Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.

M. Jean-Pierre Vial. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parler de cette proposition de résolution, c’est embrasser un conflit vieux de six ans déjà, si l’on part des printemps arabes, et de bientôt vingt-cinq ans, si l’on remonte à la première guerre d’Irak, sans même évoquer d’autres pays tout autant concernés.

Je salue le président Retailleau d’avoir choisi une formulation qui recouvre l’ensemble des minorités ethniques et religieuses pour bien placer le débat au cœur des enjeux du Moyen-Orient.

C’est en effet un point qui fait réagir quasi systématiquement tous les patriarches ou religieux, quand ils sont interrogés sur les chrétiens d’Orient : ils considèrent qu’ils sont d’abord arabes, citoyens irakiens, syriens, libanais ou autres, avant d’être chrétiens, rappelant d’ailleurs l’ancienneté du christianisme par rapport à l’arrivée de l’islam, et ajoutent que les vies des musulmans ne sont pas épargnées dans ce conflit des extrémistes.

Cela étant, ce conflit ne manque pas de rappeler l’histoire douloureuse des chrétiens depuis plusieurs siècles. Du traité d’alliance de François Ier et Soliman le Magnifique en 1536, connu sous le nom de « Capitulations » – le terme est curieux ! –, les chrétiens et les minorités auront été victimes de bien des guerres et des persécutions.

On se souvient des maronites en 1860 et de l’attitude légendaire d’Abdelkader sauvant les chrétiens à Damas, des Arméniens en 1916-1920 et, plus récemment, depuis 1960, de l’aggravation de cette immigration à la suite de la guerre civile au Liban, le conflit entre Israël et les Palestiniens et, bien évidemment, les conflits en cours avec les guerres en Irak et en Syrie. N’oublions pas non plus l’accueil par la France des chrétiens de toutes les églises d’Orient et du monde slave après la Grande Guerre.

Aujourd’hui, nous connaissons toutes ces communautés, rassemblées autour de leurs églises à Marseille, Lyon et surtout en région parisienne, ou ces chrétiens encore en Syrie ou en Irak qui nous disent : « À quoi bon ! Pourquoi continuer à nous battre pour rester sur la terre de nos aïeux si c’est pour que nos familles soient tôt au tard anéanties, massacrées ? »

Un seul exemple suffit à poser la réalité. En 1900, un habitant sur quatre était chrétien en Turquie. Aujourd’hui, le nombre de chrétiens ne dépasserait pas 100 000, bien que la plus grande ville du pays, Istanbul, soit le siège de deux patriarcats prestigieux.

Je rappellerai cette déclaration d’un diplomate turc, en poste à Paris, à notre collègue Adrien Gouteyron, auteur d’un rapport sur les chrétiens d’Orient : « Le citoyen turc est turcophone et musulman, un point c’est tout. » La situation des chrétiens d’Orient et des minorités est donc bien une réalité qui doit être posée avec la plus grande transparence.

Il aura fallu d’ailleurs la prise d’otage de la cathédrale Bagdad le 31 octobre 2010, qui a fait 58 morts, et l’attentat suicide de l’église copte d’Alexandrie tuant 21 personnes le 1er janvier 2011 pour que la communauté internationale réagisse, avec l’adoption par le Parlement européen d’une résolution le 21 janvier 2010, la déclaration du Conseil de sécurité des Nations unies du 10 novembre 2010, condamnant tous les actes de violence et l’incitation à de tels actes motivés par la haine religieuse, et la réaffirmation, le 21 février 2011, du soutien du Conseil de l’Union européenne à la liberté de religion ou de conviction.

Or ces principes fondamentaux venaient à peine d’être rappelés que la communauté internationale, dans le prolongement des printemps arabes, allait être le témoin souvent impuissant d’un déchaînement sans égal des violences qu’elle venait de condamner.

Concernant l’Irak, la situation actuelle ne saurait faire oublier les circonstances de 1991, qui conduisirent le ministre de la défense de l’époque, Jean-Pierre Chevènement, à démissionner pour ne pas être associé à une guerre qu’il considérait comme coloniale, de même que Jacques Chirac s’opposa à la seconde guerre d’Irak, considérant que « la guerre engendre la violence et la violence le terrorisme ». En 2003, on ne pouvait être plus visionnaire !

