M. Pierre Laurent. Autrement dit, on assisterait à la généralisation d’intercommunalités et de métropoles appelées à grossir sans cesse et donc à détruire le maillage démocratique de notre territoire.

Conscient vous-même de l’impasse dans laquelle vous conduisez la plupart des communes, vous commencez à tergiverser quant à la suppression de la taxe d’habitation, ce pour une raison simple : vous ne savez pas comment compenser cette perte de revenus mortelle pour les communes.

Monsieur le Premier ministre, je vous alerte également quant aux assises de l’outre-mer. Les territoires ultramarins souffrent durement. Si ces assises restent sans résultat, la colère sera grande.

Il est temps d’entrer dans un nouvel âge, de donner aux collectivités d’outre-mer les moyens de maîtriser leur avenir, avec plus de responsabilités et plus de compétences, et avec un fonds de développement pour bâtir un projet durable et cohérent en matière sociale et écologique. Ne manquons pas ce rendez-vous avec l’histoire.

Enfin, être à la hauteur de l’époque serait faire de la France une grande messagère de la paix et de la solidarité dans le monde.

Au lieu de cela, vous nous annoncez l’inscription des dispositions de l’état d’urgence dans notre loi commune et une augmentation à 2 % du PIB des dépenses militaires. Par ces mesures, le Gouvernement entend se conformer aux injonctions de l’OTAN.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce n’est pas cela !

M. Pierre Laurent. N’est-ce pas là, d’ailleurs, la véritable raison de l’invitation de Donald Trump, le 14 juillet prochain, à Paris ? J’imagine que ce n’est ni sa volonté de fêter avec nous la prise de la Bastille…

M. Roger Karoutchi. Si, si ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pierre Laurent. … ni son action révolutionnaire contre le réchauffement climatique qui lui vaut cette invitation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Monsieur le Premier ministre, vous avez salué hier le courage tranquille des Français. C’est un de nos rares points d’accord. Comptez sur nous pour donner aux Français le courage de rêver et de continuer à agir pour un monde meilleur.

Hier, vous avez également employé le terme d’addiction. Pour notre part, c’est pour les Français que nous avons une addiction, et certainement pas pour les intérêts de la petite minorité des puissants ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à vous remercier de ce débat et à saluer la qualité de vos interventions.

Je remercie M. Bertrand du soutien exigeant qu’il a formulé au nom du groupe du RDSE ; M. Zocchetto de son soutien vigilant au programme du Gouvernement et de sa conclusion en forme d’encouragements ; M. Guillaume de sa vigilance et de son exigence, dont j’ai compris qu’elle pourrait peut-être prendre la forme d’un soutien… (Sourires sur plusieurs travées du groupe La République en marche et du groupe socialiste et républicain. – Mme Bariza Khiari applaudit.)

Je remercie également M. Guillaume de m’avoir permis de constater qu’entre les travées de cet hémicycle les échanges pouvaient prendre, en termes de chaleur, la forme qu’ils prennent sur les bancs de l’Assemblée nationale.

Je remercie M. Dallier d’avoir indiqué que tous les parlementaires sont des élus de la Nation – j’en suis moi-même profondément convaincu – et que le nom du groupe auquel ils appartiennent n’implique aucune exclusive, qu’ils se déclarent « constructifs » ou qu’ils choisissent tout autre terme.

Monsieur le sénateur, je suis tellement d’accord avec vous que j’ai été, à l’époque, le seul membre de ma famille politique à voter contre le choix du nom « Les Républicains ».

M. Édouard Philippe, Premier ministre. À mon sens, il ne fallait pas prétendre à l’exclusive en la matière. Je vous retrouve donc volontiers sur ce point ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, et sur quelques travées des groupes Union Centriste et Les Républicains.)

Je tiens à remercier M. Rachline de m’avoir dit qu’il n’était pas convaincu. Son propos ne m’a ni surpris ni consterné, tant nos différences sont assumées. (Exclamations amusées sur les mêmes travées.)

