M. Bruno Le Maire, ministre. C’est vrai !

M. Philippe Dallier. Il y a au moins un point du programme électoral de M. Macron avec lequel nous étions, me semble-t-il, d’accord : le fait qu’il fallait un choc de compétitivité tout de suite. Ce choc de compétitivité, vous le décalez désormais dans le temps.

M. Bruno Le Maire, ministre. Non !

M. Philippe Dallier. Si, monsieur le ministre ! De fait, pour satisfaire les particuliers – je ne reviens pas sur vos valses-hésitations sur la taxe d’habitation ou sur l’ISF –, vous avez décalé certaines mesures de compétitivité.

Pour terminer, je forme le vœu que ce ne soit pas là une grave erreur, que vous paierez plus cher plus tard. La croissance semble en train de repartir. Il faut vraiment saisir l’occasion pour relancer la mécanique.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je suis d’accord !

M. Philippe Dallier. Peut-être ne le faites-vous pas assez… J’espère que nous ne le paierons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures quarante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Mes chers collègues, pour répondre aux interrogations de certains d’entre vous, je rappelle qu’il n’y aura pas séance ce soir ; l’heure à laquelle nous achèverons nos travaux cette après-midi dépend de vous… (Sourires.)

Dans la suite du débat commun, la parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons écouté avec une grande attention l’intervention de Claude Raynal, saluée sur toutes les travées. Je me contenterai d’ajouter quelques précisions additionnelles.

Le cadrage nous a été présenté, et nous connaissons le contexte en matière de déficit et d’endettement. Tout le monde convient de la nécessité de réaliser des efforts budgétaires. Pour autant, dans l’élaboration d’une stratégie gouvernementale, la situation inquiétante induite par l’accroissement des inégalités en France ne peut être ignorée.

Si nos gouvernants invoquent régulièrement, et à juste raison, les principes républicains de liberté et de fraternité, comme ce fut encore le cas lors du dernier Congrès, ils doivent aussi porter une attention soutenue au principe d’égalité. Aucune vraie mobilisation collective du pays ne sera possible si la recherche d’une plus grande égalité n’est pas au cœur des préoccupations des autorités publiques.

Quel constat peut-on faire en 2017 sur les inégalités en France ?

Selon l’Observatoire des inégalités, « les écarts de revenus entre les plus pauvres et les plus riches continuent d’augmenter ».

Selon l’INSEE, la pauvreté et les inégalités ont encore progressé même si, en 2015, plusieurs mesures fiscales – baisses d’impôts pour les faibles revenus, modulation des allocations familiales… – ont permis d’atténuer en partie les inégalités.

Le contexte général est en outre jugé très inquiétant. Voilà dix ans, le capitalisme perdait pied. Toutes les analyses ont pointé l’accroissement des inégalités de revenus comme l’une des causes majeures de la catastrophe financière.

La situation créée est dangereuse à deux titres : d’une part, elle creuse le lit du populisme, qui se nourrit du ressentiment économique pour rejeter en bloc non seulement les élites politiques, économiques et intellectuelles, mais aussi les étrangers et les minorités en général ; d’autre part, elle bloque la croissance économique en empêchant une partie de plus en plus importante de la classe moyenne d’accéder à plus de consommation et à une éducation de qualité. Il ne pourra donc y avoir de prospérité durable sans réduction des inégalités.

Le débat d’orientation budgétaire du début de ce quinquennat doit être l’occasion d’évoquer les principes d’action essentiels à partir desquels seront déclinées les mesures financières et fiscales de la programmation à venir.

Je souhaite, pour ma part, exprimer ici une triple conviction : oui, la réduction du déficit budgétaire est une impérieuse nécessité ; oui, les mesures budgétaires et fiscales doivent en particulier viser à lutter contre les inégalités dans notre pays ; oui, l’assainissement de nos finances publiques doit préserver l’esprit de la décentralisation.

S’agissant de la trajectoire du déficit, rappelons que ce dernier s’élevait à 50 milliards d’euros en 2007. Il a ensuite grimpé à 148,8 milliards d’euros en 2010, soit 7,7 % du PIB. Nous avons entendu quelques intervenants évoquer la nécessaire vertu budgétaire ; je souligne que ce déficit de 148,8 milliards d’euros est passé à 75 milliards d’euros en 2016, soit une division par deux, ce qui n’est pas négligeable.

