Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur l’auteur de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, chers collègues, la collectivité de Mayotte a été la première à se voir dotée des attributions à la fois du conseil départemental et du conseil régional, en mars 2011. Quarante ans après le refus de l’indépendance et après des années de transformation lente et complexe des institutions, beaucoup regrettent que la mise en place de politiques sociales et sanitaires solides ait tant tardé.

Nous le savons, les défis, à Mayotte, sont de taille. L’accroissement démographique y est très fort, ce qui fait de Mayotte le département le plus jeune de France. Malheureusement, la jeunesse connaît de grandes difficultés pour s’insérer sur le marché du travail : le taux de chômage dans l’île, qui atteint 36,6 %, est le plus fort de tous les départements français, ce qui a pour conséquence inévitable la persistance d’une grande pauvreté, puisque 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

La situation sanitaire n’est pas meilleure, comme le montre bien le bilan de l’Agence régionale de santé océan Indien publié il y a quelques jours : l’île est le plus grand désert médical de France, avec 98 médecins généralistes pour 100 000 habitants, contre 339 dans l’Hexagone. Certaines spécialités médicales y sont même absentes. Mayotte n’a qu’un seul centre hospitalier, évidemment complètement saturé : selon la CGT Mayotte santé, il y aurait 900 malades pour seulement 300 lits !

Nous comprenons bien que les flux migratoires très importants que connaît l’île sont difficilement maîtrisables, mais l’action publique en la matière s’est jusqu’à présent surtout résumée à renforcer les moyens des forces de sécurité et à accélérer les reconduites à la frontière. Il manque encore une réflexion permettant de lancer une politique d’immigration légale. Face aux flux migratoires massifs, cette question, qui se pose d’ailleurs aussi à l’échelle de l’Union européenne et de la France, doit enfin être abordée avec l’objectif d’élaborer une politique d’immigration. En attendant, des centaines d’adultes et d’enfants vivent dans la rue, dans des conditions déplorables, et de nombreuses associations, comme Médecins du monde, alertent sur la situation sanitaire dramatique de l’île, au bord d’une crise sans précédent.

Au-delà des nécessaires coordinations avec des partenaires régionaux et de la mise en œuvre par l’État d’une politique de développement de ce département, il est indispensable de mettre en place au niveau local des politiques publiques concertées et coordonnées, dans l’intérêt de toute la population mahoraise, particulièrement diverse.

La proposition de loi de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui tend à modifier le mode de scrutin pour l’élection au conseil départemental de Mayotte, va dans ce sens. Dans sa version issue des travaux de la commission, elle répond à plusieurs problèmes.

En premier lieu, le nombre de conseillers est trop faible, comparé à celui d’autres collectivités : Mayotte a pour l’instant vingt-six conseillers pour 217 000 habitants, alors que la Guyane, par exemple, également devenue collectivité unique l’année dernière, compte cinquante et un conseillers pour un peu moins de 250 000 habitants. Cet écart n’est pas justifié, et la croissance démographique très soutenue le creuse encore. Augmenter le nombre de conseillers pour le porter à trente-neuf paraît une bonne chose. Cela permettrait de renforcer la représentativité des élus, car, nous le savons, Mayotte est un territoire riche de sa diversité. De la même manière, l’attribution du même nombre de sièges à toutes les sections du territoire, répartis au prorata des voix obtenues dans chaque section, est également une très bonne chose.

En second lieu, le texte tend à remédier au problème posé par l’absence de programme politique précis et, partant, de majorité solide, stable pour le mettre en œuvre. Des politiques structurelles, de moyen et long termes, ne peuvent être mises en place que si les élus locaux sont rassemblés autour de lignes politiques claires, ce qui permet aux électeurs de voter en toute connaissance de cause.

