M. le président. Les amendements nos II-197 rectifié et II-290 sont identiques.

L'amendement n° II-197 rectifié est présenté par M. Karoutchi, au nom de la commission des finances.

L'amendement n° II-290 est présenté par Mme Garriaud-Maylam et M. Vall, au nom de la commission des affaires étrangères.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

France Télévisions

 

950 000

 

950 000

ARTE France

 

 

 

 

Radio France

 

950 000

 

950 000

France Médias Monde

1 900 000

 

1 900 000

 

Institut national de l’audiovisuel

 

 

 

 

TV5 Monde

 

 

 

 

TOTAL

1 900 000

1 900 000

1 900 000

1 900 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. le rapporteur spécial, pour présenter l’amendement n° II-197 rectifié.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. J’entends bien qu’il ne faut pas déshabiller Paul pour habiller Pierre, et inversement. Mais dans un budget contraint, on fait, par définition, des choix. Sauf si vous nous disiez, madame la ministre, d’un coup d’un seul, que vous avez quelques millions supplémentaires à nous attribuer, ce qui changerait la donne !

La réalité à laquelle nous sommes confrontés, c’est qu’on ne les a pas. Dès lors, que se passe-t-il ? On voit bien la différence de budget. France Médias Monde a un budget dix fois inférieur à France Télévisions. C’est dire qu’on n’est pas du tout dans le même niveau d’intervention ni de budget. Or, plusieurs membres de la commission des affaires étrangères et de la commission de la culture l’ont dit, France Médias Monde a une responsabilité qui dépasse la dimension de diplomatie internationale. Il lui revient d’accomplir dans le monde un certain nombre de missions au nom de la France, qui relèvent, en réalité, du service public de l’audiovisuel. Et les responsables de la société le disent clairement : si on leur enlève 1,9 million d’euros, ils devront renoncer à faire un certain nombre de choses dès 2018. Ils n’en sont pas à se demander s’ils peuvent faire des économies !

Je rappelle ce qui a été dit tout à l’heure par d’autres que moi, cette société a déjà connu deux plans sociaux qui se sont traduits par une réduction massive de personnel. Ce réseau a déjà fait beaucoup – vraiment beaucoup ! – d’efforts. Si l'on raisonne en proportion, c’est probablement le réseau du service public de l’audiovisuel qui a fait le plus d’efforts.

Je ne me glorifie pas de notre proposition ! Je préférerais que personne ne manque de crédits ! Dans la situation actuelle, je propose, en effet, de prendre 950 000 euros à Radio France, dont le budget « fonctionnement » ne bouge pratiquement pas, les efforts portant, pour l’essentiel, sur l’investissement du fait du gel provisoire du chantier en attendant le rapport Weiss, et, de prendre, de l’autre côté, 950 000 euros sur France Télévisions. Je ne dis pas que ce n’est rien, mais je dis que sur 2,8 milliards d’euros, avancer 950 000 euros en attendant les réformes voulues par le Gouvernement, eh bien cela permet au moins de préserver pour France Médias Monde sa capacité d’exister à l’échelon international !

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° II-290.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur pour avis. La commission des affaires étrangères avait présenté un amendement qui allait entièrement dans le sens de celui de Roger Karoutchi, déposé au nom de la commission des finances. En effet, cette préoccupation est évidemment, très importante pour nous.

Ce n’est pas la première fois que la commission des affaires étrangères soulève cette question, mais la situation est devenue extrêmement difficile. Je le dis après Roger Karoutchi, une société a fait énormément d’efforts et nous avons l’impression que c’est toujours l’opérateur le plus vertueux qui est le plus pénalisé ! Or nous avons vraiment besoin de ce rayonnement français à l’international, pour des tas de raisons, notamment économiques.

Une chaîne publique en français, qui n’est malheureusement pas encore assez diffusée, est indispensable, surtout au regard des efforts que font nos concurrents partout dans le monde, y compris sur des terres où nous avions, jusqu’à présent, un quasi-monopole, comme l’Afrique. Beaucoup d’autres compagnies et sociétés étrangères s’impliquent. Nous sommes dans un contexte extrêmement concurrentiel et nous avons donc besoin de rendre les moyens à France Médias Monde.

C'est la raison pour laquelle nous vous appelons à voter ces amendements identiques pour rétablir ce budget et permettre à France Médias Monde de continuer son travail. Nous voulons surtout éviter de prendre un retard considérable qu’il sera, ensuite, très difficile de rattraper.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° II-182 ?

