seuls 3 % des déchets sont concernés. S’ils étaient entreposés dans un lieu unique, les déchets ultimes accumulés depuis que nous produisons de l’électricité à partir du nucléaire occuperaient l’équivalent d’un bassin de natation olympique !

Rappelons, d’ailleurs, qu’il n’y va pas seulement de l’électricité. Le nucléaire intéresse également le monde médical (M. Yvon Collin opine.), qui produit quantité de déchets, qu’il faut à la fois retraiter et stocker.

La proposition qui nous est faite par Gérard Longuet et un certain nombre de nos collègues s’inscrit dans une démarche à la fois « cohérente » et « responsable », pour reprendre les mots prononcés par plusieurs intervenants appartenant à des groupes politiques différents.

La démarche est cohérente, compte tenu de l’histoire du dossier.

C’est dans les années quatre-vingt que deux commissions, présidées respectivement par Raimond Castaing et Jean Goguel, ont commencé à se pencher sur la question. Surtout, à la fin des années quatre-vingt-dix, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques s’est emparé du sujet. C’est alors que Christian Bataille, député, rapporteur de l’Office puis du projet de loi nourri des conclusions des travaux de l’Office, a pris des initiatives courageuses.