Cette proposition de loi, si elle est votée, permettra d’aller vers une plus grande clarification du débat politique en mettant en place un scrutin de liste, à l’occasion duquel se confronteront des propositions et des projets lisibles pour les électeurs et portés par plusieurs élus. Nous soutenons donc une telle évolution.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe écologiste est très favorable à cette proposition de loi, qui met le doigt sur un problème structurel. Son adoption aura des effets concrets et positifs en termes de mise en œuvre de politiques locales indispensables au vu des enjeux.

Nous voterons donc en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, en ayant bien à l’esprit que les enjeux dépassent les clivages partisans. Il s’agit d’améliorer le système démocratique local en donnant plus de représentativité aux élus, plus de lisibilité aux projets portés par les différentes listes, plus de stabilité à l’exécutif. Évidemment, ce texte ne résoudra pas tout : les difficultés restent considérables et les financements insuffisants, en dépit de la mise en œuvre du plan « Mayotte 2025 », mais cette proposition de loi représente une avancée. Nous espérons avoir l’occasion de revenir dans le détail sur ces sujets lors de travaux législatifs ultérieurs, notamment lors du débat budgétaire, à l’automne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les évolutions du statut de Mayotte ont renforcé le lien qui unit cette île de l’océan Indien à la France depuis 1841. Elles permettent également l’application du droit commun de la République, conformément au principe d’identité législative.

Il est donc de la responsabilité de l’État d’accompagner Mayotte pour lui permettre de répondre aux nombreux défis auxquels elle doit faire face.

Frappé par la crise des « expulsions illégales » incontrôlées d’immigrants clandestins, ce territoire en mutation institutionnelle et sociale connaît des besoins urgents en matière de logement et d’urbanisme, d’emploi, de santé, d’éducation, alors que 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Pourtant, le potentiel touristique et économique de l’île au lagon demeure inexploité, bien qu’elle ait su préserver son environnement exceptionnel, ses richesses naturelles terrestres et marines, telles que la double barrière de corail, qui attire les plongeurs du monde entier.

Si le Gouvernement a lancé le plan « Mayotte 2025 », il reste encore un long chemin à parcourir dans sa mise en œuvre. Il comporte des mesures essentielles et ambitieuses, mais je souhaite saluer en particulier la construction de plus de 200 établissements scolaires en l’espace d’un an.

En effet, l’avenir du département repose avant tout, et bien plus qu’ailleurs, sur sa jeunesse, puisque les moins de 20 ans composent la moitié de la population et que le taux de natalité y est particulièrement élevé.

Au regard de ces enjeux, la gouvernance locale doit gagner en stabilité et en efficacité. C’est la condition sine qua non pour pouvoir mener à bien les politiques publiques qui s’imposent.

Or, dans un rapport public thématique publié en janvier dernier, la Cour des comptes dénonçait l’insuffisance du pilotage de la départementalisation par l’État et de l’effort budgétaire consenti par habitant. C’est ainsi que le département est contraint d’agir dans un contexte financier difficile, ce qui pèse sur les dépenses d’investissement et d’équipement.

La présente proposition de loi constitue la première pierre d’un édifice dont la construction devra être poursuivie.

Premièrement, l’augmentation de dix-neuf à trente-neuf du nombre d’élus au conseil départemental est bienvenue. Cet effectif correspond mieux à la réalité de la démographie de Mayotte, bien qu’il reste encore en retrait par rapport à celui d’autres collectivités qui disposent de davantage d’élus par habitant. Ainsi, pour une population un peu plus nombreuse, l’assemblée délibérante de la Guyane comporte cinquante et un élus.

Deuxièmement, la proposition de loi répond à une demande unanime du conseil général, qui s’est prononcé, en juin 2014, en faveur de la mise en place d’un scrutin proportionnel de liste à deux tours avec prime majoritaire d’un tiers des sièges pour la liste arrivée en tête. Une telle réforme garantit la constitution de majorités pérennes et la représentation de tous les territoires, en instaurant un même nombre d’élus par section.

Nous soutenons donc, à l’instar des élus radicaux de gauche mahorais, l’initiative de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui renforcera, à notre sens, la stabilité institutionnelle au sein de ce département. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que d’importantes réformes structurelles seront engagées dans les années à venir.

Faisant confiance à la volonté des élus mahorais de réussir l’évolution de leur modèle institutionnel, le groupe du RDSE votera à l’unanimité ce texte, dont l’adoption n’entravera en rien la poursuite d’une réflexion plus globale et ouvrira la voie à une plus grande efficacité dans la prise de décision, dans l’intérêt du territoire comme de la population mahoraise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.

M. Abdourahamane Soilihi. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j’en conviens, l’examen de la proposition de loi tendant à modifier le mode de scrutin pour l’élection des élus à l’assemblée de Mayotte nécessite la bienveillance de notre assemblée parlementaire.

Ce texte appelle toutefois de ma part un certain nombre d’observations, que je concentrerai sur trois points essentiels.

Premièrement, s’appuyant sur le critère matériel de l’exercice des compétences régionales par le département de Mayotte, sans que les lois relatives au département de Mayotte ne reconnaissent à cette collectivité la qualité d’une région d’outre-mer, le présent texte, avec ses deux chapitres, prévoit le passage du binôme paritaire homme-femme, expérimenté en 2015, au scrutin proportionnel tel qu’il s’applique dans les régions.

Cette proposition appelle les précisions suivantes.

Ce texte modifie l’article L. 558-9 du code électoral en prévoyant que « les conseillers à l’assemblée de Mayotte sont élus pour six ans en même temps que les conseillers régionaux ».

Il introduit aussi des dispositions nouvelles et insère deux nouveaux articles dans le code électoral : l’article L. 558-9-2 et l’article L. 558-9-3, aux termes duquel « l’assemblée de Mayotte est composée de trente-neuf membres ».

En outre, il crée un chapitre II intitulé « Mode de scrutin » et prévoit treize sections dont la délimitation recouvre exactement celle des treize cantons actuels.

Je prends acte de cette initiative, mais je tiens à dire quelques mots sur l’urgence politique à Mayotte.

Chacun le sait, le principe en vigueur de l’assemblée unique exerçant à la fois les compétences départementales et régionales, qui comporte de nombreuses difficultés techniques et matérielles, n’a pas été suffisamment clarifié.

En effet, à ce statut départemental atypique mal organisé s’ajoute le problème de la représentativité numérique, c’est-à-dire de la détermination d’un nombre bien justifié d’élus devant siéger à l’assemblée de Mayotte pour gérer au mieux les affaires du département.

De ce fait, des revendications en faveur de l’instauration d’une véritable collectivité unique de plein exercice à Mayotte s’élèvent, à côté de vœux, jugés plus urgents, de régler au préalable le problème des réformes engagées.

Ces vœux portent sur l’instauration de l’égalité sociale, avec un véritable alignement législatif des minima sociaux à Mayotte sur le droit commun, sur la mise en œuvre d’une fiscalité de droit commun, prenant réellement en compte, d’une part, les inquiétudes exprimées sur le terrain, et, d’autre part, les adaptations adéquates prévues par le constituant à l’article 73 de notre Constitution, sur l’institution d’un dialogue multipartite entre l’État et les élus de Mayotte pour analyser, évaluer l’insuffisance des ressources des collectivités de l’île, englobant celles du département, dans le respect de ses compétences régionales et des communes mises à mal sur les plans financier et budgétaire afin de pouvoir décider collectivement des remèdes à apporter à leurs préoccupations, sur la problématique de l’insécurité, ainsi que sur la lutte contre l’immigration irrégulière, deux défis liés qui tiennent une place cruciale dans l’agenda politique du moment et qui nous contraignent à agir, sur la révision de la diplomatie de notre pays dans l’océan Indien, une étroite coopération avec nos voisins dont la situation politico-juridique des ressortissants préoccupe les autorités à Mayotte s’imposant.

La liste est longue, mes chers collègues, et je vous renvoie, sur tous ces thèmes, au rapport de la Cour des comptes de janvier 2016 intitulé : La départementalisation de Mayotte, une réforme mal préparée, des solutions prioritaires à conduire.

Sur tous ces sujets, la discussion parlementaire doit s’ouvrir. Je dois dire qu’elle s’est amorcée au travers de la rencontre entre les élus de Mayotte et le Premier ministre, qui nous a reçus le 26 mai dernier, à Matignon, pour aborder ces questions sous-jacentes.

Chacun s’accorde à dire que ces thèmes sont liés. Cette réunion a permis aux élus mahorais d’obtenir des engagements de la part du Gouvernement sur dix mesures. Le premier de ces engagements a trait à la prise en compte de la réalité de la démographie mahoraise pour décider des actions politiques adéquates.

La discussion parlementaire doit se poursuivre dans le respect d’un traitement global, et non séparé, de ces questions.

Deuxièmement, je note que la place de l’assemblée unique de Mayotte dans le code général des collectivités territoriales, qui diffère de celle des assemblées uniques de Martinique et de Guyane, mérite d’être revue, de même que sa prise en compte dans le code électoral, qui fait apparaître des différences de traitement.

Le traitement inégalitaire réservé à Mayotte dans ces cadres a fait naître des doutes et inquiétudes sérieux de nature à créer de la confusion et une certaine amertume depuis que les collectivités de Guyane et Martinique sont devenues des collectivités uniques, en lieu et place de départements et régions, une assemblée unique ayant été mise en place dans chaque département.

En Guyane et en Martinique a été instauré un scrutin de liste à deux tours, avec une circonscription unique, composée de huit sections en Guyane et de quatre sections en Martinique.

L’introduction de sections dans chaque collectivité est une manière de prendre en compte la représentation démographique des territoires, donc la dimension départementale.

Le mode de scrutin retenu par la présente proposition de loi est le scrutin de liste avec une circonscription unique composée de treize sections dont la délimitation est fixée conformément au tableau détaillé figurant au deuxième chapitre de ce texte. Je vous y renvoie, mes chers collègues.

Cette situation n’entraîne-t-elle pas une confusion entre plusieurs systèmes complètement différents dans leur conception et leur signification ? Il existe, d’un côté, la logique des cantons, qui servent de ressort à l’élection des conseillers départementaux, comme c’est le cas actuellement, de l’autre, la logique des sections pour l’élection des futurs élus de Mayotte que cette proposition de loi vise à instituer, et, enfin, un autre système faisant appel à la logique de la carte de l’intercommunalité, non évoquée dans le texte.

À cet égard, pourquoi ne pas prendre en considération la règle du redécoupage utilisée pour l’élection des conseillers intercommunaux de l’île, ce qui pourrait constituer une alternative aux options décrites ci-avant ? Encore faudrait-il que la réflexion soit davantage approfondie.

Le critère de la démographie doit être l’arbitre de ce jeu législatif en vue d’aboutir, en fin de compte, à une représentation équilibrée du territoire. Or le texte que nous examinons actuellement n’apporte pas cette garantie d’équilibre.

Aussi, pour compléter cette vision, le dispositif actuel, avec les articles 156 et 157 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, qui traitent de la question démographique et maintiennent le recensement quinquennal, est-il appelé à évoluer pour mieux prendre en compte les réalités locales du département. Or le présent texte n’apporte aucune précision sur ce point crucial.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est temps de soustraire Mayotte de la catégorie des collectivités d’outre-mer relevant de l’article 73 de la Constitution, en lui appliquant les modalités de recensement de droit commun.

De plus, au regard de la loi du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux – disposition codifiée à l’article L. 338 du code électoral –, le chiffre de population est un élément déterminant, puisque c’est en fonction de lui qu’est fixé le nombre de sièges par section départementale. En outre, la répartition des sièges au sein des sections est établie au prorata du nombre de voix obtenues par section.