Si je me permets ce bref rappel, c’est pour mieux souligner la nécessité de ne pas avoir une approche et une vision trop réductrices des enjeux et réalités auxquels nous sommes confrontés. Le président Retailleau rappelait le colloque que, avec les groupes Chrétiens d’Orient, France-Irak et France-Syrie, nous avons organisé en mars dernier sur le thème « Détruire l’État islamique, et après ? ». En réalité, cet « après » n’a de sens que si l’on tire les conséquences de « l’avant ».

Aujourd’hui, les combats pour la reprise de Mossoul résument à eux seuls les enjeux irakiens. Je pense à l’opposition entre chiites et sunnites, avec une population qui s’est en partie radicalisée, aux aspirations de Daech aux limites d’un territoire kurde, qui aura été accueillant à la détresse des chrétiens chassés de la plaine de Ninive, quand ils ne furent pas exécutés.

La reprise de Mossoul, qui peut prendre du temps, laisse entier le devenir des chrétiens, yézidis et autres minorités. La célébration de Mgr Petros Mouche, tout récemment, dans l’église de Qaraqosh, le soir de sa libération, est un symbole fort, mais celui-ci ne traduit pas pour autant le retour d’une population, qui attend que le territoire soit sécurisé avant de retourner y vivre.

Concernant la Syrie, pour sortir de la caricature ou du déni, il suffit de regarder les chiffres publiés par l’Observatoire syrien des droits de l’homme, l’OSDH, pour juger d’une situation qui ne peut plus durer.

Dans le courant de 2016, il y a quelques mois déjà, l’OSDH, organisme implanté en Grande-Bretagne, proche des Frères musulmans et qui ne saurait donc être suspecté d’être prorégime, présentait un premier bilan du conflit syrien. Les 280 000 morts d’alors étaient composés de 101 662 hommes pour les forces du régime, de 47 000 djihadistes, de 48 000 combattants rebelles non djihadistes et de 80 000 civils, considérés comme victimes des deux parties du conflit.

Quand, au tout début de l’année 2015, Daech s’empara de plusieurs villages et de leurs populations à proximité de Deir ez-Zor, lieu qui avait été le terme de l’exode tragique des Arméniens cent ans auparavant, Jean d’Ormesson cria au génocide dans un silence surprenant.

Quelques mois plus tard, les combattants de Daech traversaient le désert qui conduit à Palmyre sans subir la moindre attaque qui aurait pu les anéantir sans faire courir de risque aux populations civiles. Le débat entre experts militaires laissa Palmyre avec ses morts, dont celle du directeur des antiquités, sacrifié, et ses ruines, massacrées.

Aujourd’hui, Alep, qui est la capitale du nord, caractérise bien le conflit syrien. Les lignes de fracture n’avaient pas beaucoup bougé jusqu’à ces derniers jours, mais, depuis trois ans déjà, de nombreux protagonistes considéraient qu’il ne pouvait y avoir de victoire militaire et qu’il fallait une sortie institutionnelle. Il y a seulement quelques semaines, un général de l’armée syrienne libre exhortait al-Nosra à quitter Alep pour éviter un bain de sang.

On ne peut que regretter que, il y a bientôt deux ans, au début de 2015, le délégué de l’ONU Staffan de Mistura ait arrêté un énième plan de cessez-le-feu pour Alep, qui fut refusé par ceux qui aujourd’hui le demandent…

Dans un conflit, le sort des armes évolue avec le temps et ce ne sont jamais les mêmes qui ont le sentiment de détenir la victoire. Toutefois, aujourd’hui plus que jamais, la paix s’impose. Car si, aujourd’hui, on parle beaucoup d’Alep, il ne faudrait pas oublier Raqqa, le Rojava, juste au nord, cette région des Kurdes que les États-Unis et la France se sont engagés à soutenir.

Raqqa est dans une certaine mesure à la Syrie ce que Mossoul est à l’Irak. Il y a un mois, au tout début du cessez-le-feu à Alep, un diplomate d’un des grands pays engagés dans le conflit – ce n’est pas la Russie – déclara à notre délégation : « Il n’y a pas de cessez-le-feu, les rebelles sont encore trop nombreux, trop puissants, seule la guerre peut les épuiser. » La franchise ou le cynisme interpellent. Or la protection nécessaire à la plaine de Ninive pour permettre aux minorités de retourner chez elles pourrait s’appliquer à l’identique à cette région du nord de la Syrie où les minorités chrétiennes, yézidies et autres demandent pareillement à être protégées.

Veut-on vraiment la paix ? Veut-on en assurer les conséquences ? Jacques Chirac avait raison de s’opposer au conflit irakien, en disant que la guerre appelle la violence, et la violence le terrorisme.