La programmation pluriannuelle des finances publiques adoptée sous l’ancienne majorité prévoyait un retour sous la barre des 3 % à la fin de l’année 2017 – nous n’y serons pas tout à fait –, un déficit de 2 % en 2018, de 1,2 % en 2019 et de 0,6 % à l’horizon 2020.

Messieurs les ministres, j’ai noté que les intentions annoncées par le Gouvernement s’accordaient peu ou prou avec ces projections. Il convient donc de ne pas dévier de la trajectoire annoncée.

La politique budgétaire et fiscale doit contribuer à la réduction des inégalités. Le Président de la République l’a rappelé à Versailles : il ne peut y avoir de développement équilibré de la France si chacun ne trouve pas sa juste place dans la société.

Tendre vers plus d’égalité entre les Français doit constituer un fil conducteur de la politique budgétaire des prochaines années. N’oublions pas que c’est toujours le début du quinquennat qui donne le signal politique majeur. Qui ne se souvient du début calamiteux du quinquennat Sarkozy, en 2007 ?

M. Éric Doligé. Il fallait qu’il le place ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Marc. Le fameux « paquet fiscal », doté d’un bouclier renforcé, avait conduit à distribuer de l’argent aux plus riches, et le Gouvernement dut se résoudre à une piteuse marche arrière avant la fin du quinquennat…

M. Jean-François Husson. Mieux vaut ne pas évoquer le quinquennat du Président Hollande !

M. François Marc. Je vous pose la question, messieurs les ministres : est-il vraiment si impératif, alors que la France a encore un déficit budgétaire annuel de 70 milliards d’euros, de réduire non seulement l’ISF de 3 milliards d’euros, mais aussi la fiscalité de l’épargne des plus fortunés à travers la mise en place d’une flat tax de 30 % ?

M. Claude Raynal. Bonne question !

M. François Marc. Est-ce vraiment le moment d’adopter une stratégie identique…

M. François Marc. … à celle qui avait été mise en œuvre en 2007 ?

Je suis enfin convaincu de la nécessité de conforter la décentralisation en réservant aux collectivités territoriales des moyens suffisants et équitablement répartis.

Deux chantiers ont été engagés durant le quinquennat précédent : d’une part, celui d’un nouveau mode de répartition de la dotation globale de fonctionnement et, d’autre part, celui de l’indispensable révision des valeurs locatives. Quelles sont les intentions du Gouvernement pour aboutir à une DGF plus équitable entre communes et intercommunalités ?

M. Philippe Dallier. Bonne question !

M. François Marc. S’agissant des valeurs locatives foncières, une première étape a été franchie avec la mise en application de la révision des valeurs locatives des locaux commerciaux dès cet automne.

La deuxième étape, qui est relative à la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, est engagée : les principes ont été arrêtés et une expérimentation grandeur nature a été menée.

Ici encore, la question est posée au Gouvernement : existe-t-il une véritable volonté politique de mettre en œuvre cette révision des valeurs locatives d’habitation ? Il s’agit d’une question fondamentale si l’on veut tendre vers plus d’équité et vers une véritable justice fiscale entre contribuables locaux. (MM. Claude Raynal et Richard Yung applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a deux façons de réaliser un budget : soit on le construit pour l’intérêt général de la France – cela me paraît normal ! –, soit on privilégie « l’État-providence ».

Nos précédents Présidents de la République ont privilégié l’État-providence, multipliant les dépenses de protection sociale sans prévoir leur financement. Ils ont oublié le risque grandissant menaçant l’ensemble de notre système financier, qui risque de s’effondrer lorsque les taux d’intérêt augmenteront.

La France est le pays européen le plus dépensier. Il est temps de changer de méthode, de limiter l’intervention de l’État dans l’économie et de laisser davantage de pouvoir d’achat aux ménages pour qu’ils investissent et favorisent la croissance.

Les Français doivent savoir qu’une épée de Damoclès est suspendue au-dessus de nos têtes. Elle est détenue par les investisseurs, qui nous font – encore… – confiance, en nous prêtant chaque année 200 milliards d’euros à des taux qui restent bas.