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Je reconnais à M. Ouzoulias un talent extraordinaire ! (Sourires.) Comme cet amendement est strictement l’inverse du nôtre, je ne peux que demander le retrait ou le rejet.

J’en suis sûr, au fond, monsieur Ouzoulias, vous le savez très bien – c’est normal, ainsi le veut le jeu parlementaire –si l’on retire encore 1,9 million d’euros à France Médias Monde par rapport à la situation de 2018, autant dire qu’on remet en cause la présence française médiatique à l’étranger et qu’on cesse d’en parler !

Il est clair qu’il serait bon de retirer l’amendement. Sinon, l’avis serait défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Françoise Nyssen, ministre. Je comprends les préoccupations qui ont motivé ces amendements. Dans le contexte actuel, l’audiovisuel extérieur joue un rôle essentiel pour apporter dans le monde un point de vue français sur l’actualité.

Pour continuer à remplir cette mission, notre audiovisuel extérieur fait face à des défis considérables, vous l’avez noté, marqués par l’intensification de la concurrence dans le paysage des médias internationaux, la révolution numérique et l’évolution des modes de diffusion. En parallèle, France Médias Monde doit assurer le financement en année pleine de France 24 en espagnol, lancé, je le rappelle, avec succès en septembre dernier.

Telles sont les raisons pour lesquelles j’ai souhaité que la dotation de France Médias Monde augmente de 6,2 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale de 2017, soit l’augmentation de dotation la plus forte de tout l’audiovisuel public.

Je souhaite apporter quelques précisions sur ce budget abordé par M. Karoutchi et par Mme Garriaud-Maylam.

France Médias Monde a d’ores et déjà travaillé à l’élaboration de son budget pour 2018 en tenant compte de la réduction de 1,9 million d’euros de ses crédits par rapport au montant prévu au contrat d’objectifs et de moyens.

Le projet préparé dans ce cadre, communiqué aux administrations et qui sera débattu en conseil d’administration à la fin du mois de décembre, ne remet pas en cause sa capacité à assurer son rayonnement mondial, ne préempte aucun choix stratégique pour l’avenir et ne fragilise pas sa soutenabilité financière.

En revanche, France Télévisions et Radio France assument des missions tout aussi essentielles, comme l’information, la promotion de la culture et le soutien à la création. Elles doivent elles aussi investir dans le numérique. De ce fait, il n’est souhaitable ni de revoir encore à la baisse les crédits de France Télévisions, à laquelle des efforts sont d’ores et déjà demandés, ni d’ajuster la dotation de Radio France, sauf à fragiliser l’activité de l’entreprise et à remettre en cause le retour à l’équilibre de ses comptes en 2018.

En définitive, le projet de loi de finances pour 2018 proposé par le Gouvernement résulte d’un équilibre entre les contraintes et les priorités des différentes sociétés dans un contexte où il leur est demandé à toutes de participer à l’effort collectif de redressement des comptes publics. Je ne souhaite pas que cet équilibre soit modifié.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable sur ces trois amendements.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Vraiment, monsieur Karoutchi, je vous connaissais beaucoup de talent ! Parlons de celui de déshabiller Pierre pour habiller Paul !

J’entends toute votre argumentation sur France Médias Monde. Dans cet hémicycle, je me suis moi aussi exprimé sur France Médias Monde ! J’ai déposé un amendement visant à augmenter la contribution à l’audiovisuel public, ce qui allait aussi à France Médias Monde, mais vous avez voté contre !

Je vais donc demander au Gouvernement de répondre à M. Karoutchi en gageant son amendement – puisqu’il a des moyens que nous n’avons pas – et en faisant en sorte d’augmenter, au fil de la discussion parlementaire, de 1,9 million d’euros le budget de France Médias Monde.

Réfléchissons à euros constants. L’article 40 nous prive de la possibilité d’aggraver une charge publique. Je demande à M. Karoutchi de s’expliquer : comment peut-il envisager d’augmenter encore les crédits de France Médias Monde, qui croissent déjà, en prenant aux sociétés, France Télévisions et Radio France, dont les budgets subissent les plus fortes réductions ? Ce n’est pas logique !