Aujourd’hui, il s’agit de faire aboutir la paix et de permettre à des populations de retrouver la capacité de vivre ensemble. Ce qui a fait la richesse de l’Orient, c’est le mélange des cultures et des religions qui se sont enrichies mutuellement, difficilement, mais que le radicalisme, soutenu par quelques États, est venu compromettre. Ainsi, Antoine Sfeir a montré à quel point les chrétiens ont joué un rôle important de ciment social dans des sociétés compliquées où de nombreuses minorités religieuses doivent cohabiter.

Mes chers collègues, le prix de la paix, c’est d’abord le respect du principe de la liberté de croyance. Comme l’a souligné le président Retailleau, c’est aussi le courage de la paix et la volonté de réconciliation. C’est ce message que le président de la communauté de Sant’Egidio a tenu en mars dernier, en rappelant l’exemple des pays qui avaient réussi à sortir de la guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que les conflits irakien et syrien se sont une nouvelle fois enlisés à Mossoul et Alep, avec pour seules victimes finalement les civils des deux pays, on ne peut qu’avoir une pensée émue et déterminée pour ces derniers.

Notre pensée doit être émue face à l’horreur vécue par les populations civiles, avec un nombre si important de victimes que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ne se jugeait déjà plus en position de calculer le nombre de morts civils.

Toutefois, elle doit être aussi déterminée, car les défis à relever sont nombreux. Les élus de mon groupe restent sur leur position : l’enjeu est aujourd’hui à la fois de permettre une stabilisation du Moyen et Proche-Orient en créant les conditions de la transition démocratique et de l’émancipation des peuples, et, dans l’urgence, d’assurer un accueil digne et solidaire des populations déplacées de force vers nos frontières. Ce n’est qu’en menant ces deux batailles de façon concomitante que nous arriverons à faire de la paix une réalité.

Cela implique une nouvelle façon de mener notre politique étrangère, car n’oublions jamais que Daech s’est constitué sur les cendres du pouvoir baasiste irakien avec l’aide d’Al-Qaïda, que l’Occident avait déjà mis en selle dans le cadre de la guerre froide, et à cause de l’enlisement de la révolution syrienne.

La stratégie de cette organisation obéit à une logique simple au fond : celle de l’épuration et du nettoyage ethnique en vue de s’imposer comme un État « pur » et ne souffrant « aucune hérésie ». Ce califat des Abbassides, devant s’étendre de l’Afrique du Nord jusqu’à l’Asie centrale, devrait donc être purgé des « apostats » chrétiens et yézidis, mais aussi kurdes et chiites. À ces groupes constitués, il faut encore ajouter les populations civiles, notamment sunnites, qui refuseraient d’adhérer aux préceptes édictés par le califat.

C’est là notre première réserve concernant la proposition de résolution. Pourquoi créer un distinguo regrettable entre, d’un côté, les populations chrétiennes et yézidies et, de l’autre, « les autres minorités et les populations civiles » ?

Certes, juridiquement, l’évocation des autres groupes constitués, massacrés pour ce qu’ils sont, n’aurait pas apporté de sécurité supplémentaire, mais le message politique est maladroit. Il l’est d’autant plus que plusieurs édiles ont déjà entretenu l’idée que les réfugiés chrétiens et yézidis importaient finalement davantage que les autres. Ce fut notamment le cas à Compiègne, Charvieu-Chavagneux, Roanne ou encore Belfort.

Comment expliquer et justifier alors ce distinguo ? Ce n’est pas par le nombre de personnes concernées, puisque l’on estime à 3,1 millions les yézidis convertis ou non au christianisme et les chrétiens, contre 9 millions de Kurdes et 20 millions de chiites sur les territoires syriens et irakiens. Ce n’est pas non plus par l’impossibilité de faire autrement : en atteste la définition donnée de la discrimination par l’article 225-1 de notre code pénal, bien plus englobante, et par l’énoncé du Statut de Rome.

Par ailleurs, si l’on peut comprendre que l’Occident prenne ses distances avec le conflit historique et doctrinal entre chiites et sunnites, il n’empêche que c’est sur cette rivalité que les États arabes, mais aussi européens, s’appuient dans le cadre de leur politique internationale.

Nous voulons signaler à nos collègues signataires de la proposition de résolution une autre réserve, qui est liée à la possibilité de considérer comme crime de guerre des exactions commises dans le cadre d’un conflit entre une organisation armée et une coalition d’armées étatiques. Les conventions de Genève de 1949 établissent qu’un crime de guerre ne peut concerner qu’un conflit armé international, c’est-à-dire entre deux États, ou un conflit armé non international, entre un État légitime et une organisation armée locale.