À défaut, la France sombrerait dans une faillite retentissante. Une hausse de 5 % de nos taux d’intérêt, soit un niveau équivalent à celui des taux grecs, représenterait un surcoût de 50 milliards d’euros au bout de cinq ans, c’est-à-dire une charge de la dette impossible à financer. Tout le système social que nous connaissons s’écroulerait !

La France ne peut se résoudre à faire faillite. Le Gouvernement ne doit pas négliger le risque d’une méfiance accrue de nos investisseurs, dont les stratégies sont avant tout opportunistes. Or les avertissements se succèdent, sans réaction : en mai dernier, Bruxelles a décidé de maintenir la procédure de déficit excessif à l’encontre de la France.

La Cour des comptes, quant à elle, se sera rarement montrée autant critique sur les résultats d’une année budgétaire, parlant d’une « occasion manquée » pour 2016. Elle évoque également un risque majeur pour 2017.

Dans ce contexte explosif, le Premier ministre a lui-même qualifié la situation budgétaire de « volcan ». Cela aurait dû se traduire par une volonté forte de réduire nos déficits. Or tel n’a pas été le cas.

Les économies sont encore floues. Les annonces de dépenses nouvelles non financées se multiplient, comme d’ailleurs les annonces de suppression de recettes.

Ainsi, 450 millions d’euros supplémentaires vont être alloués aux contrats aidés, qui coûtent déjà 2,5 milliards d’euros par an. Mais à quoi servent ces contrats ? Ce ne sont pas eux qui permettront de réduire le chômage !

De même, 4 milliards d’euros sont déjà consacrés à la prime d’activité, que vous souhaitez doubler. C’est de la folie ! Cela ne sert à rien et ne facilitera sûrement pas l’embauche.

Je pense encore au crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE, financé par 15 milliards d’euros d’emprunt chaque année. Pour quoi faire ?

Que dire des 8,5 milliards d’euros non financés résultant de la suppression de la taxe d’habitation pour les communes ? C’est très bien de parler d’égalité, mais comment les communes vont-elles survivre, sans cette recette ? L’État va-t-il devoir emprunter pour venir à leur aide, ce qui va encore aggraver notre déficit budgétaire ?

Je pense enfin aux 3 milliards d’euros pour le rétablissement de l’exonération sur les heures supplémentaires. C’est très gentil pour ceux qui vont en bénéficier, mais ces 3 milliards vont manquer à l’État.

Comment trouver les recettes nécessaires pour financer ces nouvelles dépenses ? Le déficit budgétaire va se creuser dangereusement.

Prenons l’exemple du chômage : il ne se réduira pas tant que nous n’aurons pas mis en place la flexibilité de l’emploi, ce qui est difficile à faire comprendre à un certain nombre de personnes, notamment aux syndicats.

Je rappelle que l’Allemagne a créé 2,5 millions d’emplois en dix ans, sans aucun coût pour l’État. La recette d’un tel succès est connue : flexibilité pour les entreprises, sécurité pour les salariés.

C’est la solution. J’espère que le texte définitif sur le dialogue social l’aura retenue. Cela ne coûtera rien à l’État et permettra de nombreuses économies.

Inspirons-nous aussi de l’Allemagne pour baisser le coût du travail en réduisant le périmètre de l’État-providence en développant, par exemple, un système par capitalisation de la sécurité sociale, et non par répartition, en incitant les salariés à prendre des assurances personnelles pour financer retraite, santé ou chômage. C’est ce qui se passe dans tous les pays : cela ne coûte rien à l’État et fonctionne très bien. On pourrait ainsi réduire d’autant les charges sur les salaires et le coût du travail.

L’apprentissage tel qu’il existe en Allemagne permet aussi de réaliser des économies. Le collège unique, que nous subissons en France depuis quinze ans, grâce à René Haby, et qui enseigne le même programme à tous les enfants, sans aucune formation professionnelle, produit en réalité 150 000 chômeurs chaque année. Tout le monde s’en fiche, et aucun ministre de l’éducation nationale, en tout cas pas la dernière, ne s’y est intéressé. Ces jeunes sortent de l’école sans diplôme et sans perspective d’emploi.

En Allemagne, comme c’était auparavant le cas ici, deux collèges coexistent : l’un professionnel, l’autre général, avec une sélection des enfants, vers douze ou quatorze ans, selon leur motivation. Le rétablissement du certificat d’études permettrait de réaliser une telle sélection en France.

Mes chers collègues, la vraie égalité n’est pas de donner la même formation à tous les jeunes, les forçant à passer un bachot qui ne sert à rien d’autre qu’à accéder aux études supérieures, ce qui ne leur permettra pas de trouver un emploi.

Une autre erreur est de considérer les collectivités territoriales comme des variables d’ajustement budgétaire.

Vous voulez réduire les dotations des communes et des départements, ce qui va les mettre en déficit. Privés de leurs dotations, ils seront incapables d’assurer leurs missions de service public : entretien des routes, gestion des écoles et des collèges…

Prenons l’exemple de l’Essonne : la dotation de l’État sera passée de 151 millions d’euros en 2013 à 17 millions d’euros en 2021. Si l’on ajoute à cela les charges qu’entraîne le RSA, dont ils n’ont que faire, car ce dispositif est d’origine purement gouvernementale, les départements sont en faillite ! Les maires et les présidents de départements sont inquiets : la gestion sans ressources est un exercice impossible !

Enfin, permettez-moi de vous soumettre une proposition que je considère comme très importante, mais qui n’a jamais été écoutée.

En France, les taux d’imposition progressifs sur le revenu suppriment toute possibilité d’enrichissement pour les contribuables : plus leurs revenus augmentent, plus leurs impôts augmentent aussi,…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La progressivité a tout de même du bon !

M. Serge Dassault. … alors qu’avec un taux constant ils s’enrichiront quand leurs revenus augmenteront.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Serge Dassault. En supprimant l’impôt sur le revenu progressif et en appliquant trois taux constants à l’assiette de la CSG, dont tout le monde devrait s’acquitter, on baisserait les impôts de l’ensemble des contribuables, lesquels pourraient ainsi s’enrichir, ce qui réduirait les dépenses publiques.

L’intérêt de cette proposition est aussi financier, car l’impôt à taux constant permettra de supprimer les niches fiscales de l’impôt sur le revenu, soit 34 milliards d’euros.

Ce modèle à taux constant rapportera autant que le système actuel, même en tenant compte des réductions d’impôts.

Il restera plus de 50 milliards d’euros de niches fiscales, ce qui permettra à l’État de baisser l’impôt sur les sociétés ainsi que l’impôt sur les plus-values et sur les dividendes, et de supprimer entièrement l’ISF.

Il s’agit de la seule solution, messieurs les ministres, à même de résoudre tous vos problèmes tout en augmentant le pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Quelles que soient les mesures prises, si le Gouvernement ne met pas en place cette proposition, le risque de faillite restera inchangé et nos déficits budgétaires ne feront que s’aggraver.

Mme la présidente. Il vous faut conclure !

M. Serge Dassault. N’oubliez pas, madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, qu’il n’est en France, malgré tout ce que l’on raconte, ni peuple de droite ni peuple de gauche, mais un peuple français, qui doit avoir la possibilité de s’enrichir.

Je suis sûr que le Président Macron est favorable à ma dernière proposition. Comme il l’a dit lui-même, il n’est ni de droite ni de gauche, mais pour tous. Il ne sera jamais assez remercié d’avoir mis en place un gouvernement d’union nationale et de vouloir supprimer l’ISF. (M. Richard Yung applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’ont rappelé le rapporteur général de la commission des finances et mes collègues Philippe Dallier et Serge Dassault, la situation budgétaire de la France est très dégradée, pour ne pas dire alarmante.

Il apparaît totalement incongru qu’une des deux locomotives de la zone euro et de l’Union européenne soit le seul pays européen avec l’Espagne, laquelle a connu une crise autrement plus violente, à être sous le coup d’une procédure pour déficit excessif. Être le champion de la dépense publique, avec une croissance plus faible que les autres pays, pose question.

La France, qui devrait être un exemple en Europe, a une dette supérieure de 13 points à la moyenne européenne. Il est temps de redresser et d’équilibrer nos comptes – si j’osais, je dirais même d’inverser la courbe – en diminuant notre dette. Cela passe assurément par des économies. Mais où les réaliser ? Là est toute la question. Si, messieurs les ministres, j’ai bien compris que nous partagions le même diagnostic, peut-être divergeons-nous sur la posologie.

Je m’attacherai particulièrement à la situation des collectivités locales.

Nous avons eu la chance d’accueillir le Président de la République et de nombreux ministres pour la première Conférence nationale des territoires, ce lundi, au Sénat. À cette occasion, M. Macron a demandé aux collectivités de réaliser 13 milliards d’euros d’économies en cinq ans sur les 60 milliards d’euros de baisse annoncée de la dépense publique.

Je rappelle que les économies étaient initialement réparties différemment : 10 milliards pour les collectivités et, à parité, 25 milliards pour l’État et 25 milliards pour la sphère sociale. Or, si l’effort portant sur les collectivités territoriales passe de 10 milliards à 13 milliards d’euros – soit, excusez du peu, 30 % de plus –, le montant global d’économies évoqué demeure de 60 milliards d’euros, soit 3 % de PIB, conformément au programme présidentiel.

L’effort supplémentaire, demandé en raison de la situation nouvellement dégradée des finances publiques, ne serait donc supporté en grande partie que par les collectivités territoriales.

De surcroît, prendre comme seule référence la part dans la dépense publique, c’est oublier la spécificité des dépenses des collectivités : ce sont, certes, des dépenses de fonctionnement, mais ce sont avant tout des dépenses d’investissement, lesquelles ont représenté 70 % de l’investissement public en 2017, investissement dont on sait qu’il constitue un catalyseur indispensable pour soutenir la croissance.

C’est oublier également que les collectivités ont l’obligation de maintenir à l’équilibre la section de fonctionnement de leur budget, cela sans avoir la possibilité de recourir à l’emprunt.

C’est oublier que, contrairement à celui de l’État, le budget global des collectivités est excédentaire depuis 2015, grâce aux efforts qu’elles ont consentis. Ainsi 3 milliards d’euros d’excédents ont-ils été dégagés en 2016.

C’est oublier que les efforts d’économies des collectivités ont déjà contribué pour moitié à la réduction du déficit public en 2015 et 2016.

C’est oublier que leur part dans la dette publique est inférieure à 10 %.

En réalité, leur demander un effort de 13 milliards d’euros, c’est exiger des collectivités un effort encore plus important que celui qu’elles ont consenti durant le précédent quinquennat. Certains ont d’ailleurs évoqué un « régime de la double peine ». Alors même que nombre de collectivités sont exsangues et ont déjà serré la ceinture au maximum, le rabot ayant fait ses effets, vous vous proposez de les soumettre au garrot ! Prenons-y garde, d’autant que les incessants changements d’échelles et de périmètres imposés par l’État pour gouverner les territoires entravent leur bonne gestion financière par manque de visibilité.

Pour faire passer la pilule, le Président de la République annonce que cet effort passera non pas par une baisse des dotations, mais par un engagement des collectivités à diminuer leurs dépenses de fonctionnement « dans une logique de confiance ». Sans baisse des dotations, il ne peut en effet imposer cet effort sans se heurter au principe constitutionnel de libre administration des collectivités.

Cela passerait donc, peut-être, par une forme de contractualisation, sauf que, a-t-il ajouté, si l’effort demandé n’était pas respecté par certains, un « mécanisme de correction » serait mis en place l’année suivante : le piège se referme ! L’emballage est neuf et plus joli, mais le contenu reste le même.

Ce mécanisme de correction pénalisera, de surcroît, les collectivités qui ont déjà fait des efforts les années passées et favorisera les moins regardantes ou les plus laxistes, qui auront davantage de marges de manœuvre pour atteindre les objectifs de réduction des dépenses.

La seule réelle avancée annoncée par le Président Macron est la contrepartie à cet effort d’économies : dans le cadre d’un « pacte girondin », il promet davantage de pragmatisme, de liberté, de flexibilité, d’expérimentations.

Il propose également une revue générale des normes, avec la règle du 2 pour 1, à laquelle le Sénat souscrit bien évidemment puisqu’il fait partie des institutions qui l’ont défendue.

L’augmentation du temps de travail dans la fonction publique territoriale et le décrochage du point d’indice par une gestion différenciée des fonctions publiques vont aussi dans le bon sens.

Le Président de la République promet en outre la mise en place d’une commission de travail associant les parlementaires, afin de réfléchir à une refonte de la fiscalité locale, pour l’adapter et la moderniser via le transfert d’une part de l’impôt national. Bien évidemment, nous ne pouvons que souscrire à une telle proposition.

Toutefois, un transfert de cette nature ne compenserait pas la suppression annoncée de la taxe d’habitation. En effet, les élus locaux ne pourront décider du taux de l’impôt national. Je le rappelle, le transfert d’une part de TVA aux régions visait à compenser la suppression de leur DGF : une ressource dynamique remplaçait une dotation. La piste avancée par le Président de la République est pour le moins surprenante. En effet, le transfert d’une part de CSG ou de CRDS représenterait de plus une perte de financement pour la protection sociale !

Si, selon le Président de la République, et j’en suis d’accord, la taxe d’habitation est un « impôt injuste », dans la mesure où elle est évaluée de manière « obsolète », pourquoi la maintenir pour 20 % de Français qui seraient fustigés comme étant les « privilégiés » ou les « riches » ?

La réforme de la taxe d’habitation pourrait en outre contrevenir au principe constitutionnel d’autonomie financière des collectivités locales, en faisant disparaître 36 % des ressources propres du bloc communal, dont la part représenterait dès lors 53 % des ressources, soit un taux en deçà du seuil minimum de 60,8 % imposé par la loi organique.

Pour conclure, nous pouvons nous interroger sur la réalité de la décentralisation, face à des contraintes toujours plus fortes imposées par l’État.

Je veux cependant faire le pari d’un dialogue confiant, même si ma confiance ne sera pas aveugle, car, d’après certains propos entendus, la vision macronienne d’une République décentralisée pourrait s’apparenter à une sorte de IIIe République où le maître d’école, depuis l’Élysée, demanderait aux élus locaux de rendre chaque année leur copie, punition à la clé. Vous l’aurez compris, c’est une situation que je n’ose envisager !

Le défi à relever est trop important pour notre pays. Il nécessite que nous nous fassions tous confiance, et notamment que l’on fasse confiance aux élus, pour lesquels l’engagement est non pas une faute, mais un motif de fierté. Selon moi, il n’y a pas trop d’élus. Ces derniers se sont engagés pour servir à la fois leur commune et la République. Faisons le pari du redressement de la France, laquelle a besoin de toutes les bonnes volontés pour réussir et se construire un avenir meilleur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, en remplacement de Mme Michèle André, présidente de la commission des finances, à qui j’adresse mes très sincères condoléances en ce moment de deuil familial.

M. François Marc, en remplacement de Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, je prends la place, à sa demande, de Mme André, qui, en effet, ne peut malheureusement assister à nos travaux.

Un débat conjoint sur la loi de règlement et les orientations des finances publiques est une bonne idée, car c’est à la lumière de l’expérience des exercices passés qu’il faut analyser les orientations pour l’avenir.

Notre débat est bref, mais les travaux du Sénat, qu’ils soient législatifs ou de contrôle, ne se limitent pas aux débats en séance publique.

Nous consacrerons moins d’une heure à la convention fiscale avec le Portugal que nous examinerons ensuite. Elle a pourtant donné lieu à énormément de travaux préparatoires de la commission et, surtout, du rapporteur. Mme André vous renvoie à cet égard à son rapport.

L’examen de la loi de règlement exige un lourd travail du rapporteur général de la commission des finances, mais aussi de tous les rapporteurs spéciaux. Mme la présidente de la commission des finances vous invite donc à vous reporter au recueil de leurs observations, qui sont autant de recommandations adressées au Gouvernement en vue de la budgétisation pour 2018.

Au terme de ces trois années à la présidence de la commission des finances, Michèle André pense que le Gouvernement a raison d’évoquer dans son rapport la question de la procédure d’examen des lois de finances au Parlement, car nous examinons les textes – la loi de finances, mais aussi le collectif de fin d’année –  dans des conditions d’urgence déraisonnables, alors même que, contrairement à ce qu’on entend ces dernières semaines, la loi de finances est non pas une prévision, mais l’autorisation donnée par le Parlement au Gouvernement de lever les impôts et de dépenser l’argent public.

La législation fiscale comme l’examen des propositions du Gouvernement en matière de répartition des dépenses entre politiques publiques nécessitent un examen serein et approfondi, dont la première condition est la disponibilité des ministres et de leurs administrations pour répondre aux interrogations des parlementaires et transmettre tous les documents utiles.

Le débat politique porte aujourd’hui sur la stratégie budgétaire du nouveau gouvernement et, à cet égard, il est utile d’examiner l’exécution de 2016. On peut la résumer à grand trait, en constatant que le déficit public a continué de diminuer, de 0,2 point de PIB.

S’agissant de l’impact des mesures décidées par le Gouvernement indépendamment de la conjoncture – ce que l’on appelle l’effort structurel –, on relève que les prélèvements obligatoires ont diminué de 0,1 point de PIB, soit 2,2 milliards d’euros, et que des économies de dépenses ont été réalisées à hauteur de 0,4 point de PIB, tout en dégageant par ailleurs de nouveaux moyens pour la sécurité, la justice, des créations de postes dans l’éducation ou encore le service civique.

Certes, on peut penser que, une dizaine de milliards d’euros d’économies, ce n’est pas assez. Pour sa part, Mme la présidente de la commission des finances estime que la politique budgétaire a été bien dosée, avec suffisamment d’économies pour permettre une réduction du déficit, mais pas trop de coupes dans les dépenses pour ne pas casser la reprise de la croissance.

Pour ce qui concerne les orientations pour 2018 et les années suivantes, Mme André souhaite attirer votre attention, messieurs les ministres, sur la préservation des intérêts patrimoniaux de l’État. Vous voulez céder 10 milliards d’euros de participations pour financer l’innovation. C’est louable, mais faites vos calculs ! Pour l’État, céder des participations plutôt que de s’endetter revient, dans le contexte actuel, à abandonner un rendement annuel de près de 4 % sous la forme de dividendes pour s’épargner le versement, chaque année, d’un taux d’intérêt proche de zéro. Est-ce totalement rationnel ?

S’agissant de la trajectoire des finances publiques, Michèle André observe que le Gouvernement se fixe l’objectif d’évolution des dépenses le plus ambitieux de l’histoire de nos finances publiques : 0 % d’augmentation en volume pour l’ensemble des administrations publiques, alors même que les précédentes cibles, moins ambitieuses, n’ont jamais été atteintes.

Il ne vous sera pas reproché d’être ambitieux, mais Mme André voudrait des précisions sur la durée d’une telle trajectoire, ainsi que sur le montant annuel d’économies lié à cet objectif. Quel serait, à court terme, l’impact sur la croissance de la réalisation de ce programme d’économies ?

Mme la présidente de la commission des finances insiste sur la nécessité de bien calibrer l’arbitrage entre réduction du déficit et préservation de la croissance, car il faut avoir une approche économique et non pas comptable des finances publiques. L’objectif principal, dans le respect de nos engagements européens, ce sont la croissance et, surtout, l’emploi.

Monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, vous qui êtes le gardien de l’unité du budget de l’État, la construction d’un budget qui ne soit pas uniquement une addition de sanctuaires sera d’autant plus ardue que vous avez insisté, en commission, sur la notion de sincérité. Vous avez indiqué ne plus vouloir recourir à ce que la Cour des comptes appelle les « biais de construction », notamment les sous-budgétisations et les recettes surévaluées. Quels sont les autres « biais » auxquels vous avez décidé de ne plus avoir recours ?

Par exemple, allez-vous vous interdire de reporter des dépenses sur l’exercice suivant pour piloter la fin de gestion, de mobiliser des crédits extrabudgétaires comme ceux du PIA, le programme d’investissement d’avenir, pour compléter le financement budgétaire d’un projet, d’inscrire des autorisations d’engagement sans prévoir les crédits de paiement, de décaler des dates d’indexation pour gagner un peu de trésorerie ? Allez-vous toujours rattacher les fonds de concours suffisamment tôt pour qu’ils soient consommés dans l’année ?

Plus fondamentalement et au-delà des arrangements budgétaires qui permettent de tenir le déficit, allez-vous toujours distinguer dans vos annonces les économies de constatation et celles qui résultent de vos efforts ? Et allez-vous toujours expliciter le référentiel en fonction duquel vous calculerez vos économies ?

Au travers de ces deux dernières questions, Mme André veut vous inviter à tenir vos engagements sur la méthode et à ne pas avoir peur de la transparence s’agissant des choix que vous proposerez aux Français. Ce sont les conditions de leur adhésion, de la vitalité du débat démocratique et, pour le coup, de la confiance dans l’action publique