En Martinique, d’abord, ont été délimitées quatre sections correspondant aux quatre circonscriptions législatives, la détermination du nombre de sièges par section étant assez complexe.

En Guyane, ensuite, ont été établies huit sections consistant chacune en des regroupements d’une ou plusieurs communes, le nombre de sièges par section étant variable. La répartition des sièges garantit dans ce cas un nombre de sièges donné par section.

Dans le cas de Mayotte, l’existence de treize cantons entraîne un découpage absolument insatisfaisant, en ce sens que certaines communes s’en trouvent démembrées. Il s’ensuit une zone d’ombre qu’il convient de résorber.

Par conséquent, la détermination du nombre d’élus de la collectivité unique de Mayotte, qui souffre d’un manque de précision tenant aux réalités et à la complexité du mode de scrutin régional, nécessite une réflexion plus poussée afin d’éviter la fixation hasardeuse d’un quantum d’élus appelés à siéger à l’assemblée.

Aujourd’hui, il y a vingt-six conseillers, contre dix-neuf auparavant. Le texte que nous examinons tend, à la suite de l’adoption d’un sous-amendement du Gouvernement, à porter de vingt-six à trente-neuf le nombre d’élus. Or le conseil départemental a exprimé, cette semaine même, le vœu que ce nombre soit fixé à cinquante et un, se fondant sur l’exemple de la Guyane, dont les particularités sont très similaires à celles du département de Mayotte.

En définitive, cette proposition de loi, qui répond à une revendication de la majorité départementale d’hier, date de 2014 et n’est pas d’actualité. L’actuel exécutif, soutenu par les élus mahorais dans leur ensemble, a, en effet, saisi le Gouvernement, en indiquant clairement qu’il souhaitait inscrire les dossiers institutionnels dans une réflexion d’ensemble sur l’évolution de Mayotte. Si les propositions étaient adoptées, leur application n’interviendrait qu’en 2021.

Pourquoi donc cette précipitation ? Alors que les décisions du Conseil constitutionnel posent des exigences, je relève que ces dernières ne sont pas suffisamment respectées par ce texte.

Je pense à la décision du Conseil constitutionnel du 10 janvier 2001, qui affirme le principe du respect de l’exigence démographique et de l’égalité devant la loi en matière de suffrage garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

Je pense également aux décisions du 9 décembre 2010 et du 15 janvier 2015, qui renforcent cette jurisprudence en ajoutant, malgré tout, une possibilité de dérogation fondée uniquement sur un motif d’intérêt général s’attachant à la représentation effective des archipels les moins peuplés et les plus éloignés, c’est-à-dire les outre-mer.

Le Conseil constitutionnel a toutefois estimé que le respect du principe d’égalité devant la loi imposait également des limites aux écarts entre le nombre d’élus de chaque section départementale et la population qu’ils représentent qui pourraient résulter du mécanisme de répartition et de réattribution des sièges.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Le principe est respecté !

M. Abdourahamane Soilihi. Cet exercice de répartition s’avère, à mon sens, plus complexe que l’on ne le pense.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Il suffit de calculer !

M. Abdourahamane Soilihi. Pour cette raison, je note qu’il n’y a à l’heure actuelle, s’agissant de Mayotte, aucune urgence à s’attaquer à ce sujet.

En effet, les treize sections doivent bénéficier d’une représentation équitable de leurs populations respectives, les écarts de représentation n’étant admis qu’à titre exceptionnel et pour des motifs d’intérêt général.

Or, aucun motif d’intérêt général ne justifie, en l’espèce, les écarts de représentation constatés entre certaines sections, par exemple entre les deux sections de la Petite Terre, Dzaoudzi et Pamandzi, et les sections de Grande Terre, ou entre les sections de Grande Terre elles-mêmes.

Si le poids démographique de ces sections figurait dans le texte, on verrait mieux apparaître les disparités. Il déroge aux principes fixés par le Conseil constitutionnel, alors même qu’aucun motif d’intérêt général ne justifie la dérogation.