Pour ma part, je ne retire rien à aucune mission. France Médias Monde a besoin de plus pour investir et rayonner dans le monde. Que le Gouvernement nous dise où il peut trouver ces 1,9 million d’euros ! Lui, il a la possibilité de le faire. Moi je ne déshabillerai pas France Télévisions ! En effet, je veux rappeler ici ce que j’ai déjà dit : la culture, ce n’est pas un supplément d’âme, une simple affaire comptable, c’est notre âme ! Mais il ne faut pas oublier le volet très économique de ce que fait France Télévisions.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel nous a rapporté récemment une chose simple : actuellement, 3 500 entreprises travaillent de façon indirecte à partir de la production audiovisuelle. Dans ce secteur, 80 000 emplois sont le produit de la diffusion audiovisuelle. Or le principal investisseur, c’est France Télévisions.

Et vous voulez affaiblir tout cela ! Moi, je dis non ! Je pense qu’il faut réaffirmer ici que nous soutenons tout l’audiovisuel public. Nous ne choisissons pas là où on va prendre pour donner ailleurs au moment où vous parlez – chose incroyable ! – de fusion de l’audiovisuel public ! Vous êtes en train de mettre en compétition des présidents de groupe…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. David Assouline. Il me reste sept secondes !

Des personnes qui devraient, demain, collaborer, vous les mettez en compétition : ce n’est pas la meilleure façon de créer des synergies !

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.

Mme Hélène Conway-Mouret. Je suis favorable aux amendements identiques. Ils ont été votés et soutenus par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je les ai votés et je les soutiendrai à nouveau ce soir.

Je pense qu’il est absolument nécessaire d’accompagner la décision de réabonder le budget à hauteur de 1,9 million d’euros. C’est vrai – M. Assouline a raison – qu’il est toujours regrettable de déshabiller l’un pour habiller l’autre. Pourtant, il faut bien trouver les crédits quelque part.

Un certain nombre de chiffres ont été donnés. Je veux simplement rappeler que chaque semaine, Radio France internationale, France 24 et Monte Carlo Doualiya rassemblent plus de 100 millions d’auditeurs et de téléspectateurs mesurés dans moins du tiers de leur pays de diffusion.

Les trois médias du groupe cumulent 35 millions de visites dans leur environnement numérique chaque mois – c’est une moyenne pour 2017 –, dont près de 40 % sur les offres en langue étrangère.

Il est ainsi utile que la France puisse poursuivre son rayonnement dans le monde à travers les médias indépendants, notamment pour des personnes aujourd'hui connectées via leur téléphone portable ou leur tablette.

C’est aussi grâce à ces médias que les Français établis hors de France gardent un lien avec notre pays, ce qui fait d'ailleurs écho aux propos récents du Président de la République sur l’importance du rayonnement de la France à l’international.

M. le président. Monsieur Ouzoulias, l’amendement n° II-182 est-il maintenu ?

M. Pierre Ouzoulias. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° II-182 est retiré.

La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Je voulais, à ce moment, apporter quelques éléments pour éclairer le débat.

Les amendements déposés par M. Karoutchi et Mme Garriaud-Maylam ont un objectif extrêmement louable. Au sein de notre commission, nous avons été très nombreux à souligner l’excellent travail de l’audiovisuel extérieur et les problèmes auxquels il se trouve confronté, cette vive concurrence avec des groupes ayant des moyens plus importants – la BBC, Deutsche Welle, Russia today, etc. Le rapporteur a émis, au nom de notre commission, un avis favorable sur le contrat d’objectifs et de moyens pour souligner l’excellence du travail. On ne peut avoir que de la sympathie pour les deux amendements déposés.

Je salue aussi la volonté, dans ces amendements, de répartir l’effort entre France Télévisions et Radio France.

Pour autant, je veux souligner quelques difficultés que ces amendements peuvent poser à ce moment du calendrier.

Le calibrage des efforts a été discuté, rediscuté, redébattu entre les différentes entreprises et le Gouvernement. À ce stade de l’année, il faut mesurer que France Télévisions va faire un effort de plus de 47 millions d'euros d’économies – sans doute même 75 millions d'euros si l’on tient compte des hausses des coûts exogènes, contrats conclus avec des clauses d’indexation, évolution du glissement vieillissement technicité de la masse salariale… Dans ces conditions, il me semble difficile de demander un peu plus, même si cela doit se faire au bénéfice – et on le comprend – de l’audiovisuel extérieur.

Ce que je souhaiterais, madame la ministre, c’est que nous nous mettions immédiatement au travail pour l’année prochaine. Je voudrais que nous réfléchissions bien plus profondément à la répartition des ressources à partir du budget pour 2018 entre l’audiovisuel public traditionnel : Radio France, France Télévisions, FMM et ARTE – on n’a pas beaucoup parlé d’ARTE, qui fait un excellent travail. Cette meilleure répartition et cette grande attention, madame  Garriaud-Maylam, à notre audiovisuel extérieur ne peuvent passer que par une vraie réforme du mode de financement.

Je ne reviens pas sur les réformes de structures et de gouvernance, qui sont tout autant nécessaires. Nos collègues – M. Jean-Pierre Leleux et André Gattolin – ont fait un excellent rapport.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Cela passe par une réforme de ce mode de financement qui va viser à mieux répartir la contribution à l’audiovisuel public.

Je voulais donner ces éléments pour éclairer votre vote, mes chers collègues.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Avec tout le respect que j’ai pour la présidente de la commission, je lui ferai observer que si l'on dit au Parlement que tout est déjà fait, alors ce n’est pas la peine qu’il se réunisse ! Transmettez-nous des fiches, on les validera !

Le débat parlementaire est fait pour modifier, transformer et dire un certain nombre de choses. Je regrette, madame la ministre : si vous m’aviez dit que vous aviez sur vous le chéquier gouvernemental pour trouver 2 millions d'euros de plus, on ne les prendrait à personne !

Nous sommes à budget contraint. Sauf que FMM travaille son budget en renonçant à un certain nombre d’opérations sur les deux années à venir, notamment en Afrique, faute d’argent.

Soit on nous rassure en nous disant que, de toute façon, courant 2018, il y aura des moyens supplémentaires. Soit on admet qu’il n’y en aura pas. Je le dis franchement, je regrette que ce soit à budget contraint, mais c’est ainsi ! Je pense qu’il faut voter ces amendements et nous verrons !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-197 rectifié et II-290.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », figurant à l’état D.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits, modifiés.

(Les crédits sont adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

Aide publique au développement

Compte de concours financiers : Prêts à des États étrangers

État D
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2018
État B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Aide publique au développement » (et article 49 quater) et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, notre politique d’aide publique au développement, ou APD, a été durement mise à contribution ces dernières années.

Si j’ai bien compris, l’enjeu, pour les années qui viennent, est de définir une nouvelle trajectoire qui soit « ambitieuse », c’est-à-dire qui nous remette sur la voie du respect de nos engagements internationaux, mais aussi « crédible », ce qui suppose de consacrer des ressources plus importantes à cette politique. C’est à l’aune de ces éléments que nous avons examiné les crédits 2018 de l’aide publique au développement.

La définition d’une nouvelle trajectoire est en effet indispensable, tant la France est éloignée du respect de ses engagements internationaux. L’objectif, je le rappelle, est de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut au développement. Ce taux ne s’établira qu’à 0,42 % à la fin de l’année 2017.

Au-delà du respect de l’objectif, nous risquons véritablement, si j’ose parler ainsi, de « descendre en seconde division » ou « en Pro D2 », pour parler rugby.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances. C’est tout de suite plus clair ! (Sourires.)

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. L’aide allemande représente trois fois la nôtre et l’aide britannique, le double. Cette divergence des trajectoires française, allemande et britannique est frappante, mais elle est aussi préoccupante, monsieur le ministre. Le montant des dons octroyés par la France est particulièrement inquiétant.

Nous pouvons donc nous réjouir que le Président de la République ait récemment pris l’engagement, devant l’Assemblée générale des Nations unies, d’atteindre un objectif intermédiaire de 0,55 % d’APD d’ici à la fin du quinquennat. Plus précisément, cette augmentation de l’aide devrait notamment porter sur l’aide bilatérale, qui est un meilleur outil d’influence et dont la part a diminué au cours des dernières années.

Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 traduit en partie cette ambition, avec une augmentation importante des crédits de la mission « Aide publique au développement », en hausse de 20 % par rapport à 2017. Au demeurant, nous tenons à souligner que cette programmation est la plus ambitieuse qu’ait connue la mission.

Cette trajectoire appelle cependant notre vigilance. Tout d’abord, l’exécution doit être en phase avec les crédits votés. Cet indicateur est révélateur du degré d’ambition accordé à cette politique, qui a tôt fait d’être considérée comme une variable d’ajustement de l’exécution budgétaire. À cet égard, permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que l’annulation de près de 140 millions d’euros en juillet dernier, par décret d’avance, a jeté le trouble. Nous estimons que les impératifs budgétaires de l’été 2017 pouvaient justifier cette mesure d’économie par rapport au budget du précédent gouvernement, mais les choix présentés au Parlement sont désormais ceux de l’actuelle majorité gouvernementale. Les crédits de cette mission doivent être sanctuarisés. À ce titre, les efforts réalisés pour améliorer la sincérité du budget vont dans le bon sens.

Par ailleurs, nous notons que l’effort budgétaire est centré sur la fin du budget triennal. Ce choix est un facteur de risque pour la mise en œuvre concrète de la programmation. Nous serons vigilants sur son respect.

Enfin, pour atteindre l’objectif fixé pour 2022, il faudra aller plus loin et maintenir une trajectoire ascendante sur l’ensemble du quinquennat, voire accentuer cet effort. Il pourra être nécessaire d’écrire cette nouvelle trajectoire dans une loi de programmation de l’aide publique au développement, qui fixe l’effort financier de l’État jusqu’en 2022 et réaffirme nos priorités.

À cet égard, j’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur notre coopération technique : son montant est dérisoire par rapport au montant que lui consacre l’Allemagne, par exemple. Or nous connaissons l’efficacité d’outils de ce type. Nous disposons, avec Expertise France, d’un très bon opérateur, qu’il faudra développer et renforcer, y compris financièrement. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, après le premier de cordée, Yvon Collin (Sourires.), je vais, pour ma part, vous présenter les crédits pour 2018 et les points qui ont particulièrement retenu notre attention.

Tout d’abord, les ressources que consacre la France à l’aide publique au développement en 2018 sont en augmentation.

Les crédits de la mission connaissent, en effet, une hausse de 100 millions d’euros environ, laquelle est toutefois entièrement absorbée par l’augmentation de la contribution de la France au Fonds européen de développement. Les autorisations d’engagement diminuent de 30 %, mais cette baisse ne fait que refléter la traditionnelle irrégularité de leur montant au sein du programme 110, en fonction du rythme de reconstitution des différents fonds multilatéraux.

Le produit des taxes affectées – taxe sur les billets d’avion et taxe sur les transactions financières – est quant à lui gelé à 800 millions d’euros environ.

Enfin, les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », qui, comme son nom l’indique, retrace uniquement des prêts, sont en hausse de 760 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 260 millions d’euros en crédits de paiement, si l’on exclut les opérations exceptionnelles de l’an dernier.

Les crédits connaissent donc une augmentation, même si celle-ci est modeste.

Je veux maintenant faire un point plus précis sur les ressources de l’Agence française de développement, l’AFD, qui, vous le savez, est l’opérateur pivot de notre aide bilatérale et qui est engagée sur une trajectoire d’augmentation de 4 milliards d’euros de ses engagements et de 400 millions d’euros de ses dons entre 2015 et 2020.

Les crédits budgétaires de l’agence augmentent par rapport à la loi de finances initiale pour 2017. Plus précisément, les crédits permettant à l’AFD d’accorder des dons sont en hausse de 67 millions d’euros en autorisations d’engagement, pour atteindre 400 millions d’euros environ. Par ailleurs, les crédits permettant de « bonifier » les prêts, c’est-à-dire d’abaisser directement le taux d’intérêt proposé aux bénéficiaires de ses concours, connaissent une augmentation de 55 millions d’euros. En outre, l’AFD bénéficie de la « ressource à condition spéciale », prêt de long terme de l’État à un taux extrêmement bas qui lui sert également à accorder des prêts concessionnels. Les crédits correspondant aux activités courantes de l’AFD sont stables.

En définitive, le niveau des autorisations d’engagement est en ligne avec la trajectoire de croissance de 4 milliards d’euros de ses engagements d’ici à 2020.

En revanche, le niveau des crédits de paiement pose question. Monsieur le ministre, leur montant permet-il véritablement d’apurer la situation créée cet été, après l’annulation de dons-projets à hauteurs de 118 millions d’euros en crédits de paiement ?

Par ailleurs, le Parlement a décidé, l’an dernier, d’affecter 270 millions d’euros à l’AFD à partir des recettes de la taxe sur les transactions financières. L’article 19 du présent projet de loi de finances revenait sur cette affectation et attribuait cette somme au Fonds de solidarité pour le développement, le FSD, qui finance essentiellement de l’aide multilatérale. Nous nous réjouissons que l’Assemblée nationale ait décidé de maintenir cette ressource à l’AFD.

M. Yvon Collin, rapporteur spécial. Très bien !

M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. J’ai fait la preuve que les sénateurs ne disent pas toujours du mal de leurs collègues députés… (Sourires.)

Nous soulignons, au passage, que la débudgétisation des dépenses du FSD, qui représentent un quart des crédits d’aide publique au développement, est problématique. Ce procédé nuit au contrôle du Parlement et s’apparente à une variable d’ajustement pour les gestionnaires de la mission.

Enfin, l’objectif annoncé par le Président de la République de faire passer l’APD à 0,55 % du RNB impliquera de définir une nouvelle trajectoire, à la hausse, des engagements de l’AFD. Le futur contrat d’objectifs et de moyens de l’agence, défini pour la période 2017-2020, sera l’occasion de la préciser et de définir les moyens qui l’accompagneront.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers. (MM. Jean-Marie Bockel et Richard Yung applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les principaux éléments budgétaires, qui ont déjà été présentés.

Notre commission a pris acte de la légère progression des crédits prévue pour 2018 et de la trajectoire annoncée pour les quatre prochaines années, laquelle permettra que la part du revenu national brut consacré à l’APD atteigne 0,55 % en 2022, comme l’a rappelé le Président de la République, voilà quelques jours encore, à Ouagadougou.

Cet engagement nous permettrait enfin de réduire un peu l’écart avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, deux pays qui ont bien pris conscience des enjeux essentiels qui s’attachent à cette politique.

Je veux d’abord faire une remarque relative à l’organisation de notre expertise internationale.

La rationalisation de cette organisation a débuté en 2014, sur l’initiative du Sénat, mais n’est pas achevée. La Cour des comptes a plaidé, cet été, dans un référé, pour un rapprochement entre Expertise France et un opérateur qui n’avait pas été fusionné en 2014, Civipol, actif en matière de sécurité intérieure, de protection civile et de gouvernance. En effet, les deux organismes se font actuellement parfois concurrence ou sont conduits à présenter des offres conjointes, qui supposent des montages parfois trop complexes.

Selon nous, le rapprochement des deux entités devra se faire en respectant l’esprit de la réforme de 2014, une volonté de simplification et de plus grande efficacité, afin de promouvoir l’expertise française dans le secteur devenu très concurrentiel, mais essentiel, que constitue la coopération technique internationale.

Monsieur le ministre, d’autres opérateurs pourraient et devraient également être concernés par un rapprochement avec Expertise France, pour permettre à l’offre française d’être encore plus forte. Reste à réfléchir aux modalités concrètes de cette nouvelle étape de la réforme initiée en 2014. Je remercie notre président d’avoir proposé à la commission d’engager un travail sur cette question importante. Pour faire bref, il s’agit de mieux expertiser, de mieux évaluer, pour aider plus.

Ma seconde remarque portera sur l’une des dimensions de l’approche globale dans les pays en crise, celle de l’action humanitaire, qui rencontre un vrai succès. Je sais que c’est l’une de vos priorités, monsieur le ministre. Ainsi, le fonds d’urgence humanitaire, principal instrument du centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay en matière d’action humanitaire et de stabilisation, sera abondé, en 2018, autour de 30 millions d’euros, ce qui constitue une nette progression par rapport à 2017. Toutefois, dans ce domaine aussi, nous restons très loin des budgets de nos partenaires européens.

On entend parler d’un objectif de 100 millions d’euros, qui serait d’ailleurs raisonnable. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser que la hausse prévue des crédits d’APD dans les années à venir bénéficiera également à cette dimension essentielle de notre action ?

L’augmentation de l’aide d’urgence est une nécessité, mais cette aide doit aussi être pensée non pas en concurrence ou en remplacement de l’aide traditionnelle, mais comme une amorce à celle-ci. Loin de s’y opposer, elle lui est complémentaire.

Oui, monsieur le ministre, il est nécessaire d’augmenter les financements de l’aide au développement en France, aujourd’hui insuffisants. Il faut aussi, pour reprendre l’esprit des déclarations récentes du Président de la République et d’autres acteurs, comme le président du CICR, engager une refondation de l’aide.

Sous le bénéfice de ces observations, nous voterons favorablement ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche ainsi qu’au banc des commissions.)