Mme Frédérique Espagnac. C’est plutôt rassurant !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je remercie également M. Rachline d’avoir mentionné ma qualité de maire : cela me permet de rappeler à la Haute Assemblée qu’avant d’être Premier ministre j’ai été, pendant sept ans, à la tête d’une ville de 175 000 habitants, d’une ville populaire, d’une ville qui, monsieur Laurent, a longtemps été dirigée par un maire membre du parti communiste, mais qui ne l’est plus, puisque j’ai eu l’honneur, après avoir été élu en 2010, d’être réélu au premier tour en 2014.

Monsieur Rachline, je le répète, il s’agit d’une ville pauvre, populaire, industrielle et fière de ce qu’elle est.

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cette ville connaît à la fois la dureté de l’histoire et la dureté des transformations économiques. Cette ville, c’est la mienne, j’en suis fier, et je vous remercie de m’avoir permis de le dire devant le Sénat.

Je remercie M. Patriat de son soutien carré, complet et sans réserve. (Applaudissements sur les travées groupe La République en marche.)

M. Gérard Longuet. Quoique récent !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je sais cependant qu’un tel soutien n’exclut ni l’exigence ni la vigilance.

Enfin, je remercie M. Laurent de l’opposition assumée, elle aussi carrée et complète, qu’il a exprimée en quelque sorte symétriquement au soutien formulé par M. Patriat. (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, de nombreux sujets ont été abordés. Pardonnez-moi si je ne réponds pas à toutes les questions posées : je me rassure en me disant que, au cours des mois et des années qui viennent,…

M. Roger Karoutchi. Nous nous reverrons !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … l’ensemble de ces sujets sera évoqué dans le détail. Nous pourrons ainsi approfondir point par point les thèmes que vous avez mentionnés aujourd’hui.

À ce stade, je dirai simplement quelques mots de la situation financière et budgétaire.

Le récent rapport de la Cour des comptes ne m’a pas mis en colère. Plus exactement, il ne m’a pas donné envie de rechercher des coupables, et je ne suis pas sûr qu’il nous faille rechercher des coupables. En tout cas, tel n’est pas le terrain sur lequel je me place.

Je vais même plus loin : à mon sens, nous ferions bien de commencer par assumer le fait que nous avons, en la matière, des responsabilités partagées.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. On peut dire que certains sont plus responsables que d’autres : peut-être. Cela étant, depuis 1974 – j’indique que je suis né en 1970 –, aucun gouvernement n’a voté un budget à l’équilibre. La France a connu des gouvernements de droite : ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient. La France a connu des gouvernements de gauche : ils ont probablement fait du mieux qu’ils pouvaient.

Il n’empêche que nous nous retrouvons dans la situation dans laquelle nous sommes, avec une dette publique qui s’est établie à 2 147 milliards d’euros à la fin de l’année 2016 et qui atteint probablement 2 200 milliards d’euros aujourd'hui, et des dépenses non financées à hauteur de 8 milliards d’euros pour l’année 2017.

J’observe, pour être parfaitement précis, que la Cour des comptes dit non pas que le déficit de l’année 2017 sera de 3,2 % du PIB, mais qu’il s’établira à ce niveau si nous prenons des mesures énergiques, ce qui signifie qu’il est en réalité au-dessus de 3,2 %.

On constate effectivement des dérapages, y compris au regard des prévisions les plus pessimistes qui avaient été formulées, notamment dans cette assemblée. J’insiste sur ce point, car la formulation choisie par la Cour des comptes n’est pas neutre : elle souligne la gravité de la situation.

Il y a, je le répète, 8 milliards d’euros de dépenses non financées.

À tout cela, j’ajoute le rapport du Conseil d’orientation des retraites. Je ne le mets pas en cause, mais je constate : alors que l’année dernière le COR fondait ses analyses sur des hypothèses qui lui permettaient de prévoir un retour à l’équilibre du système des retraites en 2025, ce même COR change ses hypothèses et estime depuis peu qu’en vérité le retour à l’équilibre doit plutôt être regardé comme pouvant être atteint en 2040…

Il y a une différence. On peut sans doute l’analyser et discuter du changement des hypothèses qui conduit à ce décalage de quinze ans. Enfin, cette différence, je la constate, et je me sens tenu d’apporter des réponses.