Pour cette raison, je demande que le Gouvernement prenne en considération les doléances exprimées par les élus du département, soutenus par les parlementaires, et mette en place sans attendre le groupe de travail chargé de traiter les questions d’ordre institutionnel. Je tiens à préciser que le groupe de travail sur la fiscalité a déjà rendu ses conclusions.

En conclusion, force est de constater que la situation de Mayotte mérite de faire l’objet d’un traitement global. Par conséquent, je propose que nous repoussions l’adoption de ce texte, car, en l’état, il laisse à l’évidence de côté des aspects d’importance qui mériteraient un traitement plus concerté sur le terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les défis que doit relever Mayotte sont nombreux. Dès lors, on ne peut faire l’économie d’un renforcement de la démocratie représentative. Vous l’aurez compris, exprimer en huit minutes une position sur la modification du mode de scrutin pour l’élection du conseil général de Mayotte tient de la gageure, tant ce territoire est riche d’atouts, mais aussi sujet à des préoccupations aussi vastes que celles d’un pays tout entier.

Nous arrivons aujourd’hui au terme d’un travail mené depuis plus de deux ans par notre collègue Mohamed Soilihi, dont je salue également le fort engagement au sein de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Il y a largement œuvré pour régulariser le régime d’occupation foncière, notamment à Mayotte, où les occupations foncières sans titres restent préoccupantes.

Comme vous le savez, mes chers collègues, rien n’arrête le flot permanent du changement qui affecte l’ensemble de nos territoires. Les spasmes politiques qui entourent notre débat d’aujourd’hui sont aussi regrettables que symptomatiques des évolutions qui affectent Mayotte.

À cet égard, le texte qui nous est présenté aujourd’hui répond à une motion, votée en juin 2014, demandant qu’une proposition de loi soit rédigée en vue de modifier et de préciser le mode de scrutin pour l’élection au conseil général de Mayotte. Il avait fait l’unanimité lors de son élaboration, ce qui démontrait l’intérêt du Sénat pour cette question.

Toutefois, en dépit du caractère tout à fait sérieux du travail de notre collègue, nous sommes conscients que les équilibres politiques de Mayotte sont fragiles et que l’année électorale à venir sera particulièrement riche. Ce contexte de forte instabilité instille une certaine tension sur le plan local.

Ainsi, deux députés et un sénateur vous ont adressé le 22 juin, madame la ministre, un courrier pour signifier leur opposition à la discussion de ce texte. Le conseil départemental de Mayotte a, quant à lui, présenté une motion dont les ambitions vont parfois plus loin que celles qui sous-tendent la présente proposition de loi.

Sur le fond, une réforme est nécessaire, mais, sur la forme, il est essentiel que l’ensemble des élus se mettent autour d’une table pour se mettre d’accord. Le sénateur Thani Mohamed Soilihi a raison de soutenir la proposition d’augmenter le nombre d’élus. Encore faut-il s’entendre sur le nombre exact et la nature des circonscriptions. En effet, les défis sont immenses et ne pourront être relevés qu’au moyen d’institutions solides et fiables.

Mayotte, territoire français de l’océan Indien situé dans l’archipel des Comores, bénéficie d’atouts géographiques et énergétiques majeurs.

La progression de la population est préoccupante eu égard à la capacité d’accueil de cette île. Il va de soi que l’évolution de ses institutions politiques doit également prendre en compte les attentes et besoins liés à son développement. Les passages illégaux en provenance d’Anjouan entraînent un flux migratoire permanent et des difficultés considérables. La situation est complexe à gérer, les mairies ayant moins de moyens que les nôtres et devant faire face à une situation sociale extrêmement tendue. Je rappelle que, avec un taux de chômage de 37 %, Mayotte détient un triste record.

Pour autant, cette situation affecte l’ensemble des politiques publiques. Le système éducatif doit absorber une population dont la moitié a moins de 17 ans et dont le niveau scolaire est généralement faible. Au cœur de ce défi se loge celui, spécifique, d’une enfance en danger et dont la charge incombe au département, pour lequel c’est une compétence obligatoire. On le voit, la charge est lourde !

Sur le plan environnemental, le lagon de Mayotte est un sanctuaire corallien en danger, affecté par une pollution marine croissante. Au lendemain de la COP 21, nous avons le devoir d’agir.

Sur le plan financier, les enjeux sont également d’envergure. Des retards importants ont été pris, notamment pour passer à une fiscalité de droit commun. La maîtrise de la fiscalité directe demeure en effet insuffisante. En outre, la collectivité, qui est, depuis 2014, une région ultrapériphérique, peut bénéficier à ce titre de fonds européens qui pourraient l’aider à rattraper son retard en équipements de base.

Pour ce faire, Mayotte a besoin d’une gouvernance solide et démocratique qui puisse prendre des décisions pragmatiques.

Il reste en effet énormément à réaliser sur le plan local en matière de développement. Il y a deux ans, m’étant rendu à Mayotte, j’ai été stupéfait d’y voir des hommes qui pêchaient dans des pirogues de manière artisanale et très peu de bateaux aptes à la pratique d’une pêche professionnelle. Des projets existent, mais quel dommage de voir à quel point le port de pêche et l’aquaculture manquent de moyens ! La réparation navale n’est pas mieux lotie. Au même moment, l’Europe aide des territoires voisins à s’équiper, à former leur population, à développer leurs industries de pêche.

Au-delà de cet exemple, il est clair que notre responsabilité est engagée. En mai 2015, j’ai décidé d’engager une coopération technique entre ma ville et celle de Sada. En effet, la mise en œuvre de la décentralisation est encore récente, puisqu’elle remonte à 2004, et les mairies ont une existence propre de moins de cinquante ans. Elles ont vraiment besoin d’être soutenues !

II va de soi que le conseil général va avoir à arbitrer des choix politiques pour assumer les futures évolutions. Le renforcer est une bonne chose.

En 2011, des bouleversements sociaux majeurs avaient accompagné la réforme des institutions. La profonde mutation du droit coutumier, la fin des missions traditionnelles des cadis ou encore la création d’un état civil s’ajoutent à la mise en place de la fiscalité de droit commun, depuis le 1er janvier 2014.

La contestation populaire a pointé les difficultés de « la vie chère » dont nous avons pu débattre ici. La collectivité et l’État doivent ainsi engager des actions prioritaires, en matière d’aménagement, d’assainissement, de protection de l’enfance et de soutien au développement. Là encore, la tâche est lourde !

Pour être pleinement efficace, l’action des pouvoirs publics locaux doit être adaptée aux préoccupations mahoraises, aux aspirations de la population et aux spécificités ultramarines. La collectivité unique de Mayotte exerçant tout à la fois les attributions d’un département et celles d’une région, il apparaît cohérent de s’inspirer du mode de scrutin applicable aux élections régionales, qui a démontré sa pertinence en métropole.

Pour gagner le pari de la croissance, Mayotte a besoin de légiférer avec une majorité stable. L’efficacité des politiques publiques exige de la continuité. Un renouvellement trop fréquent des élus freine les réformes structurelles, qui nécessitent du temps pour porter leurs fruits. Le texte proposé par notre collègue est à la mesure des défis socio-économiques à relever.

Connaissant les réalités de Mayotte pour y avoir été confronté sur place, je pense que ce texte répond au besoin de stabilité, d’une majorité forte au sein du conseil général de Mayotte.

Pour ma part, je soutiendrai sur cette proposition de loi, de même que certains de mes collègues du groupe UDI-UC. La grande majorité des membres du groupe estime, quant à elle, que le moment n’est pas opportun. Toutefois, je ne doute pas, madame la ministre, mes chers collègues, que l’heure opportune viendra ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)