Dans ce cadre, ne risquons-nous pas d’en arriver à légitimer Daech comme un État à part entière ? L’exposé des motifs parle d’un « proto-État de type totalitaire », ce qui ressemble effectivement à la situation de Daech. Pourtant, ce dernier a l’ambition et est en mesure de se reconnaître comme un État de droit : contrôle d’un territoire donné, population correspondante et instauration de structures administratives et bureaucratiques. Ne risque-t-on pas de légitimer cette organisation en lui donnant un statut largement considéré comme source de légitimité ?

Je souhaiterais enfin soulever le problème de l’opportunité d’une telle initiative. À la création de ce groupe de liaison, rien ne laissait présager une telle aspiration à légiférer. En témoignent l’extrême diversité et la taille importante de ce groupe de liaison. Par ailleurs, si l’on peut considérer que le législateur a pour mission de reconnaître un génocide – nous avions d’ailleurs voté la proposition de loi conjointe à tous les groupes parlementaires reconnaissant le génocide arménien –, la qualification d’un crime ne devrait-elle pas revenir à la justice, en vertu de la séparation des pouvoirs ?

La nuance est importante ici, dans la mesure où il est certain que les exactions commises par les membres de Daech en Syrie et en Irak réunissent toutes les conditions pour être qualifiées par la Cour pénale internationale de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide.

Mon groupe s’abstiendra sur cette proposition de résolution. Cette abstention s’explique par les réserves que je viens d’évoquer, notamment en ce qui concerne la distinction opérée entre chrétiens d’Orient et yézidis, d’une part, et les autres communautés victimes, d’autre part, au premier rang desquelles les Kurdes et les chiites.

Cela ne nous empêche pas de réitérer notre message de solidarité envers les populations irakiennes et syriennes, et notre volonté que les coupables soient traduits devant la justice pour répondre de leurs actes, des actes d’une horreur inimaginable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on attribue souvent à Malraux cette formule : « Le siècle prochain sera religieux ou ne sera pas ». Qu’elle soit apocryphe ou non, cette réflexion était prophétique, tant le fait religieux imprègne notre XXIsiècle. On considère d’ailleurs que celui-ci s’ouvre sur les attentats du 11 septembre 2001, revendiqués par Al-Qaïda.

Depuis lors, la religion s’invite régulièrement dans le débat public, attisant souvent les passions : des premiers débats sur le port du voile, jusqu’à, pas plus tard que la semaine dernière, les débats sur l’instauration d’un délit d’entrave numérique à l’interruption volontaire de grossesse. On pourrait même craindre que cela ne fragilise les fondements de notre République, indivisible et laïque.

Cette omniprésence du religieux semble conforter les idées de Samuel Huntington, qui, dès 1993, théorisait un hypothétique « choc des civilisations » pour conceptualiser le fonctionnement des relations internationales dans le monde de l’après-Guerre froide. À sa suite, par un raccourci intellectuel fallacieux, certains sont tentés d’opposer l’Occident chrétien et l’Orient islamique. Il n’en est rien ! Gardons-nous de toute tentation simplificatrice et soyons bien conscients que c’est au nom d’un islam dévoyé que des actes atroces sont perpétrés à travers le monde.

Il faut considérer ces nouvelles formes de terrorisme, internationales et médiatisées en se tenant à distance de tout angélisme comme de toute stigmatisation. La religion n’est certes pas une menace en soi, mais son instrumentalisation à des fins politiques peut conduire à des dérives mortifères. Aucune religion n’est à l’abri, comme nous le rappelle notre histoire et, plus largement, celle de notre continent.

Les exactions commises chaque jour au Moyen-Orient, par Daech ou par d’autres organisations terroristes, à l’encontre des chrétiens, des yézidis ou d’autres minorités ethniques et religieuses sont insoutenables.

Une volonté de destruction systématique est à l’œuvre, qui conduit notamment à séparer les garçons du reste de leur famille et à les transférer de force dans des camps en Syrie, où ils sont endoctrinés et reçoivent une formation militaire. Ceux qui refusent de se convertir sont tués. Les femmes et les filles sont détenues en captivité et victimes de violences : travail forcé, coups, viols. Elles sont souvent traitées comme des esclaves et vendues comme telles.

De tels actes, répétés, dans une volonté de destruction d’un groupe, nous invitent à aller au-delà de la simple dénonciation, et en cela cette résolution est une bonne chose. Pour autant, d’un point de vue plus formel, nous émettrons quelques réserves.

Il est ici question de reconnaissance des crimes de génocide. Or cette reconnaissance peut se faire selon plusieurs voies. Elle peut d’abord passer par la voie judiciaire, c’est-à-dire une condamnation par un tribunal national ou international. Dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, il est rappelé que, en ce qui concerne le niveau international, ni la Syrie ni l’Irak ne sont signataires du Statut de Rome sur la Cour pénale internationale. Cela rend difficile tout défèrement des auteurs de telles atrocités devant la juridiction internationale.

Le système judiciaire national français possède toutefois de nombreux mécanismes de compétence extraterritoriale, si la victime est de nationalité française ou si l’auteur est de nationalité française. Cette compétence quasi universelle va loin, permettant même, dans certains cas, la poursuite des faits commis par un étranger sur des étrangers.

La reconnaissance des crimes de génocide peut se faire selon une autre voie, plus déclarative, c’est-à-dire soit par une loi « mémorielle », soit par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.

Bien des débats ont déjà eu lieu sur les lois « mémorielles », qui établissent une dénomination particulière de certains faits historiques et entraînent ainsi nécessairement des conséquences juridiques. Est-ce à la représentation nationale de déterminer la qualification des atrocités qui se déroulent en ce moment ? Si oui, devons-nous pallier ainsi l’apparent manque d’effectivité des systèmes de poursuites judiciaires de ces crimes ? Je vous pose la question, mes chers collègues.

Malgré ces quelques réserves, les membres du RDSE ne s’opposent pas à l’adoption de cette résolution pour condamner les actes de génocide en Syrie et en Irak : certains s’abstiendront, d’autres l’approuveront. (Mme Éliane Assassi applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pas une semaine ne passe sans que nous soyons informés d’exactions ou d’assassinats contre les chrétiens d’Orient.

En Syrie, en Irak et même au Liban, la liste des crimes commis à leur encontre s’allonge inexorablement et dans un silence relatif. Alors que l’Irak comptait 1,2 million de chrétiens en 2003, il n’en restait plus que 400 000 en 2014. En Syrie, ils étaient entre 1,8 million et 2 millions avant le conflit. Aujourd’hui, au moins 500 000 personnes auraient déjà fui leur pays.

La présence des chrétiens d’Orient, établis depuis deux mille ans dans certaines de ces régions, était souvent un facteur de stabilité politique et de dialogue intercommunautaire. Ils ont participé activement au développement économique de ces pays, et leur départ aura des conséquences négatives, que nous ne mesurons pas encore.

À travers eux, c’est aussi toute une partie de l’histoire culturelle et religieuse du Levant et de la Mésopotamie qui est réduite à néant, effacée, avec notamment la destruction d’églises du Ve siècle. Les églises qui ne sont pas détruites sont transformées en prisons, les Écritures brûlées, les statues brisées, les clochers rasés, les maisons marquées de la lettre N, comme « nazaréen », et des prêtres tués.

Permettez-moi, dans cet hémicycle, d’avoir une pensée pour le père Paolo Dall’Oglio, qui a fondé, dans les années quatre-vingt, la communauté monastique de Mars Moussa, en Syrie. Enlevé par Daech en juillet 2013, il n’a plus jamais donné signe de vie. Catholiques, protestants, orthodoxes, coptes, maronites, syriaques, chaldéens, ils sont tous menacés, poursuivis méthodiquement.

Pas plus tard qu’hier, Jean-Pierre Raffarin a rencontré le maire d’Alep au cours d’une réunion consacrée à la situation dramatique de cette ville.

Mes chers collègues, depuis deux mille ans, et malgré toutes les crises qu’ils ont pu traverser, c’est réellement la première fois que nous évoquons la possible disparition des chrétiens d’Orient, disparition qui, il faut le dire, a laissé pendant des années les pays occidentaux, en particulier les pays européens, complètement inertes, voire indifférents.

Nous, qui, collectivement, sommes si prompts à nous indigner devant telle ou telle injustice, à juste titre, n’avons pas eu le courage de nous mobiliser pour soutenir les chrétiens d’Orient. En effet, défendre un individu, une communauté ou un peuple ne nous pose pas de problème, mais soutenir la religion chrétienne, qui est indissociable des racines de la France, c’est autre chose, et cela n’a pas forcément bonne presse dans notre pays.