Nous ne faisons pas de collectif budgétaire. Nous indiquons que nous allons tenir, dès 2017, l’objectif de 3 %. Pourquoi 3 % ? Parce que c’est un engagement qui a été souscrit par la France – ni par la droite ni par la gauche, mais par la France.

Cet engagement a été pris depuis longtemps et, depuis longtemps, il n’est pas tenu, pour des raisons qui peuvent s’expliquer et qui peuvent même se justifier à certains égards.

Mais reconnaissons là aussi, tranquillement – entre nous, si j’ose dire –, que tous les pays confrontés aux mêmes difficultés que nous ont fait les efforts nécessaires pour revenir sous le seuil qu’ils avaient librement accepté de respecter vis-à-vis de leurs partenaires. Nous sommes les derniers, et ce n’est pas satisfaisant, non pas parce que l’hydre bruxelloise nous imposerait sa loi, mais parce que nous n’avons pas respecté les engagements que nous avons pris.

Chacun, dans cet hémicycle, voit bien les problèmes découlant du fait qu’un pays comme le nôtre ne tienne pas ses engagements et charge les générations à venir, nos enfants et nos petits-enfants, de la responsabilité de rembourser les dettes, c'est-à-dire ce que nous ne voulons pas payer pour nous-mêmes.

Nous avons donc décidé de respecter le seuil de 3 %, et nous avons décidé de le faire sans collectif budgétaire pour une raison simple : si nous avions ouvert un collectif budgétaire, nous aurions réglé le problème en augmentant les impôts. Je le dis non pas parce que je suis plus malin que les autres, mais tout simplement parce que c’est ce qui s’est toujours passé. Il est en effet plus facile de diminuer un déficit par une augmentation d’impôts, que l’on trouve toujours les moyens de justifier, que par une réduction des dépenses.

Pour 2017, nous nous sommes donné comme objectif de ne pas augmenter les impôts et de contenir le déficit en réduisant les dépenses. C’est un objectif ambitieux, mesdames, messieurs les sénateurs, mais nous allons l’atteindre ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe La République en marche. – Mme Fabienne Keller, MM. Christophe Béchu et Jérôme Bignon applaudissent également.)

Pour 2018 encore, nous nous sommes engagés à maîtriser les dépenses. Je l’ai dit hier et je le répète : notre objectif, c’est la stabilité en volume, donc hors inflation, des dépenses publiques. Le PIB augmentera ; le niveau des dépenses, lui, restera identique.

Quand nous parlons de maîtrise de la masse salariale dans la fonction publique, nous ne disons évidemment pas que nous allons baisser le traitement des fonctionnaires. Certains pays l’ont fait sous la contrainte – ils ne l’ont jamais fait de gaieté de cœur, mais ils l’ont fait.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce n’est pas du tout ce que, nous, nous proposons. Nous disons simplement qu’il faut, par la réorganisation de nos services, de nos administrations, faire en sorte que la masse salariale du secteur public soit stable en 2018 par rapport à 2017.

Ce but que nous fixons à l’échelle de l’État, beaucoup l’ont atteint à l’échelon local (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), sans que ce soit simple, j’en ai parfaitement conscience. Pour ma part, je l’ai fait au Havre, et je suis bien persuadé que, dans cet hémicycle, un grand nombre d’élus responsables d’exécutifs locaux se sont fixé cet objectif de stabilité de la masse salariale, et certains sont peut-être allés au-delà, en réduisant non pas les traitements de chaque fonctionnaire, mais la masse salariale dans son ensemble.

C’est l’objectif que nous assignons à l’ensemble des administrations publiques, à l’ensemble des fonctions publiques. Je sais bien qu’il est difficile à atteindre, mais c’est celui que nous nous fixons.

En 2018, nous augmenterons la CSG en contrepartie d’une diminution des charges ainsi que des cotisations salariales et sociales. C’est là un choix politique, qui ne devrait étonner personne : il a été présenté pendant la campagne électorale, puis validé par les Français au cours des élections tant présidentielle que législatives. Je conçois parfaitement que l’on s’y oppose, mais personne ne peut être surpris par cette mesure.

L’objectif est au fond simple. Il résulte d’un choix politique assumé, qui repose sur cet impératif : redonner du pouvoir d’achat à ceux qui travaillent.