Au demeurant, n’oublions pas que cette question concerne non seulement les chrétiens, mais aussi, entre autres, les yézidis.

Je voudrais rendre hommage à la seule députée yézidie au Parlement irakien, Mme Vian Dakhil, qui, depuis 2014, mène un combat courageux et sans relâche pour alerter la communauté internationale sur les exactions systématiques que font subir les djihadistes à cette population.

En avril dernier, j’ai eu l’honneur de la rencontrer lors d’un déplacement en Syrie et en Irak de la Coordination des chrétiens d’Orient en danger, ou CHREDO. Je puis vous assurer que son témoignage est bouleversant et poignant, lorsqu’elle parle des milliers de jeunes filles de onze ou douze ans, esclaves sexuelles enlevées par Daech et vendues sur des marchés. Mme Vian Dakhil nous a aussi signalé que, après la libération de la ville irakienne de Shingal, en novembre 2015, près de 1 600 corps ont été retrouvés dans vingt charniers.

Je ne veux surtout pas oublier non plus tous les non-salafistes, c’est-à-dire les musulmans non salafistes et toutes les minorités du Moyen-Orient qui ne se soumettent pas à l’autorité du califat proclamé par Daech. Par ailleurs, ce n’est pas seulement Daech qui réprime les chrétiens ; ce sont aussi, hélas, de nombreuses autres factions islamistes.

Les réactions de la communauté internationale et de la France restent très mesurées par rapport à l’ampleur de ces violences. Aucun de nous ne peut avoir de doute sur la qualification de ces crimes ignobles, systématiques, dont le but est de réduire en esclavage, de persécuter et d’exterminer des groupes humains pour des motifs politiques, ethniques et religieux.

Dès septembre 2014, les membres du CHREDO ont déposé une plainte auprès de la Cour pénale internationale, la CPI, contre Daech pour crimes de génocides et crimes contre l’humanité. Cette plainte est, depuis, instruite par le bureau du procureur de la CPI.

Cependant, je n’ignore pas toutes les difficultés juridiques que cela entraîne, l’Irak et la Syrie n’étant pas signataires du Statut de Rome et ne reconnaissant donc pas l’autorité de la CPI, comme Bruno Retailleau l’a signalé tout à l'heure, et Daech étant non un État, mais une organisation terroriste regroupant des individus provenant de dizaines de pays. Mme Fatou Bensouda, procureur de la CPI, a rappelé, le 8 avril 2015, que la Cour n’avait pas de compétence territoriale pour agir.

En outre, compte tenu des dissensions fortes qui règnent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, il paraît peu probable, pour le moment, que des initiatives puissent aboutir de ce côté. Toutefois, il fallait bien commencer, engager une action, dénoncer ces massacres.

C’est pourquoi je veux remercier Bruno Retailleau, président du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient, d’avoir été à l’initiative, avec plusieurs de nos collègues, de cette proposition de résolution.

M. Bruno Sido. Bravo !

M. Bernard Fournier. En effet, de facto, si nous voyons toute la difficulté de prendre des initiatives auprès de l’ONU ou de poursuivre ces criminels en saisissant la CPI, rien n’empêche les tribunaux français d’enquêter sur les faits commis par des Français ou dont les victimes sont de nationalité française. Rien n’empêche que l’État français engage des recours devant les juridictions nationales.

Ainsi, le Gouvernement a une responsabilité et doit donc, comme le propose cette résolution, que j’ai cosignée, « utiliser toutes les voies de droit pour reconnaître les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés contre les minorités ethniques et religieuses et les populations civiles en Syrie et en Irak ».

L’avancée de la coalition en Irak et en Syrie, dont nous devons nous féliciter, va malheureusement apporter son lot de découvertes macabres. À Mossoul, de nombreuses informations relatent l’exécution sommaire de centaines de civils au fur et à mesure que les troupes de sécurité irakiennes avancent. Plus de 8 000 familles ont été enlevées et réparties comme boucliers humains près des cibles militaires.

M. Bruno Sido. C’est une honte !

M. Bernard Fournier. En votant cette proposition de résolution aujourd’hui, en accomplissant cet acte fort, nous affirmons plusieurs choses.

Premièrement, les crimes contre l’humanité commis en Syrie et en Irak ne doivent pas et ne peuvent pas rester impunis.

Deuxièmement, toutes les minorités persécutées doivent pouvoir un jour revenir vivre sur ces terres, sur leur terre.