Cela ne signifie pas que l’on ne s’intéresse pas à tous les autres. Néanmoins, si l’on veut relancer l’activité en France, il faut porter une attention permanente à ceux qui créent la richesse, quel que soit leur domaine d’activité. Je songe non seulement aux salariés, mais aussi aux indépendants, qui paient des cotisations sociales et bénéficieront, eux aussi, de cette disposition.

Dès la fin de l’année 2017, dans le cadre d’un projet de loi de programmation des finances publiques, le Parlement sera invité à voter l’ensemble du dispositif fiscal des années à venir.

La raison en est simple et, une nouvelle fois, chacun l’a présente à l’esprit : la plupart des chefs d’entreprise et, plus largement, des acteurs du monde économique que nous rencontrons nous disent souvent qu’ils n’attendent pas le grand soir fiscal, mais qu’ils ont en revanche besoin de visibilité, de lisibilité et de prévisibilité. (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe La République en marche.)

Savoir ce qui va se passer a, au fond, plus de prix que d’obtenir immédiatement une mesure dont on sait qu’elle ne sera pas tenable. C’est bien parce que nous le savons tous qu’à la fin de cette année le Gouvernement fera voter cette loi qui fixera le chemin fiscal à suivre pour les années 2018, 2019, 2020…

Ce n’est absolument pas neutre, et c’est dans ce cadre que le Gouvernement, après en avoir débattu avec le Parlement, va indiquer comment il modifiera le dispositif fiscal. Point par point, et sur chacun des sujets, nous allons respecter les objectifs et les mesures annoncés par le Président de la République.

Reste le sujet – important, je le sais – de la taxe d’habitation et, plus généralement, du lien entre le territoire et la recette fiscale.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, sur ce sujet également, je vous rejoins. Sans être encore parlementaire, mais alors que j’étais déjà maire d’une ville et président d’une agglomération très industrielle, j’avais moi-même formulé de grands doutes quant à la suppression de la taxe professionnelle et à son remplacement par un dispositif qui équivalait presque à une subvention.

En procédant ainsi, on a coupé le lien entre, d’une part, les territoires industriels, d’autre part, les importants investissements qui y étaient réalisés et où ils avaient leur contrepartie.

Nous ne reviendrons pas sur cette réforme déjà ancienne, car l’instabilité fiscale est insupportable, mais je vous rejoins assez volontiers sur le fait que trop couper le lien entre la ressource fiscale et le territoire présente des inconvénients.

M. Henri de Raincourt. Ah, quand même !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Cela n’interdit pas de réfléchir, dans ce cadre, aux mesures que j’ai indiquées pour que les Français qui en ont besoin récupèrent du pouvoir d’achat, d’abord en diminuant la taxe d’habitation et, ensuite – peut-être à plus long terme, c’est vrai –, en repensant un système fiscal local qui permette de prendre en compte à la fois les revenus, les richesses et les spécificités des territoires.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Dans un bon système, on pourrait même tenir compte des particularités existant à l’intérieur d’une commune. Tous ceux qui connaissent les finances municipales savent combien l’impossibilité de moduler, en fonction des quartiers, un certain nombre de taux tend à accroître dans la durée les inégalités au sein d’une commune.

Cette réflexion sera donc engagée. La discussion sera ouverte. Conduite par le ministre de l’action et des comptes publics, elle permettra des échanges directs. Évidemment, ce n’est pas le moment, même si ce sera probablement le lieu, de trancher.

M. Albéric de Montgolfier. Quand même ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Lefèvre. Nous l’espérons ! (Nouveaux sourires.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je ne doute pas que cette discussion sera très complète.

Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’heure, au terme de ce premier débat, je souhaite de nouveau vous remercier vivement et vous dire combien j’ai hâte de travailler avec vous ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe La République en marche, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, et sur quelques travées des groupes Union Centriste et Les Républicains.)

5

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 6 juillet 2017 :

À neuf heures trente :

Désignation d’un secrétaire du Sénat, en remplacement de François Fortassin.

Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières (n° 432, 2016-2017) ;

Rapport de Mme Catherine Di Folco, fait au nom de la commission des lois (n° 593, 2016-2017) ;

Texte de la commission (n° 594, 2016-2017).

À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD